Si vous y avez prêté attention, nous avons jusqu'à présent traité des deux poèmes en vers de douze syllabes que nous avons prouvé être deux poèmes en alexandrins (avec deux hémistiches de six syllabes et des césures chahutées dont chercher les effets de sens) et des deux poèmes en vers de dix syllabes les plus tardifs de Rimbaud. "Jeune ménage" est daté sur le manuscrit du "27 juin 1872" et "Juillet" ne peut pas avoir été composé plus tôt que l'arrivée de Rimbaud et Verlaine à Bruxelles, plusieurs jours après leur départ de Paris le 7 juillet 1872. Par conséquent, "Tête de faune" et "Conclusion" de "Comédie de la soif" sont les plus vieux poèmes en vers de dix syllabes connus de Rimbaud. "Tête de faune" fait partie de l'ensemble paginé remis à Forain et Millanvoye. Nous avons envie de dire d'un ensemble de vers première manière, mais "Tête de faune" est précisément l'exception. Ce poème semble dater de février ou du début du mois de mars 1872. Lors du retour de Rimbaud à Paris en mai 1872, le dossier paginé a fait l'objet de quelques retouches ("L'Homme juste", "Les Mains de Jeanne-Marie"). Selon une lettre de Verlaine, Forain était déjà en possession d'un dossier sécurisé des poèmes de Rimbaud. Mais, vu la transmission du dossier connu à Millanvoye, nous comprenons que le dossier a été retouché en mai 1872 au retour de Rimbaud, mais remis à nouveau entre les mains de Nouveau en compagnie d'un lot d'autres poèmes nouveaux datés de mai 1872 même : "Larme", "La Rivière de Cassis", "Bonne pensée du matin" et bien sûr "Comédie de la soif" qui contient une "Conclusion" en vers de dix syllabes. Il faut y ajouter la prose des Déserts de l'amour qui coïncide parfaitement avec la description que fait Verlaine d'un manuscrit considéré comme perdu à l'époque sous le titre La Chasse spirituelle. C'est effectivement l'unique texte de Rimbaud qui peut légitimer l'idée d'une confusion entre la lecture d'une lettre et celle d'une œuvre littéraire, et il est bien question d' "aperçus psychologiques" dans ce qui nous est parvenu. Et l'écriture peut ressembler à un témoignage réaliste à la différence du livre Une saison en enfer dont la dimension littéraire s'impose immédiatement à l'esprit. Il va de soi que Verlaine mentait, voulait donner le change et que cette histoire de pli cacheté est douteuse, mais il ne fait aucun doute que quand Verlaine évoque le contenu de La Chasse spirituelle il évoque la prose des "Déserts de l'amour". Verlaine parle de poèmes en prose laissés chez les Mauté dans un inventaire dressé lorsqu'il était en Angleterre. Si je considère que La Chasse spirituelle décrit le contenu des Déserts de l'amour, je suis d'accord avec Jacques Bienvenu sur le fait que le doublon La Chasse spirituelle et quelques poèmes en prose est un leurre. J'ignore si le titre La Chasse spirituelle est un titre inventé pour sa défense, mais Verlaine a continuellement parlé d'un manuscrit en prose perdu et tout indique qu'il s'agissait des Déserts de l'amour. Ces poèmes en prose existaient bien à l'époque puisqu'ils font partie d'un dossier remis à Forain puis Millanvoye où les productions les plus récentes sont datées et exclusivement du mois de mai. Tout concorde. Le premier mensonge était de faire croire que les "poèmes en prose" et La Chasse spirituelle désignait deux œuvres distinctes. Le deuxième mensonge était l'idée d'un manuscrit protégé sous plis cacheté, et le troisième mensonge était de vouloir faire croire que les Mauté avaient confondu des lettres intimes et des poèmes. Notons également qu'il a bien fallu que pendant ces quasi deux mois d'absence Rimbaud compose de temps en temps un poème. Le manuscrit des "Déserts de l'amour" est le témoin sensible d'une composition faite pendant cette période-là. Quant aux poèmes datés du mois de mai, ils sont trop nombreux pour que cela nous paraisse crédible. Le poème "Comédie de la soif" étant particulièrement long et subdivisé lui-même en plusieurs petits poèmes, il y a fort à parier qu'il ait été principalement composé avant le retour à Paris de Rimbaud. Pour rappel, au-delà des poèmes remis à Forain, Rimbaud a encore composé une série "Fêtes de la patiences" dont une version se retrouva dans les mains de Jean Richepin. Trois poèmes de cette série sont datés du mois de mai, et le seul poème "Âge d'or" est daté de juin. Comme aucun de ces quatre poèmes ne figure dans l'ensemble remis à Forain, il semble logique d'envisager que "Bannière de mai", "Chanson de la plus haute Tour" et "L'Eternité" aient été composés à la fin du mois de mai, tandis que "Comédie de la soif", "Larme", "La Rivière de Cassis" et "Bonne pensée du matin" sont des mises au propre du début du mois de mai, avec l'idée que certaines compositions pourraient néanmoins dater réellement du mois d'avril.
En tout cas, "Tête de faune" et "Conclusion" de "Comédie de la soif" sont les deux poèmes en vers de dix syllabes les plus anciens de Rimbaud. Or, nous avons prouvé que le poème en vers de dix syllabes le plus tardif "Juillet" était rigoureusement composé avec l'idée d'une césure après la quatrième syllabe. Le constat est moins net avec "Jeune ménage", et il faudra à l'avenir commenter les effets de sens, mais nous avons souligné plusieurs détails de la composition qui prouvaient que le poème avait été pensé en fonction de la césure après la quatrième syllabe, et nous avons même présenté un argument extrêmement puissant pour définitivement exclure la lecture en hémistiches de cinq syllabes : répéter deux fois de suite soit une même syllabe, soit un même phonème, est déjà mal vu depuis Malherbe en poésie, mais le fait peut se produire et il existe des mots à l'intérieur desquels une syllabe est répétée deux fois successivement, cependant cela devient rédhibitoire pour identifier une césure quand la répétition appartient à la première syllabe d'un mot : "Que ce sont bien intrigues de génies". Les césures doivent être identifiables. Imaginez l'effet désastreux d'une lecture forcée : "Que ce sont bien in..." d'un premier hémistiche qui ne fait pas sens. Nous avons à la fois un saut comme à cloche-pied sur deux "in" et une double suspension de la voix du coup, après le premier "in" pour le distingue du suivant, et après le second "in" pour marquer la césure, car je précise que dans le cas d'une lecture métrique forcée des césures le cerveau humain ne peut pas faire l'économie d'un temps d'arrêt et de prise de conscience à la lecture. Personne n'est obligé de marquer une pause à la césure d'un vers classique, mais le "repos" est intellectuellement nécessaire face à une accumulation de césures chahutées. Les césures chahutées imposent de dramatiser la lecture et à l'époque de Rimbaud les lectures de vers ne se faisaient pas avec une voix blanche, ainsi que les professeurs d'université en ont froidement radicalisé l'usage depuis au moins les années soixante.
Nous en sommes arrivés à une liste intéressante de critères permettant d'identifier les césures des poèmes en vers de Rimbaud au printemps et à l'été 1872. Nos critères s'éloignent de la méthode de Cornulier qui tend à suivre le poème. C'est très net dans le cadre de son étude du poème "Qu'est-ce..." où il prend le premier vers, traite la césure, puis la rime (ou l'entrevers pour être plus précis), puis signale à l'attention le problème posé par la seconde césure. En effet, dans nos approches, nous avons mis en avant l'étude de la configuration d'ensemble du poème, en insistant sur des séries constituées, en insistant également sur l'idée de positions clefs au milieu du poème et nous avons aussi eu l'idée de hiérarchiser les audaces, puisque nous faisons remarquer la rareté des enjambements de mots à la césure en tant que tels dans "Mémoire" ou "Juillet".
"Tête de faune" et "Conclusion" de "Comédie de la soif" sont des compositions plus anciennes que "Jeune ménage" et "Juillet" : il serait étonnant que nous échouions à identifier leurs césures.
Deux versions nous sont parvenues du poème "Tête de faune". Une version a été publiée dans Les Poètes maudits, mais elle doit être relativisée. Olivier Bivort a fini par retrouver la première citation du poème en fonction du même manuscrit que celui utilisé pour Les Poètes maudits et cette version publiée dans la Revue critique comporte quelques variantes. L'autre version manuscrite ne pose pas problème, nous avons cette fois connaissance du manuscrit sous forme de fac-similé.
La version publiée dans "Les Poètes maudits" :
TÊTE DE FAUNE
Dans la feuillée, écrin vert taché d'or,
Dans la feuillée incertaine et fleurie,
D'énormes fleurs où l'âcre baiser dort
Vif et devant l'exquise broderie.
Le Faune affolé montre ses grands yeux
Et mord la fleur rouge avec ses dents blanches.
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux,
Sa lèvre éclate en rires par les branches ;
Et quand il a fui, tel un écureuil,
Son rire perle encore à chaque feuille
Et l'on croit épeuré par un bouvreuil
Le baiser d'or du bois qui recueille.
Voici la version révélée par Bivort dans un article du volume d'hommages à Michael Pakenham. Pakenham faisait partie des rimbaldiens qui m'appréciait, il m'avait même envoyé des documents inédits sur la recherche de la descendance des Cabaner (ce qui prouve bien qu'il me considérait), mais je n'ai pas été invité à participer à ce volume d'hommages. Mais, peu importe ! Donc, voici la version révélée par Bivort dans le volume collectif Le Chemin des correspondances et le champ poétique, à la mémoire de Michael Pakenham, Classiques Garnier, 2016, p. 117-118 :
Tête de faune
Dans la feuillée, écrin vert taché d'or,
Dans la feuillée incertaine et fleurie
D'énormes fleurs où l'âcre baiser dort,
Vif et crevant l'exquise broderie
Le Faune affolé montre ses grands yeux
Et mord la fleur rouge avec ses dents blanches ;
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux
Sa lèvre éclate en rire par les branches :
Et quand il a fui - tel un écureuil,
Son rire perle encore à chaque feuille,
Et l'on croit épeuré par un bouvreuil
Le baiser d'or du bois qui se recueille.
La leçon "crevant" figure sur le manuscrit du dossier paginé remis à Forain puis Millanvoye, ce que Charles Morice ne pouvait savoir, il est donc clair qu'il retranscrit scrupuleusement le manuscrit que lui a confié Verlaine, et, en prenant bien conscience que ce n'est pas Verlaine l'ouvrier-typographe qui a composé le texte des Poètes maudits, il est évident que "devant" est une coquille enfin mise à jour de la version publiée dans Les Poètes maudits. Charles Morice semble plus scrupuleux. L'autre détail important du texte est la présence d'un tiret après "fui". Nous prendrons donc la version établie par Charles Morice comme référence et oublierons sans regret la version des Poètes maudits.
Ce poème est réputé pour être le premier connu de Rimbaud qui pose un problème d'identification de la césure. Dans Théorie du vers, Cornulier a émis l'hypothèse que nous pourrions changer de césure quatrain après quatrain. Le premier quatrain aurait la césure traditionnelle après la quatrième syllabe. Le second quatrain témoignerait de l'intérêt du XIXe siècle pour le décasyllabe de chanson aux deux hémistiches de cinq syllabes. Pour rappel, au XVIIIe siècle, Voltaire, dont ne jamais oublier qu'il était alors plus connu en tant que poète et dramaturge qu'en tant que conteur philosophique, avait fustigé ce recours par l'obscur poète Régnier-Desmarais (mort en 1712) qui s'en était cru l'inventeur. Le poème en vers de dix syllabes aux deux hémistiches de cinq syllabes se développe dès l'époque romantique et devient assez courant au temps des parnassiens. Rimbaud aurait donc composé le deuxième quatrain en changeant d'étalon. Puis, au troisième quatrain, Rimbaud serait passé à la troisième césure possible, celle après la sixième syllabe. Philippe Rocher a développé et exploré l'idée d'un changement de césure quatrain par quatrain, mais tout en y adhérant il en a souligné les limites. Rocher a également révélé le cas d'un poème des Nuits persanes d'Armand Renaud qui alternait les deux types de décasyllabes. Le recueil Les Nuits persanes est connu de Rimbaud depuis ses débuts, puisqu'il le cite dans son courrier à Izambard. Et Renaud était un collègue de Verlaine, Mérat et Valade à l'Hôtel de Ville, bien qu'il ne fit pas partie de leur joyeuse bande visiblement. Toutefois, l'alternance de Renaud revêt un caractère systématique et est distincte de ce qui est soupçonné dans le cas de "Tête de faune". Renaud composait les vers impairs sur un patron et les vers pairs sur un autre. Rimbaud, lui, changerait de patron quatrain après quatrain, ce qui n'est pas la même chose. Enfin, j'ai découvert que, dans un poème en vers libres (au sens classique), Musset avait mélangé les deux types de décasyllabes. J'ai découvert par la suite que le fait avait déjà été mentionné par Jean-Michel Gouvard dans un livre général sur la versification. Musset a en effet composé un poème "Souvenir des Alpes" où de manière désordonnée le poète recourt à plusieurs types de mètres. Le premier vers du poème impose clairement la lecture d'un vers de dix syllabes deux hémistiches de cinq syllabes, mais dans la suite du poème les décasyllabes retrouvent la césure après la quatrième syllabe, puis soudain un nouveau décasyllabe de chanson surgit.
Fatigué, brisé, vaincu par l'ennui,
[...]
Sous un vieux pont, dans un site écarté,
[...]
Deux oisillons, dans un pin d'Italie,
En sautillant s'envoyaient tour à tour
[...]
Là, le cœur plein d'un triste et doux mystère,
[...]
Ôte-moi ces yeux que je vois toujours !
[...]
Voici un lien pour consulter le poème en ligne (
"Souvenir des Alpes" ). Appréciez la mise en page. Les marges sont en fonction des différents vers employés, mais il n'est pas de peu d'intérêt d'observer que la marge est identique pour tous les vers de dix syllabes que la césure soit après la quatrième syllabe ou après la cinquième syllabe. Dans l'absolu, il s'agit de deux vers bien distincts, ils ne devraient pas être alignés. J'en profite aussi pour vous inviter à comparer le cliché des "oisillons" "sautillant" avec les "oiseaux" qui "sautent" dans "Mémoire". J'évite de poursuivre mon relevé tout au long du poème de Musset, je vous laisse le faire vous-même.
Lorsqu'il a publié son ouvrage Théorie du vers, Cornulier n'avait pas trop de recul historien sur la question des césures dans les décasyllabes. Il n'y a rien à redire sur le fait que la césure traditionnelle soit après la quatrième syllabe et la césure d'un vers de chanson ayant gagné en popularité au dix-neuvième siècle après la cinquième syllabe. En revanche, la question de la césure après la sixième syllabe est plus problématique. Il n'existe que deux vers de dix syllabes dans la tradition française : celui traditionnel avec des hémistiches de quatre et six syllabes, et celui de chanson avec deux hémistiches de cinq syllabes. Le décasyllabe traditionnel impose que l'hémistiche de quatre syllabes soit placé avant et que celui de six syllabes soit placé en second. Toutefois, dans la tradition italienne, des interversions seraient tolérées à l'occasion. Les italiens étant des français heureux et donc les français des italiens malheureux, l'idée fait son chemin que le procédé existe aussi dans la tradition française, sauf que nous n'en connaissons aucune attestation. Il y en aurait d'authentiques dans des pièces obscures de Voltaire, peut-être dans La Pucelle d'Orléans que je n'ai jamais lue. En tout cas, j'ai déjà lu des tonnes et des tonnes de poèmes de Voltaire, je n'ai jamais repéré une telle variante de combinaison des hémistiches dans ses décasyllabes. En gros, avant 1850, je ne connais aucun décasyllabe de la poésie littéraire française qui puisse être consacré comme appliquant le principe de l'interversion des hémistiches de quatre et six syllabes. Quant aux candidats au-delà de 1850 et au moins jusqu'aux années 1880 pour bien refermer le contexte autour des créations de Rimbaud, il s'agit d'erreurs d'interprétations des métriciens du XXe siècle qui, avant les interventions de Roubaud et Cornulier, déplaçaient les césures au gré de leurs impressions à la lecture, dès qu'une difficulté grammaticale semblait être observée. En clair, même avec un poète aussi audacieux que Verlaine, Rimbaud n'avait jamais rencontré d'authentique décasyllabe où au milieu d'une structure imposant la succession quatre et six se rencontrait la succession inverse 6 et 4.
L'absence de tradition ne suffit pas à exclure la possibilité d'un dernier quatrain composé avec une césure après la sixième syllabe dans "Tête de faune", mais il s'agit tout de même d'un correctif de taille. La césure ne peut pas être anticipée par les lecteurs à l'époque. Pour la justifier, il faudrait montrer que, techniquement, tout le dernier quatrain de Rimbaud s'y moule parfaitement à l'exclusion des deux possibilités traditionnelles. J'espère que vous mesurez l'importance de cet argument de poids. Précisons que Cornulier, Gouvard et d'autres métriciens ont partiellement conscience de cette réalité historique et la formulent dans leurs ouvrages plus récents, mais il faut alors réécrire l'analyse de "Tête de faune" à l'aune de cette révélation. En fait, c'est à vérifier s'ils en ont nettement conscience. Je ne suis pas sûr qu'ils aient nettement indiqué que le vers avec une césure après la sixième syllabe n'existait pas. Je sais certaines choses par des échanges personnels et je sais seulement que le dernier cas à éplucher sur le sujet c'est des poèmes rarement lus de Voltaire.
Nous allons commencer par la lecture de la seule version fournie par Charles Morice et nous allons vérifier si cet affrontement des césures quatrain par quatrain peut se soutenir. Commençons par la lecture en décasyllabes traditionnels.
Tête de faune
Dans la feuillée, écrin vert taché d'or,
Dans la feuillée incertaine et fleurie
D'énormes fleurs où l'âcre baiser dort,
Vif et crevant l'exquise broderie
Le Faune affolé montre ses grands yeux
Et mord la fleur rouge avec ses dents blanches ;
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux
Sa lèvre éclate en rire par les branches :
Et quand il a fui - tel un écureuil,
Son rire perle encore à chaque feuille,
Et l'on croit épeuré par un bouvreuil
Le baiser d'or du bois qui se recueille.
Le premier quatrain impose une claire lecture en hémistiches de quatre et six syllabes. Nous n'avons rien souligné du tout. Il est vrai que des difficultés apparaissent dans les deuxième et troisième quatrains. Toutefois, au plan du troisième quatrain, un seul vers pose des difficultés. Le rejet du complément du nom "du bois" est naturel au dernier, tandis que le rejet "encore" n'étonnera aucun lecteur des poésies de Victor Hugo, et même aucun lecteur des tragédies classiques de Corneille ou Racine. Le rejet de "fui" est plus particulier, puisque nous avons de part et d'autre de la césure un auxiliaire d'une syllabe et un participe passé d'une syllabe. Toutefois, c'est l'analyse grammaticale qui doit primer, et la séparation de l'auxiliaire et du participe passé d'un verbe à un temps composé est banale en poésie, et se rencontre tant dans les pièces de Corneille et Racine que dans les poésies lyriques hugoliennes.
Il est vrai que certains observateurs épinglaient de telles césures quand elles étaient effectuées autour d'un monosyllabe. Barthélémy Aneau, l'auteur finalement identifié de l'anonyme "Quintil horacien", épinglait de la sorte une césure de du Bellay dans un sonnet de L'Olive. Je précise que je ne méprise pas la réaction de Barthélémy Aneau face à du Bellay. Sur de nombreux points, la critique est fondée. Puis, il ne faut pas oublier qu'au milieu du XVIe siècle, nous sommes dans une évolution où la netteté des hémistiches se renforce. Ronsard et du Bellay ont participé eux aussi à cette évolution, ce qui rend particulièrement injustes les critiques de Malherbe qui a récupéré le prestige de l'évolution à son profit vu qu'il était situé en fin de parcours du mouvement. D'ailleurs, sauf inattention de ma part, la césure qu'épingle Aneau, du Bellay se gardera bien de la reproduire à nouveau dans ses recueils ultérieures Les Antiquités de Rome, Les Regrets, etc. Et j'insiste vraiment. Je possède le volume Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance édité, introduit et annoté par Francis Goyet au Livre de poche en 1990. Il contient l'Art poétique français de Sébillet, le "Quintil horacien" attribué à Barthélémy Aneau, l'Art poétique de Peletier du Mans, La Rhétorique française de Fouquelin et l'Abrégé de l'art poétique français de Ronsard. Le Quintil horacien est particulièrement intéressant, puisqu'il critique point par point la Défense et illustration de la langue française de Joachim du Bellay. Les critiques sont justes. Vous verrez que tout grand poète qu'il est du Bellay se fait critiquer pour d'excellentes raisons par Aneau, et vous verrez que même en Littérature l'histoire est écrite par les vainqueurs puisque nous apprenons à l'école des préjugés sur l'opposition de du Bellay et Ronsard sur la médiocrité des traditions françaises avant eux. Mais, j'en viens à mon sujet. Vers la fin de son écrit (page 207 dans l'édition au Livre de poche), Barthélémy Aneau se moque perfidement de du Bellay qui formule un précepte qu'il n'a pas pleinement respecté dans ses propres sonnets de L'Olive (la première version de cinquante sonnets en contexte) :
C'est quand en la quadrature des vers Héroïques, la sentence est trop abruptement coupée. - Au vice que tu reprends, ici tu y tombes au tiers sonnet, et plusieurs autres lieux. Jàçoit que le vice n'est pas ce que tu reprends : si la quarte syllabe est seule et aiguë, comme au commencement de la seconde Epître de l'Amant vert.
Dans la citation qui est faite de du Bellay, la mention "vers Héroïques" désigne le décasyllabe traditionnel, ce n'est qu'ultérieurement que l'alexandrin a pris ce rang.
Barthélémy Aneau cite le troisième sonnet de la première édition en cinquante sonnets de L'Olive. Il suffit de s'y reporter et nous identifions que c'est le second vers du sonnet qui est fustigé par Aneau, puisque les autres césures ne posent aucun problème de lecture :
Loyre, fameux, qui ta petite source
Enfles de maints gros fleuves, et ruysseaux,
[...]
Aneau rappelle cruellement à du Bellay que sa césure après "maints" est "trop abruptement coupée". Notons tout de même que cela n'a pas empêché du Bellay de composer initialement ce vers de la sorte, et il le maintiendra. En clair, il s'agit d'une césure moins nette, mais il ne s'agit ni d'une absence de césure, ni d'une configuration purement et simplement erronée que les autres poètes n'auraient pas pratiquée.
Toutefois, la citation d'Aneau se réfère à un passage du texte de du Bellay qu'il n'a pas cité et il évoque un vers d'un autre poète du XVIe siècle.
Revenons dans un premier temps au texte de la Défense et illustration de la langue française (livre II, chapitre X). Et précisons le contexte. En 1548, Thomas Sébillet a publié son Art poétique français, et du Bellay le considère comme un rival à discréditer. Et Aneau en critiquant ce passage de du Bellay vole aussi quelque peu au secours de Thomas Sébillet comme vous allez vous en apercevoir :
[...] J'ai quasi oublié un autre défaut bien usité et de très mauvaise grâce : c'est quand en la quadrature des vers héroïques la sentence est trop abruptement coupée, comme : Sinon que tu en montres un plus sûr. [...]
Joachim du Bellay dénonce une césure sur le pronom "tu" d'un sonnet de Sébillet, Aneau lui réplique en dénonçant une césure sur le déterminant d'une syllabe "maints" dans le troisième sonnet de L'Olive. Nous reconnaissons deux césures inimaginables dans la poésie classique, et même en principe dans la poésie du XVIe siècle. Citons le sonnet de Thomas Sébillet, il révèle deux césures aberrantes consécutives, mais Cornulier a analysé ce poème, dans un article dont je n'ai pas les références, en soulignant qu'il s'agit d'une malice. Sébillet fait exprès d'offrir deux vers faux dans un sonnet placé en tête de son Art poétique français. Malveillant, du Bellay n'a pas reconnu la volonté de plaisanter :
A l'envieux
Qu'ai-je espéré de ce tant peu d'ouvrage,
Que ma plume a labouré ci-dedans ?
Honneur ? nenni : je suis trop jeune d'ans
Pour le gagner, de savoir davantage.
Profit ? non plus : de tout tel labourage
Aujourd'hui sont les fruits peu évidents.
T'enseigner ? moins : je sais tes yeux ardents
Ne s'éclaircir de tant ombreux nuage.
Quoi donc ? te plaire, entreprenant montrer
Quel vouloir j'ai de voir garder les Muses
Entre Français leur naïve douceur.
Et le montrant si j'ai pu rencontrer
Chemin pour y venir, que tu en uses :
Sinon, que tu en montres un plus seur.
Les deux césures déviantes n'apparaissent qu'aux deux derniers vers du sonnet, l'une sur "y" comme le dernier alexandrin avorté de "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,..." (mais non dénoncée directement par du Bellay), et l'autre sur le pronom personnel sujet "tu" (cette fois dénoncée directement par du Bellay). Cers deux effets sont solidaires de la chute du poème qui se moque de l'envieux en l'invitant à trouver de meilleures règles. En même temps, la promotion du "tu" à la césure met au devant de la scène cet envieux sommé de faire ses preuves à son tour. Le célèbre auteur des Regrets s'est montré particulièrement obtus à la lecture de ces vers humoristiques de Sébillet. Aneau ne met pas les points sur les "i" en précisant que Sébillet plaisantait. Il laisse les lecteurs comprendre les choses par eux-mêmes, ce qui est encore assez perfide vis-à-vis de du Bellay qui se fait encore une fois rabaisser. En effet, ne pas dévoiler qu'il y a une feinte, crée une connivence en-dehors de laquelle se situe du Bellay. Il lui est carrément reproché de ne pas savoir lire entre les lignes. Notons également que la césure au second vers du sonnet de Sébillet détache un auxiliaire sous forme de monosyllabe du participe passé "labouré" ce qui prouve en passant que cette forme de monosyllabe n'est pas aberrante à la césure. Ce qui est vrai, c'est que lorsque l'auxiliaire et le participe passé sont tous deux des monosyllabes la lecture de la césure peut déconcerter quelque peu. Mais ce n'est pas une conséquence d'une configuration grammaticale, mais une conséquence d'une succession de deux monosyllabes.
En tout cas, en admettant d'identifier une mauvaise césure au dernier vers du sonnet de Sébillet, Aneau précise que l'erreur n'est pas d'une sentence "trop abruptement coupée". Aneau ne précise pas du tout en quoi le "tu" est une erreur, il précise seulement que le raisonnement de du Bellay est problématique, puisque du Bellay compose plusieurs vers aux sentences abruptement coupées à la césure et Aneau cite en tiers un vers de Lemaire de Belges. Mais, dans le vers d'Aneau, ce n'est pas la quatrième syllabe qui est "seule et aiguë" devant la césure, mais la cinquième, ce qui fait que la réponse d'Aneau n'est pas des plus limpides :
Après avoir vu le Rhin, Meuse et Seine (Jean Lemaire de Belges, L'Amant vert, vers 2).
Notons une critique quelque peu similaire par Colletet qui a écrit une "Vie d'Estienne Durand", poète peu connu du XVIIe siècle, mais qui a tout de même une reconnaissance parmi les curieux. Colletet cite plusieurs poèmes et il fait des observations avec quelques critiques sur le choix des mots, les rimes, les césures. Il critique ici une césure comparable aux cas qui nous occupent :
[...] Voici un autre sonnet du même auteur qui me semble fort ingénieux et qui, malgré la mauvaise césure de son dixième vers, me semble très bien imaginé et a quelques chose de noble et d'esclatant : c'est sur une absence de sa maistresse :
Un jour Borée ayant faict tresbucher
Mille vaisseaux dans la mer écumeuse,
Dedans l'obscur d'une forêt affreuse
Trouva l'Absence auprès d'un vieux rocher.
Il laisse à part son froid pour l'approcher,
Et la trouvant quelque peu dédaigneuse,
Il presse tant qu'il la rend amoureuse
Et dans son lit luy permet ce coucher.
En cette nuit ils firent l'Oubliance
Qui depuis a toujours suivi l'Absence,
Et de Borée a gardé la froideur.
Hélas ! ma belle estant avec la mère,
Sçachant cela sa fille me fait peur,
Et crains encore la froideur de son père.
La césure considérée comme défectueuse concerne un auxiliaire avoir dans une forme conjuguée d'une syllabe. Les plus intelligents observeront tout de même que la position de l'adverbe "toujours" prouve qu'un poète n'est pas sot d'oser séparer à la césure les deux mots d'un temps verbal composé. Le mécanisme de la langue française pour parler comme un célèbre rapport de police de 1873 le permet.
Guillaume Colletet était un poète du XVIIe siècle (1598-1659) et, estimé par Richelieu, il fut parmi les premiers membres de l'Académie française. Il s'agit d'un poète assez licencieux, il fut des compagnons de Théophile de Viau à ses débuts. Il est bien connu des spécialistes de la littérature classique. Etienne Durand est plus obscur. Il faut dire qu'il a écrit un pamphlet contre Louis XIII qui lui a valu le bûcher. De temps en temps, au XXe siècle, des tentatives sont faites pour le sortir de l'oubli, c'est le cas d'Yves Bonnefoy.
Dans tous les cas, nous constatons que les poètes pouvaient placer un auxiliaire d'une syllabe devant la césure ou bien un participe passé de verbe à un temps composé au début du second hémistiche. Rimbaud réunit les deux au vers 9 de "Tête de faune", et nous n'avons aucune raison objective pour prétendre que la césure est impossible entre "a" et "fui", même si nous pouvons toujours dire que la succession de deux monosyllabes tend à embrouiller notre esprit. Le tiret de la version établie par Charles Morice ne justifie pas de renoncer à la césure traditionnelle une syllabe auparavant. En clair, pour le dernier quatrain, il faudrait plaider un déplacement de la césure à cause du seul cas d'enjambement de mot du vers 11 sur "épeuré". C'est un peu maigre.
Voyons si dans la comparaison des trois possibilités, la solution d'une césure après la sixième syllabe est la meilleure. Commençons par le modèle avec une césure après la cinquième syllabe. Le vers 9 y est particulièrement favorable après tout et le second quatrain est supposé nous avoir habitué à cette nouvelle césure au poème selon la thèse de la variation quatrain par quatrain :
Et quand il a fui - tel un écureuil,
Son rire perle encore à chaque feuille,
Et l'on croit épeuré par un bouvreuil
Le baiser d'or du bois qui se recueille.
Le résultat est peu soutenable. Par rapport à l'idée d'une césure traditionnelle, nous passons à deux enjambements de mots en tant que tels. Celui sur l'adverbe "encore" est difficile à justifier par un effet de sens. Quant à celui sur "épeuré", il permet de souligner l'idée de "peur", mais c'est déjà le cas dans la configuration "é-peuré" d'une césure après la quatrième syllabe. Trois vers sont entravés dans cette nouvelle configuration contre un seul dans la configuration d'une césure après la quatrième syllabe. Si l'argument est que le premier quatrain a la césure traditionnelle et le second la césure du décasyllabe de chanson, on ne voit pas très bien comment le troisième quatrain empêcherait de revenir à la première configuration et serait à mettre au profit d'une continuité métrique du second au troisième quatrain.
Passons à la configuration d'une césure après la sixième syllabe, dont nous rappelons qu'elle n'a aucune légitimité pour elle au regard de l'histoire du vers français :
Et quand il a fui - tel un écureuil,
Son rire perle encore à chaque feuille,
Et l'on croit épeuré par un bouvreuil
Le baiser d'or du bois qui se recueille.
Il est vrai que dans cette configuration seul un vers offre une césure chahutée et les trois derniers vers favorisent l'identification de trois segments nets de quatre syllabes "à chaque feuille", "par un bouvreuil" et "qui se recueille". Toutefois, pour deux des trois derniers vers, la lecture de seconds hémistiches de six syllabes est elle-même naturelle : "encore à chaque feuille", "du bois qui se recueille". Seul l'enjambement de mot sur "épeuré" fait obstruction. Or, dans le cas d'une lecture du dernier quatrain avec une césure après la quatrième syllabe, les reliefs des césures des vers 9 et 11 permettent d'envisager une unité lexicale dans l'effet de sens, de "fui" à "épeuré". La racine "peur" peut très bien avoir été mise en relief par l'enjambement de mot.
Enfin, pour s'imposer à l'ensemble du quatrain, la lecture avec une césure après une sixième syllabe devrait concerner le vers 9. Or, alors qu'il s'agit du premier vers supposé adopté cette césure inconnue de la tradition française, alors que l'idée théorique est d'un commencement de nouvelle mesure à chaque quatrain, le vers 9 lu selon ce principe offre une réunion chaotique de monosyllabes : "a fui - tel" devant la césure hypothétique. Il ne s'en dégage aucun effet de sens. Pire encore, une telle césure ruine l'effet de l'impression de fuite "a fui", en suspendant anormalement l'esprit du lecteur sur le mot "tel". En clair, la lecture avec césure après la sixième syllabe du dernier quatrain n'est pas réellement défendable.
Il est temps de passer à l'analyse du second quatrain sur lequel tout va désormais se décider. Nous avons déjà vu le profil du quatrain avec une césure après la quatrième syllabe, mais nous citons cela pour rappel :
Le Faune affolé montre ses grands yeux
Et mord la fleur rouge avec ses dents blanches ;
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux
Sa lèvre éclate en rire par les branches :
Observons à tout hasard ce qu'il en est d'une lecture forcée avec césure après la sixième syllabe :
Le Faune affolé montre ses grands yeux
Et mord la fleur rouge avec ses dents blanches ;
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux
Sa lèvre éclate en rire par les branches :
Les quatre césures sont entravées, et il faudra se lever tôt pour expliquer le parti à tirer d'enjambements sur "ainsi" et "avec". Passons sans plus tarder à la configuration en décasyllabes de chanson :
Le Faune affolé montre ses grands yeux
Et mord la fleur rouge avec ses dents blanches ;
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux
Sa lèvre éclate en rire par les branches :
Il faut clairement concéder que la lecture des trois premiers vers est heureuse sous cette forme. Nous observons une césure un peu chahutée au seul dernier vers du quatrain, césure sur "en" qui ne fera pas sourciller un parnassien. Dans l'absolu, la lecture en décasyllabes de chanson est effectivement la meilleure. Toutefois, l'analyse métrique du quatrain doit être considérée dans son contexte, avec la compagnie des deux autres quatrains, quatrains pour lesquels la lecture qui s'impose est celle à césure traditionnelle. Ce n'est pas tout. Le premier quatrain a insisté sur la mesure traditionnelle par un effet de répétition ostentatoire "Dans la feuillée". Il n'existe pas dans la tradition française de poème changeant de mètre quatrain par quatrain, et une mesure sur deux vers avec la répétition "Dans la feuillée" est supposée marquer assez les esprits pour que l'esprit persévère et cherche à identifier la césure après quatrième syllabe au-delà du premier quatrain. On n'imagine pas Rimbaud prendre la peine de bien nous spécifier la mesure sur deux vers pour que nous n'ayons à l'identifier que sur les deux vers suivants 3 et 4. Cela n'a pas de sens. Il est beaucoup plus logique d'envisager l'ensemble du poème comme un défi à la reconnaissance de la césure traditionnelle.
Notre étude préalable du troisième quatrain nous permet aussi d'éliminer définitivement l'idée que Rimbaud a déplacé progressivement la césure. Il n'y a pas une césure unique pour chaque quatrain. Le premier quatrain et le troisième quatrain ont une césure après la quatrième syllabe, et un seul vers pose problème, le vers 10 avec un enjambement de mot sur "épeuré".
Il est aberrant de plaider que le second quatrain a une césure distincte sous prétexte que, dans l'absolu, elle convient mieux à la lecture de ce seul quatrain. Il est plus logique de considérer que les vers 5 à 7 sont un leurre volontaire qui nous met au défi de rétablir la césure traditionnelle appelée par la scansion initiale "Dans la feuillée". Oui, il faut écarter les feuilles pour apercevoir les branches.
Nous observons un autre pied-de-nez. Au plan du deuxième quatrain, la césure après la quatrième syllabe est fragilisée des vers 5 à 7, mais c'est un fait non négligeable qu'elle est plus légitime en revanche pour le cas du vers 8 qui au passage est une réécriture de l'alexandrin final du poème "Sous-bois" de Glatigny qui figure dans le volume anonyme et licencieux des Joyeusetés galantes... La lecture à césure traditionnelle est meilleure en prosodie et en effet de sens : "Sa lèvre éclate + en rire par les branches" que celle qui porte du coup mal son nom de césure pour vers de chanson : "Sa lèvre éclate en + rire par les branches". Par ailleurs, tout le monde connaît le vers final du "Dormeur du Val" avec le chevauchement de la césure : "Tranquille. Il a deux trous + rouges au côté droit." Les rejets d'un adjectif d'une syllabe sont fréquents dans les vers première manière de Rimbaud. Ils sont fréquents en particulier au plan des adjectifs de couleur. Dans le cas du "Dormeur du Val", le pluriel "rouges" compte pour deux syllabes, mais le "e" de la deuxième syllabe contribue à souligner le "ou" qui est rejeté après la césure. On le voit, c'est un mécanisme similaire aux monosyllabes pour la séquence verbale "a fui" au vers 9 de "Tête de faune", et en clair, la césure séparant "fleur" et "rouge" au vers 6 de "Tête de faune" ne pose aucun problème. Partant de là, la spécificité de "Tête de faune", c'est de chahuter la césure à trois reprises au moyen exclusivement de trois enjambements de mots : "affolé", "sanglante" et "épeure". Notons que "sanglante" participe d'un effet de sens dans sa relation à la césure du vers précédent sur "fleur + rouge" où comprendre qu'il y a eu morsure jusqu'au sang. Nous pouvons également considéré qu'il y a une unité lexicale de l'effet de sens pour "affolé" et "apeuré" puisque dans un cas la racine "fol" est soulignée, et dans l'autre la racine "peur". Notons que cela se fait sur un suspens nettement lié à l'expression du phonème "é".
Pour ce qui concerne la césure sur "affolé", il s'agirait d'un cas exceptionnel de césure rejetant une terminaison verbale. Cela tombe bien ! Verlaine en a donné le premier exemple dans sa comédie banvillienne Les Uns et les autres datée de septembre 1871, autrement dit daté très précisément du mois même de l'arrivée de Rimbaud à Paris. Cette composition a été faite chez les Mauté où Rimbaud va loger.
Au dernier poème des Fêtes galantes, Verlaine avait composé un poème en décasyllabes "Colloque sentimental" :
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.
Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leur paroles.
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé.
- Te souvient-il de notre extase ancienne ?
Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne ?
- Ton cœur bat-il toujours à mon seul nom ?
Toujours vois-tu mon âme en rêve ? - Non.
Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches. - C'est possible !
- Qu'il était bleu le ciel, et grand, l'espoir !
- L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.
Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.
Colletet et d'autres s'indigneraient peut-être des césures des vers 2 et 6, ce qui n'a pas lieu d'être. La poésie classique et la poésie romantique offrent de nombreux exemples de telles césures qui ne posent problème à aucun grand poète, et donc ni à Verlaine, ni à Rimbaud. Banville signalerait que la mise en page est un peu factice, puisque les distiques ne font que camoufler un poème en rimes plates. Il reconnaîtrait toutefois le charme nécessaire du procédé. Question d'ambiance !
Mais ce poème est aussi un modèle pour Rimbaud lorsqu'il compose "Tête de faune". J'ai déjà dit que "Credo in unam" était une inversion du poème final "L'Exil des Dieux" du recueil de Banville Les Exilés. "Tête de faune" a un peu d'une logique d'inversion par rapport à "Colloque sentimental". Et je rappelle que Fêtes galantes contient un poème en deux quatrains intitulé "Le Faune", que le mot "fêtes" devient titre de poème dans les mois suivant la composition de "Tête de faune" pour Rimbaud avec "Fêtes de la patience" et "Fêtes de la faim", et que quatre poèmes avant "Colloque sentimental" dans l'économie de recueil des Fêtes galantes le poème "Les Indolents" en octosyllabes fait état d'un autre colloque qui ne fut pas entendu que par la Lune, mais par deux "silvains hilares". Il est alors question d'une "exquise mort" digne sans aucun doute du "baiser d'or du bois qui se recueille".
Partant de telles considérations, nous observons que la reprise "Dans la feuillée" aux vers 1 et 2 de "Tête de faune" coïncide avec la répétition des vers 1 à 5 "Dans le vieux parc solitaire et glacé". Nous retrouvons la préposition "Dans" en tête de vers. La construction grammaticale du vers 2 de Rimbaud est fortement similaire : "Dans la feuillée incertaine et fleurie", et même pour le premier vers : "Dans la feuillée, écrin vert taché d'or", nous avons l'idée de soleil qui s'oppose à "glacé", et le mot "écrin" qui retourne en valeur positive l'idée négative de l'adjectif "solitaire" tel qu'employé par Verlaine.
Je peux plaider des rapprochements suggestifs pour "formes", "yeux", "lèvres", etc. Et nous relevons vers la fin des distiques de "Colloque sentimental" l'occurrence verbale "fui", l'attaque de vers par l'adjectif "Tels", ce que Rimbaud semble bien reprendre sur un seul vers : "Et quand il a fui - tel un écureuil," tandis que dans "avoines folles" nous pouvons identifier le contrepoint de folie qui alimente l'inversion globale de "Colloque sentimental" que constitue "Tête de faune" : "Un faune affolé..."
J'ai souligné les mentions "le ciel" et "nos bouches" parce que le poème de Verlaine les met en relief au moyen de la césure, mais il s'agit de césures tout à fait normales. En revanche, la césure du vers 8 est exceptionnel et se fait sur un trait d'union, procédé qui vient des vers de théâtre de Victor Hugo, mais peu importe. Ajoutons à notre ribambelle de rappels que dans sa lettre du 25 août 1870 Rimbaud citait à Izambard une forte licence du recueil Fêtes galantes : "Et la tigresse épouvantable d'Hyrcanie", en scandant de manière forcée la césure après "pou-". "épou-vantable". Dans le cas de césures sur "pensivement" (Banville, "La Reine Omphale") et "péninsules" ("Le Bateau ivre"), il est aisé de justifier les césures à partir d'un découpage étymologique : adjectif "pensive" formant l'adverbe en "-ment" dans un cas, et idée d'un préfixe latin signifiant dans "péninsule" (synonyme "presqu'île"). Nous avons la preuve que Rimbaud envisageait une césure sans justification étymologique dans le cas du mot "épouvantable" employé par Verlaine. Et c'est quoi au fait l'amorce du mot qui enjambe la césure au vers 11 de "Tête de faune" : "épeuré", "ép-", encore une coïncidence rencontrée en chemin... Ah ! ces coïncidences !
En tout cas, dans "Colloque sentimental", le "vous" est rejeté après la césure. Ce fait n'est pas mis en avant dans les études métriques parce que les critères sont essentiellement conçus en fonction des éléments placés avant la césure. Le relevé des césures parnassiennes audacieuses concernent les déterminants du groupe nominale et la ribambelle de pronoms qui sont solidaires du verbe mais placés devant, les fameux proclitiques, en voici trois dans un exemple : "Je vous en prie !" Il existe des cas de pronoms solidaires du verbe mais placés à sa suite. Le cas le plus emblématique résulte des tournures interrogatives. Verlaine a repéré ce fait, il semble savoir que personne ne s'y est essayé avant lui et il joue avec le procédé au vers 8 de "Colloque sentimental", mais il a l'astuce de créer une queue de comète en adjoignant une conjonction "donc" qui peut difficilement être lue de manière autonome. Un esprit paresseux dira que la césure est déplacée après la sixième syllabe. Mais les césures ne se déplacent pas dans les poèmes. Une césure naît d'une pression d'ensemble sur le poème, pas de la seule configuration grammaticale d'un unique vers. Ce sont les enseignements du livre Théorie du vers de Cornulier.
Or, dans sa comédie Les Uns et les autres, Verlaine va reprendre la séquence "voulez-vous donc" mais dans le corps d'un alexandrin, sauf qu'il va appliquer la césure non pas au niveau du trait d'union, mais carrément au milieu de la forme verbale "voulez". A la scène III, nous avons un échange entre Myrtil et Rosalinde, et le vers qui nous intéresse est partagé entre les deux personnages. Je choisis de mettre en bleu la partie récitée par Rosalinde pour n'avoir à transcrire le vers que sur une seule ligne et pour m'épargner la mention des personnages. L'autre partie du vers est prononcée par Myrtil.
Parlez-moi. De quoi voulez-vous donc que je cause?
Lisez la pièce si vous voulez vous assurer qu'il s'agit dans l'ensemble d'alexandrins bien configurés. Elle fait partie du recueil Jadis et naguère. Il est significatif que Verlaine reprenne la même césure pour l'appliquer à un autre endroit.
Notons qu'à l'époque de sa relation avec Rimbaud Verlaine va faire de même avec la préposition "jusqu'à" que Victor Hugo dans ses Châtiments ("jusqu'à + des juges suppléants") et à sa suite Mendès dans son recueil Philoméla plaçaient devant la césure. Verlaine décide d'aggraver l'audace pratiquée par Mendès (il ignore peut-être l'antériorité de Victor Hugo à ce moment-là) dans les quatrains du "Sonnet du Trou du Cul" coécrits avec Rimbaud : "jus+qu'au coeur de son ourlet", avec en prime un irrésistible effet comique, et cette césure est exploitée également dans "Birds in the night". Une citation d'un extrait de "Birds in the night" s'impose ici, puisque c'est un poème en décasyllabes de chanson (deux hémistiches de cinq syllabes) où l'enjambement "jusqu'à" doit être apprécié pour lui-même et non pas servir de prétexte à une identification de césure après la quatrième syllabe :
Mon amour qui n'est que ressouvenance,
Quoique sous vos coups il saigne et qu'il pleure
Encore et qu'il doive, à ce que je pense,
Souffrir longtemps jusqu'à ce qu'il en meure,
[...]
Ce poème n'est postérieur que de quelques mois à la composition de "Tête de faune" (février-mars 1872 contre septembre-octobre 1872).
Le "Sonnet du Trou du Cul" a été transcrit sur l'Album zutique à la mi-octobre 1871 environ et dans les mois qui ont suivi Rimbaud a composé "Le Bateau ivre" dont un vers joue significativement sur une forme un peu parente de la construction "jusqu'à" (c'est à nuancer, mais peu importe) et sur le fait de pratiquer la césure au milieu d'une autre préposition. Hugo et ceux qui l'ont suivi pratiquaient parfois la césure après la locution "à travers". Dans un vers du "Bateau ivre", Rimbaud s'amuse à faire souffrir la césure mais de manière voilée au moyen d'une rencontre entre deux configurations "lorsqu'à" et "à travers" :
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
[...]
La césure a l'air naturelle, mais elle disjoint les deux éléments constitutifs de la locution "à travers".
Un autre jeu complice implique plus de poètes encore autour des enjambements de mot à la césure. Banville a produit le vers suivant dans "La Reine Omphale" en 1861 :
Où je filais pensivement la blanche laine.
Les césures au milieu d'un mot ne sont pas fréquentes chez Mallarmé, il est donc évident que les trois enjambements de mots sur adverbes en "-ment" sont autant de références expresses au vers de Banville :
Accable, belle indolemment comme les fleurs ("L'Azur")
A me peigner nonchalamment dans un miroir ("Hérodiade")
Les deux adverbes font quatre syllabes chacun. Le premier contient un "e" graphique après la césure mais il ne respecte pourtant pas la logique du vers de Banville, puisqu'il se prononce [a] cette fois. Le vers suivant passe carrément à la mention graphique d'un "a". Dans le sonnet "Le Tombeau de Baudelaire", Mallarmé fait varier l'effet avec un adverbe en trois syllabes "vainement" :
Contre le marbre vainement de Baudelaire[.]
Dans mon souvenir, j'étais persuadé qu'il existait une occurrence soit sur "simplement" soit sur "seulement". Peu importe. Les trois exemples offerts par Mallarmé sont éloquents.
Richepin a repris la césure sur "nonchalamment" à Mallarmé dans un vers cité par l'inénarrable Philippe Martinon qui d'ailleurs ne s'est pas aperçu que Richepin citait Mallarmé. Je n'ai pas la référence immédiatement sous la main.
Rimbaud a lui aussi emboîté le pas à Mallarmé, mais moins nonchalant que Richepin il a créé sa propre formule. Au lieu de raccourcir l'adverbe de quatre à trois syllabes pour torpiller la sensation de trimètre, il a allongé l'adverbe de quatre à cinq syllabes dans le dizain "Ressouvenir" transcrit en novembre 1871 dans le corps de l'Album zutique :
Eclatent, tricolorement enrubannés.
Nous pouvons observer que Mallarmé et Rimbaud dans les cas de "vainement" et "tricolorement" suivent le modèle d'inflexion autour du "e" du modèle d'origine "pensivement".
Premier procédé de Mallarmé, faire chevaucher la césure par un adverbe en "-ment" et compenser par un effet de trimètre, tout en s'éloignant de la justification du "e" féminin du modèle banvillien.
Deuxième procédé de Rimbaud et Mallarmé : exclure la lecture en trimètre par le choix d'un adverbe qui ne soit pas de quatre syllabes, mais jouer tout de même sur le "e" féminin comme moyen de légitimation.
Troisième procédé de Mendès : souligner à gros sabots qu'il y a un trimètre et un enjambement de mot en proposant un alexandrin formé de trois adverbes en "-ment" chacun de quatre syllabes. Je n'ai pas la référence sous la main, mais il s'agit d'un vers d'une de ses pièces de théâtre.
J'arrête là mes relevés.
Vous en avez assez pour comprendre comment raisonnent Verlaine et Rimbaud quand vous avez une séquence "voulez-vous" qui dans un poème est césuré sur le trait d'union et dans un autre au milieu de la forme verbale "voulez", ce qui a pour effet prosodique de souligner la double occurrence syllabique "vou-" rapprochée et de créer un suspens purement émotif sur une terminaison verbale "-ez".
Dans "Tête de faune", le principe suppose une césure avec rejet de la seule terminaison de participe passé dans le cas de "affolé" (affol-é), et une césure sur un préfixe "é-" séparé de sa suite dans "épeuré. Le mot "sanglante" qui suppose une reprise de la même voyelle nasale mais des consonnes différentes a été justifié en tant qu'effet de sens en liaison avec la césure du ver précédente et le thème de la morsure d'une "fleur rouge".
Qu'est-ce que vous voulez de plus ? Le poème "Tête de faune" est bien composé exclusivement en décasyllabes traditionnels avec une césure entre la quatrième et la cinquième syllabe.
Il nous reste à observer les différences au plan de la seconde version de "Tête de faune", mais dans tous les cas, l'existence de la première version va permettre de relativiser les éventuelles césures plus chahutées de la version remaniée.
Tête de faune
Dans la feuillée écrin vert taché d'or
Dans la feuillée incertaine et fleurie
De fleurs splendides où le baiser dort,
Vif et crevant l'exquise broderie,
Un Faune effaré montre ses deux yeux
Et mord les fleurs rouges de ses dents blanches ;
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux
Sa lèvre éclate en rires sous les branches :
Et quand il a fui - tel un écureuil -
Son rire tremble encore à chaque feuille,
Et l'on voit épeuré par un bouvreuil
Le Baiser d'or du Bois, qui se recueille.
A priori, la version des Poètes maudits et de la Revue critique vient du plus ancien des deux manuscrits, et cette version serait la plus aboutie. Nous observons toutefois que d'une version à l'autre le poète ne se fonde en fait de césures chahutées que sur trois enjambements de mots. Comparez avec "Qu'est-ce...", "Mémoire", mais aussi "Le Bateau ivre", etc., nous n'avons aucune césure sur préposition ou sur déterminant, ce qui est un fait remarquable. Cette version du manuscrit de la suite paginée a toutefois une césure chahutée supplémentaire avec la césure à l'italienne sur "splendides". La comparaison des deux versions du vers 3 permet de plaider assez naturellement la césure à l'italienne faite exprès, et le fait que les césures aient été prouvées dans le cas de "Famille maudite", "Juillet" et "Jeune ménage" profitent à la reconnaissance pour le présent vers. Il s'agit qui plus est d'une perturbation qui vient immédiatement après la scansion répétée "Dans la feuillée". Il n'y a pas débat. Même cette version avec une entorse supplémentaire impose la lecture avec césure traditionnelle. Rimbaud a pourtant retouché plusieurs vers, mais les retouches sont lexicales et évitent scrupuleusement de modifier les césures. Au vers 10, le verbe "perle" est remplacé par "tremble", ce qui ne présuppose pas que notre poète fasse attention à la césure en soi : il change un monosyllabe par un autre. Il fait de même avec la leçon tirée de Glatigny "par les branches" modifiée en "sous les branches", ce qui fait un gain sémantique par rapport à son propos. Il fait de même en remplaçant "grands" par "deux" : "montre ses deux yeux". Il est sensible que les modifications sont essentiellement au plan du vocabulaire. Cependant, le fait de remplacer si souvent des monosyllabes par d'autres au lieu de modifier toute une phrase, tout le contenu d'un vers, cela révèle déjà que la prosodie et construction métrique des vers n'est pas anodine. Or, au vers 6, nous en trouvons une confirmation. Rimbaud n'était sans doute pas très heureux de l'expression "avec ses dents blanches", il voulait passer visiblement à "de ses dents blanches", mais ce faisant il perdait une syllabe. Rimbaud n'a pas modifié l'ensemble du vers, il a préféré passer du singulier "la fleur rouge" au pluriel "les fleurs rouges" pour conserver le décompte du "e" de l'adjectif "rouge". Pourtant, il semble assez évident que le singulier avait un bien meilleur rendement : "Et mord la fleur rouge..." Rimbaud n'a pas aimé la forme "avec ses dents blanches", mais il aurait pu modifier tout le début du vers. Il a conservé la césure entre "fleur(s)" et "rouge(s)". On peut penser que si la version du vers 6 dans la Revue critique et Les Poètes maudits est de meilleure facture, c'est que finalement ce serait peut-être la dernière version établie du poème. Pourquoi pas ? Je n'ai pas mûrement réfléchi à ce sujet. Ce que j'ai établi en tout cas, c'est que "Tête de faune" quelle que soit la version a une césure exclusive le long des trois quatrains après la quatrième syllabe.
Et puis il reste un cas compliqué : la "Conclusion" de la "Comédie de la soif".
J'en traiterai en début de troisième partie de cet article, la partie sur les vers de onze syllabes.
J'ai ajouté le commentaire sur l'autre version de "Tête de faune" mais pour des raisons de longueur de l'article je choisis de reporter le commentaire de "Conclusion" de "Comédie de la soif" au début de la 3e partie à venir.
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