lundi 8 juillet 2024

Vous reprendrez bien un peu de Ricard ? Ai-je raison ? Ai-je tort ?

Cette fois, on y revient pour ne plus le lâcher, le sujet Ricard du monostiche zutique produit par Rimbaud.
Je vais vous montrer qu'il est important d'avoir de la suite dans les idées sur ce sujet.
Ricard a publié son premier recueil Les Chants de l'aube en 1862, et non pas chez Lemerre qui n'existait pas encore comme éditeur, mais chez Poulet-Malassis. Je n'arrive pas à lire les épigraphes qui figurent sur la page de titre, puis sur la page de faux-titre, puisque je consulte ce recueil à partir du fichier fac-similaire fourni par le site Gallica de la BNF. Les fichiers sur Wikisource ne sont pas plus faciles à déchiffrer il m'a semblé. Mais le poème liminaire s'intitule "Amour" et prend la forme d'un sonnet. Il précède la "Préface dédicatoire aux jeunes filles" qui est en prose.
Je me dois de citer ce sonnet in extenso.

                           Amour

 

Amour ! ô Dieu de feu, qui planes sur le monde !

Seul Dieu vrai, seul Dieu bon et seul universel.

Amour ! ô créateur, source unique et profonde

Du bonheur, de la vie et du bien éternel !

 

Père et mère à la fois, dont l’union féconde

Engendra l’Univers dans un but immortel ;

Sainte dualité qui conserve et qui fonde,

Qu’attestent les humains et la terre et le ciel !

 

Amour ! assez longtemps et les feux et les sages

Ont, de leurs fronts baissés, honoré les images

Du Dieu de Mahomet et des autres faux dieux.

 

Il est temps qu’aujourd’hui se lève ton aurore,

Et que l’humanité, comme un Memnon sonore,

Exhale un chant vainqueur aux premiers de tes feux !


Notez les points communs avec Rimbaud. L'Amour est le seul Dieu universel dans une parodie de la dialectique conceptuelle chrétienne, notamment du bon, du bien et du vrai, remise à l'honneur par l'ouvrage clef du philosophe du mouvement dit de l'éclectisme qu'était Victor Cousin. Il va de soi que, à la différence de Rimbaud, Ricard joue sur une ambiguïté qui permet de ménager le christianisme qui se veut une religion de l'amour. Même si c'est un peu tordre la réalité du dogme, les chrétiens peuvent se dire que Dieu est amour. Rimbaud rompt l'ambiguïté dans ses poèmes, en nommant une Vénus par exemple, et même quand lui aussi reprend l'idée "Dieu est amour" ("Il est l'amour...") Rimbaud prend soin par des phrases négatives de supprimer la référence chrétienne : "il ne redescendra pas d'un ciel..." (Génie).
Ricard est très clairement un disciple de la pensée de Quinet, Proudhon et quelques autres, ce que la suite du recueil confirme. On remarque aussi le rejet du Dieu de l'Islam, rejet qui sous-entend un rejet des deux autres religions fondées sur le même Dieu.
Mais, ce qui m'a poussé à citer ce sonnet, c'est son lien sensible avec le sonnet "Monsieur Prudhomme" de Verlaine. Il s'agit d'une pièce des Poèmes saturniens, mais il est tant de poèmes autrement importants que celui-là dans ce recueil qu'on n'y prêterait pas suffisamment attention. Or, le sonnet "Monsieur Prudhomme" passe pour le premier sonnet qu'ait publié Verlaine, et passe donc pour les débuts officiels de Verlaine dans la carrière des Lettres. Dans mon souvenir, il y a un poème "Fadaises" daté de 1862, en lien avec Carjat, peut-être dédié à Carjat, je ne sais plus, mais Pakenham a publié une étude où il retient ce poème comme la première publication littéraire de Verlaine. Verlaine a publié le sonnet "Monsieur Prudhomme" dans la Revue du Progrès de son ami Ricard en août 1863.
En clair, il s'agit d'un sonnet écrit expressément en lien avec Louis-Xavier de Ricard, l'année qui a suivi la publication du recueil Les Chants de l'aube. Verlaine a publié son sonnet dans une revue dirigée par Ricard lui-même, et cette revue portait dans son titre le mot de "Progrès" flanqué d'une majuscule. La preuve que "Monsieur Prudhomme" a été composé en réponse au sonnet "Amour" de Ricard tient dans la reprise amplifiée par un calembour de l'expression "Père et mère" du vers 5 du sonnet de Ricard qui devient "maire et père de famille" au premier vers du sonnet de Verlaine, écho se faisant qui plus est de sonnet à sonnet. Je n'ai pas un accès simple immédiat à la version du sonnet en 1863, mais dans les Poèmes saturniens le sonnet de Verlaine contient une répétition : le vers 4 est reconduit en vers final : "Et le printemps en fleurs brille sur ses pantoufles." Il est ainsi très clair que le sonnet de Verlaine est une inversion complice au discours du sonnet de Ricard, puisque nous avons un mauvais bourgeois qui n'est pas l'amour, qui se croit honorable "maire et père" et qui croit que l'amour fleurit sur ses pantoufles à la lumière du printemps.


Je vous donne maintenant le lien d'un début d'article de Michael Pakenham, article publié en 1998 qui est téléchargeable au format PDF sur le site internet "Etudes Héraultaises". Je n'ai pas encore téléchargé cet article, et ne l'ai donc pas lu dans son intégralité. Je ne sais pas non plus où se trouve mon édition critique des Poèmes saturniens par Steve Murphy et publiée chez Honoré Champion. J'ignore si la référence du premier vers de "Monsieur Prudhomme" à un vers de Ricard est connue, je n'ai pas l'impression que ce soit acquis. J'ajoute qu'on a du coup une concentration de données qui offrent une perspective de sens au monostiche zutique rimbaldien : "L'Humanité chaussait le vaste enfant Progrès." Rimbaud a l'air de faire référence au sonnet "Monsieur Prudhomme" lui-même avec la relation entre "chaussait" et "pantoufles", comme avec l'emploi du mot "Progrès".


Cette revue du progrès était positiviste, et à ses débuts Ricard ne goûtait pas les poésies de Gautier, Leconte de Lisle, Baudelaire et Banville. Il était surtout attaché aux idées de Quinet, Michelet et Proudhon. Tout cela, c'est ce qu'écrit Pakenham en lançant son article. C'est son ami Verlaine qui l'a amené auprès de l'éditeur Lemerre et Catulle Mendès a eu une influence apparemment sur l'évolution des goûts littéraires de Ricard. Fait très intéressant, Ricard qui a dû se faire accompagner par une personne plus âgée pour sa première revue, Adolphe Racot, et qui a fait de la prison trois mois en 1864, a lancé une seconde revue L'Art à laquelle Verlaine a contribué par deux poèmes, deux articles sur Baudelaire et surtout pour le sujet qui nous intéresse trois articles sur Barbey d'Aurevilly. C'est ce journal L'Art qui devient sous l'impulsion de Mendès un recueil de vers nouveaux Le Parnasse contemporain. Ces informations sont capitales. Dans un extrait que j'ai pu lire des Mémoires d'un Parnassien, Ricard déclarerait aussi que Barbey d'Aurevilly se déchaînait contre les parnassiens parce que son ami Amédée Pommier y avait été refusé. En réalité, Barbey d'Aurevilly cherchait à se venger des articles de Verlaine publiés dans la revue L'Art et où il était question des vers d'une syllabe, acrobaties mal maîtrisées par l'ami du Connétable des Lettres. Verlaine opposait le mépris évident pour les idioties de Pommier à l'admiration pour les acrobaties réussies de Banville. Barbey d'Aurevilly a publié les Trente-sept médaillonnets du Parnasse contemporain parce qu'il identifiait la continuité avec la revue L'Art, et bien sûr pour se venger de Verlaine. D'autres persifleurs s'invitèrent dans la querelle et prirent le parti de Barbey d'Aurevilly avec le Parnassiculet contemporain. C'est à dessein que le "Croquis parisien" est épinglé avec le récit d'un chinois dans les rues de Paris, comme c'est à dessin que Daudet, sous couvert d'anonymat, a produit un sonnet en vers d'une syllabe "Le Martyre de saint Labre" tourné contre Verlaine, lequel a très mal supporté les arrivistes imbéciles du Parnassiculet contemporain. Notez ce suffixe en "-et" pour "médaillonnets" et "Parnassiculet" qui se retrouve dans le nom Belmontet épinglé par Rimbaud en tant qu'archétype parnassien produisant des idées "saturniennes". Il va de soi que Ratsibonne, Eugène Manuel et Belmontet servent à créer le camp repoussoir des Barbey d'Aurevilly et Daudet, lesquels sont augmentés de François Coppée, parnassien mais désormais tête de turc pour d'anciens compagnons.
Voilà qui invite à relire les contributions de l'Album zutique sous un jour bien précis, celui de querelles parisiennes entre les parnassiens et leurs ennemis, comme entre les parnassiens froidement anticommunards et ceux qui avaient au moins quelques sympathies pour le mouvement. On comprend dès lors que "Vu à Rome" n'a pas pour vocation de rester comme une parodie très aléatoire de Léon Dierx. On voit bien aussi que les explications livrées par Claisse et d'autres du monostiche "L'Humanité chaussait le vaste enfant Progrès" sont en-dessous des implications parodiques réelles de l'ensemble collectif que forme le Cercle du Zutisme. Claisse n'a pas voulu comprendre que le nom Ricard avait du sens dans le monde parnassien, comme Reboul minimise de manière absurde la réalité de la signature "Léon Dierx" au bas de "Vu à Rome". Le régime parodique des pages zutiques n'est pas compris par les rimbaldiens qui se contentent de lire chaque poème séparément et de dégager les perspectives de sens les plus concrètes qui ressortent de la lecture des vers. Non, il faut penser à un phénomène culturel d'époque en lisant les poèmes de ce collectif.
Lisez l'extrait de la lettre de Verlaine à Ricard citée par Pakenham en son début d'article. Verlaine demande si la création de la revue L'Art se concrétise, promet des abonnements, dit que son article précisément contre Barbey d'Aurevilly "avance". Verlaine ironise sur les bois "sourds" et les prés "verts" (il met des guillemets aux adjectifs "sourds" et "verts") : cela fait songer au commentaire sur le caractère poétique de l'expression en principe redondante "eau bleue" dans les Pensées de Joseph Delorme, le personnage fictif de Sainte-Beuve, et cette ironie, qui en vérité pourrait frapper la musique creuse des vers ricardiens, suppose aussi la nudité quelque peu inintéressante des bois et prés qu'arpente Verlaine. Par souci d'équité, Verlaine se partage entre vins de Bourgogne et bières du Nord, il n'y manque que le pastis, mais peut-être pas vu son correspondant. Verlaine tape, et largement à tort, sur le prétendu creux poétique lamartinien, il se ravisera sur le tard à ce sujet. C'est même assez bizarre que Verlaine formule ainsi son dédain d'un creux lamartinien en écrivant à un poète tel que Ricard. En tout cas, Verlaine avance plusieurs titres d'oeuvres qu'il lit pour renforcer sa vocation propre : "Hypatie", "Le Poème de la femme", "Le Réveil d'Hélias", "Apollonie", et il ajoute qu'il est à la moitié du Ramayana, mais il faut avouer que ça ressemble à une énorme blague hypocrite.
Pour sa part, Ricard a lui aussi répliqué face à Daudet avec "Le Poète myosotis" paru dans La Gazette rimée en février 1867, d'après ce que dit Pakenham, parce que j'ai l'impression que les dates sont mal accordées, le Parnassiculet contemporain étant un peu plus tardif (1869). Pakenham rappelle encore que le républicain Ricard a lancé le journal Le Patriote français le 7 juillet 1870, peu de jours avant le début de la guerre franco-prussienne. Dans le dernier numéro paru, la publication à venir de La Bonne chanson de Verlaine était mentionnée.
A noter que les liens internet pour Le Patriote français et Les Coulisses parisiennes sont incorrects sur le site Etudes Héraultaises.
Je téléchargerai la suite de l'article demain.
Puis on fera la grande étude avec tous les relevés nécessaires des vers de Ricard.
Je dois aller dormir. On ne peut qu'être jaloux de Poutine. Malgré toutes les maladies que les "occidentaux" lui prêtent, il court autrement que Biden pour monter et descendre d'avion. Puis, il les tient ses discours de trois heures. Les prochaines piqûres de Biden, il ,faudrait qu'il se dope avec des extraits de missiles hypersoniques russes. Ah oui, pourquoi je parle de ça, mais comme les américains le disent très bien, vous êtes arrivés sur ce site par le fait d'un hacker russe. Oui, vous avez librement choisi de cliquer, croyez-vous ? Non non, le hacker russe il agit directement sur le cerveau des internautes. Bien sûr que c'est comme ça que NSA, CIA et tout le tsoin-tsoin comprennent la chose. Ils ne sont pas cons, ils savent bien que le hacker n'agit pas sur les touches inertes du clavier. Oui, la cohérence, c'est que le piratage russe se fait directement sur le cerveau. Ah ! mon cerveau a une envie irrépressible d'informations biaisées par les russes, je clique sans le vouloir. Ah ! je ne regarde pas internet, je regarde la télévision, mais l'influence subreptice russe est encore là, dans la luminosité de l'écran télé, dans ma perception du son qui sort de la télé. Ah ! même la télévision est hackée, même mon voisin est hacké, même le pavé de la rue est hacké.
Mais vous allez être débiles jusqu'à quand ?

2 commentaires:

  1. Bonjour,

    Merci pour l’intérêt accordée à ma précédente intervention. J’attire cette fois votre attention sur deux sources des Corbeaux.

    Récitée le dimanche 10 mars 1872 au théâtre du Vaudeville (1) dans le cadre d’une campagne de charité au profil du Sou des Chaumières, souscription nationale finançant la reconstruction des habitations détruites lors de la guerre contre la Prusse, la Chaumière Incendiée de François Coppée fera partie du Cahier Rouge en 1874 (2). Octosyllabe à rimes embrassées, ce poème, traitant des ravages de la guerre dans les campagnes sous la forme d’une prière, pourrait avoir inspiré (avec Plus de Sang) la composition des Corbeaux de Rimbaud. Il est probable que ces vers inédits de Coppée aient circulé sous forme de transcriptions ou via le programme de l’événement.

    L’œuvre des Amputés de la Guerre est une autre souscription de ce type pour laquelle Coppée composa des vers inédits. Pour celle-ci, la récitation eu lieu le 3 avril 1873 à l’Odéon (3) ce qui semble exclure Aux Amputés de la Guerre des intertextes des Corbeaux (à moins du contraire).

    (1) Petite gazette : https://www.retronews.fr/journal/le-corsaire-1872-1883/11-mars-1872/3788/5308836/4
    (2) https://www.retronews.fr/journal/album-dolois/30-novembre-1872/3318/5003198/3
    (3) Courrier des théâtres : https://www.retronews.fr/journal/le-xixe-siecle/2-avril-1873/29/1122149/3

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    1. Je vais répondre sous forme d'un nouvel article en reprenant ce message, ce qui permettra de mettre en avant les réflexions et les idées de recherche à conduire.

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