Je me rends compte rétrospectivement du risque d'amalgame.
J'ai donc découvert sur le site Youtube le film La Planète fantôme de 1861. Je ne l'ai pas encore regardé en entier, ce à quoi je vais remédier dans la journée, avant tout risque qu'il ne disparaisse de la plate-forme internet.
Je constate la présence d'un autre lien. Il est mis à disposition soit comme ci-dessus par Cult Cinema classics, soit par Culture Tube. Je renonce à chercher les autres opportunité de voir le film sur internet.
Pourquoi parler de ce film ici ? Mon site porte sur les "painted plates", il m'est donc bien permis de parler de soucoupes volantes parmi les sujets rimbaldiens. Plus sérieusement, l'intérêt est de méditer sur l'approche des œuvres hermétiques. Et le film 2001, l'Odyssée de l'espace fait partie des classiques de l'hermétisme. Je n'ai malheureusement pas vu ce film depuis très longtemps, je le possédais en cassette VHS. Depuis l'ère du DVD, je l'ai revu en-dehors de chez moi. Le film de Kubrick a l'intérêt d'être une fable cosmique mystérieuse dont le sens intéresse forcément les gens de mon profil qui aiment à méditer sur "Voyelles" de Rimbaud, sur "Aube", etc. Et cela n'a pas manqué de m'arriver quand j'ai découvert ce film dans mon adolescence. Alors, on va tout de suite mettre les choses au point. Je ne considère pas des réalisateurs comme Kubrick, Hitchcock ou bien évidemment Spielberg parmi les meilleurs du cinéma. Il n'y a que quelques films de Hitchcock qui m'ont convaincu, et pas forcément ses titres les plus connus. Kubrick m'offre surtout un terrain de jeu pour ma manière d'approcher l'élucidation du sens dans les œuvres artistiques. J'ai des expériences de cinéma autrement bouleversantes avec Fellini, Kurosawa, Kalatazov, Cassavetes et même pas mal d'autres. Et, malheureusement, je ne suis pas à jour en cinéphilie. J'ai lâché l'affaire, tant je vis de manière précaire à la porte de ce monde.
Avant de parler du film La Planète fantôme, je rappelle les données du problème. Le film de Stanley Kubrick 2001, l'Odyssée de l'espace est inspiré d'une nouvelle écrite par Arthur C. Clarke The Sentinel. Plus précisément, Kubrick prendrait pour point de départ deux nouvelles d'Arthur C. Clarke, une intitulée "A l'aube de l'histoire" et l'autre "La Sentinelle". Je n 'ai jamais lu le premier récit et j'ai parcouru le second que j'ai quelque part en livre dans mes cartons. La nouvelle "A l'aube de l'histoire" n'a été publiée en traduction française qu'a posteriori en 1979, mais sa publication originale en anglais remonte à 1953, ce qui a son importance, vu que le film qui m'intéresse date de 1961. La nouvelle La Sentinelle est plus ancienne encore : composée en 1948, elle a été publiée en 1951.
Ces deux nouvelles sont suffisantes pour expliquer le cadre de 2001, l'Odyssée de l'espace et peuvent être envisagées également comme des sources au film La Planète fantôme lui-même, sources au sens large : les nouvelles attestent que des éléments du film La Planète fantôme ne sont pas des inventions du film, mais se déploient sur des lieux communs d'époque du genre de la SF spatiale américaine des années cinquante. En revanche, il faut se garder de penser que l'influence des deux nouvelles est sans reste sur Kubrick. Kubrick n'a pas adapté les deux nouvelles telles quelles, mais il a coécrit un scénario avec Arthur C. Clarke, et ce scénario est compris du seul Kubrick, puisqu'Arthur C. Clarke a écrit des suites à 2001, l'Odyssée de l'espace où il en escamote toute la dimension métaphysique peu facile à sonder (c'est le cas de le dire). Puis, Kubrick regardait les films de son époque, et pour des films de science-fiction il ne va pas s'appuyer sur des classiques intemporels du cinéma, il va forcément s'intéresser à la culture populaire. D'ailleurs, au plan des supports littéraires de Kubrick, ni Stephen King (Shining), ni Anthony Burgess (Orange mécanique), ni même Arthur C. Clarke ne sont de grands écrivains, à la différence de Nabokov (Lolita), Schnitzler (Eyes wide shut) et Thackeray (Barry Lyndon). Kubrick a eu envie de faire 2001, l'Odyssée de l'espace à partir aussi des lieux communs des films de série B dont fait partie La Planète fantôme. Et ces films ont l'immense intérêt de supplanter les nouvelles de Clarke pour ce qui est de l'influence visuelle et sonore !
J'insiste aussi sur un point de convergence.
Le film La Planète fantôme est sorti en 1961. Or, en 1963, Kubrick sort son premier film de science-fiction Docteur Folamour et il rencontre Arthur C. Clarke en 1964. Donc, même si le film 2001, l'Odyssée de l'espace date de 1968, sa genèse signifie qu'en 1863 et 1864 Kubrick a déjà toutes les idées en tête qui le déterminent à se lancer dans un tel projet, ce qui fait du film La Planète fantôme l'un des candidats chronologiques les plus sérieux au déclenchement du projet de Kubrick.
Evidemment, il va y avoir des coïncidences à écarter. Par exemple, dans le film La Planète fantôme, le héros s'appelle Chapman, ce qui pourrait entrer en résonance avec le nom Bowman du personnage principal de 2001, l'Odyssée de l'espace, sauf que Bowman est une déformation du nom du personnage historique, l'astronaute Frank Borman, lequel a effectué le premier "rendez-vous orbital" de l'histoire en décembre 1965 quand le tournage du film de Kubrick venait de commencer. Et "Bowman" avec la déformation "bow" pour arc assure une référence à Ulysse, puisque d'odyssée il est question.
Il faut dire aussi que les coïncidences vont concerner diverses oeuvres qui ont la même logique que le film La Planète fantôme, mais au moins j'ouvre la voie à toute une exploration à venir du rôle déterminant des films SF de série B sur la création de 2001, l'Odyssée de l'espace. En l'état actuel, l'influence de ces films est visiblement complètement sous-évaluée, au point qu'une prétention philosophique pontifiante aussi lourde que dérisoire est prêtée à Kubrick, alors que si les points de départ de la réflexion philosophique sont admis des ingrédients obligés des films de SF de série B, ça va considérablement changer la donne interprétative. Puis, il y a un autre point intéressant, c'est l'esthétique du film. On dit que le film 2001, l'Odyssée de l'espace est novateur. Et je dois avouer que ce n'est pas ce que je ressens, je trouve au contraire ce film énormément daté et à le trouver daté cela veut dire que loin de le considérer comme une rupture je trouve bien au contraire qu'il se fond dans la masse des films SF ou d'héroïque fantaisie des années 1960, même les films de dinosaures avec Raquel Welch ou Jane Fonda, etc. On dit que Kubrick a voulu éviter le décor de cartons pâtes des films de série B, mais le résultat est pour moi mitigé. Certes, on ne voit pas du carton pâte, mais c'est du pareil au mien. Kubrick reprend les formes géométriques minimales et le dépouillement des décors de SF. Alors, ça peut avoir un usage symbolique vu le sujet de la perte de l'homme solitaire dans l'infini spatial uniforme et monotone, mais quand même, ça fait "cheap" les décors spatiaux de Kubrick. Et ça pose le même problème de crédibilité. Dans les films de SF, le problème n'est pas que les décors soient en carton et qu'il faudrait au moins les remplacer par du métallique pour faire plus sérieux. Le problème, qui est celui aussi de La Planète fantôme, c'est qu'on est censé adhérer à cette vision candide d'humains partant à la conquête des planètes éparpillées dans l'univers au moyen de vaisseaux qui font la taille de pas plus de trois bus on va dire et on a des clampins assis dans des fauteuils qui ne ressemblent à rien, avec devant eux des tableaux de bord à la découpe la plus rudimentaire qui soit avec des gros boutons et en guise d'écrans quelques cercles et carrés. C'est assez ridicule et peu immersif. Je n'ai pas l'impression que Kubrick soit véritablement sorti de cette dimension "cheap" du SF au plan symbolique. Pour moi, il n'a pas résolu le problème. Notons que Leiji Matsumoto avec les dessins pourtant souvent sommaires de son manga Albator réussissait à donner une poésie fascinante à ces poncifs de décor SF par le clair-obscur, la surabondance et quelques idées oniriques. Kubrick m'a surtout l'air d'avoir enlevé le plus possible les boutons et les écrans, mais la sobriété n'est pas une réponse satisfaisante selon moi au problème posé.
J'en reviens au film La Planète fantôme. Si j'ai cité Leiji Matsumoto et Albator, c'est parce que la poésie très particulière du texte sur les premières pages du manga Albator est clairement héritée des modèles clichéiques du cinéma américain de SF dont La Planète fantôme donne une illustration, en sachant qu'on passe de la vision humble de l'homme à une vision de l'homme qui s'affirme (Albator). Kubrick va poursuivre sur un autre mode l'idée de l'homme se trouvant une fierté sans se laisser complètement écraser face à l'infini.
Le film La Planète fantôme débute donc par un exemple type de discours pseudo philosophique, genre l'ère du Verseau après le risque nucléaire. Notez bien ce début paradoxal. La fission nucléaire a favorisé la rapide conquête spatiale en quelques décennies !
Je retranscris la version française audio du film (les sous-titres offrent un texte légèrement distinct, éventuellement plus fidèlement traduit de l'anglais) :
9 (Tout est OK), 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1, mise à feu ! Depuis la fission de l'atome il y a quelques décennies, et grâce au génie scientifique dont il est doué, l'homme a enfin pu s'aventurer de plus en plus loin dans la vaste étendue de l'espace. La Lune est devenue une base de lancement pour l'exploration spatiale. Ce point de pivot a vu les astronautes risquer leurs vies pour conquérir les frontières mystérieuses de l'espace. Mais beaucoup de questions restent encore sans réponse. Que représente la Terre par rapport à un nombre inconnu d'autres mondes ? Est-ce que l'homme est réellement le plus rapide ? Est-ce que ses exploits sont les meilleurs ? Ou est-ce qu'il est simplement à la dérive dans l'énorme océan de l'univers ? Y a-t-il des formes de vie qui ressemblent à la nôtre sur d'autres planètes ? Est-il possible que les conditions atmosphériques de ces planètes déterminent leurs formes ? Ou peut-être est-ce le contraire et que leur niveau d'intelligence dépasse de loin celui de l'homme ? Que nous révélera le futur ? Nous ne sommes encore qu'au début de l'aventure.
Il faut évidemment apprécier ce texte en regard des images, car cette superposition intéresse le rapprochement avec 2001, l'odyssée de l'espace. Je donne d'ailleurs la version alternative de ce texte, car certaines différences des sous-titres ont retenu mon attention. La bande audio date forcément des années 1960, je pense que les sous-titres sont plus scrupuleusement fidèles au texte original :
9 (Tout est OK), 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1, 0 ! Depuis la fission de l'atome il y a quelques décennies, et le génie scientifique qui lui a été donné par Dieu, l'homme a enfin pu pénétrer plus loin dans la vaste étendue de l'espace. La Lune est devenue une base de lancement pour l'exploration spatiale. Ce point pivot a vu les astronautes risquer leurs vies pour conquérir les frontières mystérieuses de l'espace. Mais beaucoup de questions n'ont toujours pas de réponse. Que représente la Terre par rapport à un nombre inconnu d'autres mondes ? Est-ce que l'homme est réellement le plus rapide ? Est-ce que ses exploits sont les meilleurs ? Ou est-ce qu'il est simplement à la dérive dans l'océan de l'univers ? Y a-t-il des formes de vie [ ] sur d'autres planètes ? Est-il possible que les conditions atmosphériques de ces planètes déterminent leurs formes ? Si oui, seraient-ils des géants ? Ou l'inverse serait-il possible ? Peut-être que leur niveau d'intelligence dépasse de loin celui de l'homme ? Que nous révélera le futur... si l'histoire que vous allez voir n'est que... le début...
Les variantes ont une conséquence considérable. L'intelligence a été donnée par Dieu, ce qui permet de récolter un lien cliché avec l'hypothèse selon laquelle le monolithe divin fait progresser en intelligence l'humanité dans le film de Kubrick. La traduction française d'époque a gommé un point d'ancrage culturel capital pour la compréhension du film. Elle a aussi gommé la référence au Voyage de Gulliver, référence qui ne sera pas perdue puisque le film joue sur l'idée de différence de taille entre les formes intelligentes dans l'univers où au début Chapman est un peu le géant Gulliver chez des lilliputiens. On perd aussi pour la banalité "Nous ne sommes qu'au début de l'aventure" la frappe philosophique très particulière de l'espèce de bégaiement : "Que nous révélera le futur... si l'histoire considérable que vous allez voir n'est que... le début..."
Déjà, pour analyser la genèse de 2001 l'Odyssée de l'espace, les francophones partaient avec un énorme handicap. Ils n'avaient pas accès aux récits de Clarke et ils avaient des traductions biaisées des films de référence SF d'époque. Sans surprise, comme même les anglophones ont été incompétents, en 2024, c'est le francophone David Ducoffre qui coiffe tout le monde sur le poteau.
L'introduction du film avec cette voix off qui déroule le texte que je viens de vous transcrire en deux versions dure une minute trente.
Sans hésiter, je cite le logo des premières secondes. L'espèce de coupole ovale du Capitole de Washington avec une sorte de forme de carpette qui le maintient en suspension en l'air, avec un fond de ciel où rares et légères bandes planes de nuages effilochées, ce qui a du sens pour le film lui-même et pour sa bande intro précisément où à une minute trente on a un glissement d'un rond de soleil au rond du combustible s'échappant de l'arrière-train rond de la navette spatiale.
Nous enchaînons avec des images volontairement confuses qui accompagnent un compte à rebours de décollage de fusée, sauf que la mise à feu révèle non un décollage de fusée, mais l'explosion d'un champignon atomique, reprise d'images authentiques d'époque. Et sans transition, la voix off explique que c'est grâce à la fission nucléaire et à son génie scientifique, don de Dieu, que l'homme a pu conquérir l'espace. Je rappelle que le film 2001 l'Odyssée de l'espace est célèbre en particulier pour un enchaînement symbolique radical, l'os que le primate utilise pour frapper et tuer est lancé en l'air où il tournoie et il est soudainement remplacé par un vaisseau spatial sur un fond musical apaisant et raffiné Le Beau Danube bleu. Kubrick pour ce fondu enchaîné semble s'être inspiré du film Lawrence d'Arabie avec le passage d'une allumette à un soleil, mais il y a rajouté l'ellipse temporelle saisissante. Or, si le film La Planète fantôme n'exploite pas la technique du fondu enchaîné, il est dans l'idée plus proche du film de Kubrick que le film Lawrence d'Arabie et son paradoxe est tout aussi percutant : la fission nucléaire destructrice est la condition du progrès de la conquête spatiale selon la conception propre à ce film. Et puis, nous avons finalement une construction symétrique inverse du film de Kubrick. Au lieu d'avoir la succession destruction par une arme et progrès de la conquête spatiale, nous avons un compte à rebours où une image d'explosion nucléaire remplace l'image attendue de la fusée.
En clair, soit Kubrick s'est directement inspiré de ce film-ci précisément, soit il s'agit d'un cliché de films d'époque dont ce film n'offre qu'un exemple, mais dans tous les cas la dette de Kubrick relève déjà de l'évidence. Ce n'est pas tout, l'introduction du film La Planète fantôme est saisissante d'intérêt pour comprendre l'articulation entre les deux premiers et consécutifs films de SF de Kubrick que sont Docteur Folamour et 2001 l'Odyssée de l'espace, puisque nous avons la succession d'une image dramatique de la fission nucléaire et puis une exploration spatiale. L'explosion nucléaire, c'est le sujet et l'apothéose de Docteur Folamour.
La Lune, comme base de lancement, c'est un cliché déjà présent dans les récits de Clarke, mais ce film-ci continue de converger avec le projet de Kubrick, soit dit en passant.
Vu le côté dérisoire de la distance de la Terre à la Lune par rapport à la traversée de l'univers d'étoile en étoile, on peut penser que la Lune permet de supporter l'impact nucléaire des propulsions d'engins spatiaux.
Sur une musique genre de harpe, le texte est accompagné d'images cosmiques oniriques avec le savoir-faire d'époque. C'est exactement les méditations vagues et les images oniriques du film de Kubrick, à ceci près que Kubrick a un côté traitement au cordeau qui fait moins poétique quoique plus abouti techniquement.
Je passe sur les détails. Après plusieurs formes de nébuleuses qui glissent sur le côté de l'écran et après une sorte d'agrandissement décentré de l'image qui zoome de côté sur un fourmillement de points lumineux, on a enfin au moment où la voix off dit "que nous révélera le futur..." une image saisissante où un soleil est au centre avec quelques astres sphériques autour et puis précisément un fondu enchaîné où la boule lumineuse qu'est l'étoile est remplacée par l'image d'une fusée vue de derrière superposée à la vision d'une masse sphérique moins lumineuse, l'étoile ayant sans doute été remplacée par une planète.
Bref, encore une image qui anticipe le fondu enchaîné célèbre de l'os devenu vaisseau dans 2001, et cette image anticipe aussi l'alignement Terre Lune Soleil sur la musique d'Ainsi parlait Zarathoustra. Je n'ai jamais bien compris la célébrité de cet alignement d'une grandiloquence un peu vaine dans le film de Kubrick, mais il s'inspire clairement de ce passage nettement mieux articulé symboliquement du film La Planète fantôme.
Et enfin, quand la voix off dit que le futur est mystérieux parce que ce film tout entier n'est peut-être lui-même qu'un début, cela fait nettement écho aux visions cosmiques de Bowman à la fin du film 2001 l'Odyssée de l'espace. Et cela fait écho à son idée de regard ouvert sur le futur avec le retour à l'état d'embryon qui s'étonne...
Il n'y a personne qui a envisagé de tels rapprochements dans les écoles de cinéma ? Non, mais, vous faites quoi de vos vies ? Vous êtes des passionnés ? Et les déclics cérébraux, pourquoi vous ne les avez pas ? Ce film La Planète fantôme, il se retrouve à plusieurs reprises en français sur Youtube, il y a bien des gens qui l'ont regardé en anglais et en français et qui sont des fans du film de Kubrick ? Pourquoi je n'ai jamais entendu la moindre citation de ce film comme source à 2001, l'Odyssée de l'espace ?
C'est hallucinant !
Donc, après une minute cinquante, la fusée remplace le soleil, on la voit de derrière, puis on la voit de côté traverser l'écran de droite à gauche, longiligne... Et on enchaîne avec l'image de l'intérieur d'un tableau de bord. On salue Leiji Matsumoto qui va transformer ces images assez plates en poésie.
Ces tableaux de bord font très kitsch, bien sûr, mais n'oublions pas de rester concentrés. D'accord, ce film, c'est du divertissement, mais nous on n'est pas là pour jouer à la dînette, on analyse de l'art, de la mise en scène, de la profondeur esthétique, et donc ce qu'on remarque d'emblée c'est que l'humain n'est pas introduit organiquement, en tant qu'être vivant, après l'image extérieure de la fusée, l'homme est dans l'image de cette création technique d'écran et de boutons qui permettent la navigation spatiale. Et on a un avant-goût par ce tableau mécanique de l'idée du robot de l'Odyssée de l'espace, avec ces belles images sphériques du tableau de bord...
Oui, l'esthétique de Hal est née de cette image de tableau de bord à 1 minute 57 dans le film La Planète fantôme, vous venez d'assister à deux minutes de film d'une influence séminale considérable sur la genèse de 2001 l'odyssée de l'espace.
Hé, les rimbaldiens, vous comprenez que vous ne faites pas le poids face à moi ? Vous imaginez que Claisse et les autres qui m'ont pris un tant soit peu au sérieux, ils ont passé leur temps à me citer à la marge et le moins possible. La lecture de "Voyelles" par David Ducoffre, oh non, moi, je ne veux pas m'engager, je n'en parlerai pas. Oh ! David Ducoffre, je ne le cite jamais, mais je ne suis pas d'accord avec lui, je vais l'écorner un petit peu sur ce détail où il m'a l'air bancal. Oh ! moi Bruno Claisse, je ne cite David Ducoffre que parce qu'il permet de taper sur André Guyaux à propos du monostiche de Ricard, mais je ne vais pas le citer pour aucun poème des Illuminations, je veux que les gens pensent que je me dois tout à moi-même, y compris pour l'intertexte de Leconte de Lisle dans "Soir historique" que je dois à Ducoffre pourtant et qu'il avait mentionné sur le forum du site "Poetes.com" avant ma publication. Ho, on va s'amuser à refaire le déchiffrement de "L'Homme juste" en développant des inepties sans nom. Oui, on n'est pas sûrs pour "ou daines", ni pour "autels", il pense ça, mais on s'en fout de lui, il n'est pas important. Oui, nous ne l'accepterons que pour après le temps de nos propres publications.
Mais vous vous en rendez compte du spectacle de vous-même que vous donnez ? Et ce n'est pas la peine de dire que moi je me donne en spectacle, parce qu'évidemment que de là où j'en suis je n'hésite même pas à me donner en spectacle pour rendre vos manèges encore plus ridicules...
Vous êtes nuls, et c'est vraiment inquiétant.
Vous publiez avec votre petite fierté, et vos magouilles pour éviter de me citer c'est exactement ce qui vous fait passer pour des crétins. C'est malin... Je vous l'ai dit mille fois qu'il faut assumer de citer favorablement ce qui est bon. C'est votre garantie d'honorabilité qui est en jeu, vous ne voulez pas le croire, mais arrêtez de pleurer ! Quant à dire de vous que vous êtes des gens passionnés, mouais, j'ai d'énormes doutes sur toutes vos sensibilités respectives, d'énormes...
Allez, on reprend, après les deux minutes spectaculaires de balade cosmique, on a une scène extrêmement mal jouée à mon sens où deux astronautes à bord d'un vaisseau nommé Pégase font un rapport radio sur leurs positions spatiales et les incidences ou non incidences de leur voyage en navette. Je note la très belle superposition tout de même quand devant une sorte d'écran radar sphérique l'astronaute précise que le robot effectue les calculs ("calculées par l'ordinateur de bord"). Les astronautes se réjouissent de revenir sur la Lune, donc la rencontre mystérieuse ne se fait pas loin dans l'univers, mais tout près de la Lune elle-même. Ainsi, un danger apparaît soudain, la navette dévie de sa trajectoire, elle est attirée par une force gravitationnelle inconnue pour dire vite et les astronautes aperçoivent enfin ce qu'ils appellent un OVNI, mais au sens neutre d'objet, pas au sens de soucoupe, et cet objet s'approchant d'eux ils vont entrer en collision. Les astronautes tentent des manoeuvres désespérées pour éviter la catastrophe, avec un jeu d'acteur presque aussi désastreux que le premier film de La Guerre des étoiles. Ceci dit, même si les images font sourire, on a un objet qui a la forme longue d'un astéroïde plutôt rectangulaire, il a plein d'aspérités, mais on dirait une table volante quelque part. Il a la forme allongée d'un vaisseau non ergonomique. Bref, c'est le corps minéral d'un monolithe doré en position couché. Kubrick opte pour le rectangle noir redressé, sachant qu'il est question de pyramide dans la nouvelle de départ de Clarke. Je précise aussi que l'apparition de l'astéroïde doré se fait sur un écran du tableau de bord, ce qui en renforce l'aspect symbolique transcendant.
Le tremblé de l'image raconte la mort par collision, mais on peut en faire aussi le point de départ de l'inversion du film de Kubrick. J'ajoute que lorsque les hommes approchent le monolithe dans 2001 il subissent un bruit assourdissant qui crée cette prescience de mort des images de la fin de l'ouverture de La Planète fantôme.
Nous venons de passer les quatre minutes d'ouverture du film de 1961, le générique d'introduction y succède. Voilà, quatre minutes qui ont profondément capté l'attention de Kubrick avant qu'il ne ponde 2001, l'Odyssée de l'espace.
Après le générique où j'ai été frappé par la présence précoce du nom japonais "Kinoshita" pour l'américain Robert Kinoshita, nous avons une scène toujours aussi mal jouée, mais peut-être que la version française aggrave cette impression, où un haut gradé se pose des questions sur les disparitions récentes et donc sur les deux hommes tués dans la scène d'ouverture du film. Ici, mais je ne sais comment bien vous l'expliquer, suivront uniquement ceux qui ont un tant soit peu de niveau, nous avons une scène qui me fait nettement songer que Kubrick a gardé ce genre de scène avec une base centrale en vase clos où on s'interroge pour le film Docteur Folamour. Il est sensible que dans 2001 l'odyssée de l'espace la scène de base centrale sur la Lune est assez courte et reste même empreinte d'un sentiment de vie où la parole n'est pas remuante et expansive, quand bien même nous avons des scènes d'échanges familiaux par caméras interposées.
Le mal est carrément identifié à une planète, avec une blague qui passe mal "vous n'êtes pas un peu vieux pour ça ?" Je rappelle que le film nous explique que nous ne sommes que quelques décennies après notre monde (2048 pour 1961 si je ne m'abuse) et justement les progrès ultra optimistes de la conquête spatiale ne collent pas avec la logique de la blague, mais peu importe, passons. On a l'idée d'un événement pas ordinaire, fantastique, et j'insiste sur le mot "fantastique", puisque la science-fiction ne relève pas exactement du fantastique, bien qu'elle s'y connecte aisément et naturellement. La mise en intrigue est quelque peu similaire entre les films de 1961 et 1968. La différence, c'est qu'en refusant de donner des éléments de réponse le film de Kubrick demeure dans une perspective métaphysique et aussi dans le fantastique en tant que tel, alors que le film de 61 à départ métaphysique "Que révélera le futur... ?" va apaiser le sentiment d'étrangeté pour le spectateur en le faisant entrer dans les codes d'un film de science-fiction de rencontre entre deux mondes aux intelligences évoluées, tout en demeurant dans une sorte de discours philosophique sur les sociétés humaines. Notons aussi une opposition entre philosophie de l'individu et philosophie des sociétés entre les deux films.
Chapman et un collègue sont envoyés donc à leur tour pour enquêter sur ce qui s'est passé. Une avarie touche leur vaisseau, ce qui a son équivalent dans le film de Kubrick. On rigole de la naïveté du film. On voit un vaisseau spatial qui progresse puisque l'espace défile. Les deux astronautes marchent sur le bord du vaisseau pour le réparer pourtant, ce qui ne se conçoit même pas sur un bolide terrestre. Le jeu des acteurs est toujours aussi discutable, puisque Chapman censé être évanoui est poussé par son collègue à l'intérieur de la cabine en marche arrière, sauf que Chapman exécute lui-même les pas nécessaires pour renter à l'intérieur du vaisseau. Ce qui est frappant dans la suite immédiate du film, c'est qu'un objet dans l'espace heurte le collègue qui du coup se retrouve projeté dans l'espace (ils n'étaient même pas attachés à la navette, genre alpinistes). Le gars tombe dans le vide cosmique encadré par la porte. Normalement, le vaisseau file à vive allure, puisqu'on a vu le vaisseau tanguer tout au long de leur sortie. Ce qui est intéressant, c'est que c'est un moment de vide et de silence qui correspond là encore à une scène connue du film de Kubrick, et on se rend compte que toute l'atmosphère silencieuse du film de Kubrick est finalement née des codes du film de SF, il y a un rythme du silence, il y a des ralentis du mouvement des corps, il y a un dépouillement des décors, dans ce film de 1961.
Enfin, Chapman qui se réveille désormais seul subit un atterrissage forcé en entrant en contact avec le fameux OVNI, l'espèce de planète rectangulaire dorée et minérale. Un peuple d'hommes miniatures surgit apeuré et vient le voir, et après quelques minutes d'une allusion évidente à Gulliver Chapman rétrécit dans son costume de cosmonaute (son casque brisé, il a respiré l'atmosphère du lieu, voilà pour l'explication) et il est capturé par ces hommes dont il a pris à son tour les dimensions.
La scène avec le casque en gros plan est accompagnée de visions et fait nettement écho à la scène de 2001 où Bowman visage en gros plan sous son casque a des visions lumineuses infinies qui défilent dans son esprit et il connaît l'équivalent d'un rapetissement, puisqu'il devient embryon, après un passage non pas par une société fruste en habillement, mais par du décor très distingué du dix-huitième siècle. Suit une scène de procès de prime abord ridicule, mais son ridicule est atténuée quelque peu par des explications faites a posteriori : dommage qu'on ait le temps de se sentir sortir du film, tant le sentiment d'incohérence est mal géré.
Bref, je dois encore regarder tout le reste du film. Je m'arrête là, mais vous avez déjà une mise en place conséquente pour comprendre que 2001 l'odyssée de l'espace doit plus à La Planète fantôme qu'à sa source déclarée et évidente du côté de Clarke. Et si vous êtes lents de la comprenette, je vous précise que Kubrick a eu une idée du film qu'il voulait faire avant de porter son choix sur des nouvelles de Clarke qui pouvaient s'y prêter, mais peut-être que j'en demande trop à vos intelligences plafonnées...
A part ça, je vais publier un article sur les poésies d'Auguste de Châtillon. Le recueil a été publié à trois reprises et sous des titres différents de 1859 à 1866 en gros, avec des ajouts. Il contient dès le départ une préface de Théophile Gautier. Une remarque subtile à faire. Gautier propose dès la préface de lire de préférence certains poèmes à d'autres. Il cite donc un ensemble de poèmes par leurs titres. Bien sûr il cite le poème de la Levrette en paletot et le poème de "La Grand'-Pinte", titre qui varie en "A la grand'-pinte". Un fait amusant à observer, c'est que si on lit tout le recueil lui-même les liens à Rimbaud ne sauteront pas autant aux yeux, seront plus diffus, alors que si on lit l'anthologie fixée par Gautier ça devient tout de suite plus remarquable.
Et Rimbaud, si jamais il a lu l'un ou l'autre recueil de Châtillon, il a forcément dû évaluer l'anthologie proposée par Gautier, il a dû voir que c'était l'ensemble des poèmes de référence de cet auteur.
Je ferai un article plus peaufiné, mais c'est fasciné. La Levrette en paletot c'est la voix d'un poète miséreux jaloux qu'une levrette soit habillée d'un paletot, c'est l'inverse de l'abandon bohémien du paletot pour se retrouver libre et nu dans un sonnet célèbre de Rimbaud, datant probablement d'octobre 1870, et je crois que c'est dans "La Levrette en paletot" qu'on a aussi une mention tout de même rare du "ferblanc" à la rime, ce qui fait écho à un autre poème de nudité de 1870 de Rimbaud "Vénus anadyomène" (27 juillet 1870), et j'en arrive alors aux "Effarés" (22 septembre 1870). Le poème "Les Effarés" est composé de sizains d'octosyllabes avec une alternance de vers de quatre syllabes (vers 3 et 6 de chaque sizain). Le poème "La Grand'-pinte" est composé de la même façon. La différence, c'est que Châtillon offre une présentation en sizains, alors que Rimbaud imite Hugo, Verlaine, etc., contre l'avis à venir de Banville, pour une présentation en tercets.
Je remarque que plusieurs éléments du texte de "La Grand'-pinte" ont l'air d'avoir inspiré l'écriture des "Effarés", et pour les grillons ils sont présents si je ne m'abuse dans le poème terminal du recueil de Châtillon, version de 1866 en tout cas.
Je ferai ultérieurement tous les rapprochements nécessaires avec "Les Effarés".
Ce n'est pas tout. Châtillon est un poète du cabaret. Le poème "La Levrette en paletot" est célèbre notamment pour son parlé oral à la syntaxe particulière. Et le poème "La Grand-pinte" est la pièce la plus célèbre de Châtillon, mais aussi le plus parfait exemple de cette prétention à une poésie de cabaret. Rimbaud a écrit toujours à la même époque des "Effarés", de "Ma Bohême", les deux sonnets "La Maline" et "Au cabaret-vert" (octobre 1870), et surtout qu'on songe encore à ce vers étonnant du poème "Larme" : "Effet mauvais pour une enseigne d'auberge !" A plusieurs reprises, il est question d'enseigne d'auberge où le poète fait son effet dans les poésies de Châtillon.
Je trouve que décidément il y a de quoi faire un dossier remarquablement étoffé.
Je parlais récemment du cas de Charles Coran.
Au fait, vous prenez la lettre dite "du voyant" du 15 mai 1871 à Demeny. D'ailleurs, dans une anthologie célèbre de fin de siècle, nous avons une suite marrante : Demeny, Grandet, Siefert, à moins qu'il ne faille remplacer Grandet par Coran ou Châtillon. Sur le coup, j'ai oublié, mais peu importe. Donc, dans la lettre à Demeny, vous remarquez que Coran est un des premiers cités, un des premiers qui vient à l'esprit de Rimbaud, alors que les noms vraiment en vue vont venir seulement plus loin. Donc, Rimbaud avait des idées claires sur Coran et Grandet (Barracand) pour les citer dans la foulée d'Armand Renaud, même si ces deux noms ont l'air d'être dérisoires pour étudier les sources de Rimbaud.
Châtillon a été préfacé par Gautier et on sait que Rimbaud tient énormément compte de Gautier vu que nous avons le néologisme "vibrements" dans "Voyelles", poème contemporain et proche des "Mains de Jeanne-Marie" qui parodie "Etudes de mains" de Gautier.
Sinon, je lis aussi Nerval, remarquez que je suis du genre à rêver du rapprochement de "Cela commence par le désespoir et cela finit par la résignation" de la grandiloquence d'emploi du même moule grammatical dans "Matinée d'ivresse" : "cela commence... cela finit..." Je suis sûr qu'il y a une source à débusquer à ce sujet.
Enfin, bref, les nullos et les craignos, joyeuses cloches !
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La nouvelle photographie de Rimbaud ?
Je m'en fous, je remarque qu'on en trouve plein et sans arrêt en ce moment. Je n'y crois pas du tout bien sûr, d'ailleurs je n'identifie jamais clairement le visage de Rimbaud, mais au moins l'article viennois m'a beaucoup plu.
Post scriptum :
J'ai pratiquement terminé de voir le film. Il n'y a plus rien à prendre dans la suite du film, encore qu'il me reste dix minutes de visionnage. C'est marrant comme on a un basculement d'un film à la métaphysique préparant le terrain à 2001 à un film à sensations d'ailleurs très incohérent.
La fin est ouverte dans le sens où on peut se poser des questions sur ce qu'il s'est passé dans le contact entre le solarite et la retonienne muette Zetha...
Cerise sur le gâteau, l'actrice Colleen Gray qui joue Liara jouait cinq ans auparavant dans L'Ultime razzia de Kubrick, ce qui me rappelle que j'ai repéré un film qui correspond à un remake invisible de prime abord de L'Ultime razzia, mais faut que je retrouve ce film dans ma mémoire.
Je maintiens bien évidemment l'importance pour Kubrick des trente ou quarante premières minutes du film... Bien évidemment. J'ai arrêté mon visionnage cette nuit quand j'étais sûr d'avoir l'essentiel, c'est le début du film qui a retenu l'attention de Kubrick.
Et pour les rimbaldiens, je rappelle deux écueils. Même s'ils pourraient se dire que dans la balance ils ont un quota de bons articles, c'est le fait de ne pas reconnaître les travaux intelligents qui restent leur problème. Et dans la foulée, il y a un deuxième problème, c'est qu'ils conçoivent désormais irrémédiablement la recherche rimbaldienne comme une perspective tronquée en fonction d'impératifs peu glorieux qui n'ont rien à voir avec l'amour de l'art. Echec et mat, ai-je envie de dire pour me faire comprendre, mais nous sommes tellement au-delà de l'échec et mat en vérité...
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