jeudi 4 février 2021

Retours sur le documentaire voulu stupéfiant "Rimbaud, jeune et maudit"

 Je ne vais pas essayer de parler de tout, je vais faire quelques remarques bien ciblées.

1) La prétendue lecture du "Bateau ivre" au dîner des Vilains Bonshommes de la fin du mois de septembre 1871 :

Il n'existe aucun témoignage d'époque selon lequel Rimbaud aurait lu ce poème, bien qu'il fût présent à ce dîner-là précisément. Au contraire, dans son témoignage qui englobe cette soirée, Armand Silvestre ne dit rien d'une lecture d'un quelconque poème et se prévaut du don manuscrit d'un poème vieux d'un an, "Les Effarés".
L'idée que Rimbaud a composé "Le Bateau ivre" avant sa montée à Paris nous vient de Delahaye qui a trafiqué le récit de ses souvenirs pour se mettre en valeur. Elle reçoit un renfort par le témoignage de seconde main de Mallarmé qui a rencontré Rimbaud lors d'un dîner des Vilains Bonshommes de quelques mois postérieur et qui nous dit que Rimbaud avait alors déjà composé "Le Bateau ivre". Cependant, Mallarmé ne peut témoigner que du fait d'avoir vu Rimbaud. S'il prétend que "Le Bateau ivre" était déjà écrit à l'époque, c'est sur la foi des idées qui circulaient au sujet de la chronologie des compositions.
Depuis les années 1990, beaucoup de rimbaldiens réagissent contre les datations précoces de plusieurs poèmes en vers. Avant les années 1990, au mépris de la datation manuscrite de février 1872, le poème "Les Mains de Jeanne-Marie" était considéré comme un poème écrit à chaud au moment de la Commune. Le poème "Les Corbeaux" était mis dans diverses éditions à la suite des poèmes de l'année 1870, ce qui était une façon tendancieuse d'empêcher les lecteurs d'identifier la référence à la Commune dans les "morts d'avant-hier", les victimes d'avant-hier désignant directement la guerre franco-prussienne, tout en envisageant implicitement des morts de la veille qui sont les communeux et les victimes de la Semaine sanglante, lecture considérée comme évidente par la plupart des rimbaldiens actuellement.
Dans le poème "Le Bateau ivre", il est question d'adhérer à une figuration métaphorique de la révolution communaliste en poète et en enfant, ce qui fait écho avec des procès dans la presse du jeune Marsolleau que Rimbaud ne pouvait pas connaître avant le mois d'octobre 1871. Le poème "Le Bateau ivre" fait précisément cent vers et identifie les libérateurs à des "Peaux-Rouges", ce qui réplique à un poème de Victor Fournel qui fait deux cent vers, mais imite le principe des "Ïambes" d'André Chénier, et Fournel véhiculait plusieurs images qui assimilaient les communards à des sauvages, ce qui se retrouvait partout dans la littérature d'époque des vainqueurs, notamment dans le livre de Paul de Saint-Victor Barbares et bandits. La Prusse et la Commune qui reprenait des articles publiés dans la presse, notamment dans les journaux Le Monde illustré et Le Moniteur universel que les membres du Cercle du Zutisme étaient obligés de consulter pour parodier les dernières publications de François Coppée. Parmi ces articles, l'un portait le titre "L'Orgie rouge" que Rimbaud a retourné en "L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple". "L'Orgie parisienne" ne désigne pas l'orgie rouge, mais le repeuplement de Paris après la semaine sanglante. Le poème "Paris se repeuple" faisait lui-même l'objet d'une datation précoce tendancieuse, où, pour nier la référence évidente à la répression de la Commune, on inventait que le poème avait été écrit en mars ou avril et ne faisait allusion qu'au défilé des prussiens à proximité des boulevards. Rimbaud s'inspirait aussi de futurs poèmes de L'Année terrible que Victor Hugo publiait dans le journal de son clan Le Rappel où travaillait un membre du Cercle du Zutisme, Camille Pelletan, fils au demeurant d'Eugène Pelletan, un membre du gouvernement de défense nationale, ce qui ne devait pas lui faciliter le dialogue avec Rimbaud. Par ailleurs, l'incarcération de nombreux communeux sur les pontons faisait l'objet d'enquêtes journalistiques dans les derniers mois de l'année 1871. Les reportages détaillés ne se sont pas faits au lendemain de l'événement. D'abord, on apprend dans la presse que les prisonniers sont déportés sur des pontons, et c'est seulement quelque temps après que nous avons des articles qui nous apprennent comment ce petit monde vit son quotidien dans une telle situation.
L'idée que le poème "Le Bateau ivre" était déjà composé avant la montée à Paris, nous la tenons de Delahaye. Mais, l'idée qu'il ait lu le poème devant les Vilains Bonshommes en arrivant a été développée comme une hypothèse, ou plutôt un fantasme, par des rimbaldiens du vingtième siècle. Je n'ai pas les moyens de faire l'enquête moi-même, mais je pense que c'est une idée postérieure à la Seconde Guerre Mondiale et il faudrait interroger les écrits de Pierre Petitfils notamment.
Maintenant, si sur la foi du témoignage de Delahaye soutenu par celui peu fiable par définition de Mallarmé, vous voulez vous accrocher à l'idée que Rimbaud avait composé "Le Bateau ivre" avant sa montée à Paris, vous hypothéquez une lecture différente du poème : celle d'un Rimbaud réagissant à sa lecture de la presse à Paris de septembre à décembre 1871. Vous hypothéquez tout ce que j'indique comme sources plus haut, vous réduisez le dialogue avec Hugo à un passage de témoin entre générations en ne faisant rien du problème de défi entre les deux poètes pour le magistère poétique face à l'année terrible elle-même, et vous ne faites rien du rapprochement de rimes avec le poème "Les Corbeaux", ni des mentions "l'autre hiver" du "Bateau ivre", ce que Bienvenu a envisagé, et "morts d'avant-hier" des "Corbeaux" qui conforte l'idée de deux poèmes en grande partie contemporains qui évoquent l'hiver précédent avec l'événement de la Commune.

2) Le nom de parti d'Emmanuel Macron cite-t-il un extrait d'Une saison en enfer ?

Rimbaud n'a aucune propriété intellectuelle sur l'expression "En marche" qui n'est pas de lui. Il la tourne d'ailleurs en dérision dans le poème "Démocratie" adressé à tous les Trump ET Joe Biden de la Terre, par sa corruption : "En avant, route !" La formule n'est pas revendiquée comme un slogan propre dans Une saison en enfer. Au contraire, il s'agit d'un impératif qu'on essaie de lui imposer.
Je cite des extraits des quatrième et huitième sections de "Mauvais sang" dans Une saison en enfer, en rappelant opportunément que ces deux sections étaient réunies en une seule sur le brouillon qui nous est parvenu, autrement dit Rimbaud a composé la quatrième et la huitième partie de "Mauvais sang" ensemble, avant de les séparer en intercalant les sections cinq à sept ! Je précise aussi qu'il n'est pas nécessaire de faire assaut d'interprétations pour le "vice" dont il est question dans ce texte, puisqu'il s'agit d'évidence de celui qui donne son titre à l'ensemble, le fait d'être de "Mauvais sang" :
          [...] - Reprenons les chemins d'ici, chargé de mon vice qui a poussé ses racines de souffrance à mon côté, dès l'âge de raison - qui monte au ciel, me bat, me renverse, me traîne. [...]
    Allons ! La marche, le fardeau, le désert, l'ennui et la colère.
    A qui me louer ? Quelle bête faut-il adorer ? Quelle sainte image attaque-t-on ? Quels cœurs briserai-je ? Quel mensonge dois-je tenir ? - Dans quel sang marcher ?
    Plutôt, se garder de la justice. - La vie dure, l'abrutissement simple, - soulever, le poing desséché, le couvercle du cercueil, s'asseoir, s'étouffer. Ainsi point de vieillesse, ni de dangers : la terreur n'est pas française.
     [...]

Et voici pour la huitième section, je corrige en m'aidant du brouillon la coquille "outils" que je remplace par le mot juste "autels" bien attesté par la main même de Rimbaud !!! et j'ajouterais même !!! :
   Assez ! voici la punition. - En marche !
   [...]
   Où va-t-on ? au combat ? Je suis faible ! les autres avancent. Les autels, les armes... le temps !...
[...]
   - Je m'y habituerai.
   Ce serait la vie française, le sentier de l'honneur !
Plusieurs remarques s'imposent. Dans l'édition originale d'Une saison en enfer, la mention "En marche" est en italique et dans ma citation j'inverse le contraste. Cela veut dire que l'expression était soulignée sur le manuscrit utilisé par les protes bruxellois, et cela implique de reconnaître l'expression en tant que citation, voire en tant que slogan de cette société qui plie le poète à ses raisons. On remarque également que Rimbaud réécrit une formule attribuée à Napoléon Premier : "Impossible n'est pas français", et il met cela en relation avec une phrase où la "vie française" doit être "le sentier de l'honneur". Il n'y a même pas besoin de savoir que Rimbaud a écrit contre Napoléon III et le Second Empire pour voir là un persiflage de mots d'ordre qu'on essaie de lui imposer. Le poète se raconte en train de plier, mais il ne le fait pas de bonne grâce, c'est le moins qu'on puisse dire. On observe également que le poète cherche une autorité de laquelle se réclamer dans les citations de la quatrième section et les mentions "marche" et "marcher" préparent évidemment l'ironie de l'appel "En marche" de la section finale. Je veux bien que le texte soit difficile à comprendre, mais j'ose croire que vous comprenez au moins cela. Enfin, la bonne leçon "autels" permet d'identifier l'alliance du sabre et du goupillon, autrement dit de l'armée et de l'église. La société qui dit "En marche" à Rimbaud, c'est un peu entre la République de Thiers et les bonapartistes et légitimistes qui essaient de rentrer dans le jeu politique une fois passés les événements de "l'année terrible".
J'ajouterais la petite note baudelairienne. Rimbaud dénonce l'ennui et le temps, il connaît visiblement ses Fleurs du Mal. Mais, pour en rester à l'expression politique "En marche", elle a déjà tout un passé. Hugo lui-même l'emploie en titre pour la cinquième des six sections de son recueil Les Contemplations. Et il n'en est certainement pas l'inventeur. Il cite bien sûr une formule politique connue. J'avoue ne pas pouvoir vous en faire l'historique.
En clair, du côté des communicants du gouvernement actuel, l'expression "En marche" qui joue déjà maladroitement sur les initiales d'un président renforcé dans son narcissisme est désastreuse si elle prétend se référer à Rimbaud. Mais l'expression était surtout pensée comme une formule politique et littéraire du dix-neuvième siècle assez diffuse, et pour achever sur ce sujet, le parti d'Emmanuel Macron s'appelle précisément "La République en marche". C'est le titre d'une série d'articles sur le parlement de la République que Zola a publiée dans les journaux La Cloche et Le Sémaphore de Marseille de février 1871 à août 1872. Zola était contre la Commune, il a même écrit qu'il trouvait la semaine sanglante nécessaire et salutaire, et, en sens inverse, il dénonçait souvent les débats au parlement, notamment sa droite réactionnaire, mais pas seulement, en se sentant plus proche des idées de Thiers, car c'est son intérêt pour la pensée de Thiers qu'il opposait à la droite réactionnaire et parfois à la gauche...
Non seulement nous sommes loin de Rimbaud, mais il n'est pas dans l'intérêt du parti au pouvoir de préciser que l'expression "La République en marche" avait à l'origine sous la plume de Zola une connotation ironique.

3) Rimbaud s'est-il moqué des mauvais poèmes d'Albert Mérat ?

Les gens interrogés sur leur passion pour Rimbaud, tous autant qu'ils sont, ne lisent pas les recueils de Banville, Glatigny, Dierx, Mérat et tant d'autres. Ils n'ont sûrement pas lu non plus les deux premiers numéros du Parnasse contemporain. Ont-ils seulement lu les poésies de Lamartine, Musset, Vigny ou Hugo ? Quel est leur rapport réel à la poésie ?
Selon leurs discours, Rimbaud ne s'intéresserait à la poésie qu'à la mesure de qu'il peut en faire lui. La lecture des autres ne lui ferait rien.
Dans sa célèbre lettre "du voyant" envoyée à Demeny le 15 mai 1871, Rimbaud ne mentionne pas (sans doute en partie parce qu'il les oublie en allant trop vite) : Vigny, Sainte-Beuve, Nerval, Desbordes-Valmore, Mallarmé ou Glatigny. Il va de soi que son récit sur les poètes du passé est à prendre au second degré. Il faut aussi rester prudent quant à sa liste qui privilégie les autorités reconnues : Lamartine, Hugo, puis les trois maîtres que Glatigny met clairement en tête de ses recueils : Banville, Leconte de Lisle et Gautier. Il fait un rejet particulier de Musset qu'on ne réduira pas complètement à du second degré et il établit un rapport ambivalent à Baudelaire, l'appréciant pour les idées, mais pas pour la forme. Enfin, il fait une liste assez conséquente de poètes ayant publié dans les livraison du Parnasse contemporain. Il cite même des poètes qui n'y ont pas encore publié et donc qu'il ne connaît pas le moins du monde, mais qui sont annoncés sur les quatrièmes de couverture. C'est en tout cas ce qu'une étude de Yann Mortelette semble avoir pu établir. Or, dans cette liste, tout le monde n'est pas logé à la même enseigne. Armand Renaud, Léon Grandet, sont des "innocents" proches de Musset. Georges Lafenestre, Charles Coran, Claudius Popelin, Joséphin Soulary et Louis Salles sont logés à la même enseigne. Gabriel Marc, Jean Aicard et André Theuriet sont renvoyés parmi les "écoliers". Un ensemble de poètes plus âgés sont violemment étiquetés "morts" ou "imbéciles", un semblant de choix leur étant accordé : Joseph Autran, Auguste Barbier, Léon Laurent-Pichat, André Lemoyne, les frères Deschamps et le père Alfred des Essarts joint à son fils Emmanuel. Léon Cladel, Robert Luzarche et Louis-Xavier de Ricard ne sont que des journalistes. Catulle Mendès résume la catégorie peu détaillée des "fantaisistes", mais Rimbaud étant évasif ensuite sur les "bohèmes" et les "femmes", on comprend que Mendès est comme tout ce qui précède enfermé dans la production poétique secondaire, sinon dérisoire.
On notera que dans tous ces recalés, nous avons plusieurs mentions significatives.
André Theuriet a eu une relative fortune auprès du public dans les années 1870. Auguste Barbier, et non Jules Barbier (annotation erronée de Pierre Brunel dans son édition au Livre de poche), a publié dans le second Parnasse contemporain de 1869-1871, mais il est connu pour un grand succès poétique des années 1830, les Ïambes. Rimbaud épingle des romantiques de la première heure retournés à un quasi anonymat, les frères Deschamps, mais encore un Léon Cladel que n'a pas dédaigné de préfacer un Charles Baudelaire. Rimbaud déconsidère deux lanceurs du mouvement parnassien, Catulle Mendès et Louis-Xavier de Ricard. Il n'en fait pas des poètes à part entière. Rimbaud épingle un Jean Aicard auquel il va écrire le mois suivant pour obtenir du soutien, lui envoyant par la même occasion une version du poème "Les Effarés". Pourtant, Rimbaud va excepter un certain nombre de poètes. Il reconnaît du talent à Sully Prudhomme, Léon Dierx et François Coppée. Il est toutefois vrai qu'en août 1870 il ne faisait pas beaucoup plus cas du talent de Sully Prudhomme dans Les Epreuves que de celui de l'innocent Armand Renaud pour ses Nuits persanes. L'histoire littéraire a précisément retenu les noms de Sully Prudhomme, Léon Dierx et François Coppée en tant que poètes secondaires qui ont échoué de peu à une reconnaissance éternelle dans l'histoire de la Littérature française. Sully Prudhomme et François Coppée seront parmi les premiers parnassiens à entrer à l'Académie française dans les années 1880. Sully Prudhomme fut le premier si je ne m'abuse, et évidemment il est célèbre aussi pour avoir eu le premier Prix Nobel de Littérature, ce qui ne contribue pas peu à tourner le prix lui-même en dérision il est vrai.
En tout cas, face à une liste fermée des générations antérieures : Lamartine, Hugo, Gautier, Banville, Leconte de Lisle et Baudelaire, six noms pour trois générations antérieures en gros, Rimbaud excepte deux noms : Verlaine et Mérat.
Mérat est un poète qui a été récompensé pour son recueil Les Chimères, lequel recueil n'a même pas été publié par Alphonse Lemerre, le bon éditeur des parnassiens. Il est légitime d'avoir des doutes sur la sincérité de Rimbaud quand il établit son palmarès, mais outre que Léon Dierx est un très bon choix pour faire partie des talents Rimbaud semble savoir où va le vent : Coppée et Mérat sont déjà signalés à l'attention à l'époque, et Sully Prudhomme devait déjà avoir acquis une reconnaissance officielle, lui qui fit un si beau parcours académique par la suite.
Maintenant, on peut émettre une petite réserve. Paul Verlaine et Albert Mérat avaient pour point commun de travailler à l'Hôtel de Ville avant l'incendie sous la Commune. Ils partagent ce point avec Léon Valade qui prétendra être le saint Jean-Baptiste de la rive gauche au sujet de Rimbaud, alors que celui-ci est mis en avant par Verlaine. En clair, Valade nous explique qu'il est le premier à avoir connu Rimbaud. Or, Valade travaillait lui aussi à l'Hôtel de Ville. C'était le cas également d'Armand Renaud, de Delvau, l'auteur d'un dictionnaire de la langue verte, et de Jules Andrieu. Je peux me tromper pour l'un ou l'autre, Delvau ou Andrieu. Mais, si nous laissons de côté Armand Renaud, Verlaine, Mérat et Valade étaient très proches. Entre le 25 février et le 10 mars 1871, Rimbaud est allé à Paris où il a rencontré un autre futru membre du Zutisme, le caricaturiste André Gill. Il semble évident que Rimbaud a rempli son carnet d'adresses à ce moment-là et il n'existe aucun autre moment plus désigné pour envisager une prise de contact avec un poète ayant été le "saint Jean-Baptiste" de la révélation Rimbaud. Rimbaud cite le 15 mai le couple de voyants Verlaine et Mérat, parce que ce sont les deux poètes que lui a recommandés Valade entre le 25 février et le 10 mars à Paris, tout simplement !
Mais, dans ce cas, Rimbaud aurait eu une estime peu sincère de la poésie de Mérat et nous pourrions envisager qu'il n'ait eu aucun mal à réagir avec hostilité dès son arrivée à Paris.
En réalité, les tensions existaient déjà entre Verlaine et Mérat comme l'attestent les lettres de Verlaine envoyés à Valade et Blémont en juillet et août 1871. Ensuite, la parodie du recueil L'Idole figure au tout début des contributions à l'Album zutique. Les attaques identifiées de Mérat sont toutes postérieures à la transcription de cette parodie à la mi-octobre 1871. En novembre 1871, un article d'Edmond Lepelletier nous apprend que lors d'une première théâtrale à l'Odéon Albert Mérat et Catulle Mendès s'amusaient à singer Rimbaud et Verlaine en se donnant le bras comme mari et femme. Verlaine dénonce les attaques de Mérat pour la période tendue de 1872 où il a dû se résigner à éloigner Rimbaud de Paris. Et les poses pour le Coin de table de Fantin-Latour datent précisément des premiers mois de l'année 1872. Mérat a refusé de figurer à côté de Verlaine et Rimbaud, parce qu'il ne supportait pas leur relation sexuelle. Rimbaud va épingler à nouveau en 1872 Mérat avec des quatrains nommés "Vers pour les lieux" qu'il aurait signé "Albert Mérat" à la façon zutique selon Verlaine.
Rimbaud va cibler également Catulle Mendès dans le sonnet "Oraison du soir", et surtout dans le poème "Les Chercheuses de poux" et les deux "Immondes". C'est la relation de Rimbaud et de Verlaine qui a posé problème à Mendès et Mérat, et les railleries de Rimbaud n'avaient du coup rien à voir avec le fait d'épingler des poètes qu'il aurait considéré comme mauvais. Pourquoi Rimbaud aurait-il épinglé Mérat et Mendès, plutôt que tant d'autres ? Non, il y avait tout simplement des règlements de comptes entre poètes. Et une énigme demeure du côté de Mendès, puisqu'il est évoqué dans le sonnet liminaire "Propos du Cercle" de l'Album zutique et surtout le franchissement de l'anus dans la parodie "Sonnet du Trou du Cul" des blasons du corps du recueil L'Idole d'Albert Mérat est pratiquée sur une forme "jusqu'à" qui trahit une allusion au recueil Philoméla de Catulle Mendès, et précisément au poème "Le Jugement de Chérubin" connu en tant que source pour "Les Chercheuses de poux" :
Obscur et froncé comme un œillet violet
Il respire, humblement tapi parmi la mousse
Humide encor d'amour qui suit la fuite douce
Des Fesses blanches jusqu'au cœur de son ourlet.
La césure est située au milieu de la forme prépositionnelle complexe "jusqu'au".
Une telle césure est audacieuse.
Dans Châtiments, en 1853, Hugo a utilisé la même forme à la césure, ce qui était déjà osé, mais il n'a surtout pas mis l'expression à cheval sur la césure comme c'est le cas ici. C'était dans le poème "Un bon bourgeois dans sa maison" :
Il a banni jusqu'à des juges suppléants ;
A cette époque, les recueils Les Fleurs du Mal et Odes funambulesques ne sont pas encore parus. Hugo pratiquait de telles acrobaties dans ses vers de théâtre, mais jamais dans ses recueils de poésies. En 1851, Baudelaire avait imité des vers de Musset et de la pièce Marion de Lorme, avec la forme "comme un" calé devant une césure. Ce vers de 1853 fut une façon bien discrète de la part de Victor Hugo pour montrer qu'il restait à la pointe de cette pratique.
Vu un article de 1865 intitulé "Charles Baudelaire" où Verlaine attribue à l'auteur des Fleurs du Mal l'invention de telles césures, on peut penser que Verlaine avait une lecture très négligente des vers de théâtre de Victor Hugo. Il ne devait guère faire attention aux césures en lisant les Châtiments de 1853 où figuraient une césure sur "comme", une césure après la locution "jusqu'à".
Son attention était plus vive en ce qui concerne les recueils de poésies lyriques, surtout quand les césures acrobatiques étaient suffisamment abondantes pour exiger d'augmenter la concentration à la lecture.
Or, Mendès a repris la césure de Victor Hugo dans le poème "Le Jugement de Chérubin", cependant qu'à deux autres reprises il emploie canoniquement l'expression au-delà de la césure :
Grave, et se concertant jusqu'au soleil couché. ("Les Fils des anges")

J'aurais pu vivre encor jusqu'à la nuit prochaine ; ("Pantéléia")

Viens ! pour dormir jusqu'à l'aurore purpurine, ("Le Jugement de Chérubin")
Il est sensible que seul le dernier vers cité correspond à la césure exceptionnelle pratiquée par Hugo dans Châtiments. Le poème "Le Jugement de Chérubin" est une source aux "Chercheuses de poux", et le vers que nous en extrayons contient à la fois la césure hugolienne pour "jusqu'à" et l'adjectif "purpurine" à la rime qui est proche de la forme "écarlatine" que Mendès emploie dans un autre poème de Philoméla : "Sonnet dans le goût ancien". Dans le poème mendésien, le mot "écarlatine" est à la rime en fin d'octosyllabe, ce que Rimbaud reflètera fidèlement dans "Vu à Rome", un poème en octosyllabe avec l'adjectif "écarlatine" à la rime. Et ce n'est pas tout, puisque dans l'Album zutique, les parodies "Sonnet du Trou du Cul" et "Vu à Rome" sont mises en regard l'une de l'autre dans la manière des transcriptions en colonnes sur le verso du feuillet 2 et le recto du feuillet 3 qui, par la force des choses, s'apprécie en même temps quand le livre est grand ouvert sur la table. Et le poème "Vu à Rome" est faussement attribué à Léon Dierx, lequel est, comme par hasard, lui aussi mentionné dans l'entrefilet d'Edmond Lepelletier accablant Rimbaud et Verlaine. Cette recension, Lepelletier l'a faite sous le pseudonyme de "Gaston Valentin" et elle a été utilisée par Mathilde Verlaine lors de sa demande de séparation. Elle a été publiée le 16 novembre 1871 dans le périodique Le Peuple souverain, un mois après les transcriptions des parodies de Mérat et Dierx dans l'Album zutique. Je souligne, mais sans me faire d'illusion sur le nombre de gens qui savent lire parmi vous, le parallélisme grossier par répétitions de mots que Lepelletier a placé de façon ostentatoire dans son "écho", et( avant de citer je précise que l'auteur du Bois était pour sa part absent ce jour-là :
Hier soir, première représentation à l'Odéon du Bois, idylle en un acte et en vers, de M. Albert Glatigny, [...]. Tout le Parnasse était au complet, circulant et devisant au Foyer, sous l'œil de son éditeur Alphonse Lemerre. On remarquait çà et là le blond Catulle Mendès donnant le bras au flave Mérat. Léon Valade, Dierx, Henri Houssaye causaient çà et là. Le poète saturnien, Paul Verlaine, donnait le bras à une charmante jeune personne, Mlle Rimbaut.
Je précise que les rimbaldiens n'identifient l'homophobie qu'au seul plan de la mention "Mlle Rimbaut" et le documentaire confirme puisque, dans le documentaire, à 39 minutes, l'intervenant Martel et la voix off ne citent que la seule dernière phrase de l'entrefilet de Lepelletier !
L'adjectif "flave" est un synonyme de "blond", il s'agit donc bien d'accentuer l'aspect comique du couple forme par Mendès et Mérat. Il faut ajouter que Mérat avait une solide réputation de tombeur. Il n'était pas rare de le voir au bras d'une jolie inconnue lors des rencontres entre poètes. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi les rimbaldiens et les spécialistes de la Littérature sont incapables d'envisager ce qui est explicite dans cet entrefilet : Mendès et Mérat se moquent des amours de Rimbaud et Verlaine. Tout est dit, non ? J'ajoute donc que Dierx fait partie des rares auteurs mentionnés à proximité. La mention d'Henri Houssaye m'interpelle également. Reprenez le vis-à-vis du verso du feuillet 2 et du recto du feuillet 3 dans l'Album zutique : vous avez une colonne alignant une parodie de Mérat sous forme de sonnet et une parodie d'Armand Silvestre sous forme de quatrain, et puis une autre colonne faisant se succéder un poème en trois quatrains voulu comme parodie de Léon Dierx avec un poème en neuvain ou trois faux-tercets qui parodie Verlaine "Fête galante" avec une idée de travestissement masculin de "Colombina" par la rime masculine de tercet central "Colombina"::"pina" où lire significativement "Colombine" et pine" puisque la rime est entre les deux couples de rimes en "-in" des deux autres tercets : "Scapin"::"lapin" et "lapin"::"tapin".
Il faut ajouter que dans ce vis-à-vis l'adjectif "écarlatine" repris à Mendès est à peu près à la même hauteur que la césure acrobatique sur "jusqu'à" qui excède une audace de Mendès que Verlaine ignorait peut-être provenir de Victor Hugo.
Or, à Toulouse, Armand Silvestre a été enterré dans un caveau de sa proche famille Houssaye dans la mesure où la famille Silvestre a déléguée cette prise en charge car elle était dérangée par son succès en tant qu'auteur de contes licencieux, grivois.
C'est une énigme biographique que je n'ai pas eu le loisir de creuser. Armand Silvestre est-il parent avec Henri Houssaye ?
En tout cas, nous avons déjà une chaîne de poètes hostiles avec Mendès, Mérat et Lepelletier, tandis qu'un gros doute se fait sentir au sujet de Léon Dierx.
Bref, non, les parodies ne sont pas pour se moquer des mauvais poètes. Ce n'est pas ça, l'esprit Rimbaud 
!

4) Les rimbaldiens ne s'intéresseraient pas assez à l'idée d'un témoignage de Rimbaud sur sa sexualité dans ses poèmes :

N'importe qui est libre d'écrire sur les poésies de Rimbaud. Et bien des gens s'identifient déjà à la sexualité de Rimbaud, artistes, universitaires, passionnés divers, etc. La lecture que je fais ci-dessus de la rime "Colombina"::"pina" est inédite et elle va dans le sens de deux écrivains qui exercent des représailles parce que victimes très tôt d'homophobie, puisque ça fait à peine un mois que Rimbaud est à Paris quand "Fête galante" et "Sonnet du Trou du Cul" sont transcrits sur les feuillets de l'Album zutique. J'identifie autrement que vous ne le faites les moqueries de Rimbaud et Verlaine à l'égard de Mérat. Il faudrait savoir : qui néglige quoi ?
Il faut ajouter que c'est plutôt Verlaine qui raconte cette relation dans ses poésies. Dans Romances sans paroles, Verlaine raconte un ménage à trois dans lequel il reproche à Mathilde de ne pas avoir cherché à prendre place. Les "Paysages belges" et les "Aquarelles" parlent du compagnonnage avec Rimbaud en des termes explicites. Evidemment, je n'identifie par l'allégorie du poème final "Beams" à Rimbaud, mais dans les autres poèmes il est clairement question de Verlaine et de Rimbaud. Le poème "Birds in the night" et quelques autres ("Child wife") s'adressent plus spécifiquement à Mathilde. Les "Ariettes oubliées" racontent à l'évidence le balancement de Verlaine entre Mathilde et Rimbaud.
En revanche, Rimbaud n'a pas une telle perspective littéraire. Et l'orientation de sa lecture ne se décrète pas. J'ajouterai que Rimbaud, en juillet 1873, est dérangé par l'étalage public de sa relation sulfureuse avec Verlaine. Il s'en tient face aux juges, face à la police, aux dénégations les plus formelles. Il faut donc aussi considérer que Rimbaud n'avait pas spécialement envie de porter un étendard. Il n'assume pas publiquement, il a envie qu'on le laisse tranquille. Et je digresse un peu au passage, mais il faut le faire. On s'imagine Rimbaud comme un personnage intraitable, une forte personnalité. Il faut se méfier. D'abord, il n'a jamais déchiré les manuscrits de Charles Cros, ni les pages de la revue L'Artiste où ses poèmes n'avaient pas encore été publiés. Mais, sans passer son temps à trier entre ce qui est vraisemblable ou pas dans les rumeurs, il faut se garder de penser que Rimbaud était un personnage si fort que ça devant les autres. Il a été rapidement maîtrisé pour son agression à la canne-épée contre Carjat, seul Verlaine a subi patiemment ses excès, et en juillet 1873, quand il est menacé d'une arme à feu Rimbaud est assez prompt pour demander l'aide d'un agent de police. Ce n'est pas l'indice d'un courage en acier trempé, il est vrai que dans cette situation-là la prudence était plus indiquée, mais on fait endosser à Rimbaud une stature d'homme fort qui ne convient probablement pas si bien que ça à ce qu'il a réellement été.

4) Le Cercle du Zutisme, cénacle très sulfureux, dont l'Album zutique ne serait pas destiné à la publication :

Vous connaissez les publications sous le manteau des recueils obscènes : Amours et Priapées d'Henri Cantel, Joyeusetés galantes et autres aventures du vicomte Bonaventure de la Braguette d'Albert Glatigny qui ne le signe pas, Les Epaves de Charles Baudelaire avec du complément, les volumes du Parnasse satyrique contemporains des livraisons parnassiennes et fournis en poèmes d'auteurs connus, la plaquette Les Amies de Verlaine lui-même, anthologies de théâtre obscène auxquelles collabore à nouveau Glatigny ? Puis, ignore-t-on les poèmes obscènes publiés à titre posthume de Musset, Sand ou Gautier ? Savez-vous que l'Album zutique a pour modèle un Album des Vilains Bonshommes qui a brûlé sous la Commune et qui contenait les obscénités de Verlaine "L'ami de la Nature" et le sonnet "La Mort des cochons" reporté dans l'Album zutique ?
Il existait d'ailleurs d'autres albums de salons, dont celui de Nina de Villars, mais ce n'était pas le seul. Dix ans plus tard, les facéties de l'Album zutique seront banalisés avec les Hydropathes, le Chat noir, etc., et toucheront de larges franges de la société, plus seulement de petits comités d'auteurs.
Ce qu'il faut cerner, c'est que dans les années 1820 les grands poètes sont encore assez près de la cause légitimiste ou sont assez proches en tout cas des milieux politiques : Hugo, Vigny, Lamartine, Sainte-Beuve, etc. Il n'était pas possible d'imaginer des réunions de grands romantiques dans des cafés. Ils se réunissaient dans des salons mondains tout ce qu'il y a de plus convenable.
Le premier infléchissement vient avec le Petit Cénacle au début de la décennie 1830 avec Gautier, Nerval, Borel, O'Neddy et quelques autres. Sans doute avec un zest d'exagération pour épater les bourgeois à mentons glabres, selon une expression qui n'est pas de Gautier, mais de Borel, O'Neddy a rencontré le caractère orgiaque et excentrique de ses réunions dans la "Nuit première" de son recueil Feu et flamme. Dans les années 1840, l'idéal de la vie de bohême s'est mis en place avec une foule d'écrivains secondaires dont nous ignorons en général les noms et l'existence. Bien que solitaire, Baudelaire est un témoin de cette évolution avec ses poèmes sur le vin et l'ivresse, il consacre même une section au "Vin" dans son recueil des Fleurs du Mal, et dans les années 1860 une partie des parnassiens parmi lesquels Verlaine sont quelque peu des piliers de bar pour parler familièrement. Le Cercle du Zustisme s'inscrit dans une évolution et une évolution qui est au-delà des clivages politiques, puisque les nouveaux zutismes des années 1880, et en tout cas les hydropathes et meneurs du Chat noir ne sont pas du tout les éditeurs de Rimbaud dans la revue La Vogue, mais en plus sont carrément à la poésie de Rimbaud. Emile Goudeau, Maurice Rollinat, Félicien Champsaur et Alphonse Allais ne sont pas du tout friands de la poésie de Rimbaud, et ils ne sont pas du tout proches des idées communalistes non plus. C'est ça qui s'est passé ! Il ne faut pas tout confondre, ni considérer comme une nouveauté ahurissante le Cercle du Zutisme de la fin de l'année 1871.
Il est vrai que pour les contributions zutiques il s'est tout de même joué quelque chose de diablement intéressant grâce à Verlaine et Rimbaud, puis grâce à d'autres contributeurs sortant du lot. Ceci dit, l'expérience n'a duré qu'un mois et s'est délitée, ce qui indique qu'elle n'a pas été vécue comme ce qui rend jaloux tous les amoureux de poésie libre de notre époque contemporaine. Le côté tapageur de telles réunions a été assumé à l'époque des Hydropathes et du Chat noir, mais il n'est pas transposable au Cercle du Zutisme en tant que tel.

5) Une saison en enfer, un livre écrit suite au coup de feu de Verlaine sur Rimbaud :

Le jour même du double coup de feu, Verlaine a été arrêté. Plus tard, nous apprendrons que Verlaine possédait des manuscrits des brouillons que Rimbaud avait écrit pour les sections "Mauvais sang", "Nuit de l'enfer" et "Alchimie du verbe", manuscrits qui nous sont parvenus. Rimbaud n'a pas envoyé de tels manuscrits à Verlaine entre la mi-juillet et le mois d'octobre 1873, date-butoir à laquelle il récupère quelques exemplaires mis sous presse dont un qu'il envoie à Verlaine. Cela n'aurait aucun sens. Verlaine possédait des brouillons qui prouvaient que Rimbaud avait déjà composé un détail du texte pour la moitié du livre Une saison en enfer. Et les manuscrits qui nous sont parvenus ne permettent pas d'exclure que Verlaine possédait d'autres manuscrits ou que Rimbaud était déjà plus avancé encore dans sa composition. Rimbaud n'a pas forcé laissé à Verlaine les manuscrits les plus frais.
Par ailleurs, en mai 1873, Rimbaud raconte à Delahaye un projet qui correspond clairement à ce qui est développé dans Une saison en enfer et il lui explique qu'il a déjà composé "Mauvais sang" en grande partie, si nous savons lire entre les lignes.
Sur le texte imprimé non mis en vente, Rimbaud a offert une mention de la période de composition de son livre qui est "Avril-août 1873". Rimbaud ne pouvait pas soupçonner qu'un jour les lecteurs liraient sa lettre à Delahaye qui confirme cette datation. Cette date est fiable et on appréciera qu'elle ne s'étire pas jusqu'au mois de septembre. Oui, Rimbaud a peaufiné son livre après l'incident bruxellois, mais l'essentiel était écrit avant le drame et donc toute la direction du projet était établie auparavant.
Plusieurs personnes veulent continuer d'entretenir une légende démentie par les faits. Le livre Une saison en enfer n'est pas né de ce qui s'est passé à Bruxelles en juillet 1873. Et les lectures qui refusent de considérer les faits sont inévitablement tendancieuses.
Par ailleurs, je disais plus haut que face à la police et aux juges Rimbaud avait pris soin de nier qu'il existait une relation sexuelle entre lui et Verlaine. Or, "Vierge folle" rejoindrait aisément le sonnet "Le Bon disciple" dans un dossier à charge. Dans de telles conditions, il faut envisager que si, en effet, il y a des indices de la relation sexuelle entre les deux poètes dans Une saison en enfer, c'est que ce projet était déjà en cours avant le drame du 10 juillet. Et, par ailleurs, la compagne "Vierge folle" quelque peu inspirée de Verlaine, tout en restant réservé quant à une identification biographique franche, est décrite en des termes rancuniers qui cadrent mal avec l'idée d'un projet entamé après le 10 juillet. Il ne faut pas oublier que nous ne connaissons le drame du coup de feu qu'à partir de témoignages de procès où Rimbaud et Verlaine n'avaient ni l'un ni l'autre envie de divulguer les vraies raisons de leurs querelles privées. Verlaine avait abandonné Rimbaud seul à Londres avant de lui divulguer son adresse bruxelloise. En réalité, le coup de feu s'explique nécessairement par des disputes violentes antérieures et "Vierge folle" comme texte à teneur quelque peu biographique a plus de chances d'avoir précipité le coup de feu que d'avoir été causé par lui.
On dira que je gamberge. Mais, il n'en reste pas moins que le projet était en chantier depuis mai selon une lettre à Delahaye, depuis avril selon la date du texte imprimé, que Verlaine avait des brouillons écrits correspondant à une moitié, un tiers si on veut pinailler, de l'ouvrage. C'est vous qui gambergez et qui n'avez pas assez de billes pour soutenir vos positions ! Je veux bien être plus prudent sur ma chronologie, mais vous vous dites n'importe quoi en regard des faits.

6) Rimbaud et le rock :

Rimbaud est certes une icône rock. Mais il y a deux mises au point à faire. Premièrement, Rimbaud parlait sans doute à des américains des années soixante se libérant d'un puritanisme encore prégnant. Rimbaud n'est pas qu'un adolescent rebelle abstrait et il n'y a pas une espèce d'éternité de la révolte. Il faut accepter que certains combats des poètes et donc de Rimbaud aient été menés quelque peu à terme. La libération des mœurs dans les années soixante correspond à des aspirations formulées dans "Sensation", "Credo in unam", puis bien des poèmes de la maturité.
Deuxièmement, dans le domaine du militantisme en politique, le rock n'occupe pas une place privilégiée. Le rock est considéré comme suspect, lié à la consommation et au marché, lié à l'Amérique. Le rock n'a pas la reconnaissance musicale du classique ou du jazz non plus. Et, enfin, le rock parle plutôt de la culture et du sociétal, il n'a pas cet emballage d'un discours politique qui le mettrait en faveur. Pourtant, le rock a une importance politique réelle, et une blague qui n'est pas de moi consiste à dire : une guitare, tu peux l'emmener sur une barricade, pas un piano. Le documentaire parle de rock, mais ne fait pas remarquer le positionnement délicat de ce mouvement culturel dans le militantisme politique où il est un peu un enfant mal aimé.

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