Un article un peu plus léger, ce soir. Et pas sur Rimbaud, mais sur Verlaine, Sainte-Beuve et Lamartine.
Verlaine a composé un sonnet bien connu intitulé "Nevermore" qui fait partie des Poëmes saturniens et qui commence ainsi :
Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L'automneFaisait voler la grive à travers l'air atone,[...]
Bien avant l'édition critique des Poëmes saturniens de Steve Murphy (auquel je ne reconnaîtrai aucune antériorité), j'ai identifié une source probable à ce poème que j'avais communiquée : la pièce "Premier amour" de Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme par Sainte-Beuve. Il s'agit même du premier poème du recueil.
Et la reprise est d'autant plus évidente que la petite phrase interrogative est au premier vers du poème beuvien, mais à l'intérieur du premier hémistiche, Verlaine pratiquant un franchissement de césure à la façon de Corneille pour les termes d'adresse :
Printemps, que me veux-tu ? pourquoi ce doux sourire,Ces fleurs dans tes cheveux et ces boutons naissants ?[...]
Mais, peu de temps après, j'avais encore découvert la source cette fois au poème beuvien dans la quatrième des Méditations poétiques de Lamartine. Il s'agit d'un très beau poème en octosyllabes, bien qu'il ne soit pas très connu, et cette forme "que me veux-tu ?" est calée contre la rime au second vers du cinquième quatrain :
Doux reflet d'un globe de flamme,Charmant rayon, que me veux-tu ?[...]
Dans son édition des Poëmes saturniens en 2008, Steve Murphy cite notre source beuvienne. Il cite même les cinq quatrains d'alexandrins du poème, mais il n'y est pas question du poème "Le Soir" de Lamartine qu'évidemment le jeune Sainte-Beuve avait lu avec la plus grande attention. Pourtant, c'est une véritable chaîne qui se dessine avec cette expression et, à trois reprises, l'interrogation identique est précédée d'une apostrophe "Souvenir, souvenir" pour Johnny Verlaine, "Printemps" pour Sainte-Beuve et "Charmant rayon" pour Lamartine. Par rapport au sonnet "Nevermore" de Verlaine, le poème "Le Soir" ne manque pas d'intérêt, puisque ce rayon qui vient de la Lune est envisagé par le poète comme le reflet d'un rayon du soleil, lequel n'est plus sous notre ciel, la nuit. Lamartine joue sur la disparition du soleil pour considérer le rayon de la Lune comme un reflet de l'au-delà et un message possible de l'avenir. Inspiré de Baudelaire avec un titre tiré du poème "Le Corbeau" d'Edgar Poe, le sonnet "Nevermore" évoque le souvenir d'une morte (cette lecture est conditionnée par la référence au "Jamais plus" du poème de Poe). Mais ce "que me veux-tu ?" vient de plus loin encore.
Dans le milieu de la musique classique, il est une expression connue qui est la suivante : "Sonate, que me veux-tu ?" Il s'agit d'un propos attribué à Fontenelle par un article sur la musique intitulé précisément "Sonate" que Jean-Jacques Rousseau a composé pour l'Encyclopédie. L'expression ne figure nulle part dans les écrits de Fontenelle, il s'agirait d'un témoignage, pour ainsi dire indiscret, de Rousseau lui-même. Mais cette expression attribuée à Fontenelle clôt très précisément l'article "Sonate" de Rousseau. Et il faut ajouter que dans l'esprit de Rousseau la citation de Fontenelle vient à la fin d'un rappel sur une polémique française entre cantate et sonate. Au dix-huitième siècle, beaucoup d'écrivains français se plaignent que leur idiome maternel n'est pas une langue musicale. C'est un fait connu, je n'ai pas de texte en mémoire à citer, mais peu importe. Et les français considèrent qu'ils ne peuvent faire des cantates comme les italiens, car il leur est impossible de chanter de manière satisfaisante dans leur langue, et la sonate plus liée au son et aux instruments est une consolation toute trouvée, et cela a entraîné une mode des sonates propre à la France.
Verlaine étant le futur auteur d'un recueil intitulé Romances sans paroles, il n'ignorait sans doute pas cette référence à la sonate de l'interrogation "que me veux-tu ?" qui lie cinq auteurs désormais : Fontenelle par attribution, Rousseau par témoignage, Lamartine, Sainte-Beuve et Verlaine. Le "Charmant rayon" qui parle à Lamartine dans "Le Soir" sera donc l'équivalent d'une sonate, comme le "souvenir" à l'oreille de Verlaine, et le "printemps" beuvien aura lui aussi cet aspect de musique instrumentale.
Evidemment, j'ai pu constater sur la toile que les amateurs de musique qui connaissent la formule attribuée à Fontenelle la voient comme la source du premier vers du sonnet de Verlaine. Ici, vous avez un parcours assez fouillé en incluant et Sainte-Beuve, et Lamartine...
Mais ce n'est pas tout, l'expression de Fontenelle est rapprochée du "Femme, que me veux-tu" de l'évangile. Toutefois, je serais plus réservé quant à ce dernier rapprochement. Il a été envisagé, donc ne l'ignorons pas, il est sorti de sa boîte de diablotin, mais autant je vois le lien des trois poèmes à l'expression prêtée à Fontenelle par Rousseau, autant j'ai l'impression que la formule abrupte du Christ brocardée par Rimbaud dans des proses liées à des brouillons manuscrits d'Une saison en enfer ne se situe pas sur le même plan interprétatif.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire