mardi 28 novembre 2023

Se faire une idée de la valeur du livre de Bardel sur Une saison en enfer avant de l'avoir lu...

Le livre d'Alain Bardel sur Une saison en enfer va bientôt paraître. Jean-Paul Vaillant le salue déjà comme l'autre livre important du moment sur Une saison en enfer qui paraît à peu près en même temps que le sien, sauf qu'il ne l'a pas lu non plus. Bardel s'est toujours revendiqué un rimbaldien de second plan qui passait les idées, lui n'étant pas tellement important en soi. Il a bien gravi les échelons.
Alors, pour s'en faire une idée, on peut suivre l'invitation à lire le "flyer" qui figure sur la page d'accueil du site Rimbaud d'Alain Bardel.
Nous avons droit à deux images, l'une réunissant les première et quatrième de couverture du livre qui va paraître, et puis un extrait de deux pages du livre en question, et c'est celles-ci qui vont nous intéresser. Mais, faisons quelques remarques sur la quatrième de couverture.
On met en avant les titres de Bardel pour parler de Rimbaud, le fait d'avoir été enseignant, le fait d'avoir publié pas mal d'articles, il est vrai qu'on a droit à une énumération d'apparence solide : Parade sauvage, Europe, Magazine littéraire, des ouvrages collectifs. Mais toutes ces publications ont un point commun, c'est qu'à chaque fois il était question d'une équipe Parade sauvage autour de Steve Murphy. Il n'y a aucune publication de Bardel en-dehors de ce schéma, strictement aucune. C'est joli d'étoffer. Et puis, il y a la question du site internet où là effectivement c'est l'affaire personnelle de Bardel, sauf que je voudrais qu'on m'explique la formule retenue : "Il s'occupe depuis 2001 du site internet d'informations et d'études rimbaldiennes 'Arthur Rimbaud, le poète' ." Il s'occupe ? On dirait une délégation officielle. Non, il n'occupe aucun poste prestigieux fondé sur une reconnaissance des pairs, c'est son site à lui, point !
Et puis, je passe à l'extrait du livre. Par un coup d'inattention géniale dont il a le secret, Bardel nous livre la page la plus intéressante qui soit de tout le fac-similé, celle précisément qui contient la phrase problématique : "Après, la domesticité même trop loin." Et en vis-à-vis, sur la page de gauche, nous avons les annotations la concernant.
Il y a une série de remarques et en guise de note de bas de page ce qui semble un "erratum" où le lucide Bardel se substitue à Rimbaud : "Lire : 'Après, la domesticité mène trop loin" au lieu de  "Après, la domesticité même trop loin".
Mais, le texte imprimé porte bien la leçon "même". Selon quelle logique, peut-on arriver de "mène" à la coquille "même", puisque tel est le raisonnement soutenu par Bardel ? C'est vrai que, depuis longtemps, on édite le texte avec cette phrase plus aisément compréhensible, avec cette phrase qui respire la correction grammaticale : "Après, la domesticité mène trop loin." Mais, c'est une leçon qui a été imposée par un critique rimbaldien du passé, il faudrait en faire l'historique.
Nous n'avons pas le brouillon correspondant à ce passage pour effectuer une quelconque correction intempestive. Je veux bien que la solution puisse être "mène", mais il faut au moins admettre le débat. Et puis, on retrouve encore une fois le sacre de l'habitude installée, Vaillant a toujours lu "outils" (il n'a même jamais lu les brouillons de sa vie, on dirait) et Bardel a toujours lu "mène", donc ils publient sur Une saison en enfer pour justifier leurs habitudes. Comme dirait Ravaisson, l'habitude est une seconde nature.
Alors, au plan manuscrit, nous savons que Rimbaud a écrit "autels", ce qui plaide pour l'identification d'une coquille "outils". Vaillant soutient que l'idée de Rimbaud est sotte, parce que le mot "autels" ne serait pas compatible avec l'en avant dont il est question à la fin de "Mauvais sang", et par un procédé de voyage temporel Vaillant a persuadé Rimbaud de corriger "autels" en "outils" à temps avant la mise sous presse par l'éditeur Poot. Peut-être que Vaillant n'a pas eu le temps de passer par Rimbaud, il a directement discuté avec le prote belge, qu'il se soit appelé Marc Dominicy ou non. Mais, bref, Bardel a communiqué trop tard à Vaillant qu'il fallait éditer correctement la phrase : "Après, la domesticité mène trop loin." Un second voyage temporel était dans l'absolu toujours possible, mais Vaillant et Bardel n'avaient plus les sous pour le faire. Il fallait lever des fonds, peut-être que c'est à ça que serviront leurs publications actuelles ? Et donc, du coup, on a eu droit à l'impression grossière : "Après, la domesticité même trop loin." Alors, il y a quand même eu un second voyage temporel pour corriger le texte d'Une saison en enfer au cours du vingtième siècle. Pour ça, il restait encore un peu de thunes et on a depuis longtemps l'édition correcte de la phrase de Rimbaud : "Après, la domesticité mène trop loin."
Tout va bien, l'honneur est sauf.

Donc, en gros, ça s'est passé ainsi : Rimbaud avait bien écrit "Après, la domesticité mène trop loin", mais le prote a mal déchiffré, la phrase était compliquée : "la domesticité mène trop loin", alors il a cru lire cette phrase plus simple, éminemment courante : "la domesticité même trop loin". Il a ajouté un jambage à la consonne nasale "n", et dans la foulée il a allongé l'accent grave en accent circonflexe. C'était trop compliqué et il a fait plus simple. Heureusement, Bardel a retrouvé la seule phrase que l'intelligence comprenne : "Après, la domesticité mène trop loin."
Je n'ai pas encore lu ce que Vaillant dit finalement dans son étude (essai, ce serait un bien grand mot, il est réservé à Bardel) sur cette phrase : "Après, la domesticité même trop loin."
Il y a un demeuré qui a osé dire que si coquille il y avait ça pourrait plutôt venir de ce que le prote aurait oublié de reporter le verbe du manuscrit : "même" serait bien présent sur le manuscrit, c'est peut-être simplement qu'il manque un verbe.
Les rimbaldiens sont vent debout contre cette idée, il n'est de correction du texte que minimale si on ne veut pas extrapoler au détriment de l'auteur... Magnifique principe !

1 commentaire:

  1. J'ai procédé à la vérification dans le livre de Michel... ah non, j'ai cru lire Michel sur la couverture, mais non c'est déjà un pilote de Formule 1, Alain ou Jean-Paul Vaillant.
    Bref, il contourne la difficulté, il cite des passages voisins, mais pas la phrase en question qu'il ne glose même pas non plus, il la commente en passant : "Il ne veut pas non plus se résigner à la domesticité, ni à la mendicité [...]".
    Pour le reste, je n'ai encore lu que les parties introductives, je me suis arrêté à la page intitulée "Prologue".
    J'ai déjà un sujet de réflexion sur un biais problématique de son approche. Il dit ce que je dis que les lecteurs supposées par Rimbaud ne pouvaient connaître la vie d'Arthur. Alain ou Jean-Paul Vaillant use d'un biais pour justifier les commentaires autobiographiques. Non seulement il ne faut pas confondre autobiographie et utilisation partielle de l'autobiographique (il ne le dit pas ainsi, c'est que c'est plus précisément ça qu'il faut comprendre), mais il y a la dénotation, ce qui est dit, dans la fiction, et pour les lecteurs informés les connotations qui varient en degré selon la foi propre à chacun. Mais, pour le "dernier couac", Vaillant allègue le coup de feu de Verlaine, et c'est là qu'on voit que la superposition dénotation et connotations ne va pas de soi et peuvent entrer en tension. La dénotation parle de la mort programmée par un parcours, la connotation évoque l'à-propos d'un accident, d'un fait contingent. Je rappelle que dans le prologue Satan invite le poète à gagner la mort après le risque du "dernier couac"... Verlaine est lui en prison et son arme confisquée. Vous sentez la différence ? Il y a d'autres bizarreries : Vaillant dit des généralités souvent pertinentes et puis le commentaire d'une citation est à côté de cette pertinence. Rimbaud dit à Delahaye de ses récits païens atroces : "C'est bête et innocent !" Vaillant lit la revendication au premier degré sans voir l'inversion de la morale chrétienne en vigueur !???

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