Je reprends le livre d'Alain Vaillant intitulé Une saison en enfer ou le livre à la "prose de diamant", publié chez Champion. Je précise tout de suite que si certaines idées peuvent faire écho à ce que j'ai moi-même dit, j'avais déjà écrit ces idées sur mon blog ou dans des articles parus dans les revues rimbaldiennes. Mais, de toute façon, je vais montrer sans peine les écarts.
Je possède ce livre en fichier informatique, et j'ai été surpris de ne pas y trouver la moindre mention de Clauzel. Je ne sais plus qui a mentionné que la thèse d'un dédoublement de l'âme de Rimbaud dans "Délires I" ne venait pas de l'époque d'Antoine Adam, mais du livre de 1931 de Raymond Clauzel. Je ne sais plus si c'est dans l'édition critique de Pierre Brunel de 1987 ou dans le livre récent d'Alain Bardel.
Dans la section "Indications bibliographiques", je remarque que la plaquette du colonel Godchot n'est pas citée non plus et j'ai pu me faire une idée des références auxquels se tient l'auteur en consultant aussi les notes de bas de page.
Margaret Davies est mentionnée, c'est à moi qu'on le doit, puisque je suis le premier à avoir fait remarquer qu'on s'en tenait étrangement aux livres de Brunel et Nakaji de 1987, en y adjoignant parfois ceux de Bandelier et de Frémy, alors que ça n'avait aucun sens de les trouver plus riches d'enseignements que le livre de Margaret Davies. Désormais, grâce à moi, vous pouvez encore ajouter la plaquette du colonel Godchot et bientôt le rimbaldien consciencieux s'appliquera aussi à citer l'essai de Raymond Clauzel. Dans son avant-propos, Vaillant prétend fournir une ample sélection des commentaires critiques sur Une saison en enfer, sauf qu'il ne fait commencer cette moisson qu'à la décennie 1980, alors qu'il faut une mise au point sur l'influence d'Une saison en enfer depuis sa parution, non ?
Mais présentement je veux revenir sur la lecture fournie par Alain Vaillant et en montrer les lacunes. Je ne m'arrête pas sur la partie biographique consacrée au "passant considérable" et j'attaque d'emblée par la partie intitulée "Mon carnet de damné".
Vaillant dénonce la tentation de ne lire l'ouvrage que comme une autobiographie, il dit que l'ouvrage contient plein d'éléments autobiographiques mais qu'il ne s'y résume pas, sauf que quelques pages plus loin quand il est question de "Vierge folle" il écrit ceci : "[le premier délire] concerne les relations manifestement violentes d'un couple d'homosexuels formant un 'drôle de ménage' " Il ajoute qu'il faudrait un "anti-biographisme forcené pour le nier".
Je croyais que Vaillant soutenait que le récit n'était pas une autobiographie, mais une fiction contenant en grande quantité des éléments autobiographiques. Il se contredit ici. Le verbe "concerne" permet sans doute de ménager la chèvre et le chou, du genre : nous ne disons pas que Vierge folle est ce récit-là directement, sauf que, à un moment donné, il faut éviter de louvoyer. "Je n'ai pas dit que... mais j'ai seulement dit que et je ne dis que cela parce c'est tout ce qu'il y a d'important à retenir."
Pour l'Adieu, Vaillant nous explique aussi qu'il était nécessaire pour la fiction du récit qu'il y ait une fin, et ce serait en l'occurrence un "happy end" : quand on a une fin heureuse dont l'heure est sévère et un défaut final d'amitié, j'ai un peu de mal à voir ce que vient faire là la promotion de la traduction en anglais...
Pour la genèse du projet, Vaillant pense que les récits déjà écrits dont Rimbaud a parlé à Delahaye, c'est "Mauvais sang", "Vierge folle" et "Alchimie du verbe", autrement dit tout le début, mais il reprend l'argument que j'ai déjà formulé que les récits dont il est parlé à Delahaye ont pu être fondus dans d'autres.
Mais, bordel de merde. Vous avez un brouillon qui correspond aux sections 4 et 8 de "Mauvais sang" qui prouve que le récit des sections 5 à 7 a été inséré de force dedans. Je vous ai expliqué cela dans un article sur les brouillons parus en 2009 dans un ouvrage qui fait partie de la bibliographie fournie par Vaillant en fin de volume. Mais bordel de merde ! Vous avez la preuve que "Mauvais sang" a fondu ensemble deux récits distincts, et peut-être même trois, puisque nous n'avons pas en brouillon le récit des trois premières sections. Et je rappelle que Verlaine avait des brouillons d'un seul des récits de "Mauvais sang", de "Nuit de l'enfer" et d'une partie de "Alchimie du verbe", mais pas de "Vierge folle".
On va débattre jusqu'à quand ? Les trois histoires déjà composées au moment de la lettre à "Laitou", c'est probablement les trois parties de "Mauvais sang" qui ont fusionné, ou éventuellement les deux récits originels de "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer", ce qui me paraît plus fragile, mais je n'en sais rien dans le fond. Ensuite, la lettre à Laitou elle est écrite en France au mois de mai, et elle date plutôt du début du mois de mai de mémoire. Rimbaud a eu une partie encore du mois et tout le mois, sans oublier peut-être les premiers jours de juillet, pour écrire d'autres histoires. Et justement Verlaine a les brouillons de "Nuit de l'enfer" et de "Alchimie du verbe", tandis qu'on peut se demander si "Vierge folle" n'est pas un sujet de fâcherie entre les deux poètes, puisque farci d'éléments autobiographiques, et "L'Impossible" nous avons une claire reprise de développements de "Mauvais sang". Mais Vaillant n'exclut même pas que les récits dont il est parlé à Delahaye soient les trois brouillons remis à Verlaine. Ah ! oui, il faut partir de ce qu'on a entre les mains... Enfin, bref, j'en ai marre à avoir à traiter des atermoiements, c'est chiant ! Une fois à Londres avec Verlaine, Rimbaud n'avait sans doute pas le temps de s'occuper de littérature. C'est quand il était avec Verlaine qu'il composait le moins. Mais bien sûr !
Passons.
Je passe sur l'idée que l'automne dans "Adieu" serait une référence à l'automne du passage à Londres à la fin de l'année 1872. Je n'ai pas compris ce que l'hypothèse faisait là. Et puis, on a un résumé digne de l'épopée où Rimbaud affronte Satan et l'enfer et en sortirait victorieux, ce qui me fait dire qu'on n'a pas lu le même texte.
Et puis, j'en arrive à ce qui est un contresens manifeste, je cite : "le texte a été écrit par un jeune homme qui, malgré son anticléricalisme virulent, reste pénétré de l'idéal de charité chrétienne et de spiritualisme éclairé qui a pu lui être inculqué."
Et ça part en comparaison avec La Tentation de saint Antoine de Flaubert.
Alors, on peut modaliser "reste pénétré", mais non le poète n'a pas d'idéal de la charité chrétienne logé en lui, puisque quand on lui soumet que "la charité est la clef" d'une vie heureuse, d'un festin pour tous, il rejette l'idée comme une sottise : "Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !"
Oui, il y a des élans vers Dieu dans "Nuit de l'enfer", oui il parle plusieurs fois de la charité, mais il faut se garder d'y voir un idéal auquel le poète aspire.
Ce n'était pas ça l'intention !
Notons que Vaillant constate tout de même la progression étrange du texte qui se répète, semble se contredire, mais pour revenir toujours aux mêmes deux pôles de la contradiction sans rien résoudre, et à la fin quand le poète dit qu'il a résolu son problème on se demande bien en quoi, puisqu'il n'en dit rien.
Là, Vaillant touche le vrai sujet du débat pour la compréhension de ce livre, mais je remarque un défaut logique dans son approche. Le poète dit qu'il en a fini avec l'enfer dans "Matin", et Vaillant attend donc les réponses du récit final "Adieu", alors que "Matin" découle de ce que le poète a décidé dans "L'Eclair". Adieu, c'est l'adieu, mais la raison qui explique pourquoi le poète pense en avoir fini avec l'enfer elle est à chercher dans la prise de décision de la section "L'Eclair".
Les rimbaldiens ont produit une réflexion à cadre fermée en ne voulant voir la justification de la victoire que dans le texte intitulé "Adieu", alors que significativement placés après le couple rétrospectif des "Délires", les récits "L'Impossible" et "L'Eclair" sont les vrais moteurs dialectiques qui amènent le poète à une résolution.
C'est un peu comme les exercices en géométrie présentés comme des énigmes où pour construire une figure il faut savoir s'émanciper du cadre rectangulaire fermé de la page blanche.
Nous passons ensuite à une étude séquence par séquence.
On commence par le prologue sans titre "si je m'en souviens bien..." sur lequel j'ai tant de fois fait la mise au point nécessaire, ce dont les rimbaldiens n'ont jamais eu cure.
Je vais aller vite. Sur le festin, on a le mélange des références chrétiennes et païennes antiques. La beauté, sans citation de Baudelaire, est considérée comme renvoi à la métaphysique du Beau, à la Vie harmonieuse de la Grèce antique et enfin avec une préférence avouée à un ensemble de croyances enfantines.
Heu ? "la justice", "où s'ouvraient tous les coeurs", "la charité", l'espérance, les péchés capitaux, Satan qui n'appartient pas à la mytholgoie grecque,... Tout ça, ça n'oriente pas la réflexion.
Allez savoir pourquoi !
Et comme Murat et Fongaro, Vaillant cite "La Maison du berger" avec la Muse sur les genoux. Quand Fongaro citait le poème de Vigny, au moins il y avait une argumentation qui se défendait : montrer que la beauté est un peu traitée comme une fille facile, voire une prostituée, et qu'en tout cas il est question de désir sexuel. C'est cette argumentation que reprend justement Vaillant en s'y tenant, et ça vaut mieux, mais l'idée est quand même intégrée à une lecture biographique supposant un Rimbaud adolescent déçu par la femme. Finalement, non, on n'évite pas le contresens avec ce rapprochement.
Je ne vais pas m'attarder sur tous les détails, je rappelle qu'après ma mise au point la seule phrase de la prose liminaire sur laquelle il faut élucider le sens, c'est "le printemps m'apporta l'affreux rire de l'idiot." Le printemps est une valeur de vie extérieure au poète, comme l'attestent bien des poésies en vers auparavant. Le sourire de l'idiot est l'indice qu'il y a un problème dans la révolte du poète.
Enfin, bref !
J'en viens directement à l'alinéa du "dernier couac", où on ne peut manquer de citer l'escamotage du récit du livre rimbaldien par le biographique, je vous cite le contresens royal, puisque Vaillant ridiculise et range du côté de la pensée du lecteur non informé que le "dernier couac" soit la suite logique de la révolte pour prôner une référence biographique. Dans l'introduction que j'évoquais plus haut, Vaillant soutenait qu'il ne fallait pas voir le livre comme une autobiographie, mais comme une fiction pleine d'éléments autobiographiques, et il ajoutait que la logique interne du livre avait son importance. Sans penser à ma relecture du jour, je parlais de cohérence interne du livre il y a quelques jours, je ne pouvais donc manquer cette perle qui me donne raison : "le lecteur non averti pensera que la folie l'aura mené, par une sorte d'overdose d'excès en tout genre, à la porte de la mort. Mais, comme nous l'avons déjà indiqué, nous avons des raisons de penser qu'il fait une allusion précise au drame de Bruxelles[.]"
C'est impressionnant, non ? Il ne faut pas lire le texte tel qu'il est mené, il faut s'en méfier, le biographe met ici un avertissement : "attention à ne pas lire ce que vous lisez, nous apportons un correctif", et tout cela avec la modalisation : "enfin, je crois !" ("nous avons des raisons de penser...").
Et sans ciller Vaillant ajoute que le détail biographique n'ajoute rien à l'essentiel de ce qui est à comprendre. Ben, pour moi, c'est un écart énorme entre la lecture biographique et la lecture simple d'une mort par excès. Il est marrant, lui !
J'ajoute qu'il y a d'autres phrases sur la préparation à la mort dans la Saison : "courage d'aimer la mort", "mûr pour le trépas", etc. Je suis désolé, mais comment vous faites pour mettre une petite pancarte biographique à chaque fois : "le lecteur non averti pensera que le poète a le courage d'aimer la mort ou est prêt à mourir, mais pas du tout il parle du drame de Bruxelles, il fallait un courage bien inconscient pour vivre avec ce danger de Verlaine, et plus il fréquentait Verlaine, plus la menace mûrissait."
Enfin, bref !
J'en arrive aux alinéas qu'éternellement les rimbaldiens commentent à contresens et sur lesquels reposent toute la compréhension de la Saison.
Comme Vaillant ne prend pas avec du recul le "si je me souviens bien", il considère que Rimbaud a eu une enfance chrétienne joyeuse, mais qu'il rejette désormais la charité, et que cela lui fait un dilemme.
Mais pas du tout !
Le poète dit "j'ai rêvé"', il dit avoir rêvé avoir connu le festin ancien. Qu'a rêvé le poète si Vaillant admet la nostalgie du festin ancien comme renvoyant à un fait réel ?
Non, mille fois, le poète a rêvé le festin ancien. C'est le sens LITTERAL comme disent les universitaires de la phrase : "Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !"
Point barre !
Et dans la foulée Vaillant ajoute comme Brunel que les illusions religieuses ont été soufflées au poète par Satan, ce qui a déjà fait dire à Molino que nous nageons en plein non-sens, puisque Satan n'a pas pour but de pousser les gens dans les bras du christianisme.
Sous prétexte que la religion est une illusion, elle serait inspirée par Satan.
Vous voulez débattre de quoi en lisant ça ?
Vous savez désormais que Vaillant ne peut rien dire sur le sens d'Une saison en enfer, puisqu'il formule un pareil contresens au moment où Rimbaud nous explique pourquoi il a écrit son livre. Rimbaud veut nous expliquer ce qui s'est joué dans son esprit face au "dernier couac" : sans revenir au Christ, il n'a pas voulu de la mort à laquelle Satan le menait. Si tu ne comprends pas ça, mais tu ne peux rien comprendre au "carnet de damné" qui suit. Si tu n'as pas compris que le festin où s'ouvraient tous les coeurs n'a jamais existé, mais la lecture de la Saison sera désespérément obscure pour toi bien évidemment.
C'est la base de la lecture !
Passons aux mentions des mots de la famille "ami" dans le livre de Vaillant. J'utilise le moteur de recherches : il y a cinq mentions de "ami", cinq de "amies", cinq de "amis", deux de "amie" et une de "amicaux".
Il y a dix-huit mentions à passer en revue, mais il va falloir en écarter certaines : "réseaux amicaux" expliquant la survie de manuscrits, "ami Louis Bouilhet" de Flaubert, "ami Ernest Delahaye", "ami Delahaye", il ne reste que deux fois la même citation de "petit ami" sur les cinq mentions du mot "ami". Cette mention est à la toute fin du récit de la Vierge folle, mais Vaillant n'en fait rien de spécial : c'est une périphrase pour ne pas toujours dire "Epoux infernal" dans les deux cas.
Quatre des cinq mentions "amies" sont concentrées sur trois lignes au bas de la page 86, deux font partie de la citation de la Vierge folle qui se répète, et les deux autres mentions sont simplement appelées par le commentaire de la citation considérée pour elle-même. La première mention par Vaillant est redondante avec la citation elle-même. L'autre relève d'un commentaire assez basique : "Entendons qu'elle ne peut avoir de vraies amies [...]".
La cinquième mention est encore une citation de la Vierge folle, il s'agit cette fois non du nom cette fois mais de l'adjectif compris dans l'expression "étreintes amies". En clair, à aucun moment, Vaillant ne met en relation l'appel à des "amies" et surtout l'expression "étreintes amies" avec le discours de "Mauvais sang" et d'autres séquences sur la solitude du poète qui n'a aucun ami, et bien sûr sur cette absence de "main amie" à la toute fin de "Adieu".
Il n'en fait pas un thème clef du récit.
Les deux mentions du mot "amie" au singulier cette fois figurent dans le commentaire consacré aux deux sections du récit intitulé "Adieu", seulement les occurrences ne figurent que dans les citations du texte de Rimbaud. Le critique ne commente pas ce retour d'une section à l'autre. Il commente d'autres aspects des citations, mais ne fait rien de cette répétition ostentatoire.
Passons enfin aux cinq mentions du nom "amis" au masculin pluriel.
Il faut écarter deux mentions, l'une en bibliographie du "bulletin des amis de Rimbaud" (c'est comique comme nom d'association quand on connaît le discours d'Une saison en enfer) et une autre périphrastique "amis de Bohème" qui ne commente pas la saison elle-même. Il reste trois mentions.
Deux mentions figurent dans le commentaire de "Mauvais sang", mais une fait partie d'une citation : "fier de n'avoir ni pays ni amis", et l'autre ne fait que répéter approximativement la citation : "sans pays ni amis". La dernière mention est lovée dans une citation : "amis de la mort" au sujet du récit intitulé "Adieu".
Voilà, sur les 176 pages du livre consacré à Une saison en enfer, on constate une absence totale de réflexion sur le thème de l'amitié.
La "jeunesse aimable" n'est mentionnée qu'une seule fois, il ne s'agit là encore que d'une occurrence impliquée par le simple fait de citer les premières lignes du récit "Matin".
On a eu trois mentions sur une page de "aimables pavots" dans la prose liminaire, mais pour dire que "aimables" est une illusion.
Je vais vous épargner un maigre compte rendu de la poignée de douze mentions autour de la séquence "aim" : "aimable" une fois", "aimables" trois fois", "aimer" et "aimé" deux fois chacun, puis une occurrence à chaque fois pour "aimez", "aimerait", "aimée" et l'intrus "aimanté".
Vous avez bien les preuves que je fais une lecture solide d'Une saison en enfer à partir d'indices textuels qu'on ne retrouve pas ainsi traités chez les autres critiques rimbaldiens.
Alors, certains penseront que de toute façon j'ai systématiquement tort dans mes analyses et interprétations, mais les faits sont là, je souligne d'évidence des faits d'importance qui échappent aux autres. Et c'est suffisant pour dire que l'impasse des rimbaldiens à mon égard est débile, profondément débile.
Je vais faire de la mise au point sur tous les travaux des rimbaldiens. Tout ça est en train de se mettre en place.
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