samedi 20 septembre 2025

A propos de Desbordes-Valmore (et de l'article de Murat en 2004)

En 2002, il y a eu un colloque sur Arthur Rimbaud de quelques jours avec quinze participants et Michel Murat, qui je crois n'y était pas présent, avait une conférence sur Desbordes-Valmore qui s'est retrouvé malgré tout dans les Actes du colloque, le colloque numéro 4 de la revue Parade sauvage en 2004. Je crois que quelqu'un d'autre avait lu son texte lors de la conférence en 2002.
L'article de Murat paru dans les colloques, quoi qu'il en soit, traite des mondes d'idées de deux femmes poètes Louisa Siefert et Marceline Desbordes-Valmore.
Pour Siefert, Murat remercie Pierre Brunel de lui avoir prêté un exemplaire des Rayons perdus, ce qui suppose donc une intervention limitée aux fruits de cette seule consultation. Dans cette partie, Murat conteste aussi que "le livre du devoir" puisse être la Bible, il pense que la lecture familière de la Bible est plutôt un acte en milieu protestant ou "huguenot" comme le serait Louisa Siefert, et il pense qu'il doit s'agir d'un livre scolaire. Personnellement, je ne vois pas trop comment appeler "livre du devoir" un ouvrage scolaire, et il faudrait encore préciser quel est cet ouvrage scolaire. L'expression "du devoir" est morale et ne parle pas des devoirs scolaires. L'opposition des protestants et des catholiques en matière de lecture intime de la Bible est un vieux cliché. De toute façon, dans le même poème "Les Poètes de sept ans", Rimbaud dit qu'il lit une bible à la tranche vert-chou posée sur un guéridon, il me semble évident que c'est la reprise du "livre du devoir" avec un glissement de la périphrase solennelle où l'objet est un absolu à un exemplaire trivial et dérisoire "à la tranche vert-chou". Il y a un parcours de dévaluation de ce livre d'un vers à l'autre du poème.
Mais passons à la partie sur Desbordes-Valmore. Par tactique d'écriture, Murat met une page ou même deux à méditer sur le moment où Rimbaud a pu lire les poésies de Desbordes-Valmore avant de rappeler qu'elle était une légende locale à Douai où Rimbaud a fait deux séjours.
J'ajoute que Rimbaud a pu identifier la maison natale de la poétesse ou reconnaître des endroits évoqués dans les poèmes. Demeny et Izambard, aidés d'autres douaisiens, ont dû pas mal informer Rimbaud des lieux marqués par le passage de la poétesse, et lors des séjours de Rimbaud à Douai celui-ci a dû lire une bonne partie de ses recueils.
Mais je voulais revenir sur un point que n'aborde pas Murat, alors qu'il en approche pourtant de près. Murat fait remarquer que c'est visiblement avec les poèmes du printemps et de l'été 1872 que Rimbaud et Verlaine s'intéressent au plus près à la poétesse. Et c'est Rimbaud qui selon Verlaine a fait connaître à celui-ci le détail des recueils de la poétesse.
Or, s'il est logique que Rimbaud a connu ou surtout approfondi sa connaissance de la poétesse lors de ses passages à Douai, il me semble qu'éloigné de Paris en mars-avril 1872 Rimbaud était dans le nord, pas à Douai, mais à Arras, et que dans ce contexte il s'est replongé dans la lecture des poésies valmoriennes. Il envoie alors l'ariette oubliée à Verlaine et en effet l'influence de Desbordes-Valmore devient patente sur la quatrième des "Ariettes oubliées" de Verlaine du futur recueil Romances sans paroles avec la rime reprise "jeunes filles"/"charmilles" et le recours au vers de onze syllabes du poème "Rêve intermittent d'une nuit triste".
Mais la première des "Ariettes oubliées" s'inspire maximalement de la romance "C'est moi" dont Rimbaud cite sur un manuscrit d'époque le vers : "Prends y garde ô ma vie absente".
L'article de Murat suppose aussi un écho entre "mondes d'idées" de la femme et l'expression "je ne suis pas au monde" qui rapproche la poétesse du Rimbaud de la saison.
Mais, Murat va minimiser que Rimbaud dans "Larme" s'inspire de "Rêve intermittent d'une nuit triste" et de l'emploi valmorien du vers de onze syllabes, alors qu'il est évident que même si le vers de Rimbaud pose un problème de césure il vient de ce poème-là précisément, ainsi que le thème "larme". Il faut ajouter qu'en principe il y a un calembour latent dans le poème de Rimbaud sur la "Larme" comme perle pour le pêcheur d'or ou de coquillages, mais ceci est un autre sujet.
Murat fait remarquer que Valmore n'aurait jamais pratiqué la césure sur un déterminant "la" comme Verlaine dans "De la douceur, de la douceur, de la douceur".
Or, Murat nous fait entendre qu'il n'a pas lu tout Dersbordes-Valmore, mais seulement l'anthologie de Sainte-Beuve qui contient minimalement "C'est moi" et puis le recueil des Poésies inédites avec les deux poèmes en vers de onze syllabes. Les autres recueils étaient plus difficiles d'accès.
Or, dans le recueil de 1830, le premier poème "L'Arbrisseau" contient un précoce rejet à la césure après un déterminant "leur" pour souligner un "impénétrable" feuillage. Précisément du même type que "pour la douceur" à l'époque même où Hugo suivi de Musset s'essaie au procédé.
Juste avant, dans la décennie 1820, nous avons un poème qui se termine sur un hiatus : "qu'à aimer". Desbordes-Valmore pratique avant Baudelaire et avant Rimbaud le quintil ABBAA qui est aussi au principe du quintil ABABA de Baudelaire.
Enfin, il y a une ligne curieuse de neuf syllabes "Hirondelle ! Hirondelle ! Hirondelle !" dans un poème où les autres vers sont canoniques, des octosyllabes en particulier.
Cela fait songer aux irrégularités des poèmes chansons de Rimbaud en 1872.
Voilà pour les aspects formels. Je parlerai prochainement des aspects thématiques. Là encore il y a des choses à dire.
Je prévois aussi de faire un article pour citer des vers de Desbordes-Valmore qui sont des traits d'esprit et qui expliquent pourquoi sa poésie n'est pas dérisoire et était perçue comme géniale par Rimbaud, parce que j'ai un peu l'impression que ce n'est pas vraiment compris par les lecteurs qui ne la lisent pas vraiment. 
A suivre !

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