lundi 15 avril 2024

Ma Bohême et L'Impossible 1870-1873

Le dernier article sur Châtillon a eu un certain succès, mais j'en reviens déjà à Une saison en enfer. Je recevrai d'ici quelques jours le nouveau numéro de la revue Parade sauvage (il faudra éventuellement que j'achète un jour le précédent). Je suis très curieux des articles de Cornulier sur "Les Chercheuses de poux" et de Rocher sur "Oraison du soir", et je me demande si le premier fera quelque chose de la référence à Catulle Mendès et à une nouvelle de 1868 que j'ai identifiée comme source, puis si le second parlera des réécritures de vers de Baudelaire. J'ai pris la peine d'indiquer le squelette de ces liens dans un article de la revue Rimbaud vivant qu'en principe le milieu rimbaldien n'est pas censé ignorer. Il sera question aussi de "Vénus anadyomène" et des "Douaniers", mais l'article que j'attends le plus ensuite est celui d'Antoine Nicolle sur la lecture de "L'Eternité" et sa falsification en 1873. Il s'agit d'un grand débat classique des rimbaldiens et d'un point important de l'analyse d'Une saison en enfer. Rimbaud cite des poèmes en vers qu'il a composés comme des exemples de délires à ne plus recommencer, sauf que dès 1870, sinon dès 1871 "Les Soeurs de charité", etc., Rimbaud a déjà tendance à ne pas se montrer dupe de la pose visionnaire de sa pratique poétique, et les "Fêtes de la patience" ont des développements comparables à ceux tenus dans Une saison en enfer. Alors que la question ouverte classique consiste à dire que Rimbaud a soit voulu faire une anthologie faussement critique, soit a enlaidi ses poèmes pour mieux les critiques, l'article de Nicolle annonce la seule voie résolutive du problème : quel est le sens en contexte des modifications et quelle est la relation des vers de 1873 au discours tenu en prose ? On verra ce que cela donnera. L'idée de Nicolle, c'est que Rimbaud ne critique pas les poèmes de 1872, mais les transforme en carcasse critiquable pour faire passer les idées à défendre dans la revue en prose qui les accompagne. Ce n'est pas limpide dit ainsi, nous verrons bien.
J'ai fait énormément progressé les études rimbaldiennes sur la compréhension de la prose liminaire, de "Mauvais sang", de "Nuit de l'enfer", de "Vierge folle" et de "Adieu", en particulier ces derniers mois. Et j'ai aussi fixé l'importance de la référence à Desbordes-Valmore pour "Larme", poème contenu dans "Alchimie du verbe", avec en prime l'allusion possible à la logique d'enseigne de cabaret des poésies d'Auguste de Châtillon. J'ai montré ce qu'il fallait penser du salut à la beauté à la fin de "Alchimie du verbe", mais en effet, en ce moment, les dernières difficultés à abattre c'est la relation réelle de Rimbaud à ses poèmes de 1872 en écrivant Une saison en enfer et enfin la cohérence du récit "L'Impossible" qui est particulièrement retors et elliptique, et résoudre les difficultés de "L'Impossible" serait prendre un bon pour résoudre les dernières difficultés de lecture de "L'Eclair", si pas sur les "vingt ans", du moins sur l'articulation narrative qui fait penser du travail à la mort.
Et justement, je vais soulever une réflexion au sujet des premières lignes du récit "L'Impossible" dans le présent article.
Je prends le livre d'Alain Vaillant sur Une saison en enfer (Champion, 2023) à la page 119 où commence son analyse de la section "L'Impossible". Et je relève le discours suivant :
   Une fois terminés les deux Délires, le moment autobiographique de la Saison est passé ; celle-ci redevient ce qu'elle est essentiellement, un mixte absolument unique de récit d'apprentissage et de drame métaphysico-religieux. Donc, non seulement il ne sera plus question, sauf de façon  très allusive, de la liaison avec Verlaine, mais pas davantage, ce qui est plus remarquable, de poésie. La poésie a été à peine évoquée à travers deux formules du Prologue ("l'absence des facultés descriptives ou instructives" et les "quelques petites lâchetés en retard") ; elle a été analysée en détail dans "Alchimie du verbe" ; mais elle est absente partout ailleurs : la poésie ne constitue absolument pas le sujet principal de la Saison, qui n'est qu'une interrogation - longue, angoissée, violente, compulsivement répétée - sur le sens qu'un sujet (Rimbaud lui-même?) cherche désespérément à donner à sa vie.
Je passe rapidement en revue les affirmation impromptues. Il ne sera plus question de Verlaine, nous dit Vaillant, comme si "Vierge folle" était un récit autobiographique simplement travesti. Il suffit de remplacer l'inutile et injurieuse mention "Vierge folle" pour comprendre le récit. Notez que les rimbaldiens ont une autre tendance à déformer les acquis de la lecture. La "pénétrante caresse" prouve qu'il est question d'un acte sexuel entre l'Epoux infernal et la Vierge folle, mais les rimbaldiens la citent désormais comme une preuve que le récit parle d'homosexualité. Non ! Même si on comprend entre les lignes qu'il y a une transposition du vécu des deux poètes et donc l'indice qu'ils avaient des relations sexuelles, le récit en lui-même demeure celui du couple hétérosexuel de la Vierge folle et de l'Epoux infernal. Ce qui est prouvé, c'est que Rimbaud parle de relation sexuelle, et non pas d'un amour platonique entre deux visions de l'âme qui seraient figurées en vierge folle et époux infernal.
L'idée d'autobiographie est confondue avec l'idée d'un récit sur le passé, mais les décisions pour le présent prises dans "L'Eclair", "Matin" et "Adieu" sont tout aussi autobiographiques. Je ne ressens pas ce besoin d'exclure leur appartenance à un régime autobiographique, et je trouve assez curieux que certaines parties soient considérées comme des confessions autobiographiques au premier degré quand on met en doute que le récit parle de l'évolution de l'auteur dans son ensemble. C'est assez contradictoire comme propos. Je ne suis en aucun cas d'accord avec le fait d'identifier les "lâchetés" à de la poésie en attente, ce sont des lâchetés au sens premier du terme dont il est question, et pour les "facultés descriptives ou instructives" dire que c'est une allusion à la poésie c'est un peu l'auberge espagnole. Tout le monde le concédera, mais il y aura plusieurs façons d'envisager l'allusion à la poésie. En fait, non, ça ne parle pas de but en blanc de ce que doit être la poésie. Mais ce qui retient mon attention, c'est l'affirmation qu'Une saison en enfer ne parle jamais de poésie, sauf dans "Alchimie du verbe". Je rappelle que dans "Adieu" il est question de l'invention de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, ce qui entre bien dans le domaine de la création poétique, mais une création poétique bizarrement appliquée au réel à prendre ainsi le discours au premier degré. Et, justement, ce qui est frappant, c'est que Vaillant énonce cette affirmation au moment qui convient le moins, puisque précisément au tout début de "L'Impossible" Rimbaud noue la relation de la poésie au fait de mener son existence dans la vie physique. Vaillant aurait mieux fait de souligner que le poète parlait peu de la poésie comme acte de composition écrite, pour mieux souligner que la poésie dont parle Une saison en enfer est au plan de la façon de vivre en général. Au lieu de ça, nous avons carrément une tournure restrictive : "le sujet principal de la Saison n'est qu'une interrogation sur le sens à donner à sa vie". Et j'en profite pour signaler à l'attention que beaucoup de lecteurs pensent, à tort, que la "Beauté" du prologue est comme à la fin de "Alchimie du verbe", une représentation de l'idéal des poètes, alors qu'il s'agit de la beauté conforme à la morale d'une société liant le christianisme et l'idéologie du progrès, ce qui n'est pas du tout la même chose. Vaillant inclut la seconde mention de la beauté dans le discours sur la poésie avec "Alchimie du verbe", mais il disjoint la première mention, puisque dans le prologue il voit deux allusions à la poésie, les "lâchetés" et "l'absence des facultés descriptives ou instructives", ce qui suppose bien que pour Vaillant la beauté amère injuriée ne relève pas du discours sur la poésie.
Revenons sur ce point.
Au début du récit intitulé "L'Impossible", le poète de la Saison décrit une enfance de fugueur en errance le long des routes. Il s'agit très précisément d'une allusion au poème "Ma Bohême". Rimbaud n'avait pas conservé ce poème qu'il avait demandé à Demeny de détruire parmi d'autres dans une lettre du 10 juin 1871, mais je veux dire que le régime métaphorique du discours de "L'Impossible" renvoie à un discours que le poète faisait déjà sien en écrivant "Ma Bohême", plus de six mois avant les déclarations des deux lettres dites "du voyant". D'ailleurs, les commentateurs sont sensibles à ce lien. Dans sa notice à "L'Impossible" pour le Dictionnaire Rimbaud de 2021, Giovanni Berjola souligne que le début de "L'Impossible" parle des "années d'errance" du poète dans son enfance. Parler d'années est évidemment quelque peu abusif. Vaillant parle de la "bohème poético-scandaleuse" du passé et, dans son essai encore, Alain Bardel glose l'extrait en recourant à la formule "la vie de bohème".
Je vais maintenant citer le début de "L'Impossible", puis je citerai le poème "Ma Bohême", et je ferai alors les commentaires du sens explicite de "Ma Bohême" qui permettent de lier son idée de la poésie à l'existence bohémienne menée !
   Ah ! cette vie de mon enfance, la grande route par tous les temps, sobre surnaturellement, plus désintéressé que le meilleur des mendiants, fier de n'avoir ni pays, ni amis, quelle sottise c'était. - Et je m'en aperçois seulement !
     - J'ai eu raison de mépriser ces bonshommes qui ne perdraient pas l'occasion d'une caresse, parasites de la propreté et de la santé de nos femmes, aujourd'hui qu'elles sont si peu d'accord avec nous.
     J'ai eu raison dans tous mes dédains : puisque je m'évade !
     Je m'évade !
     [...]

                         Ma Bohême (Fantaisie)

Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ;
Oh ! là là que d'amours splendides j'ai rêvées !

Mon unique culotte avait un large trou.
- Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
- Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !
Le poème définit fièrement une conception personnelle de la bohème, en tout cas le poète souligne la singularité intime de son expérience, c'est "ma Bohême" nous dit-il, avec la corruption orthographique de l'accent circonflexe. Rimbaud a repris plusieurs rimes à Banville, la rime "idéal" / "féal" semble provenir d'un poème de Mallarmé selon une enquête de Jacques Bienvenu et les deux tercets sont une démarcation d'un sizain capital du poème conclusif des Odes funambulesques : "Le Saut du tremplin", découverte mienne confortée bien évidemment par le fait que ce sizain est aussi celui qui contient la source de la rime "fantastique(s)" / "élastique(s)". Et si je n'ai jamais pris le temps de le faire, je pense qu'une étude d'ensemble des poèmes contenant les autres rimes prises à Banville, sinon à Mallarmé, apporteraient d'autres éléments de comparaison intéressants. Pour l'instant, les rimbaldiens se contentent de relever que la rime "élastique" / "fantastique" vient d'un sizain du "Saut du tremplin", mais l'intérêt d'ensemble de ce sizain est un non-sujet. Or, les deux tercets de Rimbaud sont une démarcation de l'ensemble du sizain. Et je précise que dans "Rêvé pour l'hiver", les tercets sont une démarcation de sizains du poème "A une Muse folle" qui clôt le recueil Les Cariatides dans sa forme originelle de 1842, et le titre "Rêvé pour l'hiver" doit faire songer au titre de recueil Les Nuits d'hiver d'Henry Murger, l'auteur des Scènes de la vie de bohème, sachant que Rimbaud s'est inspiré du poème "Ophélie" de ce même recueil de poésies de Murger quelques mois plus tôt. Je passe sur le lien étymologique entre le sous-titre "Fantaisie" et l'adjectif "fantastiques" à la rime repris à une rime au singulier d'un poème de Banville.
Je voudrais maintenant souligner un point de composition qui peut passer inaperçu dans le sonnet "Ma Bohême". La pièce est composée de deux quatrains et de deux tercets, ce qui oppose huit premiers alexandrins à six derniers. Mais, au plan de la ponctuation, il y a une petite subtilité. La ponctuation du poème est soignée et même accentuée au vu de l'emploi conséquent des points-virgules. Par conséquent, à la fin du vers 8 de "Ma Bohême", l'absence de ponctuation ne vient pas d'un effacement au cours du temps d'une trace à l'encre trop peu appuyée. Il y a un véritable enchaînement phrastique liant le dernier vers du second quatrain aux trois vers du premier tercet. A cette aune, le poème a une double composition : sous la façade de deux quatrains et de deux tercets, nous avons aussi la symétrie séparant sept premiers vers et sept derniers. Les sept premiers vers sont conçus sur un mode d'alternance entre description de la marche et description des vêtements usés :

Je m'en allais, les poings dans mes proches crevées ; (la marche)
Mon paletot aussi devenait idéal ; (l'habit troué, avec transition ménagée par la mention des poches crevées au vers 1)
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal (la marche, avec allusion à la "Muse folle" du poème des Cariatides, ce qui confirme les liens profonds entre "Ma Bohême" et "Rêvé pour l'hiver")
Oh ! là là ! que d'amours splendides j'ai rêvées ! (seul vers qui n'entre pas dans l'alternance, il a un effet comique, la Muse se pluralise en "amours splendides" et la situation est cocasse puisque le poète est dans l'errance et le dénuement).
Mon unique culotte avait un large trou. (on voit quand même que l'alternance reprend, ici l'habit troué).
Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course / Des rimes. (On repart sur l'idée de l'en avant du fugueur)
Mon auberge était à la Grande-Ourse. (Fin de l'alternance, avec une mise en perspective : au lieu d'un habit troué, l'absence pure et simple de toit).

Les sept derniers vers vont correspondre à la station assise sous précisément le ciel et les étoiles : "Mes étoiles au ciel", reprend "j'allais sous le ciel" et "à la Grande-Ourse", et au vers 9 nous avons la mention "assis au bord des routes" qui contraste avec "Je m'en allais" et "j'allais sous le ciel", et même avec "dans ma course". La fin du poème est de l'ordre du recueillement cette fois. Et il est question de refaire ses forces, puisqu'on a le vin de vigueur qu'est la rosée et l'idée des souliers blessés. Le poète apprécie les "bons soirs de septembre", et il fait allusion à ce mois des vendanges en parlant de "vin de vigueur". Le ciel le revigore, et tout le paradoxe, c'est qu'ainsi assis le poète décrit une halte l'auberge de la Grande Ourse, nuit polaire ainsi suggérée et nuit à la belle étoile.
Et pour comprendre que le poète lie ces activités singulières à la poésie, il suffit alors de citer les mentions parentes "rimes" et "rimant" qui sont disposées dans les deux parties du texte. Que vous adoptiez un découpage quatrains et tercets ou sept vers face à sept autres, dans le premier mouvement nous avons le poète qui égrène dans sa course "Des rimes", ce que souligne le rejet de fin de phrase du vers 6 à 7, et nous avons la mention "rimant" en attaque du dernier tercet, sachant que le poète n'a plus qu'une idée de paletot, n'a plus qu'un paletot qui est idéal de n'être plus, sachant que le poète se dénude, culotte trouée, poches crevées. On comprend que le poète n'a pas un papier pour écrire. Il compose donc les poèmes simplement dans sa tête, il n'en garde pas la trace écrite. Il marche en inventant des poèmes dont la mémoire risque bien de se perdre et il rime pour le seul instant présent quand il joue avec les élastiques de ses souliers usés. Je n'ai jamais cru que les élastiques désignaient les lacets, mais je croyais passivement qu'il s'agissait de l'usure des semelles. En réalité, d'après un article en ligne de Benoît de Cornulier, Rimbaud fait allusion à des souliers d'époque qui avaient sur les côtés deux sortes de petites languettes de forme ovale comme une lyre qui permettaient d'ajuster la chaussure à la cheville, de la mettre et de la retirer commodément. J'ai des sortes de bottines qui ont une languette plutôt au talon, mais il s'agirait de modèles avec des languettes sur les côtés droit et gauche de la chaussure.


Le poète fait donc clairement de l'état de bohémien un état de vie poétique. Et ceci vous livre entre les mains une clef de lecture explicite pour le début de "Matin" : "N'eus-je pas une fois une jeunesse aimable, héroïque, fabuleuse, à écrire sur des feuilles d'or, - trop de chance !"
Dans ma lecture de "Ma Bohême", outre les implications des mentions "rimes" et "rimant", il faut retenir que la phrase : "Mon auberge était à la Grande Ourse" définit la lecture des sept derniers vers comme une nuit dans cette auberge paradoxale, et cela offre aussi un parallèle d'aise avec les sonnets "Le Cabaret-vert" et "La Maline". L'idée d'ouverture est importante, comme l'atteste la version négative de "Comédie de la soif" : "Jamais l'auberge verte / Ne peut bien m'être ouverte." L'idée d'enseigne de la vie à l'extérieur est présente dans le poème "Larme" également. Les idées du poète voyant ont pu prendre un certain tour à partir de mai 1871, il faut bien comprendre que même s'il y a eu un saut qualitatif vers mai 1871 les idées du voyant sont le prolongement d'une mise en place d'une conception rhétorique de la fonction de la poésie qui apparaît déjà pleinement dans les poèmes de 1870. C'est même du pur bon sens. Et les rimbaldiens se privent de belles mises en perspective, parce qu'ils envisagent une discontinuité de parcours dans la pensée poétique de Rimbaud, ce qui n'est pas mon cas.
Et, de toute façon, dans ce que j'ai cité plus haut, les rimbaldiens dissocient la poésie du vécu des fugues attestées de Rimbaud dans sa jeunesse. Le poème "Ma Bohême" n'est plus qu'accessoirement un témoignage des fugues. Quand on parle de l'errance sur les routes dans "L'Impossible", on parle du Rimbaud biographique, sans prendre garde que si on s'intéressait aussi à ce qu'écrivait le jeune Rimbaud on aurait un accès métaphorique à sa conception d'une poésie exercée par les choix de vie du poète. Ce lien intime, il est indéniable que le poète l'a tissé et qu'il faut en rendre compte dans l'analyse biographique ou non d'Une saison en enfer.
J'ajoute que l'amorce de "Ma Bohême" est surprenante : "Je m'en allais", c'est très précisément l'équivalent du "Je m'évade" de "L'Impossible", et dans le sonnet ça ne va pas sans effet humoristique, puisque le poète dit qu'il s'enfuit avant même d'avoir précisé ce qui le faisait fuir, il ne le précisera pas. Nous commençons la lecture d'un poème, et l'auteur nous dit non pas qu'il vient à nous, mais qu'il s'enfuit...
Dans "L'Impossible", où nous relevons aussi un autre rapprochement possible avec "Ma Bohême" entre "sobre surnaturellement" et "comme un vin de vigueur", Rimbaud dénonce l'errance du bohémien, mais se donne raison dans tous ces dédains qui font qu'il s'évade. Le propos est dans une tension paradoxale, puisqu'il faut savoir s'il s'évade ou non. En gros, si le propos est cohérent, force est de considérer que le poète s'évade parce qu'il a raison de dédaigner, mais là où il est dans la sottise c'est dans la célébration d'une vie d'errance sur les routes qui ne serait qu'une illusion d'évasion. Rimbaud se félicite de ses refus, pas de son choix de vie bohémien qui n'était pas tenable. Notons aussi que si dans "Ma Bohême" les habits qui sont censés conserver le poète sont rejetés comme parasites, ici nous avons le rejet d'une société où des hommes sont les parasites de femmes placées sous leur contrôle. On voit bien que les modalités de raisonnement du poète sont parallèles entre "Ma Bohême" et "L'Impossible" à deux ans et demi de distance pour la composition.

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