Selon le témoignage d'Armand Silvestre
lui-même (articles retrouvés par Jean-Didier Wagneur et cités dans la Revue Verlaine), lui et Rimbaud se
seraient rencontrés lors du dîner des Vilains Bonshommes du samedi 30 septembre
1871, et lors de cet échange Silvestre aurait reçu en don une version
manuscrite des « Effarés » qu’il nous aurait donc transcrite, vingt
ans après, dans sa série d’articles de témoignages. Toutefois, le manuscrit
demeure inconnu en tant que tel et la transcription offerte a l'inconvénient de
paraître un peu suspecte à cause de sa forte ressemblance avec la version
publiée par Verlaine dans Les Poètes
maudits, alors que toutes les autres versions connues sont divergentes.
Dans ses lettres de l'été 1871 à Blémont et Valade, Verlaine avait salué avec
ironie la bonne affaire d'Armand Silvestre auprès de l’éditeur des parnassiens
Lemerre. En effet, dans les jours qui suivirent la Semaine sanglante, Armand
Silvestre fit une visite des lieux marqués par les destructions de la guerre
civile et accessoirement par la guerre franco-prussienne précédente et
coécrivit l'ouvrage Guide à travers les
ruines. Paris et ses environs, rapidement mis en vente et aujourd’hui
disponible sur le site Gallica de la BNF. Armand Silvestre a rédigé cet ouvrage
sous un pseudonyme germanisant Ludovic Hans avec une autre plume "J.-J.
Blanc". Pourtant, le style est loin d'être littéraire. Tout à fait d'une
autre teneur quand il se veut conteur ou poète, ici Silvestre porte l'autre
casquette de celui qui est sorti de l'école polytechnique officier du génie,
tant il y adopte l'écriture malhabile et guindée de l'administrateur qui
cherche l'inspiration qu'il n'a pas et s'en tient à une objectivité technique
assez fade et pédante. On pourrait comparer ça au style informaticien de
Houellebecq. Silvestre y dénonce les communards qu'il assimile à des idiots et
à des fous, en plus de fustiger leurs incendies. Cet ouvrage ne fut pas le seul
de l'époque et il préfigure le volume Tableaux
du siège de Théophile Gautier paru à la fin de l'année et épinglé par
Rimbaud dans son poème "Les Mains de Jeanne-Marie" avec l'image des
"Madones" qui fait référence à la madone de Strasbourg au premier
chapitre de l'ouvrage de Gautier.
Le livre Guide à travers les ruines est divisée en journées. Son avant-propos
où il est écrit : "l'œuvre de destruction de la Commune était encore
intacte" est daté du 15 juin 1871. Nous n'étions pas à trois semaines de
distance de la fin des événements, et fort maladroitement après un affrontement
entre le peuple et une armée dite "versaillaise", la première journée
proposait un départ du côté de la "Rue Royale" :
Nous partirons, si vous le voulez
bien, de la Madeleine dont la colonnade est mouchetée de balles, et, lui
tournant le dos, nous entrerons dans la rue Royale, qui présente de bien autres
dégâts. [...]
J'ignore si Rimbaud a eu l'idée de lire
très avant cette relation sur les dégâts reprochés à l'insurrection
communaliste, mais ce début justifie à l'évidence l'ironie sur le compte d'un
poète considéré comme étant du parti des "lys". Quatre pages
numérotées à part en fin d’ouvrage sont consacrées aux publicités pour les
autres livres édités par Lemerre. La page « 4 » fait mention de
Verlaine et de ses Poèmes saturniens,
puis dans la section des « Prix divers », des Fêtes galantes et de La Bonne
chanson. A la fin d’une telle prose, il est édifiant ou piquant de relever
certains titres : L’Année
républicaine de Louisa Siefert, Ciel,
Rue & Foyer de Ricard. Deux recueils de Jean Aicard sont mentionnés au
haut de la page 3 Les Jeunes Croyances
et surtout le suivant Les Rébellions et
les Apaisements dont le titre piquera la curiosité de Rimbaud au point de
demander le don d’un exemplaire à l’auteur dans une lettre datée de juin 1871
même. Leconte de Lisle et François Coppée ont droit à une page chacun de
promotion, respectivement les pages 1 et 2, ce qui n’empêche pas de nouvelles
mentions des recueils originaux de Coppée parmi les listes des pages 3 et 4.
Ces placards publicitaires font un drôle d’effet à la suite de ce livre
dérangeant sur la poésie des ruines où, pourtant, s’exprime la vindicte
politique contre un mouvement auquel Rimbaud avait adhéré tout comme Verlaine
et adhéré quelque peu en poète (« Chant de guerre Parisien »).
Aussi rapidement, Silvestre a publié
une autre relation d’actualité sous le pseudonyme de Ludovic Hans, mais cette
fois sans participation d’un co-auteur. Il s’agit de son témoignage vécu sur la
guerre civile. L’ouvrage est quelque peu comparable au titre plus connu de
Catulle Mendès Les 73 Journées de la
Commune (du 18 mars au 29 mai 1871). Le titre de Mendès est légèrement
trompeur, l’insurrection a eu lieu le 18 mars, mais la Commune ne fut
officiellement proclamée que le 28 mars. Mais il est assez justifié de faire
commencer l’événement à l’empêchement de la reprise des canons de Montmartre.
L’ouvrage de Silvestre offre un titre étrange, tout en juxtapositions : Second Siège de Paris. Le Comité central et
la Commune. Journal anecdotique par Ludovic Hans, Rédacteur de l’Opinion
nationale, et le sous-titre Le Comité
central et la Commune sera repris par Camille Pelletan, membre du Cercle du
Zutisme en octobre-novembre 1871, quand il rassemblera ses articles publiés
dans Le Rappel pour en faire un livre
en 1878 environ. Il n’est pas anodin de relever la mention « Siège »
dans le titre de l’ouvrage, étant donné les deux quatrains « Vers pour les
lieux », l’un tourné contre Mérat, et le dizain à la manière de Coppée
« Etat de siège ? » qui figure dans l’Album zutique.
Verlaine avait-il tenu Rimbaud au
courant des publications de Silvestre sous le pseudonyme de Ludovic Hans par
courrier ? L’hypothèse peut être émise dans la mesure où le quatrain
« Lys » qui parodie nommément Silvestre reprend des éléments d’un
poème « Ce qu’on dit au Poète à propos de fleurs » envoyé à Banville
en août 1871, mais cela semble peu probable et même invérifiable à jamais. Il
convient de songer à une liaison logique d’un poème à l’autre du fait de
l’actualité. Silvestre témoigne pour sa part d’une rencontre qui se serait
déroulée dans les termes les plus amitieux. Verlaine a dû prévenir Rimbaud
contre Silvestre suite à ce dîner du 30 septembre et c’est ce qui peut
expliquer la transcription à la mi-octobre du quatrain « Lys » à la
suite de la parodie du recueil L’Idole
d’Albert Mérat au verso du feuillet 2 de l’Album
zutique.
Or, le quatrain « Lys » ne
semble pas être le seul poème rimbaldien portant une influence de Silvestre.
Cette influence semble minimale dans le poème en trois quatrains « Vu à
Rome » faussement attribué à Léon Dierx, malgré les affirmations de
Bernard Teyssèdre en ce sens dans son livre Arthur
Rimbaud et le foutoir zutique. Toutefois, la succession du « Sonnet du
Trou du Cul » et de « Lys » forme une colonne enchaînant un
sonnet et un quatrain, avec liaison par l’odeur des lys prêtée à la partie
anale du corps dans un sonnet du recueil Amours
et Priapées d’Henri Cantel, ce recueil de Cantel étant l’objet de
nombreuses réécritures à côté de celles de L’Idole
de Mérat dans le « Sonnet du Trou du Cul ».
Pelletan et Valade ont imité le
principe d’enchaînement d’un sonnet et d’un quatrain sur le même feuillet,
tandis que sur le recto du feuillet 3 suivant, Rimbaud a transcrit un
enchaînement d’un poème en trois quatrains « Vu à Rome » et d’un poème-neuvain
en trois faux tercets « Fête galante » où il est difficile de ne pas
admettre une allusion amusée aux deux quatrains et deux tercets d’un sonnet.
Or, le poème-quatrain « Lys » contenait une rime en
« -ines » (« famines » :: « étamines »)
reprise avec passage du singulier au pluriel au troisième des « Sonnets
payens » du recueil Rimes neuves et
vieilles d’Armand Silvestre
(« poitrine » :: « aubépine » :: « étamine » ::
« colline »). La rime en « -ine » a pour correspondante
masculine la rime en « -in », tandis que sa transposition en italien
donne « -ina », ce qui demeurerait malgré tout une rime masculine en
français. Enfin, les équivoques du quatrain « Lys » de Rimbaud
invitaient à lire de manière obscène le sonnet de Silvestre et notamment cette
« aubépine » à la rime explicitement considérée comme projetant de la
neige. Or, dans « Fête galante », deux rimes en « -in »
encadrent une rime en « -ina » : « Colombina / Que
l’on pina », où la part de l’obscène est explicite, et si Rimbaud a
encadré ainsi sa rime en « -ina » c’est pour permettre
l’identification de Colombina à un personnage travesti, ce qui vaut
rapprochement évident avec le « Sonnet du Trou du Cul » où la rime en
« -ine » également présente renvoie à une « Aline »
lesbienne du recueil Amours et Priapées,
tandis que tout le monde a compris que la parodie de Mérat va jusqu’à
s’éloigner du blason du corps féminin en désignant par équivoque un anus
masculin. Accessoirement, nous pouvons relever encore que le quatrain
« Lys » face aux tercets de « Fête galante » peut à nouveau
faire songer à une allusion à la forme du sonnet, mais surtout le quatrain est
plus volontiers une forme relevant de l’épigramme, comme l’a envisagé Reboul
dans son étude du quatrain « L’Etoile a pleuré rose… » Plusieurs
poèmes-quatrains sont nommés « Epigramme(s) » dans les tomes du Parnasse satyrique du dix-neuvième siècle.
Cette idée d’épigramme invite à accorder de l’importance à la chute du poème,
au dernier vers. Dans son Petit traité de
poésie française, Banville insiste également sur la pointe du sonnet au
dernier vers. L’appariement du sonnet et du quatrain sur deux colonnes
rassemblées sur un même feuillet de l’Album
zutique a donc plus de raison d’être qu’on ne l’imagine, et surtout la
colonne du sonnet et du quatrain réapparaît dans le cas d’une transcription par
Verlaine du sonnet « Voyelles » et du quatrain « L’Etoile a
pleuré rose… » au sein d’une suite paginée de poèmes de Rimbaud, afin de
constituer un portefeuille de poèmes qui ne devaient pas se perdre (on pense aux
mots de Verlaine sur la mise en sécurité de manuscrits de Rimbaud par Forain,
dans une lettre qui précédait de peu le retour à Paris en mai du jeune
carolopolitain). Cette idée que l’enchaînement du sonnet et du quatrain avait
une importance a été minimisée par Reboul, puis par d’autres. Certes,
l’enchaînement des deux poèmes n’était pas indispensable, mais il n’en reste
pas moins que Verlaine a adopté un enchaînement qui faisait sens pour les
membres du Cercle du Zutisme et que les deux poèmes jouent sur la couleur. Il
est certain que ces études sur les couleurs ne sont pas ce qu’une certaine
tradition critique rimbaldienne a voulu croire, et Reboul a eu raison de
dénoncer cette illusion. Le sonnet « Voyelles » associe les couleurs
à cinq voyelles pour permettre toute description du monde, tandis que le
quatrain s’appuyant sur un ensemble de couleurs différentes s’en sert de
manière quelque peu picturale dans un esprit plus proche du blason du corps
féminin aux visions fantaisistes de poète. Toutefois, les deux poèmes ont des
convergences d’une autre nature, et ils ont en commun un même jeu symbolique
sur l’opposition du blanc et du noir, l’ordre de défilement du blanc et du noir
s’inversant d’un poème à l’autre. La symbolique de lumière est sans doute très
proche dans les deux poèmes, et cela permet d’envisager des liens avec d’autres
poèmes colorés « Ce qu’on dit au Poète à propos de fleurs »,
« Les Mains de Jeanne-Marie » et « Le Bateau ivre ». Dans
« L’Etoile a pleuré rose », le « blanc » de l’infini valorise
la Femme et fait contraste avec le noir du sang versé par l’humain. L’Homme
fait un don sacrificiel à Vénus qui fait ressortir son « flanc
souverain », tandis que dans les trois premiers vers le rose, le blanc et
le roux sont à la fois des caresses de l’univers et des parures de la Vénus.
L’idée de considérer que le couple du
« Sonnet du Trou du Cul » et de « Lys » pouvait être
rapproché du couple de « Voyelles » et de « L’Etoile a pleuré
rose… » a permis d’envisager que le quatrain sans titre était lui aussi
une réécriture partiellement parodique des poésies d’Armand Silvestre. Nous
avons constaté que la promiscuité verbale « pleuré » et
« perlé » était significative déjà dans les deux premiers recueils
publiés de Silvestre. Nous avons constaté que l’idée de l’astre au ciel qui
verse un pleur est une constante d’écriture métaphorique des recueils du même
Silvestre. L’adjectif « rose » rappelle le nom de la prêtresse de
Vénus du sonnet païen source des réécritures parodiques du quatrain
« Lys » de Rimbaud, la rose étant avec le lys une autre de ces fleurs
banales en poésie que Silvestre célèbre avec sensualité. Nous avons vu que
Rimbaud ne perdait pas non plus de vue les blasons du corps féminin de Mérat et
Cantel en citant « nuque », « oreille », « mammes »
pour sein dans une série d’images maritimes qui prolongent l’imaginaire
vénusien du recueil mératien. Les « reins » sont un terme plus osé
qui prend du relief dans les sonnets de Cantel et nous avons vu que Rimbaud
s’était inspiré du recueil Amours et
Priapées dès la composition de « Vénus Anadyomène » et même dès
la composition de « Credo in unam »
en mai 1870 !
Si l’idée d’un poème sur le motif de la
naissance de Vénus au sein des flots s’impose, il n’est pas inutile de faire
remarquer que si la mer façonne le corps de la Vénus en lui accordant deux
perles rousses formées par son écume au soleil à la pointe des deux seins le
premier vers suppose une action descendue du ciel avec l’étoile. Le poème
décrit à l’évidence le moment de l’aube, celui qui est « éternité »
de « la mer allée / Avec le soleil. » L’étoile offre des tons rosés
du lever du jour et participe à l’alchimie de la couleur rousse inusuelle de la
mer qui vient offrir un don coloré étonnant au corps de la Femme. Qu’en est-il
de l’infini ? Le mot « l’infini » a un parfum d’éternité pour
continuer de citer le poème daté sur un manuscrit de mai 1872. Mais, l’infini
c’est aussi l’insondable, ce qui peut concerner le ciel où dans
« Voyelles » le poète cherche à saisir le « rayon violet de Ses
Yeux », et aussi la mer, « l’insondable azur » au début de la
source identifiée par Pierre Brunel qu’est « Naissance de Vénus » de
Sully Prudhomme, mais Silvestre couple régulièrement l’idée de l’infini à
l’idée de la mer dans ses poèmes comme viennent de l’attester nos relevés dans
le recueil Les Renaissances. Il est
clair désormais que les trois premiers vers de « L’Etoile a pleuré
rose… » imitent le panthéisme de l’auteur des « Sonnets païens »
qui étonnaient tant George Sand selon ses dires elles-mêmes dans la préface
qu’elle a accordée au recueil Rimes
neuves et vieilles. Et si George Sand avait qualifié Silvestre de
« spiritualiste malgré lui » en déformant un titre de Molière, cela
avait valu dans un esprit zutique une parodie où s’invitaient l’art des clystères
si comiquement décriée dans les comédies du dix-septième siècle telles que Le Malade imaginaire et cela valait
désormais une remise en cause du romantisme du procédé dans « L’Etoile a
pleuré rose… » Rimbaud ne s’attaque pas directement à la pose mystique du
poète, il goûte après tout lui aussi le charme de cette magie dont Sand dans sa
préface justifie le recours illusionniste indispensable à la langue des vers.
Toutefois, le dernier vers, tour galant quoiqu’original d’un madrigal adressé à
une Vénus des barricades et, en même temps pointe satirique de l’épigramme à
l’encontre de Silvestre, nous éloigne de la parodie pour passer au plan
critique. Un amoureux du monde l’est aussi de l’avenir du peuple. Cet amour
défini dans « Les Mains de Jeanne-Marie » avec le « sang
noir » mais pas seulement, et quelque peu dans « Voyelles » avec
le motif du « sang craché » assimile le don du sang à une semence
jetée dans l’univers. Rimbaud refuse que les martyrs de la Commune soient pour
rien et dénonce l’insensiblité de Silvestre, Gautier et autres parnassiens en
parlant d’un culte à la Vénus qui parfois est la ville de Paris personnifiée
dont le poète peut dire : « Splendide est ta beauté ! »
Toutefois, la réussite épigrammatique suppose toujours quelque réécriture. Le
motif du « flanc souverain » est présent dans les poésies de
Silvestre. Nous l’avons constaté avec nos relevés pour le recueil Les Renaissances, nous pouvons le
constater avec le premier sonnet païen et donc premier poème du recueil Rimes neuves et vieilles de 1866. Nous
parlons bien de l’édition originale, dans la mesure où l’édition d’un volume
réunissant Rimes neuves et vieilles, Les Renaissances et La Gloire du souvenir en 1872 n’est pas allée sans altération du
contenu des recueils. Toutefois, les « Nouveaux sonnet païens »
ajoutés en 1872 au recueil Rimes neuves
et vieilles eurent une première publication avec parfois des variantes dans
le second Parnasse contemporain
(1869-1871). Il nous faut impérativement citer le premier des « Nouveaux
sonnets païens » de la série publié dans le second Parnasse contemporain, puis sa version remaniée qui figurera en
tête de la nouvelle mouture du recueil en 1872, sachant que Rimbaud a composé
son poème en ne connaissant que la première version publiée dans le Parnasse contemporain. Toutefois, citer
deux fois ce poème et signaler que Silvestre le voudra en tête de ses poésies
suffit à lui donner une importance qui rend plus certaine la relation parodique
qu’entretient avec lui le quatrain « L’Etoile a pleuré rose… » Nous
citerons dans la foulée le sonnet initial du recueil de 1866, il deviendra le
second poème du recueil dans son remaniement en 1872, remaniement j’insiste
postérieur à la composition du quatrain rimbaldien :
Refleuris
sous mon front, ô fleur de volupté,
Fleur
du rêve païen, fleur vivante & charnelle,
Corps
féminin qu’aux jours de l’Olympe enchanté
Un
cygne enveloppa des blancheurs de son aile.
L’amour
des cieux a fait chaste ta nudité :
Sous
tes contours sacrés ta fange maternelle
Revêt
la dignité d’une chose éternelle
Et,
pour vivre à jamais, s’enferme en la Beauté.
C’est
toi l’impérissable, en ta splendeur altière,
Moule
auguste où l’empreinte ennoblit la matière,
Où
le marbre fait chair se façonne au baiser :
Car
un Dieu, t’arrachant à la chaîne fragile
Des
formes que la Mort ne cesse de briser,
A
pétri dans tes flancs la gloire de l’argile !
[Version de 1872, en principe non
exploitable, car publiée après l’invention du quatrain rimbaldien, même si elle
porte ce titre « Prologue » à rapprocher des recueils de Cantel et
Mérat. Le sonnet remanié en 1872 ouvre désormais le recueil des Rimes neuves et vieilles]
Fleuris
dans mon esprit, ô fleur de volupté,
Fleur
du rêve païen, fleur vivante et charnelle,
Corps
féminin, qu’aux jours de l’Olympe enchanté
Un
cygne enveloppa des blancheurs de son aile.
L’amour
des cieux a fait chaste ta nudité :
Sous
tes contours sacrés la fange maternelle
Revêt
la dignité d’une chose éternelle
Et,
pour vivre à jamais, s’enferme en la Beauté.
C’est
toi l’impérissable en ta splendeur altière,
Moule
auguste où l’empreinte ennoblit la matière,
Où
le marbre fait chair se façonne au baiser.
Car
un dieu, t’arrachant à la chaîne fragile
Des
formes que la Mort ne cesse de briser,
A
pétri, dans tes flancs, la gloire de l’argile.
Pour le texte, la variante porte sur le
premier hémistiche. Nous observons une ponctuation différente en plusieurs
autres endroits.
Citons maintenant le poème initial du
recueil de 1866 :
Dans
sa splendeur marmoréenne,
Vénus
s’enferma sans retour ;
Et
depuis, jamais forme humaine
N’égala
ce divin contour.
La
beauté fut, quoi qu’il advienne ;
Et,
n’eut-elle apparu qu’un jour,
Elle
nous légua, souveraine,
Un
culte immortel dans l’amour !
En
vain, de la Grèce exilées,
Les
courtisanes affolées,
Au
travers d’un monde blasé,
Promènent
l’horrible et l’étrange ;
–
Je cherche sous ces corps de fange
Les
débris du marbre brisé.
L’adjectif « souveraine »
figure à la rime dans ce sonnet. Le précédent insistait sur une gloire pétrie
dans « les flancs ». Plus personne ne peut désormais contester que
« L’Etoile a pleuré rose… » partage avec « Lys » le fait
d’être une parodie d’Armand Silvestre, le protégé de George Sand qui le nommait
un « spiritualiste malgré lui » en goûtant la pensée de madrigal de
ses « sonnets païens ».
Je me fais fort de prolonger les
relevés effectués dans le recueil Les
Renaissances par quelques autres dans le recueil original des Rimes neuves et vieilles, dans la série
des « Nouveaux sonnets païens » du second Parnasse contemporain (1869-1871). Le second des « Nouveaux
sonnets païens » parle de mouler un « souvenir auguste » sur le
corps de l’aimée, de pieds comme deux « lys ». Le troisième parle d’un
désir qui « brûle [l]es reins », d’un « cerf aux abois » « bramant »
« ses blessures ». Les autres sonnets expriment avec sensualité l’haleine
de fleur d’une bouche, le désir de s’y assécher, etc. Ce ne sont pas des
lectures inutiles aux rimbaldiens et aux amateurs de l’Album zutique. Je m’empresse de préciser qu’un recueil plus tardif
d’Armand Silvestre Les Ailes d’or n’est
pas sans intérêt pour la critique verlainienne. Même les présents recueils ont
été lus attentivement par Verlaine… Silvestre est intéressant pour quelques
audaces métriques, mais je traiterai ce sujet à une autre occasion. Si je n’ai
pas accès à l’édition originale du recueil Les
Renaissances et doit me contenter de m’en reconstituer une idée à partir du
volume publié par Lemerre en 1872, en revanche, il m’est loisible de consulter
l’édition originale du recueil de 1866 en ligne. Or, quelques relevés
supplémentaires permettront de conclure en beauté cette longue étude sur les
sources aux deux quatrains de Rimbaud parodiant Armand Silveste.
Je parlais de la rime en « -ine »
prétexte à de multiples développements. « Lys » emprunte au troisième
des « Sonnets païens » du recueil de 1866. Or, le quatrième sonnet
reconduit la rime en « -ine » avec une mention qui intéresse « Vu
à Rome » : « narine ».
Quand
recueilli, muet et comme inanimé,
Sur
ta bouche de feu, j’entr’ouvre ma narine
Aux
vagues de parfum que ton souffle embaumé
Roule
amoureusement dans ta fière poitrine,
Le
fruit mystérieux dans ton être enfermé
M’enivre
lentement de son odeur divine ;
Et
comme on voit le flot rouler la fleur marine,
Je
sens que l’infini m’emporte désarmé !
Je
meurs et je renaîs, et puis je meurs encore,
Et,
loin de fuir la mort, lâchement je l’implore,
Dans
ton superbe corps souhaitant mon cercueil !
Ton
haleine m’étreint et jusqu’aux cieux m’enlève,
Et,
tremblant, éperdu, j’entrevois dans un rêve
Le
monde de splendeurs dont ta lèvre est le seuil !
Le plus désarmant, c’est la nouvelle
possibilité de rapprochement avec « L’Etoile a pleuré rose… », l’hémistiche :
« L’infini roulé blanc, » semble bien une réécriture des vers 5 et 6
du présent sonnet où nous retrouvons l’idée d’un infini lié à la vague marine…
Le cinquième sonnet se termine par une
expression qui est une quasi citation du titre du recueil de Léon Dierx : « tes
lèvres toujours closes ! » Tout cela a du sens pour les lectures
zutiques.
Le sixième sonnet parle de « nuit
qui s’épanche » et d’infini creusant « d’implacables sillons »
sur le « front », ce qui pour le coup justifierait un rapprochement
avec les « rides » aux « fronts studieux » du sonnet « Voyelles ».
Je rappelle que dans le recueil Les
Renaissances nous relevons les mentions à la rime « latents », « rides »
et « verdures marines » qui plaident nettement en faveur d’une
influence des poésies de Silvestre sur la conception du sonnet « Voyelles »
lui-même !
Le septième sonnet parle d’offrir à
boire tout le sang du cœur du poète.
Le huitième sonnet avec la mention « mamelle »
à la rime revient sur l’idée de pétrir une forme éternelle « sur le corps
de Vénus ».
Le sonnet XI évoque le sang qui coule d’un
Pygmalion.
Le sonnet Xii vante les « flancs
toujours intacts » d’un corps triomphant et reconduit une occurrence du nom
« mamelle » à la rime. Le dernier vers baudelairien parle à la
manière du poème « Les Sœurs de charité » de la Mort comme sœur !
Le sonnet suivant parle de vendange d’amour
dans une coupe de sang.
Le sonnet XIV développe explicitement
le motif de Vénus naissant des flots, avec une image des « gouttes d’infini »
qui vaut le rapprochement avec le quatrain de Rimbaud quelque peu :
En
s’élançant des flots, Vénus a fait jaillir
Avec
l’eau de la mer, sur notre pauvre monde,
Les
gouttes d’infini dont notre âme s’inonde.
Quelque peu déconcertant, le poème XV
se partage en une page de deux quatrains d’alexandrins et une page de deux
tercets d’octosyllabes. D’après l’édition de 1872, c’est bien ainsi que
Silvestre a conçu ce poème. Il ne s’agit pas du mélange erroné de deux sonnets
distincts.
Je renonce à un relevé exhaustif, il
pourrait diluer l’intérêt des précédents développements. Toutefois, il est d’autres
vers dans les autres sections de ce recueil de 1866 qui ont invité à la
création parodique de l’hémistiche « L’Etoile a pleuré rose… » en
tant que cliché romantique typique de la poésie de Silvestre.
Le poème « Sonnet matinal » s’ouvre
par des « étoiles effarouchées » qui se sont envolées aux cieux, mais
deux étoiles sont restées dans certains yeux. Et plus loin dans les tercets de
ce même sonnet d’octosyllabes, nous relevons ce vers éloquent :
–
L’aube pleure sous les feuillées ;
Ce qui s’ajoute aux nombreux vers que j’ai
déjà pu relever dans le recueil Les
Renaissances.
On me permettra de rendre ici la plume
avec une dernière citation choisie à dessin, puisqu’elle mêle la référence à « Lys »
et à « L’Etoile a pleuré rose… » :
Le
doux printemps a bu, dans le creux de sa main,
Le
premier pleur qu’au bois laissa tomber l’aurore ;
[…]
Nous avons donc soutenu une lecture
communarde comparable à celle de Reboul pour le dernier vers du quatrain. A la
différence de Reboul, cela nous offre aussi le constat que « Voyelles »
et « L’Etoile a pleuré rose… » supposent tous deux une allusion à la
Commune accentuée soit au dernier vers, soit au dernier tercet. Nous supposons
également que la portée symbolique des couleurs est comparable dans les deux
poèmes, avec le contraste dans le quatrain du blanc de lumière et du noir de l’ombre
humaine dévouée, avec les variations de la lumière stellaire se mariant à la
mer du rose au roux dans une idée où la coloration progressive s’ensanglante :
« pleuré rose », « perlé rousse », « saigné noir »,
l’expression « roulé blanc » faisant exception.
Bien que la lecture selon laquelle le quatrain se plaint finalement des souffrances causées par la Femme puisse s’enrichir de citations explicites en ce sens de vers de Silvestre, de Cantel et d’autres, nous avons suffisamment étayé notre lecture et notre référence aux « Mains de Jeanne-Marie » et à la personnification de « Paris se repeuple » pour rendre difficilement contestable notre lecture du dernier vers de « L’Etoile a pleuré rose… », proche de celle de Reboul, mais sans partager cette idée d’un pur caractère sinistre pour autant. Les liens envisagés avec « Voyelles » pour certaines rimes des Renaissances sont enfin particulièrement éloquents. Devenir ou ne pas devenir un lecteur de Rimbaud, telle est la question !
Alors ? Il n'est pas sublime ! cet article ? On la voit, la différence de niveau.
RépondreSupprimerJe prépare mon compte rendu du Dictionnaire Rimbaud. Le titre est déjà choisi, je ris déjà beaucoup.
Et donc je viens de lire l'article "Païen" du dico, il est fait par Mario Richter. Puisque "Lys" et "L'Etoile a pleuré rose..." ont à voir avec les "Sonnets païens" de Silvestre, autant signaler à l'attention ce que dit la doxa. Richter explique que la pensée païenne a beaucoup compté pour Rimbaud avec deux pôles : "Credo in unam" bien sûr et puis le "Livre païen" bien évidemment.
Mais, entre les deux, Richter met un barrage que personnellement je récuse et mon article ci-dessus montre bien pourquoi ce n'est pas si simple.
Pour Richter, après "Credo in unam", et au moins à partir de mai 71, "Rimbaud s'écarte bientôt de cette nature parnassienne." Mouais. C'est vite dit ! Et ce n'est pas du tout analysé réellement.
Ensuite, comme je lis la lettre P, il y a pas mal d'articles généraux, hélas assez médiocres : "Parnasse", "Les Parnassiens", "Peuple" par Bertrand, "Parodies et pastiches" par Saint-Amand, en plus donc de "Païen" par Richter. Je vous épargne "Philomathie", puis il va y avoir encore Poème en prose, Poètes, Progrès et quelques autres.
Je m'arrête sur le doublon "Parnasse contemporain" et "Les Parnassiens". Je parle de doublon parce que c'est fait par le même intervenant et les mêmes idées erronées sont répétées d'un article à l'autre. Mais, sur le "Parnasse contemporain", si en lisant l'article ci-dessus, vous prenez la peine de consulter le fac-similé du livre Guide à travers les Ruines de Paris, et si vous avez cette curiosité de lire les placards publicitaires de Lemerre, vous tombez non seulement sur la mention du recueil "Les Renaissances" toujours en vente, ce que j'ai oublié de mentionner, et puis aussi sur ceci que je me suis mis en réserve : "Le Parnasse contemporain (1866). Recueil de poésies inédites des principaux poëtes de ce temps" et vous remplacer (1866) par (1869) vous avez le même texte pour l'annonce suivante.
"Ouais, le mouvement parnassien, les tétrarques, l'opposition au romantisme qu'on a exagéré, mais que c'est un mouvement quand même..."
Mortelette il a cité une telle formule !!! Encore un pavé dans la mare, allez !