Dans les réponses de rimbaldiens recueillies par Lauren Malka autour du livre Cosme de Guillaume Meurice, il y a la mienne qui, tout en n'étant pas favorable du tout à l'ouvrage, développe une synthèse d'époque de mes propres approches du sonnet, et il y a aussi celle de Benoît de Cornulier qui se termine par ce paragraphe qui doit attirer l'attention :
Accessoirement, Cosme part de l'idée que ce sonnet n'est pas constitué d'une phrase. Ce n'est pas évident : les groupes noyaux des douze derniers vers peuvent s'articuler à la proposition initiale, que ce soit comme vocatifs, ou en exclamatifs, ou en appositions.
Je mets le lien pour que vous puissiez consulter la réponse de Cornulier : cliquer ici.
Je voudrais revenir sur ce problème de lecture du sonnet en tant que phrase.
Le poème semble être conçu d'une seule phrase. A la différence de la prestation orale, on peut délimiter une phrase écrite à partir d'une majuscule initiale et d'un signe de ponctuation fort : point, point d'interrogation, éventuellement trois points de suspension ou un point d'exclamation.
Le poème nous est connu par trois états distincts : deux états manuscrits et une version imprimée. Nous avons un manuscrit de la main de Verlaine, un manuscrit de la main de Rimbaud qui avait été conservé par Emile Blémont et une version imprimée initialement dans Les Poètes maudits qui coïncide avec la version manuscrite de la main de Rimbaud. Je pars du principe qu'on n'a pas la preuve que la version des Poètes maudits a été établie à partir du manuscrit remis à Blémont.
Mais, dans tous les cas, il faut dès lors opposer deux versions pour la ponctuation.
La copie de Verlaine est constituée de trois phrases, et celle de la main de Rimbaud est constituée d'une seule phrase. La version de la main de Rimbaud, la plus célèbre, peut générer des doutes sur le nombre de propositions que contient le sonnet, tandis que la copie de Verlaine permet de ne pas avoir autant d'hésitations.
Commençons par citer la version manuscrite de Rimbaud. Je ne retiendrai pas la thèse de Cosme, l'ami de Guillaume Meurice selon laquelle le dernier vers serait encadré de deux tirets. Je considère comme Murphy (édition philologique des Poésies en 1999) que ce trait relève du paraphe devant la signature. Qui plus est, le double tiret impliquerait de lire le dernier vers comme une parenthèse, ce qui est absurde. Quant à l'isolement du vers final, le tiret d'attaque du vers suffit. Le second tiret ne saurait rien apporter de significatif. La copie de Verlaine n'offre pour le dernier vers que le décrochage du tiret d'attaque. Et, dans Les Poètes maudits, que le manuscrit utilisé ait été celui de Blémont que nous connaissons ou un autre, le tiret à la fin du vers 14 n'a pas été retenu. Soit ils ont utilisé un autre manuscrit, soit de manière logique ils ont compris que ce tiret faisait partie du paraphe et n'avait aucune pertinence grammaticale.
Citons donc la version du manuscrit autographe :
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,Je dirai quelque jour vos naissances latentes :A, noir corset velu des mouches éclatantesQui bombinent autour des puanteurs cruelles,Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;I, pourpres, sang craché, rire des lèvres bellesDan la colère ou les ivresses pénitentes ;U, cycles, vibrements divins des mers virides,Paix des pâtis semés d'animaux, paix des ridesQue l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;O, Suprême Clairon plein de strideurs étranges,Silences traversés des Mondes et des Anges :- Ô l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
Maintenant, jouons à un petit jeu scolaire. Nous relevons tous les verbes conjugués. Je rappelle que les infinitifs et les participes ("craché", "semés", "traversés") ne sont pas considérés comme des formes verbales conjuguées puisque nous n'identifions pas de marques de première, deuxième ou troisième personne en ce qui les concerne.
Le verbe "imprime" a pour sujet "l'alchimie", mais il s'agit d'une proposition prise dans une subordonnée relative : "Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux", subordonnée qui dépend du nom "rides". Cela reste tout de même amusant, puisque le verbe "imprimer" a du sens pour un poète qui a de l'ambition. Rappelons que dans une section d'Une saison en enfer qui s'intitule précisément "Alchimie du verbe" Rimbaud va citer "Voyelles", et ici "l'alchimie" en liaison avec l'idée d'imprimer une voyelle est mentionnée dans ce sonnet qui s'intitule "Voyelles". Mais ce n'est pas le sujet de notre étude pour l'instant. Le verbe "bombinent" a pour sujet le pronom "qui" et nous identifions une autre subordonnée relative dans le poème. Le poème n'a donc qu'une seule proposition principale dont le foyer est situé au vers 2 : "Je dirai quelque jour vos naissances latentes". Le sujet de l'unique phrase du poème est "Je", le verbe est "dirai", le complètement d'objet direct est "vos naissances latentes". Le premier vers est pour sa part une apostrophe, avec simplement un petit peu de complexité puisque nous avons une énumération à cinq membres apposée à un propos de synthèse : "voyelles".
Bref, pour les deux premiers vers, on peut dire qu'on a l'équivalent grammatical d'une phrase scolaire du type : "Jeune homme, je lis maintenant votre rédaction."
Les deux premiers vers posent donc peu de problèmes, on va voir que c'est plus délicat à partir du passage du vers 2 au vers 3.
Ceci dit, dans le premier vers, l'analyse peut être plus fine. Le mot à la rime "voyelles" reprend l'énumération d'ensemble : "A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu". Rimbaud aurait pu se contenter de la virgule, il a préféré introduire le mot "voyelles" par un double point pour plus de clarté.
C'est un peu une sorte de revue, comme nous pourrions l'imaginer dans un cadre différent : "Eric, Vincent, Patrick, Arnaud, Jérôme, partenaires, je vais vous donner mes directives maintenant..."
Il faut aussi remarquer d'autres singularités. Les mentions de couleur ne sont pas d'évidence des adjectifs épithètes. Rimbaud ne dit pas "A, E, I, U, O : voyelles", mais "A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles," ce qui implique une unité indissociable du "A" et du "noir", ce qui fait que grammaticalement il n'est pas évident du tout de définir "A noir" comme un susbstantif "A" suivi de l'épithète de couleur "noir". On peut toujours le dire, prétexter que "noir" est un adjectif qui s'accorde en genre et en nombre avec la lettre "A", mais on perd alors une force du poème qui est d'exhiber l'entité "A noir".
Au-delà des deux premiers vers, le poète ne va certes reprendre que les mentions des lettres "A", "E", "I", "U", "O", mais on peut envisager que la reprise implique malgré tout les termes tels qu'ils ont été introduits : "A" au début du vers 3 est strictement "A noir", et ainsi de suite.
Je laisse reposer ce sujet et je passe maintenant au problème des douze derniers vers. Cornulier dit qu'ils peuvent "s'articuler à la proposition initiale [du vers 2 ou des deux premiers vers], que ce soit comme vocatifs, ou en exclamatifs, ou en appositions."
Or, le poète a déjà apostrophé les voyelles, et au passage il faut bien se représenter que le poète parle non aux lecteurs, mais aux voyelles elles-mêmes. Le discours au sein du poème s'adresse aux voyelles, et ce n'est évidemment que dans la stratégie d'élaboration du sonnet dans un recueil destiné à des lecteurs que dans un second temps le poète s'adresse à un public humain. C'est important pour l'analyse du sens du poème. Il y a deux plans à ne pas confondre.
Mais, si Rimbaud a déjà apostrophé les voyelles au premier vers, certes on peut imaginer qu'il s'agit de nouvelles apostrophes tout au long des vers 3 à 14, mais c'est un peu étrange de s'en limiter à ce raisonnement.
Reprenons la figuration imagée à partir du modèle d'un supérieur qui donne des ordres :
Sergent Gérard, Colonel Mitchum, Lieutenant McQueen, Caporal Pierre, officiers,Je vais vous donner vos ordres de mission :Gérard, gentille frimousse qui boutonne ta chemise au plus haut de l'encolure,Mitchum, tes poings fermés d'amour et mort, l'allure géniale dans des chaussures en crocodile,McQueen, forte tête, regard bleu plein d'évasion,Pierre, superbe église sur laquelle on ne peut rien bâtir, - oh la honte et la ruine de toute l'armée.
On voit bien que ça ne va pas, que c'est ridicule. Il n'est pas possible que les douze derniers vers soient seulement une apostrophe pour rappeler avec préciosité les personnes auxquelles le poète s'adresse.
L'idée d'une reprise de l'apostrophe sur un mode exclamatif qui vaut célébration est une manière de contourner la difficulté. L'apostrophe reprend, mais devient une sorte d'invocation, de "sorcellerie évocatoire" même pour citer du Baudelaire.
Quant à l'idée que les vers 3 à 14 sont des appositions, ils sont donc des appositions à un élément des deux premiers vers, mais ce ne serait pas tant "voyelles" à la rime du vers 1 que "vos naissances latentes". Il faut avouer qu'il y a un peu de flottement dans l'analyse grammaticale.
Toutefois, je voudrais ne pas m'arrêter là. Quoi qu'on pense de la liaison des douze derniers vers aux deux premiers, il y a aussi dans ces douze derniers vers plusieurs autres propositions (des phrases à l'intérieur de la phrase principale si vous êtes plus âgés et n'êtes pas habitués à l'emploi du mot "propositions" en-dehors des subordonnées).
Nous avons tout simplement affaire à des propositions sans verbes.
Prenons la séquence du "A noir" des vers 3 à 5.
Nous avons une lettre "A" qui est une abréviation pour "A noir" et cette lettre "A" est le sujet d'un propos. Ce "A" peut être "noir corset velu des mouches éclatantes / Qui bombinent autour des puanteurs cruelles" ou "golfes d'ombre".
Il s'agit de structures attributives avec un verbe "être" sous-entendu. On pourrait dire que c'est réversible : le "A noir" est "golfes d'ombre" et les "golfes d'ombre" sont "A noir". Toutefois, outre qu'il y aurait à dire sur les pluriels qui font que la réversibilité marche moins bien ("golfes d'ombre" est "A noir"), dans la langue française telle qu'elle nous est parvenue, la place des mots a son importance et l'idée est qu'on mentionne d'abord son sujet puis on développe l'information qu'on veut mettre autour.
Prenons des exemples scolaires !
Soit la phrase : "Jean est un vétérinaire." On ne peut pas inverser l'ordre : "Un vétérinaire est Jean." En revanche, "Jean est le vétérinaire" et "Le vétérinaire est Jean" sont deux propositions synonymes. Toutefois, dans une conversation, si vous placez l'une ou l'autre phrase, la signification ne sera pas la même. Si vous dites : "Jean est le vétérinaire", vous partez du substrat connu et vous apportez l'information qu'il est le vétérinaire. Si vous dites : "Le vétérinaire est Jean", vous partez de l'idée qu'il faut identifier le vétérinaire et donc vous mentionnez d'abord ce que vous cherchez à identifier puis vous procédez à cette identification.
Pour moi, sans autre forme de réflexions compliquées, je considère que des vers 3 à 13 (je laisse de côté le vers 14), nous avons des propositions sans verbe qui pourraient être assimilées à des constructions avec des attributs après un verbe "être", et pour le dire plus clairement encore, j'identifie un procédé d'étalage de définitions comme on en a dans un dictionnaire.
J'apprenais cela à l'école primaire en Belgique : quand on définit un adjectif, on ne construit pas la définition autour d'un nom, on met un adjectif en relation avec des structures équivalentes : d'autres adjectifs ou une subordonnée relative.
Ici, A, E, I, U et O sont cinq lettres considérées comme des noms substantifs. Donc, on peut les définir par des noms, mais là où on retrouve la logique du dictionnaire, c'est que les noms têtes des images développées ne sont pas accompagnés par des déterminants : "corset", "golfes", "candeurs", "Lances", "rois", "frissons", "pourpres", "sang", "rire", "cycles", "vibrements", "paix", "paix", "Clairon", "Silences". L'exception est au vers 14 : "l'Oméga", tout simplement parce qu'il y a un décrochage au dernier vers qui ne relève plus de la même analyse grammaticale. Le dernier vers est le support d'une révélation qui surprend le poète.
La séparation des plans était plus nette encore dans la version recopiée par Verlaine. Merci au passage de ne pas attribuer à Verlaine des initiatives personnelles en fait de ponctuation. Je pense que la version recopiée par Verlaine est plus ancienne et que la version autographe est la plus aboutie, même si on peut dire que la version copiée par Verlaine découpe le poème en sept phrases distinctes avec des conséquences plus claires pour la lecture, et même si la version aboutie offre un sonnet en une seule phrase qui trimballe trois doubles points, ce qui n'est pas très apprécié en principe.
Citons cette version de Verlaine en en appréciant la ponctuation. Je précise que ne croyant pas un instant à l'idée absurde que Verlaine aurait fait exprès de ne pas mettre de virgule après "U", je rétablis d'office cette virgule qui n'est qu'une lacune de copie manuscrite.
Pour vous expliquer le problème (qui fait quand même pitié), des adeptes de la thèse de lecture farcesque de Guillaume Meurice et son ami Cosme, soutiennent que Verlaine aurait anticipé dès le premier vers qu'il allait devoir produire 666 signes (selon un type de décompte qui n'avait pas lieu d'être à son époque) et qu'il y avait un problème sur le manuscrit de Rimbaud. Sans attendre d'avoir recopié les quatorze vers, Verlaine a eu, selon eux, l'idée lumineuse de ne pas mettre de virgule entre la lettre "U" et la mention "vert". Oui, ça vole haut ! Je passe sur la discussion s'il faut transcrire "rais blancs" ou "rois blancs", je suis partisan d'une mauvaise lecture de Verlaine pour "rois blancs", mais ce n'est pas le sujet ici !
Notez aussi que sur la version recopiée par Verlaine, la stratégie grammaticale était différente au vers 1 et reposait sur le principe de propositions attributives sans verbe "être" par le truchement d'une virgule : "A, noir", comme cela reste le cas pour les vers 3 à 13.
A, noir ; E, blanc ; I, rouge ; U, vert ; O, bleu : voyelles,Je dirai quelque jour vos naissances latentes.A, noir corset velu des mouches éclatantesQui bombinent autour des puanteurs cruelles.Golfes d'ombre. E, frissons des vapeurs et des tentes,Lances de glaçons fiers, rais blancs, frissons d'ombelles !I, pourpre, sang craché, rire des lèvres bellesDans la colère ou les ivresses pénitentes.U, cycles, vibrements divins des mers virides ;Paix des pâtis semés d'animaux ; paix des ridesQu'imprima l'alchimie aux doux fronts studieux.O, suprême clairon plein de strideurs étranges,Silences traversés des Mondes et des Anges...- O l'Oméga, rayon violet de ses yeux !
Cette fois, le poème est composé de sept phrases distinctes. Nous avons une première phrase qui s'arrête à la fin du vers 2 puisque nous avons un point de fin de phrase et non le double point comme sur le manuscrit autographe. Des vers 3 à 13, nous avons cinq phrases clairement délimitées par une mention initiale de la voyelle forcément sous la forme d'une majuscule et par une ponctuation finale forte. Nous avons un point de fin de phrase pour la série du "A noir" et notez que ce point est au milieu du vers, pas à la rime. Nous avons un point final également pour le tercet du U vert. Dans son édition philologique, Murphy a toutefois proposé d'identifier une virgule après "pénitentes", je pense qu'un point peut être facile à confondre avec une virgule. C'est tout de même la fin du deuxième quatrain. Il n'y a aucune raison d'identifier une virgule. On a bien compris la stratégie de ponctuation propre à la copie faite par Verlaine. Le point d'exclamation peut être aussi assimilé à une signe de ponctuation forte à la fin de la série du "E blanc", à la fin du vers 6. Enfin, nous avons trois points de suspension à la fin du vers 13 et non le double point du manuscrit autographe. Sur la copie faite par Verlaine, le dernier vers forme une phrase isolée.
Je ne vais pas revenir sur l'analyse des propositions sans verbe des vers 3 à 13 que j'ai comparées à des définitions de dictionnaire qu'on pouvait analyser en sous-entendant un verbe "être" et en comprenant qu'il s'agit de constructions attributives.
Cette lecture s'applique aussi pour le dernier vers : "l'Oméga" est "rayon violet de ses yeux", mais ce dernier vers a une spécificité, l'apport d'un article défini qui matérialise l'Oméga, qui le met en scène, qui fait comme si le poète n'avait plus qu'à nous le montrer du doigt à l'horizon, alors que des vers 3 à 13 nous pouvions ne considérer avoir affaire qu'à des associations verbales imaginaires. Le vers 14 a un procédé d'actualisation, et c'est en quelque sorte le mécanisme qui nous fait passer à la capacité du poète à dire les naissances latentes, puisque ce dernier vers désigne un nœud.
La compréhension d'un poème ne réside pas tout entière dans la lecture littérale. C'est pour cela que je ne suis pas perturbé par le fait que le vers 2 fasse une annonce qui semble ne pas concerner le sonnet : le poète déclare qu'il remet à plus tard ses révélations. Je lis ce sonnet en tant qu'œuvre littéraire. Le fait de remettre à plus tard l'explication n'est pas un véritable problème, parce que l'essentiel est de cerner l'humeur du vers 2. Mais, l'idée, c'est que cette aspiration à formuler les "naissances latentes" provoque le déploiement particulier des vers 3 à 13, et l'altération qui se joue autour du vers 14 peut s'entendre comme une révélation impromptue au sujet des "naissances latentes". Nous sentons qu'effectivement le poète approche du dernier mot de la révélation.
Mais, indépendamment de cette lecture que je fais, l'article défini dans "l'Oméga" suppose une actualisation qui est suffisante pour prononcer une fin de non-recevoir en tant que contresens de toutes les lectures du sonnet "Voyelles" qui prétendent n'y voir qu'un modèle d'associations d'idées pour poètes. La tournure grammaticale du vers 14 est la preuve que ce n'est pas ça l'enjeu de lecture du poème.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur les choix grammaticaux du poème, mais j'ai mes raisons pour réserver certaines choses. Toutefois, je voudrais insister sur deux derniers éléments.
Premièrement, pour une série telle que "A noir", nous avons deux associations : "noir corset velu des mouches éclatantes / Qui bombinent autour des puanteurs cruelles" et "Golfes d'ombre". Une des questions à se poser, c'est est-ce qu'il s'agit d'une série fermée ou non ? Est-ce que le "A noir" suppose une alternative exclusive "corset" mais avec ce luxe de précisions ou "golfes d'ombre", ou bien si la série pourrait s'allonger. Si on compare avec le U et le I, nous aurions plus de possibilités de rencontrer des U et des I dans la Nature. Le mot "cycles" permet d'identifier plus de U dans la Nature, le I correspond déjà à tous les pourpres. Je ne pense pas que la série doive être considérée comme fermée, mais l'idée est que Rimbaud considère qu'il a dit l'essentiel des notions qu'il voulait soulever avec deux associations. De toute façon, le travail que j'ai fait depuis longtemps, c'est de faire une synthèse des valeurs qui se dégagent de la série d'images, voyelle après voyelle.
Je précise aussi que la définition d'un nom suppose de renvoyer à un nom-tête. Dans le sonnet, nous avons soit des mentions brèves, en un seul mot même : "pourpre(s)", "cycles", avec une tendance à privilégier le passage au pluriel qui nous éloigne du principe du dictionnaire stricto sensu, ou bien nous avons des groupes nominaux complexes. Dans le cas de "noir corset velu des mouches éclatantes / Qui bombinent autour des puanteurs cruelles", j'ai souligné une polarisation paradoxale. L'image décrit une scène horrible, mais la polarisation sur "corset" valorise l'amour, la nutrition et la vie, sorte donc d'inversion rassurante. Et dans le tercet du O, nous avons un "Clairon" qui joue encore une fois sur le rapport vie et mort. Mais, j'en arrive à mon deuxième point que j'ai annoncé. Dans la série du "A noir", le complément circonstanciel "autour des puanteurs cruelles" est pris dans la subordonnée relative, et partant de là tout au long du poème les seize éléments définitoires sont toujours des groupes nominaux allant du mot simple à la forme un peu riche et complexe ("noir corset velu des mouches éclatantes / Qui bombinent autour des puanteurs cruelles", "paix des rides / Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux"). Cependant, si j'affine l'analyse grammaticale, les groupes nominaux sont enrichis dans tous les cas sauf un des configurations classiques : adjectifs épithètes ou forme participiale quelque peu assimilable (noir, velu, blancs, craché, divins, suprême, plein de...,, traversés des Mondes et des Anges / violet au dernier vers), groupes prépositionnels compléments du nom (des mouches..., d'ombre, des vapeurs et des tentes (en facteur commun à "candeurs"), "de glaciers fiers", "d'ombelles", "des lèvres belles", "des mers virides", "des pâtis...", "des rides...", / "de Ses Yeux" au dernier vers), et au sein des groupes prépositionnels compléments du nom nous avons parfois une extension d'un autre nom support d'une subordonnée relative : "Qui bombinent..." et "Que l'alchimie imprime..."). Mais un point m'interpelle. Dans le cas du "I", le vers 8 est rempli par un complément circonstanciel qui n'a aucun équivalent dans les autres groupes nominaux : "Dans la colère ou les ivresses pénitentes", sauf à la imite "autour des puanteurs cruelles". Je fais une différence tout de même dans le sens où comme je l'ai dit "autour des puanteurs cruelles" est vraiment intégré à la subordonnée relative, alors que dans le cas du vers 8, le lien de dépendance à "rire des lèvres belles" est moins sensible au plan grammatical. D'un côté, je ne veux pas exclure le rapprochement avec "autour des puanteurs cruelles" qui est également une forme de localisation. Cela crée un parallélisme entre la fin du premier quatrain et la fin du second, de "puanteurs cruelles" à "colère" et "pénitentes" au plan des valeurs sémantiques déployées. Après, "puanteurs" demeure une mention concrète dans son image, alors que pour le vers 8 on a une espèce de mise en relief qui dépasse le cadre des opérations définitoires : "Dans la colère ou les ivresses pénitentes". On a la précision d'un milieu et d'un milieu défini par des valeurs morales engagées. Et le vers 8 est précisément le milieu du sonnet, en tant que dernier vers des quatrains.. Les vers 7 et 8 sont le milieu du poème, mais le vers 8 a ce rôle conclusif vis-à-vis des quatrains. Qui plus est, "pénitentes" appartient au lexique religieux, quand au moins sur le manuscrit autographe et sur la version publiée dans Les Poètes maudits nous avons des majuscules à "Ses Yeux" qui supposent également la référence sémantique à la majesté en religion (il va de soi que Rimbaud ne pense pas au dieu des chrétiens, n'importe qui d'un tant soit peu sensé comprend que "noir corset" et "rayon violet de Ses Yeux" prône des valeurs d'amour malgré l'atrocité de la mort ambiante ("puanteurs cruelles" et "suprême clairon") en phase donc avec l'idée de croire en Vénus et un monde qui a une providence d'amour, mais d'amour au sens païen, pas chrétien. On a donc des effets de reprises qui appuient les symétries de positions des fins des deux quatrains, et des fins du groupe huitain des quatrains et du groupe sizain des tercets. Et ce vers 8 permet aussi de rappeler que le poème fixe les cinq voyelles comme les cinq supports de toutes les représentations du monde, mais que les voyelles ne sont pas seules. Rimbaud spécifie des cadres qui ne passent pas toujours par le rôle déclencheur de la voyelle et c'est à l'évidence le cas pour le vers 8 qui explicite assez nettement des valeurs militantes, engagées : "colère" et "ivresses pénitentes".
Voilà ce que moi j'avais à dire sur l'analyse grammaticale du poème. Cet article est le fruit d'échanges importants avec une autre personne, il y a des idées que je ne formule pas ici, il y aurait d'autres développements à faire, mais je m'en suis tenu à ce qui correspond au foyer de mes raisonnements propres. Je pense n'avoir rien développé des idées capitales de la personne avec laquelle j'ai échangé, même si on peut sentir des amorces ici d'idées mises en commun. Pour que vous connaissiez enfin tout ça, cela viendra en son temps.
Ô l'omicron, espoir de clients pour Pfizer !
RépondreSupprimer(Message subversif, l'Amérique surveille votre blog!)
Je reviens sur une idée qui peut-être n'aura pas semblé suffisamment claire.
RépondreSupprimerLes voyelles se manifestent au monde avec une couleur qui leur est indissociable.
Le premier vers tel qu'il est copié par Verlaine relève de l'apposition, le premier vers de l'autographe de l'épithète, mais sous une forme d'entité absolue.
Pour les vers 3 à 13, et même 14 moyennant la différence de l'article défini, on peut parler d'appositions nominales (donc appositions que nous dauberons pas les puristes latinistes) qui sont aussi des propositions averbales qu'on pourrait rendre par une structure attributive. Le I est pourpres, est sang craché, est rire des lèvres belles. Les cinq voyelles sont les briques pour créer toutes les visions, mais il n'y a pas que les voyelles qui sont au monde, puisque les lèvres ne s'identifient pas que par la couleur. Or, le vers 8 : "Dans la colère ou les ivresses pénitentes" crée un cadre au sein duquel se déploie le rouge du "rire des lèvres belles". Rimbaud ne dit pas que les lèvres en colère sont rouges, la colère intensifie le rouge et ne se confond pas à la couleur rouge. Il y a une idée de cet ordre-là qui n'est pas anodine.
Par ailleurs, l'idée, c'est qu'on peut se demander comment en agençant des consonnes et des voyelles comme dit dans Alchimie du verbe on pourrait révéler une signification de voyant pour le monde. Je ne cherche pas à tout prix à systématiser les correspondances parce que je trouve l'idée absurde comme la plupart des gens je suppose, et je considère que Rimbaud ne dit pas les autres plans de déploiement de sa pensée qui eux justifieraient plus clairement l'idée d'être un voyant. Mais, je m'en sers dans ma lecture de "Voyelles" où j'ai identifié les allusions à la Commune et l'idée d'allégorie païenne de l'amour, Vénus de Credo in unam ou Raison, Being Beauteous des Illuminations selon un axe logique d'analyse des significations de contenus et d'ordonnancement des images de "Voyelles".
Il y a un dernier point. Il faudra décidément se confronter à "Alchimie du verbe", et il y a la question du sens de la phrase : "La vieillerie poétique avait une bonne part dans mon alchimie du verbe."
Qu'est-ce que la "vieillerie poétique" ? On peut facilement mobiliser la référence aux règles de versification déjà anciennes. Rimbaud dirait qu'il ne les a pas encore toutes complètement supprimées dans ses vers du printemps et de l'été 1872. Et "vieillerie" est dévalorisant. Mais il y a aussi l'idée qu'il aimait depuis longtemps la littérature démodée, les rythmes naïfs et les poèmes de 72 illustrent un exprès trop simple héritant des aspects de poésie populaire de Favart et Desbordes-Valmore (voir mes récents articles sur Larme). La vieillerie pourrait aussi viser un substrat métaphorique populaire ancien, par exemple. Mais ce n'est qu'une hypothèse, je n'ai pas assez investi le sujet.
- Ô l'omicron, affinités avec Macron !
RépondreSupprimerJe n'ai pas mis "électives" dans le vers. Ouais, je fais des trimètres avec enjambement de mot à la césure. Je laisse la critique littéraire chercher si j'ai voulu souligner "fin" à la césure ou bien casser le mot "affinités".