Rimbaud a été éloigné un certain temps de Paris avant son retour vers le début du mois de mai 1872. Pendant cet exil, et plutôt à son début en mars, notre poète s'est intéressé aux vers de Favart et il a réussi à se procurer le texte de l'Ariette oubliée, paroles et musique, pour l'envoyer à Verlaine.
Nous savons cela par une lettre de Verlaine à Arthur Rimbaud qui est parvenue jusqu'à nous. Il faut ici rappeler que la correspondance de Rimbaud qui est publiée consiste essentiellement en missives de sa part. Nous n'avons pas mis la main sur les courriers que recevait Rimbaud. Nous n'avons pas accès à des lettres d'Izambard à son élève, ni de réponses de Demeny, Aicard et bien d'autres. Les propos que Delahaye rapportent dans ses témoignages sont fortement suspects, puisqu'il écrit des années après les faits sur un courrier dont il n'a probablement jamais eu connaissance. Quelques lettres font exception, mais on peut penser que si ces lettres ont été sauvées, c'est précisément parce qu'elles ne sont pas parvenues à Rimbaud, sauf celle confisquée par la justice belge. En revanche, il n'en reste pas moins que Verlaine écrivant une lettre à Rimbaud parle avec sincérité et exactitude à son destinataire.
Ainsi, une lettre de Verlaine à Rimbaud nous est connue qui est datée de "Parsi, le 2 Avril 72" et qui précise en en-tête qu'elle a été rédigée "Du Café de la Closerie des Lilas". L'adresse est sobre : "Bon ami," et les premiers mots de cette missive formulent le remerciement pour l'envoi de l'Ariette oubliée :
C'est charmant, l'Ariette oubliée, paroles et musique ! Je me la suis fait déchiffrer et chanter ! Merci de ce délicat envoi ! [...]
Dans le post scriptum, Verlaine établit une liste de gens à envoyer promener qui se termine par une mention ironique de l'incident qui a précipité visiblement l'exil de Rimbaud :
Merde à Mérat - Chanal - Périn - Guérin ! - et Laure : Feu Carjat t'accole !
Edouard Chanal, Henri Périn et Anatole Guérin sont trois personnages de Charleville. Ce qui veut dire que Rimbaud est déjà rentré à Charleville, puisque nous savons par le témoignage de Mathilde Mauté que Rimbaud en mars 1872 s'est d'abord rendu chez une parente de Verlaine à Arras, Rose Dehée, 21, rue de la Paix. On peut penser qu'exilé de Paris Rimbaud ne vit pas l'intérêt de résider plutôt à Arras qu'à Charleville. Et Rimbaud semble chercher à s'y recréer une vie sociale et il s'est plaint à Verlaine ses contacts avec des professeurs, rédacteurs et directeurs de journaux de sa ville natale. Seuls les noms de Mérat, Carjat et Laure appartiennent à la sphère parisienne. On sait que Velaine a écrit une lettre menaçante à Mérat le sommant d'arrêter ses rumeurs, que Mérat toujours à cette même époque a refusé de figurer sur le Coin de table de Fantin-Latour, que vers la même époque, soit avant, soit directement après, Rimbaud a composé deux quatrains zutiques faussement attribués à Mérat. Mérat partcipait qui plus est au dîner des Vilains Bonshommes, ce qui permet de le relier à la mention de l'incident Carjat à la fin du paragraphe verlainien. Laure désigne la sœur d'Edmond Lepelletier. Lepelletier est précisément le premier biographe connu de Verlaine. Il a publié le volume Paul Verlaine, sa vie, son œuvre en 1907. L'ouvrage de Lepelletier ne suit pas toujours la chronologie, il est divisé en chapitres thématiques et, par exemple, les événements sous la Commune sont décrits au chapitre IV, bien avant le mariage de Verlaine et Mathilde qui fait l'objet du chapitre VII. Il y a d'autres distorsions chronologiques de la sorte dans l'ouvrage, mais certaines sont particulièrement significatives.
Verlaine écrit le 30 septembre 1871 à Lepelletier qu'il ne pourra se rendre aux obsèques de la mère de celui-ci, puisqu'elle est morte le 29, sachant que le 30 septembre semble la première date anniversaire de la mort de Viotti. Lepelletier fait mine de ne pas se souvenir de la raison que Verlaine dut bien lui expliciter par la suite. En réalité, le 30 septembre a eu lieu le dîner des Vilains Bonshommes avec la première participation d'Arthur Rimbaud. Lepelletier a soigneusement évité de préciser la mauvaise raison de Verlaine, tout simplement.
Parfois, Lepelletier parle de Rimbaud, mais il l'a très peu connu. Or, en-dehors de toute chronologie précise, le biographe, suite à un commentaire sur la relation de Rimbaud et Verlaine autour de la période qui nous intéresse mars-mai 1872, va rappeler qu'il l'a invité chez lui et que Rimbaud s'est mal comporté, et que Lepelletier a calmé l'insolent qui s'est tu. Le problème, c'est que la présentation est biaisée, puisqu'en réalité cette invitation a eu lieu après que dans la presse en novembre 1871 Lepelletier ait parlé de Verlaine aux bras d'une "Mlle Rimbault". C'est un redoutable escamotage de la part de biographe, puisque c'est Lepelletier qui avait des torts et qui invitait Rimbaud et Verlaine dans un espoir d'apaisement. Normalement, Lepelletier devait présenter des excuses. Toute la compréhension de la soirée est changée, une fois qu'on sait pareille vérité. Et cela en dit long sur le caractère manipulateur de Lepelletier dans sa biographie. Remarquons que Mérat est au bras de Mendès dans la chronique de Lepelletier. On a donc Edmond Lepelletier et Albert Mérat qui sont complices, et il faut ajouter Mendès, pour ce qui est de diffuser des rumeurs sur la relation homosexuelle de Rimbaud et Verlaine, et il s'y ajoute le piment des moqueries. Les rumeurs colportées par Mérat et l'incident Carjat sont deux événements distincts que relie entre eux la réalité des dîners des Vilains Bonshommes. En revanche, la mention de "Laure" Lepelletier à proximité de Mérat dans une commune exécration : "Merde à Mérat et Laure !" a du sens. Laure Lepelletier connaissait Rimbaud et partageait visiblement les réprobations de Mérat et son frère. Laure Lepelletier et Carjat ont des sensibilités communardes, mais ils sont hostiles à Rimbaud.
Lepelletier va lui-même raconter sa version de l'incident Carjat et il va nommer Jean Aicard en tant que poète dont la récitation publique aurait été interrompue par Rimbaud. Peu importe qu'Aicard ait été ou non le récitant. Lepelletier cite avec exactitude Carjat et Penoutet comme autres protagonistes du scandale. Précisons que Lepelletier, même s'il ne révèle rien au sujet de Penoutet, glisse très discrètement une allusion nouvelle à l'homosexualité de Rimbaud dans sa biographie, même si cela correspond à la présentation des faits de la version par Verlaine lui-même. Lepelletier précise aussi le noms de personnes qui refusèrent d'inviter Rimbaud désormais. Et Lepelletier n'en cite nommément que deux : "le doux Valade, Albert Mérat, d'autres poètes paisibles..." Valade est spécifié comme doux, les autres poètes comme paisibles, mais rien sur Albert Mérat. Rappelons que Valade et Mérat sont deux poètes perçus comme inséparables et si "doux" qualifie Valade c'est du coup pour le différencier de Mérat. En clair, Mérat est celui qui a fait le plus de bruit pour interdire à Rimbaud de revenir aux dîners des Vilains Bonshommes. Dans sa lettre du 2 avril, rédigée à la "Closerie des Lilas" (pour l'anecdote, Lepelletier adaptera en roman une pièce dont le titre était La Closerie des genêts, mais je n'y vois qu'une coïncidence), Verlaine lance un paragraphe de post scriptum qu'il lance par un "Merde à Mérat" et clôt par un "Feu Carjat t'accole". Et dans ce paragraphe, il égrène trois noms carolopolitains, ce qui suppose que Rimbaud essuie des refus pour des publications dans la presse ardennaise, comme Mérat et Carjat sont le début de son évincement parisien. Laure Lepelletier est ajouté à cette série.
Mais, Verlaine tourne cela en dérision, après son ironie sur les embrassades de Carjat, Verlaine relance ainsi Rimbaud : "Parle-moi de Favart, en effet." Le "en effet" fait sans doute écho à un propos de la lettre de Rimbaud. Le plus simple à envisager, c'est que Rimbaud disait lui-même "Parlons plutôt de Favart".
Verlaine en attend plus au sujet de Favart.
Nous allons parler de Favart, mais je voudrais faire un sort final au témoignage de Lepelletier dans sa biographie. Suite à son propre récit de l'incident Carjat, Lepelletier repart sur des considérations générales en s'éloignant de la chronologie. Lepelletier n'explique pas que Verlaine a dû éloigner de Rimbaud, cela nous le lirons plus loin entre les lignes, et encore ! Mais Lepelletier explique bien que Rimbaud ne pouvait plus se présenter aux dîners des Vilains Bonshommes, mais que cette excommunication ne concernait pas Verlaine. Il va de soi que nous n'avons aucun mal à superposer les deux idées : d'un côté, suite à l'incident Carjat, Rimbaud ne peut plus se rendre au dîner des Vilains Bonshommes, début de fin pour une vie mondaine littéraire parisienne, et d'un autre côté, Verlaine a en réalité carrément demandé à Rimbaud de s'éloigner un temps de Paris le temps que les esprits s'apaisent.
Mais, il ne faut pas oublier que Fantin-Latour est en train de peindre le Coin de table et que, même si Mérat refuse d'y paraître en présence de Rimbaud, il n'en reste pas moins que ce tableau va être commenté dans la presse et faire état d'une liste de poètes, journalistes ou écrivains en quête d'un nom, parmi lesquels Rimbaud. Dans le courant du mois d'avril, alors que Rimbaud n'est pas encore revenu à Paris, Banville a fait un commentaire précoce du tableau en parlant en termes plutôt favorables de Rimbaud :
[...] A côté d'eux, voici M. Arthur Raimbaut [sic], un tout jeune homme, un enfant de l'âge de Chérubin, dont la jolie tête s'étonne sous une farouche broussaille inextricable de cheveux, et qui m'a demandé un jour s'il n'allait pas être bientôt temps de supprimer l'alexandrin !
On peut commenter en soutenant que Banville se moque du propos écervelé de Rimbaud, il n'en reste pas moins qu'il parle d'une "jolie tête", ce qui prend le contre-pied des attaques de Mérat et Lepelletier. Banville devait être au courant de ces rumeurs, mais il en fait fi. Il ne noircit pas Rimbaud dans ce portrait. Je rappelle que, dans sa biographie prétendument de référence, Jean-Jacques Lefrère intervertit l'ordre chronologique et parle de la réception du Coin de table dans le chapitre "Le Repas des communards", tandis qu'il parle de l'exil de Rimbaud dans le chapitre suivant "De Charlestown à Parmerde". Ce n'est pas ainsi qu'on rédige une biographie. Les dégâts sont immenses. On perd tous les repères intéressants. Banville s'appesantit à parler d'une idée de Rimbaud qui a de quoi attirer les curieux alors qu'il est déjà persona non grata.
Dans sa biographie, Lepelletier va éviter de dire que suite à cet incident Rimbaud a été éloigné de Paris par Verlaine, éloignement qui est d'ailleurs moins sensiblement lié à l'incident Carjat qu'à un engagement de Verlaine vis-à-vis de sa belle-famille, parce qu'il faut dire encore que dans sa biographie Lepelletier nous fait verser des larmes sur le père privé de son fils qu'il n'aurait jamais embrassé. Lepelletier gomme presque complètement les torts sévères de Verlaine à l'égard de Mathilde... et de son fils. Mais voici donc comment Lepelletier poursuit :
Verlaine se montra froissé de l'exclusion dont Rimbaud était l'objet. Il attribua même à cette mise à l'écart un motif qui n'était alors dans l'esprit de personne. Ce fut là certainement le point de départ de sa séparation volontaire d'avec ses amis de jeunesse, et le commencement de la rupture de plus en plus grande avec ses compagnons des débuts littéraires.Rimbaud était, il est vrai, un peu agréable convive. Pour faire plaisir à Verlaine, je l'invitai une fois, chez moi, rue Lécluse, à Batignolles, et il fallut toute mon énergie pour le maîtriser. [...]
Lepelletier ne cache pas vraiment que ce repas eut lieu bien avant l'incident Carjat puisque dans la suite du paragraphe que j'ai coupé il rappelle que ce repas a eu lieu deux mois après la mort de sa mère qui, plus haut dans la biographie même, est fixée au 29 septembre 1871. Les lecteurs les moins attentifs croiront que ce repas a eu lieu après l'incident Carjat. Les plus attentifs comprendront que ce repas eu lieu à la fin du mois de novembre, mais il leur manque alors l'information capitale selon laquelle à la mi-novembre Lepelletier a persiflé Verlaine et "Mlle Rimbaut" dans un article de presse.
Lepelletier raconte alors une anecdote où il se donne le beau rôle face à Rimbaud, mais nous n'avons pas la version de Rimbaud à lui opposer, ni celle de Verlaine.
Et puis, Lepelletier enchaîne par un nouveau paragraphe pour expliquer qu'il n'a ensuite revue Rimbaud qu'une ou deux fois. Le procédé est toujours aussi pervers, puisque la plupart des lecteurs, en tant qu'inattentifs, croient que le repas a eu lieu après l'incident Carjat, et dans tous les cas Lepelletier va lier cette raréfaction au fait que Rimbaud va éviter le milieu parisien après l'incident Carjat puis fuguer avec Verlaine. La réalité, c'est que Lepelletier dit n'avoir vu Rimbaud qu'une ou deux fois au-delà de la fin-novembre 1871, ce qui inclut les mois de décembre, janvier et février, quand Rimbaud est encore quelque peu intégré au milieu parisien. Lepelletier cache que ses relations avec Verlaine n'étaient pas si suivies à cette époque, et il laisse le lecteur se faire piéger par la manière d'écrire une biographie sans suivre le fil strict de la chronologie des événements.
Suite à l'incident Carjat, Lepelletier consacre l'éloignement définitif de Rimbaud. Il ne le revit plus, on ne le revit plus : victoire par désertion du clan Mérat, Lepelletier, sinon Carjat.
En deux courts paragraphes où cingle l'expression "résumer l'histoire d'Arthur Rimbaud", Lepelletier nous fait l'histoire de la mort de Rimbaud, de son monument, puis il repart sur le fait que Rimbaud quitte Paris "peu enthousiaste" et "avec dédain", et il lui prête alors l'intention d'aller sous de nouveaux climats, et cela se confond avec l'envie de déjà renoncer à la littérature. L'écriture de Lepelletier est un concentré de déformations perverses. Et c'est alors qu'on en revient au plan biographique, où Rimbaud n'est pas revenu à Paris et reparti avec Verlaine, mais par sa correspondance Rimbaud aurait convaincu Verlaine de venir le rejoindre pour qu'ils voyagent ensemble :
Il continua à correspondre avec Paul Verlaine. Celui-ci, comme on le verra par la suite, se décida à venir le retrouver, pour faire, de compagnie, des voyages. Une brouille survint, puis se produisit l'accident du coup de pistolet, et enfin la séparation définitive, éternelle, des deux amis. Ils ne se sont jamais retrouvés depuis la tragique journée de juillet 1873.
Lepelletier tait la nature de cette relation entre les deux poètes, mais il prétend aussi que les deux poètes ne se sont jamais revus, ce qui est faux à deux égards. Premièrement, quand Verlaine est incarcéré, pendant quelque temps, les deux poètes ont des échanges épistolaires impliquant le recopiage par Rimbaud de poèmes de Verlaine. Deuxièmement, Verlaine a rencontré Rimbaud à Stuttgart à sa sortie de prison début 1875. Lepelletier prétend admettre le génie de Rimbaud, mais dès qu'il cite un extrait d'Une saison en enfer c'est pour en parler dans les termes les plus cassants.
J'aurais aimé aussi commenter les propos de Lepelletier sur l'intérêt de Verlaine à propos des poésies de Desbordes-Valmore, intérêt que Lepelletier trouve exagéré pour une poétesse de second ordre. Lepelletier ne comprend pas que Desbordes-Valmore a réellement un potentiel qui sort du lot et il ignore que c'est Rimbaud qui a attiré l'attention de Verlaine sur Desbordes-Valmore. Le mépris de Lepelletier est d'autant plus piquant que c'est sans aucun doute à cette époque d'avril 1872 que Rimbaud a invité à lire et Favart et Desbordes-Valmore pour mieux se détourner des Mérat, Lepelletier et consorts.
Revenons-en maintenant à la question de l'Ariette oubliée.
Le 2 avril, par lettre, Verlaine remercie Rimbaud de lui avoir envoyé un texte d'un auteur qu'à l'évidence il connaît mal : "Parle-moi de Favart, en effet", et s'il dit que le texte qui lui a été envoyé est "charmant" c'est qu'il le considère comme une découverte.
Or, une fois à Londres et mis au courant de la demande en séparation de Mathilde, avec en prime tout le bruit autour des amis, Burty, etc., au sujet de sa relation avec Rimbaud, Verlaine a établi une liste des objets qui sont demeurés sous le toit de sa belle-famille et qu'il entend récupérer. Et dans cette liste, nous relevons la ligne suivante qui sert de titre à notre présent article :
Un recueil de pièces, 18e siècle, entr'autres Ninette à la Cour de Favart, avec une eau-forte initiale.
A ma connaissance, ce livre n'a jamais été identifié. Pourtant, nous pouvons faire quelques remarques. Verlaine remercie Rimbaud pour le seul envoi du texte de "L'Ariette oubliée", paroles et musique. Ce volume est donc une acquisition postérieure de Verlaine. Il y a deux explications possibles. Soit, après l'envoi de Rimbaud, Verlaine a fait des recherches auprès de bouquinistes, dans les librairies, pour trouver le texte de la pièce de Favart contenant l'Ariette oubliée. Il aurait ainsi acheté entre le 2 avril et le 7 juillet, en gros, le volume qu'il réclame dans cette liste. Soit, lorsque Rimbaud est revenu à Paris, c'était avec un exemplaire de ce volume contenant la pièce Ninette à la Cour sous le bras et il l'aurait prêté ou donné à Verlaine.
J'aimerais bien avoir des réponses. D'abord, existe-t-il un "recueil de pièces" qui offrirait non seulement le texte de Ninette à la cour parmi d'autres pièces du XVIIIe siècle, mais aussi la partition musicale de "l'Ariette oubliée". Ensuite, il faut retrouver un volume avec une eau-forte initiale.
La mention "Un recueil de pièces, 18e siècle", a quelque chose d'évasif de prime abord, mais il pourrait s'agir du titre même d'un ouvrage relié imprimé au XVIIIe siècle.
Par exemple, ce jour même, 20 novembre 2021, sur le site de ventes en ligne eBay, je constate une photographie avec sur le côté la mention "Recueil de pièces". L'ouvrage est vendu pour 200 euros et la notice dit qu'il réunit des pièces de Marmontel, Goldoni, Barthe, Favart et Dorat. Ce n'est pas le volume qui nous intéresse, puisque la pièce de Favart recensée est L'Anglais à Bordeaux.
Toujours sur le même site de ventes, je relève la présence d'une annonce pour un volume vendu à 150 euros : Recueil de comédies. Il s'agit de neuf pièces, mais aucune de Favart cette fois.
Et enfin, pour 50 euros, nous avons une annonce pour un recueil de pièces de théâtre de 1768 qui réunit Favart, Collé et Shakespeare, mais la pièce de Favart est de nouveau L'Anglais à Bordeaux.
La pièce Un caprice amoureux ou Ninette à la Cour peut être récupérée au format PDF sur Gallica, mais j'aimerais identifier le livre précis que possédait Verlaine.
Dans sa biographie Arthur Rimbaud, chez Fayard (2001), Lefrère soutient que Rimbaud a envoyé par lettre non pas le mince livret paroles et musique de L'Ariette oubliée, mais carrément le recueil de pièces que Verlaine réclame à Burty en novembre 1872 parmi les affaires qu'il a laissées rue Nicolet. Et Lefrère ne rend pas précisément compte de la description de Verlaine. Verlaine parle d'un recueil de pièces parmi lesquelles il y a notamment Ninette à la Cour de Favart. On comprend qu'il s'agit d'un recueil de pièces de théâtre de divers auteurs. Lefrère prétend que Rimbaud a envoyé à Verlaine "une petite édition du siècle précédent", à savoir "un recueil de pièces rimées contenant cette ariette de Favart". D'où Lefrère tient-il qu'il s'agit d'un ouvrage de petit format ? Certes, Ninette à la Cour est une pièce rimée, mais vu qu'on ignore le contenu de ce recueil on n'en sait rien si toutes les pièces sont rimées. C'est probable, mais ça n'a pas été vérifié. Je ne sais pas du tout ce que donnerait une recherche à la Bibliothèque Nationale de France. Il faut retrouver un ouvrage intitulé "Recueil de pièces" qui date du XVIIIe siècle, qui contient une eau-forte initiale et la pièce Ninette à la cour de Favart parmi des pièces d'autres auteurs. En tout cas, Verlaine remercie Rimbaud pour l'envoi de la seule "Ariette oubliée" et à propos du "recueil", Verlaine précise ne s'intéresser qu'à la pièce de Favart. J'imagine mal Rimbaud envoyer un livre à Verlaine à l'époque par courrier, ça n'a pas le sens commun.
Reprenons l'enquête au sujet de la seule "Ariette oubliée". Il faut bien voir que Verlaine ne s'est pas contenté d'intituler "Ariettes oubliées" la première section des Romances sans paroles. Verlaine a découvert l'envoi de Rimbaud à la fin du mois de mars, et alors que Rimbaud n'est pas encore revenu à Paris Verlaine a composé un poème qui deviendra la première des "Ariettes oubliées" dans Romances sans paroles, et ce poème est publié dans le périodique hebdomadaire tout récent La Renaissance littéraire et artistique. Il a fallu un délai pour la publication. Le poème a été publié le 18 mai 1872, et il contient en épigraphe deux vers de Favart désormais rendus célèbre par Verlaine et le succès des Romances sans paroles au vingtième siècle : "Le vent dans la plaine / Suspend son haleine." Rimbaud est revenu à Paris vers le 7 mai 1872. Le 10 mai, il y eut au salon l'inauguration du Coin de table et, enfin, le poème de Verlaine a été publié dans la revue dont le personnel-dirigeant figure sur le Coin de table. Lepelletier pense que Rimbaud le 2 mars a interrompu au dîner des Vilains Bonshommes la récitation de vers par Jean Aicard. Jean Aicard est un poète provençal auquel Rimbaud a écrit en juin 1871, mais Jean Aicard figure sur le tableau du Coin de table et aussi parmi l'équipe dirigeante de La Renaissance littéraire et artistique. C'est le cas également de Blémont. Valade est un pilier de la revue au plan des contributions. En clair, Rimbaud revient à Paris au moment de l'inauguration d'un tableau où son portrait figure en bonne place, mais aussi à un moment de convergence entre l'exposition de ce tableau et les tout débuts d'une revue littéraire animée par d'autres figurants de ce tableau. Et Verlaine fait publier le 18 mai, une semaine après l'exposition du tableau, un poème où il reprend le titre "l'Ariette oubliée", à Favart, et il cite deux vers de cette chanson. Et au début du mois de juin, Rimbaud conseille à Delahaye de chier sur la Renaissance littéraire et artistique, tout comme Verlaine disait "Merde à Mérat" le 2 avril avant de conseiller de parler plutôt de Favart. Finalement, l'épigraphe de Verlaine n'est pas qu'intime et discrète, elle nargue ouvertement ceux qui ont déclaré Rimbaud persona non grata.
Tout se passe au moment même où Rimbaud revient à Paris. Le retour de Rimbaud avait pour enjeu l'occupation de l'espace littéraire. Et toujours au même moment, nous avons le portrait de Mérat qui est présent sur un autre tableau et qui précipite le report de blagues dans l'Album zutique autour de cette tête décapitée de Mérat qui fait nettement écho et à la publication de la série de Valade "Don Quichotte" dans La Renaissance, mais aussi à l'exposition du Coin de table. Blémont, Valade, Aicard et d'autres n'étaient pas rancuniers et haineux comme Mérat ou Lepelletier à ce moment-là. Néanmoins, Rimbaud demeurait mis à l'index. Cela n'a d'ailleurs rien d'étonnant vu la blessure qu'il a faite à Carjat. La réaction des cercles parisiens n'a rien de surprenant à cet égard.
Mais, avec un cadre aussi bien posé, j'en viens enfin à la petite idée que j'ai en tête, c'est que le mot "ormeaux" en tête d'un vers de onze syllabes de "Larme", avec la précision "sans voix", elle coïncide avec la mention à la rime du même mot au pluriel "ormeaux" dans l'Ariette oubliée :
Dans nos prairiesToujours fleuries,On voit sourireUn doux zéphire :Le vent dans la plaineSuspend son haleine ;Mais il s'exciteSur les coteauxSans cesse il agiteLes orgueilleux ormeaux :Il s'irrite,Sans cesse il agiteLes ormeaux.Comme nos fleursDans nos asyles,On voit nos cœursToujours tranquilles ;Mais comme un feuillageQu'un vent ravage,Vos cœurs sont agités,Vos cœurs sont tourmentés.Dans nos asylesNos cœurs tranquilles,Par les Amours sont toujours caressés ;Toujours bercés,Toujours caressés.
J'ai retranscrit le texte du fac-similé mis en ligne sur le site Gallica de la Bibliothèque Nationale de France. J'en ai respecté les émargements et la ponctuation. A la page 463 de sa biographie, Lefrère cite les dix premiers vers et la ponctuation livrée est différente de la mienne. Les différentes marges ne coïncidence pas pleinement avec l'emploi de vers de longueurs différentes. Les quatre premiers vers sont de quatre syllabes métriques (tétrasyllabes), les vers 5 et 6 utilisés en épigraphe par Verlaine sont de cinq syllabes (pentasyllabes). Nous repassons ensuite à deux vers de quatre syllabes, mais le neuvième vers est de cinq et le dixième de six syllabes. Nous avons une marge pour des vers courts de trois syllabes (vers 11 et 13), mais on voit bien que d'autres différences de vers ne sont pas soulignées. Le vers 12 est de cinq syllabes, mais le vers 14 repart sur la base de quatre syllabes. Nous repassons un peu plus loin à cinq syllabes : "Mais comme un feuillage", redescendons à quatre : "Qu'un vent ravage," pour remonter à deux vers de six syllabes. Ensuite, deux vers de quatre syllabes sont isolés par une marge avant un décasyllabe (hémistiches de quatre et six syllabes), et enfin nous avons une progression d'un vers de quatre syllabes à un vers de cinq syllabes.
Il s'agit de l'ariette n°17, elle vient tard dans la pièce, au milieu du second et dernier acte.
Lorsque les personnages ne chantent pas, nous avons un mélange important de décasyllabes à césure après la quatrième syllabe avec des alexandrins, précisément les deux vers que nargue la configuration du premier vers de "Larme". Ninette, personnage féminin de la pièce, est nommément cité en tant que "villageoise" au sein de la pièce, et les termes "village(s")", "villageois(es")" reviennent à quelques reprises à la rime dans cette pièce. Il est aussi question de la cabane de paysans, paysan étant quelque peu synonyme pour villageois. La "cabane" est un terme clef mais exotique d'un quatrain de "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" où il est question de torcher des floraisons dignes d'Oises extavagantes et Rimbaud renonce dans "Larme" à la leçon "colocase" à la rime pour la leçon "Case / Chérie". Le retrait de Rimbaud a sans arrêt des équivalents dans la pièce "Ninette à la Cour" qui oppose la vraie Nature au monde artificiel jusqu'aux fleurs de la Cour. Ninette est enlevée au secret de ses bosquets, etc. Et les agitations du vent sont des métaphores des mouvements du coeur. Cette ariette numéro 17 fait immédiatement suite à une critique par Ninon du mensonge du monde de la Cour qui est "un pays maudit" "Où l'on mange sans appétit" "Où la gaieté n'est que grimace", "Où le plaisir n'est que du bruit." L'enchainement de ces vers a l'ariette est immédiat. Et l'ariette est suivie par une réplique d'Emilie, sa rivale auprès du Prince : "Elle a de l'esprit comme un Ange[.]" Je vous laisse apprécier à quel point une bonne connaissance de cette pièce valorise vos lectures des poèmes du printemps et de l'été 1872 de Rimbaud. D'ailleurs, au début de la pièce, un vers : "Je chante à mon tour", a visiblement été repris tel quel par Rimbaud dans "Âge d'or".
L'héroïne de la pièce est la villageoise Ninette, parfois nommée Ninon. Il y a tout lieu de penser que Rimbaud connaissait déjà cette pièce de Favart en 1870. Cette pièce est une parodie d'une autre Bertholde à la cour. Ninette est fiancée à Colas, mais un Prince voit Ninette et en tombe amoureux. Colas jaloux tord le bras de Ninette qui, pour se venger, suit le Prince à la Cour, mais sans en être amoureuse. Elle se plaint de toute façon de la vie à la Cour, songe à en rire avec Colas, lequel arrive à la Cour dans un déguisement de "gentilhomme villageois" pour la récupérer, mais il ne reconnaît pas Ninette à cause de se "beauté en peinture". Ninette en profite pour essayer les sentiments de Colas, tandis que Colas fait semblant d'en être amoureux pour s'en servir pour approcher Ninette, de la parodie de Marivaux en quelque sorte. Les deux se retrouvent fâchés l'un contre l'autre. Quant au Prince, il a cherché à tromper sa vraie promise Emilie, mais se repent de la faire pleurer, sans renoncer à Ninette, et cela nous vaut une ariette où il est question d'orage et de tempête en mer, toutes images métaphoriques évidemment. Je vous laisse deviner le parti à en tirer pour une lecture de "Larme", poème qui n'imite pas l'intrigue de la comédie de Favart mais qui est plus que visiblement conçue à partir de plusieurs de ses clefs symboliques.
Astolphe apprend que Colas et Ninette se sont brouillés, mais un nouveau quiproquo de l'imagination de Ninette va faire qu'Astolphe va déclarer sa femme à Emilie dans l'obscurité, croyant parler à Ninette.
Nous avons alors droit à une ariette n°29 qui nous livre une morale où l'avantage du village c'est de vivre en liberté et de suivre la gaieté. La préférence va au fait de folâtrer sur la fougère.
Rimbaud reprend ces idées symboliques dans "Larme", mais il se refuse à l'idée d'affirmer la gaieté du village ou du refuge de la bruyère pour produire un discours poétique d'une tout autre envergure et qui semble loin des préoccupations de la pièce plus légère de Favart.
Maintenant, je remarque que le titre "L'Ariette oubliée" n'apparaît nulle part dans cette édition de la pièce. Et j'écoutais ces jours derniers des chansons de Béranger sur le site Youtube, mais je n'ai pas connaissance d'une mise en ligne de l'Ariette oubliée de Favart chantée, voire mise en musique. Personne ne tient compte des recommandations de Rimbaud et Verlaine.
Au fait, le vers "Le monde est vicieux" de "Âge d'or", poème qui reprend déjà un vers à Un caprice amoureux ou Ninette à la cour" ("Je chante à mon tour") derrière "Reconnais ce tour" et "Je chante aussi, moi" coïcide avec le premier vers du passage en vers des Deux Jumelles qui a rendu Favart célèbre : "Le monde est plein de tricheries".
RépondreSupprimerJ'ai oublié de préciser que Desbordes-Valmore a un lien poétique à Favart. Adolescente, dans la période de transition entre Révolution et Empire, elle gagnait sa vie en tant qu'actrice et elle a joué au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles, lieu connu de Favart et je rappelle le Kiosque de la Folle par affection dans "Juillet" qui est une allusion assez limpide à Favart (note en passant : Léon Gozlan avait écrit un livre La Folle du logis que je n'ai pas lu, mais je ne sais ce que vaut cette piste). Desbordes-Valmore est liée à Douai, et Favart a aussi quelques liens avec le Nord. Les ariettes de Favart c'est un peu le modèle de la poésie que jouait sans doute sur scène Marceline et le modèle en tout cas de sa poésie personnelle. Il y a une continuité entre l'esprit de la poésie de Favart et celui de Desbordes-Valmore. J'ajoute qu'Offenbach a fait un opéra Madame Favart sur la célèbre histoire du couple Favart au XVIIIe, Offenbach déjà lié aux "Reparties de Nina" et "Mes petites amoureuses" et dans Ce qui retient Nina justement Nina éconduit un homme pour un bureau qui l'entretient. Dans Ninette, Ninette éconduit Colas pour aller avec le Prince et Madame Favart la vraie a été enfermée et Favart a dû s'enfuir parce qu'un de Saxe (parent de George Sand ?) voulait que madame Favart soit sa maîtresse, ce que traite en décalé la pièce d'Offenbach...
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