lundi 15 juillet 2024

Les Chants de l'aube de Ricard, 1862 (Partie 1, où il sera question de la Charogne de Baudelaire...)

 Il m'était impossible de déchiffrer les épigraphes en tête du recueil Les Chants de l'aube de Louis-Xavier de Ricard, les fac-similés de la première de couverture et de la fausse page de titre sont illisibles tant sur le site Wikisource que sur le site Gallica de la BNF. J'ai pu remédier au problème grâce à un fac-similé plus net fourni sur Googlebooks, et j'en profite pour vous faire profiter de leur transcription ci-dessous.
Je transcris la page de faux-titre : Louis-Xavier de Ricard / Les Chants de l'aube dédiés aux jeunes filles. Je vous éparnge les informations "Poulet-Malassis", "1862", etc., et je vous livre donc la trois épigraphes telles quelles, sans aucun respect de la mise en page, ce qui m'intéresse c'est le déchiffrement du texte :

- L'aube d'une nouvelle ère se lève pour l'humanité
 (***)

- Des leçons du passé l'avenir se féconde ;
Un monde rajeuni sort des flancs du vieux monde
J'entends des nations l'irrésistible vœu ;
La liberté de l'homme est un décret de Dieu !
(NEPOMUCENE LEMERCIER, Moyse ch. IV)

Mon livre, comment parais-tu
Paré de ta seule vertu ?
Car, pour une âme favorable,
Cent te condamneront au feu,
Mais c'est ton but invariable
De plaire aux bons et plaire à peu !
(AGRIPPA D'AUBIGNE, préface des TRAGIQUES.)

Ricard appréciait des plumes en marge du romantisme telles que celle de Népomucène Lemercier, j'observe que les noms d'auteurs sont en majuscules, mais pas le nom "Moyse", titre d'œuvre pourtant.
Pour l'hémistiche zutique rimbaldien : "L'humanité chaussait le vaste enfant Progrès", la première épigraphe, un propos inédit de Ricard lui-même, a de l'intérêt, vu sa place en tête de recueil, vu qu'elle réunit le mot "aube" du titre du recueil au mot "humanité" repris dans le vers parodique rimbaldien. La citation de Népomucène Lemercier flatte peut-être une lecture plus obscène de l'alexandrin zutique, mais je n'ai ressenti aucun lien évident. Toutefois, je voulais faire une remarque. L'idéologie du progrès ou l'idée chrétienne de providence tendent à justifier les douleurs du présent au nom d'un accès à un bonheur futur. Personnellement, je ne vois pas en quoi la vie des derniers arrivés est plus importante qu'une quelconque vie des générations antérieures. Si Dieu sacrifie le présent pour une humanité finale, c'est jamais qu'un salopard. Evidemment qu'il peut y avoir des sacrifices pour le futur, mais que pèse le bonheur de la dernière génération face aux souffrances de toutes les générations antérieures, à supposer qu'il y ait un bonheur final ?
Enfin, passons.
Notez que dans les pages consacrées au catalogue de l'éditeur nous avons une suite amusante : ouvrages de Théodore de Banville, une publication de Barbey d'Aurevilly, et non pas Pommier mais Bassinet pour un recueil de poésies intitulé Fantaisies et boutades.
Ce qui m'intéresse également, c'est la table des matières, car il y a une distorsion avec le déroulé réel du recueil, et cela concerne précisément les vers dont Rimbaud s'est inspiré.
Donc, à la page 7, nous avons un sonnet liminaire "Amour", dont j'ai déjà souligné les liens avec la création du sonnet "Monsieur Prudhomme" par Verlaine l'année suivante : "père et mère" / "maire et père de famille". Puis, à partir de la page 9 débute une conséquente préface en prose intitulée : "Préface dédicatoire aux jeunes filles". J'aurai quelques extraits à citer de cette préface.
Enfin, le recueil proprement dit peut commencer avec une section "Ouverture / Poème en neuf motifs", dont le premier poème est lancé à la page 43. Je liste les pièces de cette partie intitulée "Ouverture" et j'accompagne mon relevé de commentaires en bleu :

A Elle.
L'épigraphe est illisible, je verrai plus tard sur Google books, épigraphe de Jasmin, avec mention de Sainte-Beuve si je déchiffre bien. Il s'agit d'un poème en alexandrins à base de quatrains aux rimes croisées ABAB. Une numérotation en chiffres romains divise le poème en trois groupes de six quatrains.
Dans les vers de ce poème dédicacé à une "vierge" anonyme, Ricard envisage clairement son public de jeunes filles. Il admire une vierge fidèle à l'ancienne foi que lui ne partage plus. Et il lui demande de l'accepter ainsi ("Ne me dédaigne pas") et de coopérer malgré cet état de fait. Sans y voir une source, la comparaison avec "Credo in unam" est bien sûr utile : ici, la femme est un "soleil" dont les "rayons sacrés" "guident vers le bien" notre poète et c'est en même temps une rose parfumée venant du cœur qui "console" celui du poète. Celui-ci en fait sa "Béatrix" l'élevant au "suprême idéal" tout en lui demandant "pardon" de fuir les autels de la religion. Pensons quelque peu à la fin de "Voyelles" également en lisant de tels développements métaphoriques. Ricard ne fuit pas seulement les autels, il maudit les prêtres du culte. Il dit aux croyants : "relevez-vous car vos dieux sont passés !" Je cite à dessein la métaphore de l'impératif "relevez-vous". Toujours sans chercher à identifier une source, toujours pour alimenter la réflexion par des comparaisons d'époque, je relève le quatrain proche en image de passages des "Pauvres à l'Eglise" de Rimbaud : "Ni le soleil jouant dans les vitraux gothiques / Et dorant les autels d'un reflet jaunissant ; / Ni l'écho des tombeaux qui répond aux cantiques / Et répète les sons de l'orgue en gémissant[.] Rien ne parle à Ricard qui se dit "inquiet seulement d'avenir" en toute fin de mouvement I. Après son portrait, dans le mouvement II, le poète s'intéresse à l'attitude pieuse de la "Madone aux blanches mains". Le troisième mouvement confirme le refus du poète de se soumettre à la foi de celle qu'il aime, il différencie nettement le fait de croire à Dieu de la foi en la religion officielle. Ricard revendique une foi et une croyance en Dieu, mais sa sincérité l'oblige à refuser le temple et c'est une façon pour lui de montrer qu'il croit en la femme aimée. Le raisonnement est malheureusement assez spécieux, puisqu'il propose de laisser la question de la foi de côté et déclare : "Marchons vers le bonheur ! aimons-nous ! aimons-nous !" Rimbaud n'emploie pas le verbe "marcher" dans son monostiche zutique, mais l'idée est sous-jacente et le verbe "marcher" fait partie de la source : les deux vers du poème "L'Egoïste" que nous traiterons prochainement. Enfin, Ricard se prétend implicitement un prêtre d'une foi nouvelle quand il conclut en célébrant le poète en tant que "fils de l'amour" face auquel la tempête se tait pour écouter sa voix.
A M. le comte Alfred de Vigny
Alfred de Vigny décédera l'année suivante en 1863 si je ne m'abuse. Il ne faut pas oublier que Vigny a précédé à tout le moins Hugo et Leconte de Lisle dans la production des poèmes philosophiques et qu'il revendiquait ce fait. Vigny inventait des poèmes qui portait l'appellation de genre "Elévation". Toutefois, les poèmes philosophiques étaient courants au dix-huitième siècle, avec en particulier plusieurs pièces bien connues de Voltaire, et Lamartine s'inscrivait déjà dans cette continuité avec Méditations poétiques ou "Mort de Socrate". Il s'agit ici d'un sonnet avec l'organisation classique des rimes pour les tercets. Les quatrains sont en rimes croisées. Je ne vais même pas éviter de rapprocher les tercets du poème "Les Corbeaux" : "Le chêne, arbre clément, reçoit dans son feuillage / Tous les oiseaux fuyant la foudre et les éclairs. [...] Sous votre ombre, laissez se reposer mes vers [...]"

Dans l'économie du recueil, le titre "Ouverture" est repris, contrairement à ce que montre la table des matières. Nous avons une épigraphe tirée du poème "Paris" de Vigny, je la déchiffrerai à une autre occasion.

Premier Motif. - Au lecteur
Le Premier Motif fait penser au Comte Gormas face au futur Cid avec la formule ressassée : "le sais-tu ?" Dans Le Cid, la question "le sais-tu" est dans la bouche de Rodrigue, mais Gormas fait mine de considérer que Rodrigue est trop jeune pour se battre, alors qu'il s'agit d'une sorte de mise à l'épreuve, de défi même. Ici, Ricard dresse un portrait peu flatteur du lecteur. S'il ne l'accepte pas, il continue sa lecture, en gros. Je relève aussi l'expression "père de famille" dans un passage sur l'intérêt pour l'or qui me fait conclure que ce poème intéresse aussi l'étude critique du sonnet "Monsieur Prudhomme" de Verlaine.
Deuxième Motif. - L'Apôtre
Cette pièce, elle aussi en rimes plates, se sert de la référence au martyre de Jésus, condamné par la foule qu'il venait sauver. Je relève la rime en "ces temps positifs": "en somme" / "l'homme" : et le poète en somme, en ces temps positifs, c'est l'Idéal fait homme !" Vu qu'il s'agit d'un propos tenu par des historiens qu'admire Ricard, son ironie est ici quelque peu problématique. L poème fourmille d'emplois métaphoriques exprimant l'idée d'une marche de l'humanité sous la conduite d'un guide providentiel "et pour suivre tes pas", "Il vient pour vous guider vers un autre avenir". On peut relever aussi qu'il est "instruit par le silence et par l'immensité" ou cette sentence : "Un repentir sincère enfante la clémence[.]"
Troisième Motif. - Le Martyre du Juste
C'est l'occasion de mentionner "Ahasvérus", le personnage du Juif-errant, sujet romanesque pour Quinet. Ricard offre un cas rare de segmentation (notée +) à la Hugo (ou à la Agrippa d'Aubigné) de l'alexandrin : "Oui, c'est juste ; ce peuple + a raison ; moi j'ai tort[.]" Cela se poursuit un peu plus loin dans deux vers à la André Chénier avec un petit effet de cacophonie "tout" répété : "C'est juste ; tout à coup + tout tressaille ; un grand cri / Fait trembler l'univers : Lamam Sabactani ! / Lamma sabactani [...]" Le jeu sur la répétition est bien amené pour une fois de la part de Ricard, il vient aussi de Chénier : "Elle est au sein des flots" dans "La Jeune Tarentine". Je vais éviter de parler de "L'Homme juste" ici, je cite en tout cas les métaphores qui intéressent notre monostiche zutique : "Et qui, vers l'avenir s'avançant à grands pas, / Entraînera tous ceux qui ne le suivront pas !" Ou encore : "L'esprit de l'avenir qui s'éveille à sa voix." Et je cite le dernier vers qui a du sens lui aussi, puisque à l'opposition présent et avenir qu'il articule répond l'opposition passé et présent du monostiche rimbaldien : "Si le présent est sourd, l'avenir les entend !"
Quatrième Motif. - Le Devoir des Poètes
Les premiers vers sont un développement immédiat de notre métaphore de la marche en avant providentielle : "Or, celui dont le cœur est triomphant du doute, / Doit, sans se détourner, continuer sa route, / Et, sans jamais hâter ni ralentir ses pas, / Ferme, marcher au but qu'il sent et ne voit pas." J'évite à peine de rapprocher l'image du poète comme nautonier habile du "Bateau ivre".
Ici, j'intercale un passage qui parle de la suspension de l'impératif de clémence face à l'adversité de l'égoïsme, passage donc à méditer dans notre perspective zutique :

Dans ce siècle, où l'on voit qu'une autre ère commence,
N'ayons que la justice et jamais la clémence,
Et ne ménageons pas, quels que soient nos penchants,
L'égoïsme, le vice et surtout les méchants.
Mais quand le jour viendra de la lutte finie,
Quand le monde ancien râlera l'agonie
Nous, vainqueurs, nous pourrons rompre alors sans danger
Le doux pain du pardon et vous le partager.

Le monostiche zutique est écrit après une terrible répression de la Commune à laquelle adhéraient Rimbaud, Verlaine et Ricard.
Je relève aussi pour "Paris se repeuple" ou "Le Forgeron" des expressions telles que "Calmes dans notre force".
Et voici un troisième vers à rapprocher du premier vers de "Monsieur Prudhomme" ! Décidément ! Je cite : "Qu'enfin il plaise à Dieu, père et mère des hommes" !
La métaphore de la marche est mise en résonance avec l'idée d'une providence voulue par Dieu : "Marchons à l'avenir ! marchons ! marchons sans crainte !"
Cinquième Motif. - Encouragements aux Poètes
Je pense à citer le développement au début de ce cinquième mouvement. Ricard oppose l'action à la voix, et fait de la voix un moyen supérieur. C'est intéressant à méditer dans la perspective du monostiche zutique de Rimbaud. On peut être tenté de se contenter d'y lire une réaction d'ironie désespérée : "L'humanité chaussait le vaste enfant Progrès." Mais Ricard parle bien lui-même des martyres, de ceux qui tomberont avant que le futur ne s'éclaire. Ce qui est intéressant, c'est de se demander ce que signifie le vers de Rimbaud quand ce qui est affronté est moins le mur physique de la répression sanglante du mois de mai que le silence des poètes après l'événement. J'en reviens à mon idée d'interroger la signification littéraire du monostiche par rapport à une page de contributions faisant étalage des dissensions au sein des poètes parnassiens. Ricard écrit ceci : "Vos livres immortels servent mieux l'avenir / Que la prompte action qu'on voit sitôt mourir. / Le glaive peut rabattre, alors qu'elle se lèvre, / La révolution qui se fait par le glaive, / Mais jamais des tyrans les arrêts n'ont proscrit / Les révolutions qui se font par l'esprit. [...] Est-ce' dans le présent que le poète règne ?" Ricard fait écho aux Châtiments de Victor Hugo pour la vérité comme lumière inextinguible et sa phrase interrogative fait partie de ses réussites ponctuelles.
Je cite ensuite un passage intéressant. Le poète qui cède face à l'injustice, et se tait pour avoir le succès de quarante éditions n'aura pas de lendemain, et on se demandera un jour qui il est, et je cite maintenant directement des vers qui sont parmi les plus proches de la parodie zutique et ils ont beaucoup de sens, je cite deux vers puis il y a un blanc, et je cite les vers qui suivent immédiatement, voulant cerner l'articulation entre les séquences du poème :

[...]
Car ta gloire, ô grand homme ! - amère destinée !
Naquit, grandit, mourut... dans une même année !

Le poète, aujourd'hui, méconnu trop souvent,
Marche vers l'avenir, d'un pas certain, mais lent,
Et la Mort enfin, juste et mère de la gloire
D'un laurier immortel couronne sa mémoire[.]
Sixième Motif. - Les trois Amours
Spontanément, je trouve les premiers vers de ce nouveau motif particulièrement mal écrits. Il a dû rédiger cela au fil de la plume après une relecture de poésies d'Amédée Pommier. Mais je me sens obligé de citer un emploi de l'adjectif "vaste" : "Ce saint et vaste amour qui vous élargit l'âme", il s'agit d'un amour pour la femme. Et seconde obligation, appuyée par la métaphore de la marche, je me dois de citer la métaphore des nouvelles générations en "nouveaux enfants des hommes" : "Mais, nous autres, nous tous, nouveaux enfants des hommes / Nous comprenons l'amour autrement, et nous sommes / Les premiers défenseurs de ce culte nouveau, / Dont le christianisme a bercé le berceau. / C'est nous qui, surgissant au sein de la tempête, / Marchons à l'avenir, sans que rien nous arrête, / Et crions aux mortels, aveuglés de courroux, / "Voulez-vous vous sauver ? aimez-vous ! aimez-vous !"
Notons que Ricard reprend le mot d'ordre chrétien "aimez-vous" et le refus du progrès qui semble rendre incertain le futur vient d'une réponse de haine qui punit ceux qui prônent l'amour. Telle est la dialectique exposée explicitement par Ricard au sujet de cette marche à l'avenir.
Septième Motif. - La nouvelle Foi
Nous avons droit à une prosopopée où le collectif des poètes dit à la femme : "Nous tous, nous sommes tous + les chantres de l'aurore ; / La Foi marche, mais n'est + pas arrivée encore[.]" La césure rejetant l'adverbe de négation "pas" fait songer au Hugo de La Légende des siècles si je ne m'abuse. J'ai souligné la première césure, mais là pour dénoncer le traitement cacophonique du premier hémistiche.
Là encore, ce septième motif est à comparer avec "Credo in unam" pour ses questions sur l'énigme de l'univers et sa réponse par "l'Amour". Ricard met en scène aussi ceux qui ne croient en rien et donc même pas à la marche à l'avenir comme Progrès. C'est forcément intéressant à relever, puisque le monostiche de Rimbaud à l'imparfait joue précisément sur cette idée de croire ou ne pas croire en fonction du résultat présent. Nous pouvons noter également le lien très fort du sentiment d'immensité au sentiment d'amour dans le recueil de Ricard, ce qui permet de nourrir la lecture de l'adjectif "vaste" employé par Rimbaud. Enfin, il y a des vers évidents à relever comme ceux-ci, où Ricard raille les tenants des anciens cultes morts : "Pleurez si vous voulez ; mais vous ne ferez pas / Qu'au chemin du progrès nous arrêtions d'un pas !"
J'hésite pour l'instant à commenter grammaticalement "chemin du progrès", chemin qui fait faire le progrès, ou chemin qui mène au progrès. Dans le cas du monostiche zutique, l'humanité se vêt du progrès pour avancer.
On sent qu'il n'est pas évident de dire que Rimbaud raille tout uniment la poésie de Ricard dans son monostiche. Toutefois, en arbitre impartial, il faut tout relever, et justement la suite donne une idée possible de raillerie, puisque Ricard dit que les anciens dieux sont tombés. Le monostiche de Rimbaud dirait par l'imparfait du verbe "chaussait" que le dieu Progrès est lui-même tombé : "Votre religion, formule du passé, / Suit le destin commun, aux cultes imposé[.]" Chacun vient à son tour interroger le "Sphinx de l'avenir". Ricard revendique son temps en disant : "Laissez-nous achever notre œuvre qui commence, / Et préparer, sous l'œil du Dieu de vérité, / L'épanouissement d'une autre humanité ! / Hourra ! nous triomphons, et le monde agité, / S'ébranle sous ces mots : Amour et Liberté !" Et ces mots sont invités à traverser "l'immensité".
Il me semble évident que Rimbaud ne s'est pas contenté d'une lecture superficielle du recueil de Ricard. Quand il écrit son monostiche, il est nourri d'une lecture bien digérée d'au moins le premier recueil poétique de Ricard, et aussi d'informations précieuses venant de l'ami Verlaine.

Huitième Motif. - Anathème sur la Jeunesse d'Aujourd'hui
Le huitième motif a peut-être une certaine importance pour notre monostiche zutique. Le mot "charogne" est répété à plusieurs reprise, avec une occurrence de "pourriture", ce qui impose à l'esprit l'allusion au poème de Baudelaire célèbre à l'époque. Le vers qui contient les mots "charogne" et "pourriture" ensemble est flanqué d'une note "(3)". Malheureusement, ça ne coïncide pas avec la section des notes placée en fin d'ouvrage, à moins d'une erreur de transcription (3) pour une note (4) où Ricard se reproche le trait trop appuyé de sa satire de la jeunesse. Je verrai cela ultérieurement, je ne peux pas tout faire à la fois. Ricard combat la prostitution et célèbre la valeur du mariage, ce qui ne correspond pas ici au discours de "Credo in unam" par exemple. Ricard dénonce une "jeunesse" "aux progrès opposée". Sans remise en contexte, ce n'est pas un discours limpide et clair. On confondrait presque Ricard avec d'un côté pommier et de l'autre Belmontet qui écrivait contre la "jeunesse dorée de 1845". Toujours dans la référence à Baudelaire, je relève ce vers aussi : "La mouche en bourdonnant chante tes funérailles[.]" Ricard s'inspire aussi de vers de "Bénédiction", pièce placée au début des Fleurs du Mal : "Punissez-moi, Seigneur, pour avoir enfanté / cette dérision de monstruosité !" Cela ne me semble pas du tout anodin dans la perspective d'une étude du monostiche zutique comme la sentence de deux adeptes baudelairiens (Verlaine et Rimbaud) contre la naïveté sur le monde de Ricard. Ricard nous offre ici un trimètre à la manière du théâtre hugolien, le trimètre étant plus dans la construction phrastique d'ensemble que dans la symétrie, bien qu'il se fonde partiellement sur un jeu de répétition : "Ainsi soit-il ! Ainsoi + soit-il ! / Mais toi, poète, / [...]" Et cela enchaîne par notre métaphore habituelle qui est vraiment ressassée platement dans ce recueil : "Marche à l'avenir, marche ! et lève haut la tête[.]" Et cinq vers plus loin, nous avons : "Marche ! marche ! en avant ! au bout de ton chemin, / Vois l'Idéal sourire et te tendre la main : / Marche ! marche ! en avant ! Moïse humanitaire ! [...] A la Terre promise ! en avant ! en avant !" Qu'on songe au "à Berlin" de juillet 1870. Le leitmotiv finit par sonner comme un appel un peu vain de la part de Ricard. A force de se répéter, le lecteur perçoit un maladroit effort d'autopersuasion.

Neuvième Motif. - Conclusion
Bien que justifié par l'idée du beau en religion, le concept de beau par un Ricard mis sur le terrain des poètes est employé maladroitement avec un inévitable effet de comique ou d'absurde : "c'est le beau qui nous guide" ! Mais citons tout de même ce début de neuvième motif qui permet par sa dissociation de l'amour et de l'Eden de constater que l'amour n'est pas à la fin, mais il est un moyen d'atteindre à l'avenir, ce qui permet de sous-entendre une identification du vaste enfant Progrès au dieu Amour dans le monostiche rimbaldien, hypohèse qui reste en tout cas à éprouver :

     Oh ! oui ! c'est le beau qui nous guide,
     Le beau qui, la nuit et le jour,
     Nuage et comète rapide,
     A travers le désert aride,
Nous conduit à l'Eden que nous promet l'amour.

[...]
Nous interrogerons la raison collective
    De l'immortelle Humanité.
Ricard développe une dialectique de l'âme universelle où outre que les crimes de lèse-humanité sont à vaincre, l'amour "Détruit et réunit les différents atomes" et dans l'immense univers le Vide et la Mort ne sont que des fantômes parmi les changements divers. Et la "loi du progrès" est définie comme suit : la mort naît de la vie, et la vie de la mort, tandis que le mal s'unit au bien, mais, "sublime promesse" : "Le mal, moindre toujours, s'affaiblira sans cesse : / Il n'en restera rien !"
Ce discours enflammé cache un optimisme peu philosophique. Le monde n'est pas parfait, il suffit de penser qu'il est dans le processus qui l'amènera à la perfection. Le raisonnement est un peu facile, et cela n'excuse pas les souffrances injustes du passé et du présent de toute façon.
On rencontre un nouvel emploi de l'adjectif "vaste" : "Mêle toutes les voix dans ta vaste harmonie !" Sachant que "toutes les voix" suppose "l'humanité", le rapprochement n'est pas vain.
Et le motif se termine sur le rappel du désir amoureux de l'homme qui cherche sa moitié avec un rejet d'un vers à l'autre "Tourné" à la manière de Chénier et Malfilâtre.
"As-tu tourné autour de la maison de la belle ?" il y a bien sûr une allusion solaire...


Je reprendrai la description de la Table des matières et des poèmes en vers dans une deuxième partie. A suivre !

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