La recherche sur Rimbaud progressait bien, mais elle est désormais subordonnée à des logiques claniques.
Une fierté des rimbaldiens réunis autour de la revue Parade sauvage était le correct établissement des textes de Rimbaud et les progrès de l'analyse philologique, et ils aimaient à railler les insuffisances de leurs prédécesseurs. Ils ont pourtant désormais effectué un virage à 180 degrés.
Pour ne pas ombrager le chef de file de la revue Parade sauvage, ils veulent considérer que, sans raison, le manuscrit de "L'Homme juste" est à jamais indéchiffrable pour deux vers distincts. La solution pour l'un de ces deux vers a pourtant été donnée par Steve Murphy lui-même en 1999 dans son édition philologique des Poésies chez Honoré Champion : Rimbaud a bien écrit : "Nuit qui chante..." Mais comme Murphy s'est exprimé sans assurance, il est interdit après lui d'enfin consacrer la leçon "Nuit".
Moi, comme je suis intelligent et plein de bon sens, je ne me gêne pas pour écrire que Rimbaud n'a pas écrit "Puis qui chante..." ou "Mais qui chante...", mais bien "Nuit qui chante", ce qui est facile à apprécier en comparant avec d'autres "N" majuscules de l'auteur. La barre sur la hampe du "t" est décalée du fait d'une rédaction précipitée dans un état fébrile.
Pour le vers : "- Ô j'exècre tous ces yeux de chinois [...]aines", je rappelle cruellement qu'il n'y a pas une infinité de mots en "-aines" qui peuvent se placer après "chinois", en n'ajoutant qu'une ou deux syllabes, selon qu'on considère le "Ô" rétabli, rajouté ou biffé, et ce mot ne peut pas être un adjectif féminin, puisque "chinois" est au masculin. La séquence à déchiffrer est ultra courte. Seuls deux rimbaldiens considèrent le déchiffrement que j'ai fourni comme évident : Yves Reboul et Jacques Bienvenu, ce qui est assez alarmant sur les capacités cognitives des rimbaldiens en général. Benoît de Cornulier a timidement formulé que la leçon était probable, ce qui n'est pas son moment de lucidité le plus brillant. Dans l'édition de la Pléiade 2009 des œuvres de Rimbaud, André Guyaux et Aurélia Cervoni, plutôt que de saisir l'aubaine, l'ont mise en doute, ils ont préféré la leçon "de chinois, de daines," qu'ils m'ont attribuée en note. Ceci permet de découvrir un autre problème important des rimbaldiens ; ils font une fixation sur la correction de l'expression : il faut dire : "yeux de chinois ou de daines", "yeux de chinois ou daines" est trop familier pour un poème en alexandrins. C'est ainsi que pensait par exemple Bruno Claisse. Plaît-il ? Les rimbaldiens, comme Bruno Claisse, se plaisaient justement à critiquer avec Fongaro ou d'autres ceux qui ne savent pas admettre le texte de Rimbaud tel qu'il est et le ramène à une lecture plus facile. Le déchiffrement du manuscrit, c'est le déchiffrement du manuscrit, et si on constate que la forme est familière on ramène la forme familière, ce sera le point de départ d'une réflexion sur l'abandon du poète à cette familiarité. Mais cela ne s'est pas arrêté là ! Les rimbaldiens ont publié dans un volume collectif un article hallucinant de Marc Dominicy où au mépris de la simplicité du manuscrit il propose une solution riche en lettres et espaces inenvisageable graphologiquement : "yeux de chinois ou de naines". Ils font fi d'une démonstration sérieuse et définitive. Les bras nous en tombent. Et vous connaissez tous les célèbres exercices où dans une société où des gens font semblant de croire à une mauvaise réponse une personne testée va se mettre à penser contre son bon sens. Eh bien ! les rimbaldiens, c'est le spectacle qu'ils offrent actuellement. D'ailleurs, c'est parce que la communauté rimbaldienne a fait la sourde oreille à la solution pour le vers de "L'Homme juste" que Marc Dominicy, visiblement influençable, a cru possible de s'aventurer dans de pareilles billevesées. Steve Murphy, vers 2009, n'a pas réussi à donner ma leçon "ou daines", ni celle qui m'est attribuée dans l'édition de la Pléiade, puisqu'il écrivait "d'aines" et je ne sais plus quoi d'autre. On comprend ici un blocage de nature psychologique : pourquoi n'a-t-il pas trouvé la solution avant moi ? C'est insupportable et ça vaut refoulement.
Pour le manuscrit de "L'Enfant qui ramassa les balles...", ce n'est bien sûr pas moi qui ai découvert la signature "PV", mais j'ai vu qu'elle était refoulée et je suis intervenu. Les rimbaldiens font comme si la signature "PV" était un fait aléatoire qu'on peut se dispenser de prendre au sérieux. Vous imaginez une classe de troisième au collège où une prof d'Histoire-Géographie explique qu'il y a cinquante état américains, mais essuie la remarque qu'il y en a 52 parce qu'il faut ajouter l'Alaska et Hawaï. De bonne foi, elle va vérifier et au cours suivant elle explique qu'elle avait raison, et là les élèves répliquent qu'ils se sont peut-être trompés dans les livres que la prof a consultés. Parce que c'est bien ça le problème. Les élèves Murphy, Lefrère et Guyaux pensent que le poème est de Rimbaud, mais ils en font quoi de la signature "PV" ? C'est qui qui l'a reportée et pourquoi ? C'est Régamey qui a écrit "PV" quelques semaines plus tard ? Mais qu'ils le prouvent, sinon ils doivent admettre faire face à l'autorité du témoignage. En réalité, c'est soit Rimbaud, soit Verlaine qui a écrit ce "PV" ! Rimbaud s'est trompé ? Murphy, Lefrère et Guyaux savent mieux que Rimbaud ce qu'il écrit comme poèmes ?
On enchaîne avec un autre sujet sensible dans l'établissement des textes. On sait qu'il y a des coquilles dans le texte imprimé d'Une saison en enfer. Il me semble que les brouillons correspondant à Une saison en enfer ont été publiés vers 1919. Jusqu'en 2009, les rimbaldiens publiaient d'un côté le texte du brouillon avec la leçon "autels" et de l'autre ils publiaient la leçon "outils" à partir de laquelle ils glosaient de manière exclusive. En 2009, je publie un article sur Une saison en enfer où je dis enfin que puisque le manuscrit porte la leçon "autels", c'est que la leçon "outils" est une coquille de l'édition par Poot. Ils n'y avaient jamais pensé ! Ils n'avaient jamais envisagé l'hypothèse ! Ils "pouloupaient" sur Une saison en enfer, ils éditaient soigneusement les brouillons, ils débattaient du déchiffrement de mille détails des brouillons en question, mais personne pour se demander pourquoi d'un côté on avait la leçon "autels" et de l'autre la leçon "outils". J'explique en prime que ça renvoie à l'image du sabre et du goupillon dans un passage où il est question d'honneur, de vie française et du mot de Napoléon : "Impossible n'est pas français !" J'étoffe le raisonnement. André Guyaux a eu le mérite de prendre en considération le fait et d'y adhérer puisque dans les éditions révisées des oeuvres de Rimbaud dans la Pléiade, il est vrai sans explications, on a désormais la leçon "autels" en lieu et place du mot "outils". Le mot "autels" du brouillon a enfin pris le pas sur la coquille "outils" dans le texte définitif. Vous le savez que c'est vite arrivé de confondre un "a" et un "o" au plan manuscrit, et dans la foulée un "e" et un "i" ! Les rimbaldiens, non ! Mais pour refouler la correction, désormais, ils expliquent que nous avons toujours mal déchiffré le brouillon où il faudrait lire "outils" et non "autels", c'est ce que soutient explicitement Alain Vaillant dans son livre sur Une saison en enfer paru en 2023. Je ne sais pas qui était sa prof d'Histoire quand il a passé le brevet des collèges, elle a dû en baver.
Alors, vous êtes là pour la question des recueils.
Dans la décennie 1980, le ponte universitaire Pierre Brunel publie des livres sur Rimbaud et il lance une idée selon laquelle les poèmes remis à Demeny forment un recueil qu'il serait bon de publier comme tel. Ayant retrouvé et consulté les manuscrits des poèmes en question dans une bibliothèque londonienne (c'est sûr que moi à l'époque je serais entré à la British Library, j'aurais dit au bibliothécaire "You're London, tout va bien" et puis j'aurais pointé les deux anglaises en mini-jupes sixties à côté en attente de poser leur question et j'aurais dit : "You and You" et je me serais retourné vers le bibliothécaire "Twogether love you !"), Steve Murphy a démenti la légende de deux cahiers, mais en conservant l'idée que c'était un recueil en tant que tel, il a publié ainsi un article dans la revue Studi francesi au début de la décennie 1990.
Je rappelle que Rimbaud parle de vers remis à Demeny, jamais d'un recueil. Au début du blog Rimbaud ivre, Jacques Bienvenu a mis en ligne mon très long article "La Légende du 'Recueil Demeny' " que la revue Parade sauvage ignore superbement. Il y a quelques défauts dans mon argumentation, mais de toute façon il est clairement établi que ce n'est pas un recueil. Les rimbaldiens qui ne croient pas au recueil de Douai existent : André Guyaux bien sûr, Jacques Bienvenu, Yves Reboul un petit peu je crois et Adrien Cavallaro, mais ces dernières années vous constatez qu'au programme officiel du bac de français ils ont mis le "Recueil de Douai", et vous avez toujours ce même biais : puisque tout le monde applique la discipline de dire que c'est un recueil de Rimbaud, vous avez des agrégés, des professeurs certifiés et une ribambelle d'enseignants en France qui expliquent à des centaines de milliers de lycéens qu'ils ont affaire à un recueil de Rimbaud ! Ne dites pas le contraire, ça pourrait vous faire rater votre oral de français au bac.
J'ai aussi combattu la légende d'un Recueil Forain/Verlaine. Il y a un dossier de vingt-quatre pages et une table de sommaire, mais la table de sommaire précise qu'il faudra ajouter plusieurs poèmes dont les titres sont égrenés, ce qui signifie que les manuscrits n'étaient pas accessibles à Verlaine au moment des transcriptions. Ben, ça ne gêne pas les rimbaldiens de parler d'un recueil organisé de vingt-quatre pages. Ils y vont tranquillou, tranquillette. D'ailleurs, c'est exactement comparable à ce qu'ils font pour les Illuminations dont on va enfin parler ci-dessous. On a un même ensemble de vingt-quatre pages et un reliquat fatalement désordonné, et dans les deux cas c'est d'authentiques recueils de Rimbaud selon les rimbaldiens.
Vous imaginez la scène dans une classe au collège. Les élèves, après avoir mis en pétard la prof d'Histoire, passent en cours de français. Ils remettent un dossier qu'ils ont dû faire à la maison. L'un a fait vingt-quatre pages, puis il ajoute une table de sommaire qu'il complète de trois chapitres qu'il n'a pas eu le temps de faire, et à côté un autre élève remet des feuilles volantes, dont la moitié seulement est paginée.
Vous vous rendez compte de la haute volée des études rimbaldiennes. Ils cherchent à démontrer qu'on peut classer des manuscrits non paginés, des copies non remises. C'est hallucinant !
Le devoir est remis sans allure, désordonné, mais on va étudier les coups de ciseau, les traits de séparation pour prouver l'unité impeccable de l'ouvrage...
N'importe quoi !
Il va de soi que pour l'instant ça tient car la hiérarchie du clan est toujours en place, mais ça ne va pas durer éternellement, croyez-le bien !
Alors, passons au cas des Illuminations !
Je ne m'attarde pas sur les manuscrits des poèmes en vers, pour lesquels le débat de leur exclusion ou non est de toute façon bien légitime.
En 1875, d'après la correspondance de Verlaine, il y avait un dossier de poèmes en prose que Rimbaud prévoyait de faire publier. Notez que Verlaine ne cite même pas le nom du recueil, il parle d'un ensemble de poèmes en prose. Déjà, ça devrait vous mettre la puce à l'oreille.
Le titre apparaît en 1878 dans la correspondance de Verlaine, mais en 1875 on parle de poèmes en prose.
Comme le titre existe et qu'il est question de tenter une publication en 18775, les rimbaldiens se convainquent que le recueil tel qu'il a été publié en 1886 était le recueil qu'il était prévu de publier en 1875 et que cette organisation venait de Rimbaud lui-même.
Et c'est là encore l'occasion d'un sujet d'analyse psychologique marquant. Au lieu de partir du constat que les manuscrits sont dans un tel état bordélique qu'il ne saurait en aucun cas être question d'un recueil, les rimbaldiens partent de l'idée que la correspondance prouve que ce que nous avons entre les mains est un recueil achevé. Et puisque la pagination n'y est pas, ou en tout cas n'est pas conduite à terme, on parle dans des suppositions sur l'ordre des poèmes, dans des suppositions sur des lignes, des découpages du papier, etc., sans se demander quelles sont les limites inévitables à la démonstration d'une telle démarche, parce que les rimbaldiens n'arrivent pas à prouver cet ordre, mais ils partent de l'idée qu'à force quelqu'un va arriver à apporter la preuve lumineuse qu'il se dégage des manuscrits de Rimbaud un ordre exclusif de défilement des poèmes dans un recueil !
Ils ne se posent même pas la question du caractère démontrable ou non de la chose. Ils ne se demandent même pas s'il est possible pour un éditeur normalement constitué et au cerveau ordinaire s'il est possible d'avoir la chance de pressentir cet ordre.
Tout ne tient qu'à une idée. Par chance, Rimbaud a remis les feuillets dans un certain ordre à Verlaine, Nouveau et d'autres, puis cet ordre n'a jamais été bouleversé.
Ils ne se demandent même pas pourquoi, si cet ordre était fixé par Rimbaud, "mûri" par Rimbaud pour employer un mot lourd de sens, ce foutu écervelé n'a pas pris la peine de paginer les feuillets jusqu'au bout, pourquoi il n'a même pas fait l'effort de se fournir une feuille de papier où mettre le titre et le sommaire. Parce que dans le cas du dossier paginé par Verlaine, au moins, on a une table de sommaire et on a une pagination du copiste lui-même. Et je rappelle que même dans le cas du dossier paginé de vers copiés essentiellement par Verlaine, moi, personnellement, je ne parle à aucun moment de recueil. Verlaine lui-même n'a jamais parlé d'un tel recueil, y compris dans une lettre d'époque à Rimbaud, au plus près donc de ce recopiage, où il est dit que les vers ont été confiés à Forain !
Je reviens au cas des poèmes en prose. Quand on voit l'état des manuscrits publiés par la revue La Vogue, il est plus logique de remonter de ce constat à la correspondance de Verlaine. On comprend que Rimbaud n'a pas remis un recueil abouti à Verlaine, il lui a remis des manuscrits plutôt pour chercher son approbation, pour chercher à l'impliquer. Verlaine le dit en toutes lettres qu'il n'a pas pu s'en occuper, non ? Le but était qu'il y ait suite à cette lecture par Verlaine un échange épistolaire entre Rimbaud et Verlaine en vue de mettre au point une stratégie pour élaborer un recueil et approcher un éditeur. Et c'est agacé par le manque d'enthousiasme de Verlaine pour le projet que Rimbaud a demandé d'envoyer les manuscrits par la poste à Nouveau. Ici, on peut supposer que vu les risques encourus, Rimbaud avait un double des poèmes sous le toit maternel, au moins à l'époque ! Ou il les aurait perdus en Allemagne ! En tout cas, on peut supposer que le jeu manuscrit n'était pas unique. Et pour en revenir à ce qui est rigoureux, le projet de chercher un éditeur par l'intermédiaire de Germain Nouveau à Bruxelles n'a pas abouti. Et on comprend que ce n'est pas seulement parce qu'il fallait éviter de rappeler sa dette auprès d'un certain Poot... Nouveau n'était pas la personne adéquate et les manuscrits étaient dans un état lamentable (puisque ce n'est pas seulement moi, mais Murphy, Bardel et consorts qui considèrent que les manuscrits dont parle Verlaine en 1875 sont ceux à la base de la publication de 1886 même, c'est inscrit dans leurs raisonnements). Les manuscrits étaient impubliables. Il est évident que Rimbaud pensait d'abord appâter Verlaine avec ces manuscrits, puis la recherche d'un éditeur par Nouveau à Bruxelles a été très clairement un acte velléitaire mal préparé de la part de Rimbaud, et cela n'a pas abouti, voire n'a peut-être jamais eu la moindre suite ! Qu'aurait fait Nouveau avec les manuscrits tels que nous les connaissons ? Il les aurait montrés à un éditeur, en leur disant "vous aimez lire ? ça vous plaît ? Je vous les laisse jusqu'à demain ! C'est d'un ami qui cherche à les publier sous forme d'un recueil ! Vous voyez qu'il y en a une certaine quantité, ça peut faire un volume d'une dimension raisonnable. C'est audacieux, il s'agit de poèmes en prose, il y a quelques expériences un peu limite comme "Mouvement" qui a les retours à la ligne d'un poème en vers. Si ça vous intéresse, mon ami met au point un ordre de recueil, avec un titre. Je ne pense pas qu'il faudra trop retrancher ou ajouter." Voilà à peu près tout ce qu'il aurait pu faire. Il n'allait pas commencer à lui expliquer que la pagination ne servait à rien, qu'il était évident que tel poème passait après tel autre quand on avait un bon esprit de lecteur.
Voilà, ce que croient les rimbaldiens au sujet de l'unité du recueil des Illuminations est parfaitement ridicule.
J'ajoute qu'ils sont incapables de dire à l'heure actuelle ce que serait le message qui passe dans l'ordonnancement des poèmes qui nous est imposé. Les séquences thématiques homogènes, ils sont incapables de rien dire d'intéressant dessus ou ils les définissent au doigt mouillé : "Mystique", "Aube", "Fleurs" et "Nocturne vulgaire", c'est le rêve, c'est les émissions nocturnes avant l'aube...
Il y a de quoi écrire un sketch comique !
Même si la pagination en vingt-quatre pages avait été de Rimbaud, il n'y aurait pas pour autant un recueil face à nous, puisqu'il y a plusieurs manuscrits excédant ce dossier. D'ailleurs, même quand au départ j'adhérais sans réfléchir attentivement à l'idée d'une pagination auctoriale, je soutenais déjà que ce n'était pas un recueil. La pagination peut être celle d'un simple porte-feuille de poèmes, le dossier copié par Verlaine en 1872.
Vous voulez la liste des poèmes qui excède le dossier de vingt-quatre pages ?
"Promontoire" un feuillet manuscrit à soi seul
"Scènes" idem.
"Soir historique" ibid.
"Mouvement" ibid.
"Bottom" et "H" sur un même feuillet.
"Dévotion" manuscrit inconnu.
"Démocratie" manuscrit inconnu.
"Fairy" un feuillet déchiré
"Guerre" un feuillet déchiré, voire un bout de papier.
"Génie" et "Dimanche" deux bouts déchirés d'un même long feuillet originel, l'un long, l'autre bien court.
Le feuillet étrange II Sonnet III Vingt ans et IV
"Solde" un feuillet manuscrit à soi seul.
La pagination en chiffres romains pour l'ensemble "Fairy", "Guerre", "Génie", "Jeunesse I à IV" et "Solde" vient de Vanier, il s'agit précisément des seuls poèmes non publiés par la revue La Vogue.
On essaie de nous faire croire que par une magnifique coïncidence Rimbaud avait paginé exclusivement ainsi les cinq derniers poèmes de son recueil qui, comme par hasard ne furent publiés que par Vanier et pas par la revue La Vogue.
Les rimbaldiens ne connaissent pas le rasoir d'Occam.
On observe qu'une main allographe a pensé donné le titre "Veillée" au quatrième texte (IV) sans titre de la série "Jeunesse".
Autre fait remarquable. Les poèmes qui ont été publiés en dernier coïncident avec les bouts de papier et les remaniements étranges : "Fairy", "Guerre" et les quatre poèmes de la série "Jeunesse". "Génie" est impliqué par sa relation manuscrite initiale au poème "Dimanche" qui ouvre la série "Jeunesse". Notons qu'en fait de transcription "Dimanche" initialement était à la suite de "Génie". Seul "Solde" est un manuscrit régulier du type des poèmes publiés dans les numéros 8 et 9 de la revue La Vogue : "Mouvement", "Promontoire", "Scènes" ou "Soir historique".
C'est marrant. A quand une théorie de fin de recueil où après un enchaînement continu on a un poème par feuillet, puis des bouts de papier ? Oui, pour le lecteur, il n'y a pas de feuillet, mais les rimbaldiens débattent de ce qu'est un recueil manuscrit dans les mains d'un éditeur ! C'est très subtil. Le papier utilisé fait partie de la conception du recueil, la délimitation des feuillets fait partie du recueil. Il faut être sensible à tous les micro-détails, ce n'est pas donné à n'importe qui d'être un éditeur : il faut être un "voyant" comme dirait l'autre.
Je pense que tout se jouait sur le ou les manuscrits de "Démocratie" et "Dévotion", il devait y avoir un trait droit qui disait "sommaire détaillé", une ligne oblique qui disait "pagination détaillée" et une ligne ondulée qui énumérait les thèmes successifs du recueil...
Trêve de plaisanteries.
A propos des vingt-trois feuillets qui font 24 pages, il y a eu une simple utilisation de la série homogène sur un même papier avec une insertion minimale de feuillets du type de ceux des poèmes publiés dans les numéros 8 et 9 de la revue La Vogue. Le poème "Après le Déluge" a simplement été placé en tête de la série homogène, et le feuillet avec des transcriptions au recto et au verso a été placé en avant-dernier feuillet de la série homogène : "Nocturne vulgaire"/"Marine"/"Fête d'hiver".
Rimbaud avait oublié trois poèmes dans sa série homogène, faut-il croire ?
Désolé, les remaniements sont à la marge.
Pour le feuillet paginé 12, il est mis à la suite de "Phrases" parce que des poèmes courts peuvent être interprétés comme des phrases et que les éditeurs de La Vogue n'ont pas identifié "Ô la face cendrée..." comme un poème sans titre, mais comme un second paragraphe de "Being Beauteous".
Il n'y a pas de point après les trois croix des cinq selon moi "poèmes courts" du feuillet 12, mais Rimbaud omet parfois le point après les titres de ses poèmes, ou il compense par un allongement horizontal en fin de dernière lettre "Parade", "Matinée d'ivresse", etc. Cependant, les trois croix sont une compensation de titre sur le manuscrit de "Being Beauteous" et du coup, et cela est même indépendant de la question de savoir si Rimbaud a mis ou non le manuscrit après le feuillet contenant "Phrases", mais comme les espacements sont importants sous les cinq séries de trois croix du feuillet 12, et vu que les traits ne sont pas uniformisés avec ceux des trois parties de "Phrases" sur le feuillet 11, je pense que Rimbaud a composé cinq poèmes courts où les trois croix compensent à chaque fois l'absence de titre et que, par conséquent, ils n'ont pas à être lus comme la suite du poème "Phrases".
Mais, quand on pense que Rimbaud a mis exprès ce feuillet après "Phrases" du feuillet 11, c'est qu'on pense que Rimbaud a fait fusionner les cinq poèmes courts avec "Phrases" pour créer un poème long qui est une série de huit morceaux. J'ai beaucoup de mal à y croire. Expliquez-moi mes lacunes à ce sujet !
Evidemment, dans le débat, il peut y avoir des excès. Il y a la thèse autoritaire de la pagination auctoriale et ceux épars qui ont commencé à s'y opposer. On peut exagérer en refusant d'envisager que les suites "Phrases" et "Veillées" furent créées par Rimbaud, on peut exagérer aussi à chercher à prouver l'écriture allographe du chiffre romain "III" remplaçant le titre au singulier "Veillée". Et, comme dans cet affrontement, le clan (qui a la parole publique pour lui) de la pagination auctoriale est prêt à monter en épingle toute concession et prend n'importe quelle bataille gagnée pour une guerre remportée ou bientôt certaine, il y a de quoi s'énerver et perdre patience. Mais j'en arrive ici à un énième fait psychologique rigolo.
Jacques Bienvenu a contesté avant moi la pagination auctoriale, et il a fort logiquement publié des articles en ce sens à son nom sur son blog, à une époque où sur son blog j'avais mis des articles contre l'idée d'un recueil de Douai, contre l'idée d'un recueil de la main de Verlaine aussi. Bienvenu a montré que Murphy se trompait au sujet du témoignage de Félix Fénéon, lequel avait témoigné dans les mois qui suivirent immédiatement la publication dans la revue La Vogue et sous forme de plaquette. Il parlait clairement de "chiffons volants". Notons aussi que Verlaine n'a pas épinglé à ma connaissance l'ordre divergent de la plaquette, comme il n'a pas épinglé l'interpolation des poèmes en vers. Mais reprenons.
Les rimbaldiens pensent que la grande affaire est d'amoindrir la confiance à apporter au témoignage de Fénéon, puis qu'il suffit de ne pas s'en laisser compter sur une démonstration impossible au sujet du "III" remplaçant le titre initial "Veillée", et ils se disent que dans la deuxième partie de l'article de Bienvenu sur la pagination l'argument qu'il m'attribue est un fait secondaire. Il y aurait une hiérarchie des preuves et je ne fournirais qu'un argument romancé.
Non !
L'argument est une preuve à lui seul que la pagination fut le fait de la revue La Vogue. Je parle d'une convergence de quatre séries de faits. La signature "Arthur Rimbaud" et les salissures ne sont pas des séries de faits, mais les soulignements des titres et la pagination supposent plusieurs faits, et il faut ajouter l'importance aussi d'un fait parallèle, la tendance de Rimbaud à placer un point après les titres de ses poèmes. Bienvenu qui est mathématicien a compris ce que voulait dire cette idée de convergence, il a compris que cela allait imposer des contraintes logiques.
Il est évident que les à-coups de la transcription accompagnent clairement la préparation d'une publication dans les numéros 5 et 6 de la revue La Vogue. Il y a une évolution des soulignements des titres qui séparent les 14 premières pages des dix dernières, ce qui coïncide avec le découpage dans la revue La Vogue, il y a ce relais spectaculaire de la page 9 à la page 14 où il y a là encore une évolution dans les soulignements des titres, cela se passe au même moment que le repassage à l'encre des neuf premiers numéros de pages et à l'endroit même où se trouvait la mention d'auteur "Arthur Rimbaud" qui passera dans la revue après la fin de transcription du dernier poème du feuillet paginé 14.
Et je parle bien du soulignement des titres des poèmes, en montrant que la pratique authentique de Rimbaud, les points après les titres n'est pas comprise par la revue La Vogue au niveau des trois croix du poème "Ô l'écusson de crin..." Les soulignements des titres par des encerclements ou des crochets changent des pages 9 à 10 et des pages 14 à 15 !
Quand on est intelligent, on prend toute la mesure d'une pareille preuve !
Et on va voir que ça ne s'arrête pas là !
Vu que Bardel a essayé de voler au secours avec l'aura de son site internet de la thèse de la pagination auctoriale de Murphy, je rappelle qu'il commémore les vingt-cinq ans d'une thèse dont l'argument principal la pagination autographe fondée sur une pseudo-évidence de perception au sujet des feuillets 12 et 18 est désormais abandonnée par la revue Parade sauvage, comme attesté par l'article de Murat dans le Dictionnaire Rimbaud des éditions Classiques Garnier : il s'agit d'une récusation discrète, mais cruciale. Bardel commémore un argument qui a volé en éclats, car après il n'y a rien d'autre.
Je reviens à ces chiffres 12 et 18 et aux soulignements de titres... Donc, en essayant de défendre la théorie, Bardel s'est lancé dans son analyse des paginations des autres manuscrits, et cela a été l'occasion pour Jacques Bienvenu d'en remettre une couche avec un article très important sur le site Rimbaud ivre, article qu'essaie de ne pas contourner Bardel, il s'agit du cas du manuscrit de "Promontoire". Le manuscrit autographe n'est pas paginé, c'est le manuscrit allographe en prévision de l'édition dans la revue La Vogue qui l'est.
Mais, en 2013, Bienvenu avait déjà publié un article sur "Promontoire" et le manuscrit allographe, et je vous le mets en lien, parce que vous pourrez ainsi en consulter le fac-similé.
Que découvre-t-on ? Oh, surprise ! Le poème est transcrit avec une importante marge gauche sur deux pages, et la pagination est au crayon, mais exactement sur le modèle du 12/ et du 18/ du dossier paginé de vingt-trois feuillets. On a les chiffres 1 et 2 avec chacun une barre oblique.
Rimbaud essayait de paginer par anticipation comme les gens de la revue La Vogue !!! C'est bouleversant. Je ne comprends pas pourquoi on récuse le mot de "voyance" à son sujet...
Je laisse de côté le cas des manuscrits édités par Vanier pour cette fois, et j'en reviens aux manuscrits non paginés publiés dans les numéros 8 et 9 de la revue La Vogue.
Le manuscrit autographe de "Promontoire" a un point après le nom titre "Promontoire" : "Promontoire." Mais ce titre n'est souligné en aucune façon. En revanche, sur le manuscrit allographe, le titre "Promontoire" est entouré par des crochets. Les titres "Scènes", "Soir historique" et "Mouvement" sont encerclés sur les manuscrits autographes. Il n'y a aucun soulignement pour "Bottom" et "H". Pour "Scènes", l'encerclement a commencé par un crochet à gauche avant que la personne ne se ravise et n'encercle tout le titre. L'encerclement du titre de "Mouvement" fait aussi penser un peu à une envie contrariée de placer des crochets. Les crochets sur le manuscrit allographe sont identiques au cas de "Parade", "Enfance", "Conte" et quelques autres.
Ce n'est pas Rimbaud qui entourait ainsi ces titres et on voit bien que c'est une nécessité technique pour préparer le travail des ouvriers-typographes.
Admirez à un moment donné la convergence des faits. Suspendre éternellement son jugement, ça ne fait pas très sérieux. Le propos contradictoire : "Je sais que je ne sais rien", ça ne fait pas le philosophe, n'en déplaise à Socrate !
Il y aurait à revenir sur les chiffres des séries "Villes", sur certains points. En tout cas, la pagination en 24 pages n'est pas de Rimbaud et il n'existe pas de recueil mis en ordre des poèmes en prose des Illuminations !
Nous n'avons aucune garantie que les successions sur la série de papier homogène correspondent à des intentions décisives d'organisation en recueil, puisque la question se pose des poèmes mis à la suite d'un autre par opportunité de la place disponible restante. Rimbaud a composé avec une limite en papier.
Enfin, je rappelle un cas important. Le poème "Dimanche" a été brutalement découpé du manuscrit de "Génie", il a été associé à une série de quatre poèmes intitulé "Jeunesse" numérotés par des chiffres romains. Les trois premiers poèmes ont un titre, mais pas le dernier. Ce fameux poème IV : "Tu en es encore à la tentation d'Antoine", ne fait-il pas écho à toutes vos tentations du diable de dire le recueil ordonné par Rimbaud en vous narguant ? Le poème IV n'a pas de titre, à l'évidence parce que Rimbaud supposait qu'il aurait encore le temps d'en ajouter un lorsque le travail avec un éditeur commencerait.
Ce que vous appelez un recueil de poèmes en prose a un titre, mais c'est un porte-feuille de poèmes en prose ! Le recueil, il aurait été mis au point si un travail avait été entamé avec un éditeur, si le débat avec Verlaine avait eu lieu en 1875 !
Et ça, c'est difficile à admettre pour des enfants têtus qui veulent leurs Illuminations ne varietur!
Alors, certes, il finira par y avoir un ordre canonique pour publier les poèmes de Rimbaud, mais vous n'aurez jamais le recueil organisé auquel vous prétendez !
Jamais !
Jamais !
Jamais !
Jamais !
Jamais
Hélas !
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EDIT 15/09 :
Je clarifie un point.
Bardel parle de vingt-trois feuillets manuscrits en 24 pages suivis de feuillets non paginés eux-mêmes suivis de feuillets paginés en chiffres romains de I à V. En réalité, Bardel veut dire que les 24 pages et la série en cinq chiffres romains sont de la main de Rimbaud et que les autres manuscrits n'ont pas été paginés, sauf que si ces manuscrits sont eux aussi paginés. L'exception, c'est le manuscrit autographe de "Promontoire", puisque c'est le manuscrit allographe qui l'est.
Selon que ça l'arrange, Bardel suppose deux paginations autographes et une absence de pagination pour les autres manuscrits.
C'est faux, tout est paginé, sauf un manuscrit autographe qui le cède à un manuscrit allographe, ce dernier étant paginé cela prouve que la pagination vient des éditeurs La Vogue, puis Vanier pour les chiffres romains.
Il y a un ensemble paginé de 1 à 24, un ensemble paginé pour les numéros 8 et 9 de la revue La Vogue, puis un ensemble paginé de I à V par Vanier pour le complément final.
Je pense aussi qu'il y a deux articles sur le site Rimbaud ivre au sujet du manuscrit allographe "Promontoire", Bardel ne cite que le plus ancien de 2013, mais je n'ai pas vérifié.
Reste à l'avenir à commenter les différences entre la revue et la plaquette pour montrer que les remaniements sont à la marge, puis il faudra revenir sur les ensembles Veillées, Jeunesse et Villes.
On verra quand je pourrai m'y atteler.
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