jeudi 11 septembre 2025

Retour d'actualité sur les manuscrits des Illuminations

Je reprends le sujet des manuscrits des poèmes en prose des Illuminations.
Les manuscrits ne sont accompagnés ni d'un sommaire, ni d'une page de titre. On a donc une provenance du titre qui est extérieure au cheminement des manuscrits. Peut-être qu'il y a eu une lettre entre les mains de Verlaine en 1878 ou longtemps après, mais on l'ignore. En 1875, Verlaine parle d'une liasse de poèmes en prose, et en 1878 le titre Illuminations apparaît dans un courrier de Verlaine où celui-ci parle d'une relecture, donc d'un ensemble que en intégralité ou quasi intégralité il avait déjà lu. Puis, Verlaine va provoquer la publication de ce dossier en 1886 dans deux ordres différents, un dans des numéros de revue, un sous forme d'une plaquette qui ne respectera pas l'ordre des numéros de la revue et donc de la pagination partielle que nous connaissons aux manuscrits. La publication ne sera pas complète, certains poèmes en prose manquent à l'appel et seront publiés ultérieurement, mais la publication implique des poèmes en vers, et à ma connaissance Verlaine n'a jamais protesté contre cet amalgame et je ne connais aucun texte d'époque qui soulève la question de ce mélange. La séparation des poèmes en prose et des poèmes en vers se fondent sur deux critères : la différence nette d'époque entre les copies des vers et les copies des poèmes en prose ou en vers libres, et les traces dans le courrier de Verlaine, notamment pour l'année 1875, d'un cheminement autonome des manuscrits des poèmes en prose. On peut se demander si en 1878, le titre Illuminations sert à coiffer seulement les poèmes en prose ou bien s'ils ne coiffaient pas déjà aussi les manuscrits de poèmes en vers "nouvelle manière" récupérés à l'occasion. L'énigme est plus compliquée que ce que les rimbaldiens ne veulent bien le dire, il est sensible que dans l'esprit de Verlaine la relation du titre aux poèmes en prose prédomine, mais ce n'est pas clairement établi. La séparation finale des deux dossiers n'a jamais été prouvée, Bouillane de Lacoste n'avait qu'annoncé vouloir le faire dans ses éditions des œuvres d'Arthur Rimbaud. Quant au titre, Fongaro s'amusait à souligner qu'il devait être édité sans article quand il publiait des recueils d'articles intitulés "Lire Illuminations". Dans un article dédié à Fongaro, Steve Murphy a souligné que l'adjonction de l'article "les" était naturelle à l'époque, même quand dans leurs courriers ils omettaient l'article. On a ainsi le cas du titre "Bateau ivre" qui n'est pas commenté par Murphy dans son article je crois, mais j'ai repéré que beaucoup de rimbaldiens au début du vingtième siècle, citait le titre sans article : "de Bateau ivre", au lieu "du Bateau ivre", "Rimbaud a écrit Bateau ivre". Murphy invite à penser que le titre devrait s'écrire Les Illuminations, et certains rimbaldiens convaincus lui ont emboîté le pas. Notons que cela rejoint une idée que j'ai formulée dès le début de mes publications rimbaldiens ou interventions sur le net, et qui a été reprise par Murat notamment, le titre de Rimbaud s'inscrit dans la continuité des titres de Lamartine et Hugo : Les Méditations poétiquesLes Contemplations et Les Illuminations. Toutefois, là encore, ce n'est pas clair. Il y a la primauté de la publication originale de 1886 qui s'est faite sans article : Illuminations. Il faut dire que nous passions pour un recueil de Victor Hugo de Châtiments en 1853 à Les Châtiments. En fait, peu importe que le recueil soit publié sans article, on peut le citer en lui adjoignant un article, il y a une liberté d'usage semble-t-il. L'article n'était sans doute pas considéré comme une pierre d'achoppement à l'époque. Bref, opposer les deux formes du titre ne m'est pas possible en l'état actuel de mes connaissances. Qu'on écrive le titre d'une façon ou de l'autre, je n'ai rien à dire. Je n'ai pas de religion en la matière, pourrais-je dire.
Il manque toutefois le sous-titre "colored plates" ou "painted plates".  Le sous-titre n'a pas été retenu lors de l'édition originale, puis a définitivement été écarté. L'hésitation entre deux formes montre que la réflexion n'était pas achevée, mais quand même ! Verlaine a pris la peine de signaler son existence, ce qui pourrait être une trace de remords. Il a l'air de lui conférer de l'importance à ce sous-titre. Verlaine n'a pas supervisé la publication des Illuminations. Et notons que Verlaine ne rencontrait plus Rimbaud, que tout tenait dans des échanges épistoliers directs ou indirects (via Delahaye, Nouveau, etc.). Les lettres du débat sur les Illuminations ne nous sont pas parvenues. Difficile de croire qu'en 1878 il y ait eu plusieurs échanges de Rimbaud au sujet de ce titre. Et dire que le débat a eu lieu en 1875 est impossible à prouver. Il y a clairement un doute qui existe sur la nécessité ou non de reporter le sous-titre au recueil. Il va de soi aussi que ce titre mentionné en 1878 suppose l'existence d'un ensemble manuscrit perçu comme devant former un recueil pour publication. Soit un ensemble de poèmes en prose avec deux poèmes en vers libres, soit un double ensemble de proses et de vers "nouvelle manière".
Le projet n"était pas unifié, puisque les manuscrits qui ne sont pas parvenus n'ont pas une pagination unifiée exhaustive. Il y avait une liasse manuscrite où Rimbaud laissait quelque peu ceux à qui il confiait la publication dans un "débrouillez-vous". Il n'y a aucune consigne sur la distribution des poèmes. Il n'y avait aucune consigne sur la séparation des vers et des proses, vu ce qui s'est passé et l'absence de réaction qui en a découlé, il n'y avait aucune consigne sur la distribution des poèmes selon les types de papier utilisés, il n'y avait aucune consigne pour l'emplacement de "Solde" ou de "Génie" qui ne sont pourtant pas des discours anodins.
C'est une réalité de fait que en 1886 même le recueil a été publié dans deux ordres distincts et à chaque fois avec un mélange entre proses et vers, ce mélange qui donne des boutons à pratiquement toute la critique rimbaldienne désormais. C'est une réalité de fait que, même après la publication par La Vogue, certains manuscrits ne sont pas paginés ou qu'il existe des ensembles paginés divers où aucune consigne n'explique comment les placer l'un par rapport à l'autre.
Que ça plaise ou non, c'est ainsi ! Nous avons les preuves imparables que le travail de classement n'était pas abouti, et nous avons les preuves imparables que la revue La Vogue n'a pas publié les poèmes dans un ordre qui lui était spécifié par Rimbaud, puisqu'il manque certains poèmes en prose, puisque le mélange des vers n'a pas d'explication logique pour la distribution, puisque la plaquette modifie l'ordre de la publication initiale dans des revues, et notamment ne respecte pas la pagination de 23 manuscrits que certains rimbaldiens se plaisent à penser auctoriale.
Notons que sur l'établissement des manuscrits des poèmes en prose, il y a eu une évolution récente. Grâce à la lettre de Rimbaud à Andrieu, Jacques Bienvenu a pu revenir sur l'argument des "f" bouclés et faire reculer encore plus dans le temps le recopiage des manuscrits en compagnie de Germain Nouveau, puisque sa participation a été établie par l'étudfe graphologique de Bouillane de Lacoste. Rimbaud ne pratiquant pas les "f" bouclés en juin 1874 vu sa lettre à Andrieu il n'a pas pu recopier avec Nouveau les manuscrits d'avril à juin 1874 justement, il faut donc se reporter à la rencontre de Rimbaud et Nouveau au début de l'année 1875, avant que Verlaine ne rencontre Rimbaud à Stuttgart et visiblement récupère à son tour les manuscrits.
En gros, les manuscrits auraient été recopiés exprès en prévision de la libération de Verlaine pour que celui-ci s'en charge, sauf que Verlaine n'a pas voulu ou pu s'en charger à l'époque et que les manuscrits ont été renvoyés à Nouveau, et l'idée alors semble claire que Rimbaud ne voulait publier qu'un recueil de poèmes en prose. Mais n'allons pas trop vite en besogne. Ce qui a été publié en 1886 est issu d'un dossier remis en 1878 qui peut avoir muté.
Je pense qu'effectivement ça a du sens de publier les seuls poèmes en prose, mais c'est un fait que Verlaine a reçu un dossier aussi de poèmes en vers inédits, malgré les insertions de certains dans "Alchimie du verbe" et qu'il y avait un effet d'opportunité à publier les deux ensembles. La publication chaotique dans les numéros de la revue La Vogue donne l'impression que le projet initial était de publier les poèmes en prose en priorité, puis les poèmes en vers. Le mélange serait né du moment où il y a eu une difficulté à rassembler dans l'urgence des manuscrits pour un troisième numéro consécutif de la revue. La publication au compte-gouttes des poèmes en prose donne l'idée d'un collaborateur réticent qui va ensuite refuser de céder les derniers manuscrits. Mais, peu importe, je précise ici tous les points à débattre, je ne vais pas trancher.
Reprenons !
En 1886, le témoignage de Fénéon est immédiat et il parle bien de "chiffons volants" sans ordre. Il sait de quoi il parle. Il peut se mettre en scène alors que d'autres à sa place ont confectionné le dossier, mais il écrit dans des revues lues par ceux qui ont publié Illuminations. Fénéon s'exposait à un démenti public sur la pagination par exemple.
Ce point a été solidement mis en avant par Jacques Bienvenu. Dans un deuxième temps, Bienvenu a fait remarquer que Rimbaud ne barrait pas ses "7", ce qui montre qu'il y a une intervention allographe sur la pagination des manuscrits. Enfin, Bienvenu m'a cité pour un argument structurel qui visiblement n'a pas été compris par les tenants de la pagination auctoriale. Il faut dire que cela suppose une certaine activité mentale pour être compris.
Les manuscrits, car il ne s'agit pas d'un "manuscrit" comme on le voit écrit de manière tendancieuse, portent les traces d'un travail préparatoire éditorial. Jacques Bienvenu a souligné au début de l'activité de son blog Rimbaud ivre les mentions des ouvrières typographes et le nombre de lignes qu'elles avaient effectuées. Il a mis cela sur le compte d'une grève qui a eu lieu à ce moment-là selon le témoignage d'époque de Fénéon, les ouvrières-typographes se plaignaient de ne pas avoir été payées. Cela peut demeurer conjectural. Elles n'ont peut-être pas écrit elles-mêmes leurs noms, et c'était simplement l'usage à l'époque de ne pas traiter les manuscrits comme sacrés. Mais cela établit de manière certaine que les éditeurs de la revue La Vogue, les protes, etc., écrivaient sur les manuscrits de Rimbaud.
Le grand argument que contournent maintenant les tenants de la pagination auctoriale : Murphy, Murat (même s'il a commencé à lâcher l'affaire), Reboul (puisqu'il s'est prononcé à une époque), Bardel, c'est la coordination stricte des interventions sur les manuscrits qui prouvent un séquençage en vue de la publication dans les numéros 5 et 6 de la revue La Vogue.
Cette coordination implique quatre séries de facteurs : 1) la pagination en 24 pages de 23 feuillets, 2) les titres des poèmes de cet ensemble de 23 feuillets, 3) une mention allographe "Arthur Rimbaud" au bas d'une page des manuscrits et 4) l'état de salissure des manuscrits. Et il faut confronter ces quatre facteurs aux deux numéros de la revue La Vogue où furent publiés les poèmes transcrits sur ces 23 feuillets.

Nous avons à la base l'idée d'une pagination au crayon où le chiffre de la pagination est reporté en principe dans le coin supérieur droit avec un encerclement souvent plus carré qu'arrondi qui correspond bien évidemment à l'angle du feuillet : Je choisis le signe d'ouverture de la parenthèse pour le représenter (1), 2), 3) etc.), mais je vous invite à consulter les manuscrits pour apprécier directement de quoi il retourne. 

Lien pour consulter la pagination au crayon 10 du manuscrit de "A une Raison" 

Les exceptions sont les feuillets paginés 12, 18, le verso paginé 22 et le feuillet final paginé 24. Les exceptions des pages 22 et 24 vont de pair et sont sans importance. L'ensemble des feuillets n'ont des transcriptions qu'au recto à l'exception d'un feuillet dont le recto est paginé 21) et le verso paginé 22). la pagination 22) a été mise à gauche et non à droite, pour deux raisons : le manque de place dans le coin supérieur droit et le fait qu'il s'agissait d'un verso, donc qu'il fallait tourner le feuillet (comparer avec la pagination recto/verso d'un ouvrage imprimé). La page finale n'est pas une véritable exception. Il y a bien une mention au crayon dans le coin supérieur droit, mais faute de place la transcription est sortie du feuillet et le résultat n'est pas lisible, et qu'on ne me parle pas de papier découpé après la pagination, je mets un lien plus bas vers le fac-similé du document ! Le 24 a alors été reporté à l'encre sur le côté gauche du manuscrit un peu sur le modèle de la pagination du verso 22) qui est techniquement antérieure.
Les deux seules véritables exceptions sont les feuillets paginés 12 et 18.
Accessoirement, le feuillet paginé 12 offre un cas similaire au feuillet paginé 24. Il n'était pas évident de transcrire le numéro de page dans le coin supérieur droit, donc il a fallu le reporter à gauche. En revanche, il n'y aurait eu aucune difficulté à transcrire le 18 dans le coin supérieur droit. Or, il est placé à droite, mais pas dans le coin.
Les deux exceptions des feuillets 12 et 18, c'est qu'il n'y a aucune mention au crayon préalable et que les numéros de pages ne sont pas encerclés mais soulignés par une barre oblique.
Si on ne réfléchit pas plus loin, et ce fut le cas de Murphy en son article de l'année 2000, puis de tous les tenants de la pagination auctoriale (Murat, Reboul, Bardel, etc.), et de moi-même initialement, on se dit que les feuillets 12 et 18 ont remplacé les feuillets initiaux qui devaient avoir une mention au crayon, et que si des feuillets manuscrits en ont remplacé d'autres feuillets, préexistants, c'est que forcément la pagination était de Rimbaud lui-même ou supervisée par lui en compagnie de Nouveau, puisque Rimbaud était le seul à pouvoir remplacer des manuscrits par d'autres.
C'est ça qui impressionne depuis vingt-cinq ans Alain Bardel et dont il n'arrive pas à se défaire !!!!!!!!!!!!!!
Mais, pour l'instant, cela a une apparence d'évidence.
Je vous mets des liens pour consulter les pages manuscrites problématiques, et je rappelle que à partir de ce lien vous faites tourner les pages du document en fac-similé sur le site Gallica de la BNF pour vérifier d'une traite la pagination des 23 feuillets.
 

Lien pour consulter la page 18/ 

 Lien pour consulter la page 21) recto de feuillet 

 Lien pour consulter la page 22) verso de feuillet 

Lien pour consulter la page 24) 

Il faut ajouter que dans cette apparence d'évidence, les feuillets 12 et 18 sont liés à la création de séries.
Le feuillet 11 se termine par un poème intitulé "Phrases" qui a l'air d'être composé de trois fragments relativement autonomes. Le feuillet 12 est composé de cinq poèmes courts plus autonomes encore que les trois fragments du feuillet 11. L'idée d'unité viendrait simplement du fait que les huit prestations sont tellement brèves qu'elles peuvent porter légitimement le titre d'ensemble "Phrases".
Notons tout de même que cet ensemble a toujours embarrassé les rimbaldiens qui perçoivent une hétérogénéité entre les deux ensembles. Les trois fragments du feuillet 11 ne justifient pas seulement le titre par leur brièveté, mais par leur allure évidente de propos rapportés oraux, ce qui n'est pas le cas des cinq fragments du feuillet 12. Il faut y ajouter que les trois fragments sous le titre "Phrases" ne semblent pas complètement autonomes, il y a un propos continu qui les relie, un fil directeur commun, ce qui n'est pas le cas des cinq prestations du feuillet 12.
Je cite ces textes pour rappel :
 
                                 Phrases
 
   Quand le monde sera réduit en un seul bois noir pour nos quatre yeux étonnés, - en une plage pour deux enfants fidèles, - en une maison musicale pour notre claire sympathie, - je vous trouverai.
   Qu'il n'y ait ici[-]bas qu'un vieillard, seul, calme et beau, entouré d'un luxe inouï, - et je suis à vos genoux.
    Que j'aie réalisé tous vos souvenirs, que je sois celle qui sait vous garrotter, - je vous étoufferai.
 
            ~~~
 
    Quand nous sommes très forts, - qui recule ? très gais, qui tombe de ridicule ? Quand nous sommes très méchants, que ferait-on de nous.
    Parez-vous, dansez, riez, - Je ne pourrai jamais envoyer l'Amour par la fenêtre.
 
           ~~~~
 
     - Ma camarade, mendiante, enfant monstre ! Comme ça t'est égal, ces malheureuses et ces manœuvres,  et mes embarras. Attache-toi à nous avec ta voix impossible, ta voix ! unique flatteur de ce vil désespoir.
 
 Malgré les traits de séparation, on a bien l'impression de ne lire qu'un seul poème avec une chute qui vaut pour l'ensemble : "ta voix ! unique flatteur de ce vil désespoir."
Il s'agit d'évidence d'un poème qui avait une signification pour Verlaine qui y fait écho dans le poème XIII du recueil Epigrammes :
 
   Quand nous irons, si je dois encor la voir,
             Dans l'obscurité du bois noir,
 
    [...]
 
Au vil désespoir s'oppose alors le réveil en Dieu.
Ce poème "Fragments" est à rapprocher du poème "Ouvriers" et aussi de "Vies" parmi l'ensemble des Illuminations. Au plan prosodique, il y a aussi une harmonisation des trois parties entre elles. Il y a une tendance semi-anaphorique pour les attaques des deux premières parties : "Quand" en début de chacune des deux parties et alignement des trois alinéas de la première partie avec amorce de la même occlusive : "Quand", "Qu'il" et "Que". Cette anaphore passe en mode interne dans le premier alinéa de la seconde section : "quand, qui, qui". Et il y a un fait convergent qui prouve que ce n'est pas une coïncidence aléatoire, puisque nous avons une rime interne "recule"/"ridicule" qui tombe bien sur des fins de phrase, qui fait écho à l'écho ressemblant à une rime des terminaison de première personne du futur pour deux des trois alinéas de la première section : "trouverai", "étoufferai". Je pourrais aussi insister sur les antépositions et les énumérations, ma présentation est sommaire, on pourrait l'améliorer. La dernière partie reste dans la continuité prosodique avec le couple "ces malheureuses et ces manoeuvres", avec aussi cette énonciation exclamative particulière qui assène un "de toute façon". L'emploi des impératifs relie aussi la deuxième section à la troisième.
Bref, il y a plein d'indices d'une unité des trois parties de "Phrases" au plan du seul feuillet 11. Or, si on peut trouver accessoire que les traits de séparation ne soient pas les mêmes entre le feuillet 11 et le feuillet 12, sous prétexte qu'on peut soutenir que Rimbaud a réemployé un feuillet sans se soucier d'uniformiser les faits de transcription avec le feuillet 11, il n'en reste pas moins qu'au plan des thèmes abordés et de la prosodie les cinq prestations du feuillet 12 sont nettement distinctes des trois parties du feuillet 11. Qui plus est, les cinq prestations du feuillet 12 sont hétérogènes entre elles. Or, la publication enchaînant les transcriptions des feuillets 11 et 12 a entraîné la définition d'un poème "Phrases" composé de huit parties dans la revue La Vogue, ce qui a été suivi par toutes les éditions ultérieures à peu près, même si des réserves ont été exprimées.
Je vous transcris maintenant les cinq prestations du feuillet 12, non je me contente de vous renvoyer en lien à la consultation du manuscrit, en espérant que vous le ferez. J'imagine tout de même que lecteur habitué vous avez ces textes quelque peu bien présents à l'esprit.
Je rappelle que les trois croix sont utilisées pour séparer un poème sans titre aussi court que ceux du feuillet paginé 12 qui figure à la suite de "Being Beauteous". Sur le feuillet contenant "Being Beauteous", il est prouvé que les trois croix sont en place du titre par le point qui les suit et qui sert chez Rimbaud à séparer les titres, et il est vrai que dans le cas du feuillet 12 il n'y a aucun point après un quelconque ensemble de trois croix, ce qui fait qu'on ne peut affirmer avec certitude qu'il s'agit de cinq poèmes distincts sur la base de la simple analyse des indices de transcription, argument dont ne devrait pas manquer de s'emparer les tenants de la pagination auctoriale, mais contrairement à eux j'expose tout en toute transparence. Il y a un autre argument en faveur de la pagination auctoriale qui pourrait être déployé, c'est que le feuillet découpé un peu étrangement a l'air d'un chiffon volant dans la masse des manuscrits, et à part Fénéon et quelques illuminés personne ne peut croire que Rimbaud ait été si désinvolte...
Passons à la suite !
Le feuillet 18 a permis de créer une suite de trois poèmes intitulés "Veillées". Le feuillet paginé 19 s'ouvre initialement par un poème intitulé "Veillée" au singulier. 
 
 
Le feuillet paginé 19 contient le poème intitulé "Mystique" et le début du poème intitulé "Aube". Pour créer la série "Veillées" en conservant ces manuscrits, il convient forcément de placer les deux poèmes "Veillées" avant "Veillée", sorte de pression matérielle à la création de la série.
Ici, la prétention à une pagination auctoriale devient fragile. Pourquoi ?
Le feuillet paginé 18 remplace un feuillet antérieur, il est donc logique de penser que c'est forcément Rimbaud qui a opéré l'opération. Ceci dit, pourquoi Rimbaud n'a-t-il pas créé la suite auparavant ? Le titre "Veillée" a été corrigé quand ? Avant par rapport à un manuscrit antérieur quasi identique ? Ou après par rapport au nouveau manuscrit ? Dans cette deuxième hypothèse, le feuillet 18 pouvait contenir de tout autres textes, alors ?
Certes, en faisant tourner le ciboulot, on peut retomber sur ses pattes. Mais on a la preuve d'une vie autonome du troisième poème de la série "Veillées", et on ne sait pas déterminer si le remaniement est de la main de Rimbaud. Bonjour pour une étude graphologique du chiffre "III".
Ensuite, il y a un point commun aux deux poèmes du feuillet 18, l'écho en début de composition des mots "éclairé" et "éclairage", ce à quoi fait écho le terme "lampes" au début de "Veillée" devenu "Veillées III", mais on sent qu'il y a un petit décalage qui apparaît.
 Il reste alors le cas du trait séparatoire qui concerne "Veillée" devenu "III", mais qui n'est pas reconduit entre "Mystique" et "Aube". Ce trait ondulatoire serait lié au remaniement des feuillets 18 et 19.
Quand Rimbaud utilise-t-il de tels traits sur les 23 feuillets paginés ?
Il ne les utilise pas entre les cinq parties de "Enfance", mais entre "Enfance" et "Conte", puis à la suite de "Vies", entre "Départ" et "Royauté", comme entre "Vies" et "Départ", mais pas entre les trois parties de "Vies". Et sur l'ensemble formé par "Vies", "Départ" et "Royauté", il les a utilisés d'une manière un peu exagérée, excessive, au haut du feuillet portant le titre "Vies" et en bas du feuillet comportant les transcriptions de "Départ" et "Royauté", comme si la limite du feuillet devait se doubler de la précision que nous avons affaire à des débuts ou fins de poèmes. Etrangement, dans le cas de "A une Raison", le trait ondulé est au-dessus du titre, mais Rimbaud ne l'a pas reporté entre les titres "A une Raison" et "Matinée d'ivresse" au coeur du feuillet, ni entre "Matinée d'ivresse" et "Phrases" sur le feuillet suivant qui est forcément uni au feuillet précédent. Or, on constate justement que les traits droits un peu ondulés de séparation des titres pourraient se confondre justement avec les traits plus ondulés qui séparent les trois parties de "Phrases" sur le feuillet 11. Ces traits de séparation de titres disparaissent ensuite et ne reviennent que de manière particulière au-dessus des titres "Angoisse" et "Métropolitain" sur le feuillet paginé 23, mais pas au-dessus de "Barbare" sur le feuillet paginé 24.
Il y a enfin le cas particulier du feuillet avec du texte au recto et au verso qui a droit à des traits ondulés ostentatoires au niveau des titres, comme en haut et en bas de feuillet. On a ce trait au bas de "Nocturne vulgaire" pour la page 21 et on a un trait en haut de page à hauteur du titre "Marine", puis à hauteur du titre "Fête d'hiver" et enfin en bas de feuillet, et il faut noter que ces traits n'ont pas retenu l'attention des protes de la revue La Vogue qui ont oublié de transcrire le titre "Fête d'hiver" fondant les textes de "Marine" et "Fête d'hiver" en un seul poème au titre "Marine".
A l'aune de l'analyse des traits de séparation, le remaniement unissant les trois poèmes sous le seul titre "Veillées" pourrait bien provenir de Rimbaud lui-même.
Mais cela n'empêche pas de constater que la pagination n'est pas de lui.
Je reviens sur les quatre séries convergentes.
Nous avons d'abord un ensemble de neuf pages où la pagination au crayon est repassée à l'encre : 1) 2) 3) 4) 5) 6) 7) 8) et 9). Cela forme un premier ensemble. Sa délimitation est confirmée par d'autres faits convergents.
De la page 1 à 9, les titres sont systématiquement encadrés au crayon par les signes suivants : < >.
Page 1 < Après le Déluge>
Pages 2 à 5 qui forment un ensemble indivisible : < Enfance > et < Conte >, respectivement page 2 et page 5.
Page 6 : <Parade>
Page 7 : <Antique et <Being Beauteous.
Page 8-9 : <Vies, <Départ et <Royauté.
Les signes < > disparaissent des pages suivantes. Nous avons simplement les titres des poèmes "A une Raison", "Matinée d'ivresse", Phrases" pour la série indivisible des pages 10 et 11. Je passe sur les trois croix du feuillet 12 et sur les feuillets paginés 13 et 14 les titres ne sont pas non plus soulignés : "Les Ouvriers" corrigé en "Ouvriers", "Les Ponts", "Ville" et "Ornières".

Or, plein d'informations précieuses ressortent de ce relevé.
Sur les manuscrits que nous étudions, Rimbaud applique un principe d'époque qui était appliqué pour les titres de recueils par Lemerre et que Rimbaud applique dans l'Album zutique : "Les lèvres closes." ou "L'idole." Rimbaud, comme Lemerre, met un point après le titre. C'est ce qu'il fait sur les manuscrits des Illuminations. Alors, il ne le fait pas systématiquement, puisque parfois il allonge simplement d'un trait horizontal la dernière lettre du titre : "A une Raison", "Matinée d'ivresse", "Parade".
Et justement, l'intérêt, c'est d'observer les contradictions entre la conception des titres par Rimbaud et la conception des titres par la revue La Vogue.
Rimbaud n'a pas mi de point pour les chiffres numérotés qui concernent les séries "Enfance" et "Vies", donc ce ne sont pas des titres. En revanche, Rimbaud a mis un point après les trois croix qui servent de faux-titre à "Ô l'écusson de crin..." Les éditeurs de La Vogue ont transformé ce poème en un paragraphe de "Being Beauteous" en contradiction flagrante avec le principe de ponctuation des titres appliqué par Rimbaud. On note que Murphy était partisan de lire le poème indépendant pensé indépendant par Rimbaud en un second paragraphe de "Being Beauteous", ce qui veut bien dire que l'expert n'est pas infaillible. Guyaux avait raison de séparer les deux poèmes, on en a la preuve matérielle, et on aimerait que la revue Parade sauvage sache se montrer beaux joueurs, si vous me permettez le glissement singulier-pluriel.
On observe aussi que ces crochets étaient utiles aux protes pour identifier les titres. Il manque le titre "Les Ponts" dans l'édition de La Vogue, ce qui a transformé les textes de "Ouvriers" et "Les Ponts" en un seul poème intitulé "Ouvriers".
Il faut bien comprendre que cette erreur s'explique par les condition de travail des ouvriers-typographes. Je ne parle même pas de la division du travail entre plusieurs personnes. Il y a un moment de travail consacré à préparer les titres, un autre à préparer les textes et puis on met tout ça ensemble.
C'est de là que vient évidemment. Pensez que dans les années 1990 dans la sous-traitance vous avez d'un côté une équipe qui monte un engin électrique et de l'autre une équipe qui monte le boîtier et puis à la fin le boîtier est trop petit pour l'engin électrique. Imaginez des cuisiniers qui travaillent en équipe pour préparer la table d'un groupe de clients et l'un d'eux ne suit pas le rythme des autres, oublie un plat, un ingrédient, oublie une remise en température ou que sais-je ?
On comprend aisément que dans le cas de nos manuscrits le prote chargé de composer les titres avec des caractères typographiques distincts, un émargement distinct, etc., a jeté un oeil rapide sur des manuscrits qu'il n'a même pas lu, ou qu'elle n'a même pas lu, et puis au moment de monter les titres et les textes ensemble, ou bien c'est passé inaperçu, ou bien on n'a fait semblant de rien en se disant que le patron serait mis devant le fait accompli et ne s'apercevrait peut-être de rien.
Donc, le soulignement des titres par des points ou des traits allongés vient de Rimbaud, et à cette aune on peut penser que les trois croix du feuillet 12 ne sont pas des titres, alors que les trois croix en sont un pour "O la face cendrée..." en-dessous de "Being Beauteous". Donc on peut clairement continuer de plaider que le remaniement où le feuillet 12 vient à la suite du feuillet 11 est de Rimbaud.
On se dirige donc plutôt vers l'idée que la liasse a un ordre établi par Rimbaud, mais que la pagination de toute façon n'est pas de Rimbaud lui-même, ce qui fragilisera tout de même la certitude que pour les 24 pages l'ordre soit d'évidence celui établi par Rimbaud.
Pourquoi la pagination n'est pas de Rimbaud ? Parce que la transcription de la pagination est coordonnée à l'introduction de signes pour dégager les titres afin de faciliter le travail du prote (quand les signes n'y sont pas il y a des erreurs) et parce que nous avons l'ajout de la mention au crayon du prénom et nom de l'auteur au bas de la page 9 sur le modèle de la signature apposée à la fin de la série de poèmes en prose publiées dans le numéro 5 de la revue La Vogue, à quoi ajouter les salissures au verso du feuillet 9 que Guyaux signalait à l'attention dans Poétique du fragment, puisque je n'ai pas eu l'honneur de consulter les manuscrits au-delà du fac-similaire. mais le verso du feuillet paginé 9 est consultable sur le site Gallica de la BNF.
 
 
 
En clair, le feuillet paginé 9 a été maculé parce qu'il n'était plus au milieu de la liasse, mais il y a eu tout un temps une liasse des neuf premiers feuillets.
La mention "Arthur Rimbaud" au crayon permet de se convaincre que toutes les mentions au crayon sur les manuscrits des 24 pages sont le fait de protes de la revue La Vogue. Elle est solidaire des crochets au crayon qui dégagent les titres : < ou < >.
Il était prévu de ne publier que les neuf premières pages dans la revue La Vogue, mais l'opportunité s'est présentée de publier les quatorze premières pages d'un coup, c'est ce qui explique que puisque ce fut quelque peu précipité nous avons eu un soin moindre apporté aux feuillets paginés 10 à 14 avec l'oubli majeur de soulignement des titres. Le prote n'a eu aucun mal à repérer les deux titres bien espacés du feuillet 10 "A une Raison" et "Matinée d'ivresse". Il a bien géré l'identification du titre "Phrases" au centre du feuillet paginé 11, ce que favorisait la nécessité de faire attention au mot final souligné de "Matinée d'ivresse" : "Assassins"à imprimer en italique. Il n'a rien eu à gérer pour le feuillet 12 en fait de titres, peu importe qui s'est occupé des croix. En revanche, pour les feuillets paginés 13 et 14, malgré les espacements très nets, et notamment pour "Les Ponts", il n'a identifié que les trois titres : "Ouvriers", "Ville" et "Ornières". Il n'y avait pas un tassement du texte où il était difficile de repérer les titres "Les Ponts". A-t-il été perturbé par la présence rare dans un titre du déterminant "Les Ponts" ? ce déterminant est biffé au haut du même feuillet pour "Les Ouvriers" : on peut dès lors se demander si l'oubli n'a pas commencé par une hésitation sur la marche à suivre.
En tout cas le titre "Les Ponts" a manqué et il est évident que cela résulte d'un travail qui n'a pas été assez attentif, d'un travail où il a manqué de temps pour la relecture.
La mention "Arthur Rimbaud" a été reportée au bas de la transcription de "Ornières" dans le numéro 5 de la revue La Vogue, et comme les soulignements des titres reprennent à partir de la page 15, nous avons une preuve formelle que non seulement les interventions au crayon (pages, identité de l'auteur en signature, et mise en relief des crochets) sont le fait des protes de La Vogue, mais même des interventions à l'encre sont le fait de ces protes (j'emploie protes comme terme générique pour toute l'équipe...). L'encre qui repasse les chiffres des neuf premières pages est le fait de la préparation de la publication du numéro 5 de la revue.
Ne pas le reconnaître, c'est de la malhonnêteté intellectuelle.
A cette aune, on comprend que les feuillets paginés 12 et 18 n'ont pas remplacé des feuillets antérieurs. La différence de transcription de ces chiffres s'explique par la nécessité de prêter attention à la juste insertion de papiers d'un format différent des autres, sachant qu'on pouvait risquer de dissocier des ensembles voulus par Rimbaud.
Maintenant, dans l'absolu, il n'est pas prouvé que le feuillet avec "J'ai tendu des cordes..." a été mis à la suite de "Phrases" par Rimbaud ou par la revue La Vogue, ni que le maniement de "Veillée" en "III" est le fait de Rimbaud ou de la revue La Vogue. Le débat reste ouvert, mais la pagination n'est pas de Rimbaud, elle vient des protes de la revue La Vogue.
Du coup, ce qu'il faut étudier, c'est les ensembles indivisibles.
La pagination n'étant pas de Rimbaud, on n'a aucune preuve que "Après le Déluge" d'un papier différent, mais aussi le feuillet transcrit au recto et au verso avec les poèmes "Marine", "Fête d'hiver" et "Nocturne vulgaire" devaient s'insérer de la sorte dans l'ensemble.
On peut penser étant donné le doublon biffé du texte de "Enfance I" que pour les papiers d'un même format l'ordre vient de Rimbaud, sauf que c'est difficile de savoir si certains ensembles n'ont pas été inversés.
Les ensembles indivisibles sont : "trois feuillets" pour "Enfance" et "Conte", un feuillet pour "Parade", un feuillet pour "Antique", "Being Beauteous" et "Ô la face cendrée...", deux feuillets pour "A une Raison", "Matinée d'ivresse" et "Phrases", deux feuillets pour "Ouvriers", "Les Ponts", "Ville" et "Ornières". Et ainsi de suite.
En principe, les lecteurs ne s'amusaient pas à mélanger les groupes, ils étaient bien heureux de pouvoir lire correctement les poèmes à cheval sur plusieurs manuscrits.
Néanmoins, le problème existe.
Il se pose de manière cruciale pour "Après le Déluge" puis l'ensemble "Marine"/"Fête d'hiver"/"Nocturne vulgaire".
Il s'y ajoute une inévitable réflexion sur le manque de place, puisque Rimbaud n'a pas uniformisé tous les manuscrits et puisqu'il y a des indices évidents de transcriptions forcées là où il restait de la place, notamment en ce qui concerne "Départ", "Royauté", et cela peut s'étendre à "Ornières".
La question se pose de déterminer si certains recopiages supposent l'élaboration d'un recueil ou relève de la nécessité de composer avec les contraintes matérielles du papier à disposition.
Il y a ensuite une part conséquente de poèmes en prose qui sont encore autant de "chiffons volants" à côté du semblant d'organisation des feuillets sur un même type de papier.
Et il y a un fait imparable : c'est qu'on ne peut pas au nom de l'unité qu'on veut croire imposée des transcriptions sur un même type de papier, ni au nom de l'idée que les protes en paginant 12 et 18 certains feuillets ont respecté des suites conçues ainsi par Rimbaud, prétendre avoir un recueil entièrement conçu par Rimbaud, puisqu'il n'y a aucun sens à parler de l'ordre des manuscrits au-delà des 23 feuillets paginés par la revue La Vogue. Jamais on ne saura rien de l'ordre immuable pour "Mouvement", "Solde", "Génie", "Jeunesse", etc., sans oublier "Dévotion" et "Démocratie".
Et si on ne le pourra jamais, c'est bien l'indice que Rimbaud a délaissé le projet de recueil avant même de l'envoyer à des fins de publication à Verlaine ou Nouveau. D'ailleurs, on ne sait même pas clairement qui fut le dépositaire de ces manuscrits, puisque Darzens parle de Charles de Sivry qui aurait retrouvé ça dans des papiers de famille, comme si ça pouvait se confondre avec les manuscrits oubliés chez les Mauté en juillet 1872. Moi, je pense plutôt à Cabaner comme intermédiaire. Tout ça n'est pas clair du tout.
On voit ici que je n'ai aucun problème à parler de l'intérêt des traits de séparation, Bardel a publié un article, mais je ne l'ai pas vraiment lu, ce qui explique que je ne l'ai pas cité. Je n'ai aucun problème à débattre sans certitude de la confection des séries "Phrases" et "Veillées", mais j'affirme comme une évidence que la pagination n'est pas le fait de Rimbaud, ce que Bienvenu et moi avons prouvé. Les arguments sont imparables, et ce que je n'admets pas c'est que Bardel et d'autres se permettent de ne jamais citer par le menu nos contre-argumentations, se réservant jalousement une exclusivité de la réflexion et de la capacité à atteindre la vérité. Où est la réfutation de l'importance des quatre faits convergents cités plus haut pour établir avec évidence que la pagination soit le fait de la revue La Vogue ? Dans son dernier article mis en ligne, Bardel ne parle que d'autres arguments, il ne s'affronte pas à la logique imparable de ces quatre faits convergents !
Murphy se tait sur le sujet, parce qu'il a très bien compris que sa démonstration a volé en éclats. Murat a changé d'opinion parce qu'il a aussi compris que la démonstration avait volé en éclats. Les rimbaldiens laissent Alain Bardel s'aventurer pour voir ce qu'il en résultera, parce que même si la pagination n'est pas de Rimbaud ils se demandent ce qui va être convaincant pour le public dans le débat. Ils espèrent une porte de sortie, voilà les vérités parfaitement cyniques de toute cette affaire...
 
 
EDITE : 15h45.
Je viens de me reporter à l'article de Bardel sur les traits de séparation :
 
 
Bardel ne dit même pas que le trait de séparation du feuillet 19 en-dessous de "Veillée" devenu "III" est l'indice d'une unité des trois "Veillées". Dans de telles conditions, je me demande bien ce qu'il prétend avoir réfuté !?
Voici ce qu'il écrit : "La pratique n'est pas la même dans la partie paginée du [sic !] manuscrit où ces traits de séparation sont plus rares et semblent avoir plutôt pour fonction de délimiter des ensembles au sein du recueil. La localisation insolite de certains d'entre eux en tête de page conforte une telle hypothèse."
Donc les traits de séparation ne délimitent pas un poème, mais des groupes de poèmes. Je ne le crois pas. J'identifie des délimitations de poèmes, sauf que le principe n'est pas systématisé et même si cela reste insolite les traits en tête de page isolent des poèmes, et j'ajoute qu'on a aussi des traits en bas de certains feuillets pour délimiter des fins de poèmes.
Bardel souligne que ces traits sont plus rares sur la partie paginée et cherche des explications en pensant qu'ils sont moins pertinents à cause de la présence de titres et que du coup le processus était enclenché de les faire disparaître.
Je ne pense pas du tout ainsi. Les traits sont plus nombreux sur les autres manuscrits qui sont souvent moins bien écrits, et sur la partie paginée elle-même je remarque que ces traits sont présents sur l'unique feuillet de transcription au recto et au verso et selon des modalités de transcription aussi lourdes que pour plusieurs feuillets non paginés, ce qui fait que l'opposition est moins entre la suite paginée et le reste qu'en les feuillets d'un même format et celles d'un autre format, ce qui change les lignes du débat sur la question de l'intérêt de l'argument pour plaider l'existence d'un recueil en partie paginé !
Peu importe que les traits de séparation soient peu nombreux sur la suite au format papier homogène et plus abondants sur les autres papiers. Ce "peu importe" est neutre vis-à-vis de ma thèse ou de celle de Bardel. Ce n'est pas un point qui pèse dans le débat. Les lignes sont plus abondantes sur des manuscrits moins soignés et plus anciens.
Je n'adhère pas à l'idée non plus de Bardel selon laquelle tout prouve que Rimbaud a cessé de les pratiquer à un moment donné, je constate simplement un usage intermittent dans le cas de la suite homogène. Je n'ai pas à supposé de temporalité avec une limite à l'emploi de ce principe. Je constate que Rimbaud tantôt y recourt, tantôt non, ce manque de systématisme étant désinvolte. 
Lors du recopiage sur la suite au format homogène, Rimbaud a recours à des traits visuellement moins choquants : une ligne droite légère à peine ondulée. C'est un fait qu'il y recourt, et c'est un fait que si on pense non comme Bardel le fait mais comme moi je le fais qu'il s'agit de délimitation de poèmes, alors ça peut être un argument en faveur d'un remaniement par Rimbaud lui-même de "Veillée" en "III". Je ne dis pas que c'est une preuve décisive, mais c'est un argument très intéressant.
Bardel n'a pas cet argument dans son article puisqu'il prône l'idée d'une délimitation de groupes de poèmes.
Je cite ce qu'il dit à propos de "Veillées" justement, la série de trois que nous connaissons habituellement : "La série 'Veillées" est ponctuée par un trait final mais on ne constate un pareil trait ni à la fin du f°17, ni en tête du f°18."
Et il poursuit à l'alinéa suivant : "Passé le trait qui suit 'Veillées III', il faut attendre la ponctuation finale de 'Nocturne vulgaire' pour en trouver un autre." Et Bardel va justifier cela par une prétendue convergence thématique, autour de "l'atmosphère nocturne, du rêve et du merveilleux". Pour rappel, on parle d'un ensemble qui inclut un poème intitulé "Aube", un autre intitulé "Fleurs", de "Mystique". L'unité thématique, elle est envisagée à vol d'oiseau, quoi !
Et pourquoi les "Veillées" ne feraient pas partie de l'ensemble ?
Mais ne digressons pas. Il est clair que pour Bardel le trait de séparation après "Veillées III" est celui d'un groupement qui va de "A une Raison" à "Veillées III", du feuillet 9 au milieu du feuillet 19, plus de dix pages sur les 24 de l'ensemble paginé ! Face à cela, Bardel avoue ne pas comprendre ce qui réunit "Départ" et "Royauté" en un sous-ensemble.
On va arrêter là les frais ! Les traits de séparation sont clairement pour séparer des poèmes ou des séries titrées comme "Enfance" et "Veillées". L'argumentation de Bardel sur des groupements de poèmes n'a aucune solidité. En revanche, il m'aurait mis de lui-même un caillou dans la chaussure s'il avait tout de suite identifié les délimitations de poèmes, puisque de fait, on s'explique mal pourquoi Rimbaud met un trait après "Veillées III" et pas après "Aube" ou "Mystique" sur la suite de la transcription. On peut penser que c'est le remaniement qui justifie ce trait.
Ceci dit, ça peut être une coïncidence, le trait pouvait déjà apparaître auparavant en-dessous du simple "Veillée". Une étude graphologique de l'encre employée, etc., pourrait-elle aider à déterminer quand le trait ondulé a été reporté. L'encre du III est foncée, pas celle de ce trait plus proche de la transcription.
Ensuite, le feuillet 18 a des traits de séparation, mais d'un type à part opposable à tous les autres manuscrits, il y a un trait après le poème I et un autre après le poème II, sauf qu'il s'agit de traits courts, bien droits, pas ondulés, et avec cette autre caractéristique remarquable qu'ils séparent cette fois des poèmes qui font partie d'une série numérotée.
On se demande comment les rimbaldiens vont inventer de m'écarter encore de la réflexion, je ne parle même pas de dire qui a raison ou tort, je parle simplement de la mise à plat de qui a apporté quoi, etc. Ah oui c'est vrai le livre d'octobre est déjà sous presse... Quelle chance, ils ont, ces rimbaldiens ! La destinée est avec eux ! Merde à Dieu, alors ! (Oui, moi, au moins, je ne suis pas de son côté comme l'est la revue Parade sauvage ou la franc-maçonnerie, et j'en suis fier !)
 
EDITE 17H35 :
Je reviens une nouvelle fois sur les articles de Bardel consacrés aux manuscrits des poèmes en prose de Rimbaud.
Je pense que certains de mes lecteurs en feront quelque chose au moment dans leurs comptes rendus du livre à venir Rimbaud l'Obscur.
L'article sur les traits de séparation est assez court. mais je dois y revenir sur un point. Bardel prétend que c'est le manuscrit contenant "Nocturne vulgaire"/"Marine"/"Fête d'hiver" qui prouve la pagination rimbaldienne.
Il peut expliquer sa logique ?
Il prétend que jamais les éditeurs de la revue La Vogue n'aurait inséré un papier d'un format étranger à l'ensemble initial.
Je suis désolé, mais on a un papier d'un format différent en tête de l'ensemble "Après le Déluge" et un poème d'un papier différent en antépénultième feuillet, les deux derniers feuillets ayant du texte enchaîné. Je ne vois rien là d'extraordinaire, et justement alors même que les manuscrits avaient été publiés dans les numéros 5, 6 et autres de la revue, dans la plaquette l'ordre n'est pas si bouleversé que ça, les déplacements sont toujours mineurs d'un poème ou l'autre, donc selon le même principe qu'on peut attribuer à l'insertion de "Après le Déluge" et le feuillet paginé 21 et 22 dans la thèse d'une intervention de La Vogue. de toute façon, dans l'absolu, Bardel ne fait que poser par pétition de principe que les éditeurs n'auraient jamais fait ce geste eux-mêmes. Il prétend aussi qu'ils n'auraient jamais osé manipuler les textes. Il y a eu une volonté d'intitulée "Veillées" ou de le déplacer jusqu'à l'ensemble "Veillées" le poème "Jeunesse IV" ! L'opération n'est pas allée jusqu'au bout, mais elle a été esquissée, et on n'a pas dit que ce mot "Veillée" était de la main de Rimbaud ou Nouveau, il est admis allographe.
 
Il y a ensuite l'article de janvier 2025 intitulé "Pourquoi la pagination du [sic !]@ manuscrit des Illuminations s'arrête-t-elle à 'barbare' ?"
 
 
Bardel y fournit des arguments contre son camp en raillant le fait qu'à la suite de la thèse de pagination auctoriale Michel Murat, yves Reboul et d'autres sont partis dans le discours délirant, et de fait c'était un discours délirant, selon lequel "barbare" était le poème conclusif des Illuminations, comme si le reste des manuscrits au-delà était un hors-d'oeuvre, l'appendice du recueil des Illuminations, appendice avec des pièces telles que "Mouvement", "Génie", "Solde", "Guerre", etc.
Mais Bardel croit alors reprendre la démonstration de l'unité du recueil malgré le défaut de pagination. Il adhère à l'analyse de Bienvenu sur un recopiage au début de l'année 1875 quand Nouveau est d'évidence à Charleville avec Rimbaud, il le flatte aussi en contrepartie de l'anonymat avec lequel il le range parmi les dérisoires opposants à la pagination auctoriale, puis il développe une thèse qu'il admet lui-même être un roman qu'il peine à justifier. C'est dit en toutes lettres dans son article.
La thèse de Bardel s'appuie sur ce qui a déjà été dit, par manque de papier Rimbaud n'a pas pu continuer à recopier les poèmes, il a fait un dossier avec des poèmes dans deux états distincts, et Bardel concède que les manuscrits sur du papier non vergé sont impubliables en l'état près d'un éditeur qui se respecte.
La thèse hallucinante qui suit, c'est que Rimbaud n'a pas eu le temps en (soyons large) trois, cinq ou dix minutes le temps de paginer les autres feuillets, il a juste paginé les cinq derniers poèmes, ceux qui ont échappé par Vanier parce que d'une réelle importance conclusive, sachant que les éditeurs allaient donc avoir un dossier de 24 pages, un autre de cinq pages et quelques manuscrits épars et devoir décider quoii mettre en premier, quoi mettre en la fin, puisqu'aucune consigne manuscrite n'apparaît pour mettre d'abord les 24 pages, ensuite les feuillets non paginés et enfin le dossier de cinq pages.
C'est assez dire que l'argumentation de cet article de Bardel n'a aucune valeur, strictement aucune.
C'est difficile d'admettre qu'aucun feuillet n'a été paginé par Rimbaud et que l'effet de liasse, même si on voulait plaider une pagination partielle, vient de ce que le recueil n'a jamais été mené à terme.
On a face à nous un ensemble de manuscrits à sans doute présenter un éditeur, mais l'éditeur aurait alors demandé que le dossier soit remanié, mis en ordre, ou tout simplement toiletté à des fins de publication. Ce que vous avez en ensemble manuscrit c'est un prototype de recueil pour que l'éditeur donne ou non un feu vert, pour qu'il dise s'il est intéressé, et seulement si un éditeur avait donné son accord de principe le recueil aurait pu être mené à terme.
C'est ça l'histoire triste de ce recueil des Illuminations, mais pour le comprendre il ne faut pas réfléchir de manière fermée en se disant que si le recueil est envoyé par la poste en vue de trouver un éditeur c'est qu'il est terminé.
Mais ça, vous avez décidé de ne pas le comprendre parce que vous voulez des Illuminations ne varietur
 

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