mardi 23 février 2021

Les contributions à l'Album zutique : un état des lieux ! (Partie 1 : les "Vieux Coppées", les 'Dixans réalistes' et les alexandrins orphelins)

Je passe en revue ce que nous trouvons comme profils de poèmes dans l'Album zutique. Pour des raisons qui vont se préciser en cours d'analyse, j'inclus les Dixains réalistes. Derrière le travail ingrat de recension, il y a la part d'informations clefs.
La première forme qui s'impose est celle du dizain à la manière de Coppée. Nous les appellerons "Vieux Coppées" en regard d'un titre de Verlaine pour son recueil Cellulairement et nous décidons d'accorder au pluriel le nom Coppée quand il y a lieu. Je parlerai de dizains, sans adopter l'orthographe archaïsante ironique "dixains". Toutefois, rappelons que le dizain est une forme poétique toute classique qui réunit un quatrain ABAB, sinon ABBA, et un sizain CCDEED. Le dizain à la manière de Coppée est une suite de rimes plates AABBCCDDEE. Ce découpage en strophes de dix vers a pour origine "Mardoche" de Musset, il a été repris par d'autres poètes, dont Banville avec le premier état du poème "Les Baisers de pierre" sous le titre "Stephen" dans l'édition originale des Cariatides. Cette origine est siganlée à l'attention par Jean-Louis Aroui.


Toutefois, Coppée a inventé le dizain-poème et non le dizain-strophe. Et surtout, Aroui n'a pas rendu complètement compte des spécificités du recueil Intimités qui contient des poèmes en quatorze vers de rimes plates, en douze vers de rimes plates, en dix vers de rimes plates, par couples, avec un contraste entre un poème à dernier vers isolé par un blanc typographique et un poème sans séparation par un blanc typographique. Or, les dizains adopteront parfois le principe du dernier vers isolé par un blanc typographique et il est remarquable que dans son recueil Les Chimères Mérat, zutiste tacite à ses dépens, a publié un poème en dix vers avec le dernier vers isolé par un blanc, ce qui devrait être mentionné dans la genèse du genre. Avant l'Album zutique, Verlaine a publié deux dizains à la manière de Coppée dans son recueil La Bonne chanson, mais ils n'y apparaissent pas comme étant parodiques. Ceci a été relevé également par Jean-Louis Aroui et permet de déterminer que Verlaine est celui qui a de toute évidence inventé la mode parodique du "Vieux Coppée". Avant l'Album zutique toujours, Verlaine a envoyé une lettre avec deux "Vieux Coppées" parodiques enchaînés par une numérotation comique. Ces deux dizains ont été reportés, mais dissociés, dans le corps de l'Album zutique. Enfin, les deux premiers "Vieux Coppées" transcrits dans l'Album zutique l'ont été par Rimbaud qui logeait avec Verlaine en octobre 1871 chez la belle-famille Mauté de Fleurville. Or, il est significatif que Rimbaud ait adopté l'enchaînement de deux dizains, même s'il ne les a pas numérotés : il a donc lu le manuscrit à nous inconnu de Verlaine, sachant que nous connaissons cet autre manuscrit qu'est la lettre en contenant une transcription en juillet 1871.
En effet, le 14 juillet 1871, Verlaine a envoyé à Léon Valade une suite aux "Promenades et intérieurs" de Coppée avec le dizain supposé LXII "Bien souvent, dédaigneux..." et le dizain supposé LXIII "Le sous-chef est absent...", un numéro LXIV suivi de pointillés nous laissant espérer une suite prochaine.
Rimbaud n'a probablement pas lu directement la lettre à Valade, il a dû lire le manuscrit perdu de Verlaine. Cependant, nous comprenons que la genèse des contributions de Valade peut remonter au 14 juillet, ce qui peut expliquer qu'il ait autant placé de dizains dans le corps de l'Album zutique. Remarquons que Verlaine a reporté tardivement les deux dizains en question dans l'Album zutique. Il faut bien voir que les reports n'étaient pas immédiats. Il est clair que Verlaine est l'inventeur de cette mode parodique, comme il est explicable que Verlaine, Valade et Rimbaud aient composé l'essentiel des dizains de l'Album zutique, puisque Valade est dans la confidence de Verlaine depuis la réception de la lettre datée du 14 juillet, et Rimbaud l'est au minimum depuis son arrivée à Paris à la mi-septembre. Charles Cros, André Gill et les autres furent pris de court. Cros semble avoir été le plus réactif, puisqu'il a très tôt suivi les exemples de Rimbaud et Verlaine, et son dizain "Oaristys" a précédé une quelconque transcription d'un dizain de Verlaine dans le corps de l'Album. Cros sera très fier de son poème qui, en moins obscène, sera remanié pour figurer dans son recueil Le Coffret de santal avant d'en revenir à une forme plus sulfureuse dans les Dixains réalistes en 1876.

Précisons le détail de tout cela. Considérons les dizains "Vieux Coppées" de l'Album zutique et faisons-en le relevé ! J'abrège recto du feuillet 3 en (3r) et verso du feuillet 3 en (3v). Je mets un ? pour les feuillets non numérotés antérieurs au feuillet déchiré, un D pour le feuillet déchiré et un X pour les feuillets non paginés postérieurs au feuillet déchiré, tout cela afin de ne pas ruiner complètement le reflet d'un ordre de défilement entre les feuillets numérotés 11 et 19.

Rimbaud : "J'occupais un wagon..." (3r), "Je préfère sans doute..." (3r), "Etat de siège ?" (9r), "Le Balai" (9v), "Mais enfin,[...]" (Dr), "Les Soirs d'été..." (Dr), "Aux livres de chevet..." (Xr), "Ressouvenir" (25v). Rimbaud a composé huit "Vieux Coppées". Aucun "Vieux Coppée de Rimbaud ne nous est parvenu en-dehors de cette liste, même s'il faudra parler plus bas du cas du dizain de Verlaine "L'Enfant qui ramassa les balles..." qui a été recopié par Rimbaud.
Total : 8

Valade : "Malgré son nez d'argent..." (3v), "L'Orpheline" (8r), "Oh ! qui n'a pas rêvé..." (9r), "Pieux souvenir" (11r), "Epilogue" (?r), "Intérieur" (22r). Valade a composé six "Vieux Coppées". Nous verrons qu'un septième poème peut faire débat plus loin. Je n'ai pas enquêté si Valade avait composé des "Vieux Coppées" par ailleurs.
Total : 6

Charles Cros : "Oaristys" (4r), "Dans les douces tiédeurs..." (Xr). Charles Cros a publié plusieurs autres "Vieux Coppées" dans le recueil des Dixains réalistes. Et quelques dizains peuvent être lus dans l'édition de ses deux recueils Le Coffret de santal et Le Collier de griffes. Mais, dans l'Album zutique, Charles Cros n'a produit que deux "Vieux Coppées". Visiblement, le "Vieux Coppée" fut initialement l'affaire des trois poètes Verlaine, Rimbaud et Valade.
Total : 2

Verlaine : "Souvenir d'une enfance..." (?r), "Le sous-chef est absent..." (19r), "Bien souvent dédaigneux..." (23r), "Bouillons-Duval" (26r). Verlaine n'aurait transcrit que quatre dizains dans l'Album zutique. Toutefois, il faut ajouter à cette liste un cas semi-problématique, un "Vieux Coppée" de Verlaine en huit vers : "Remembrances" (4v). Ultérieurement, dans le recueil publié sous le manteau Hombres, Verlaine produira enfin une version en dix vers de ce poème sous le titre "Dizain ingénu", il doit donc faire partie de notre recension. Verlaine a transcrit non pas quatre, mais bien cinq "Vieux Coppées" dans l'Album zutique.
Total : 5

Un autre cas problématique : "L'Orgue" de Valade est comme la version initiale de "Remembrances" un poème en huit vers à rimes plates (AABBCCDD). Il est suivi de la fausse signature "Paul Verlaine" et de la mention "Pour copie conforme L. V." Cette parodie de Léon Valade pourrait bien être une allusion au dizain incomplet de Verlaine figurant au verso du feuillet 4. Non sans hésitations, je décide de laisser de côté ce poème, dans la mesure où il est déclaré en tant que parodie de Verlaine.

André Gill : "Il la battait sans fiel..." (26v)
Total : 1

Raoul Ponchon : "Intérieur (d'omnibus)" (19r)
Total : 1

P. N. : "Garçons de café" (22v)
Total : 1

Un autre cas problématique !
André Gill : "(Oh ! n'avoir pas trouvé même...)" 7v) signé "Etienne Carjat" et rimes AABBCDDCEE. Nous pouvons hésiter. Mais le choix d'Etienne Carjat comme cible parodique et l'organisation des rimes nous incitent à écarter ce poème.

Nous avons un total de 24 dizains, dont deux sont incomplets, mais pour des raisons complètement différentes. Un "Vieux Coppée" de Verlaine est en huit vers, mais notre poète l'a complété ultérieurement et réintitulé "Dizain ingénu" avec donc une mention de son appartenance au genre des "Vieux Coppées". L'autre dizain de Rimbaud a été déchiré et le texte qui nous est parvenu est inexploitable. C'est comme si le poème ne nous était pas parvenu du tout. Nous avons écarté deux poèmes, sans exclure pour autant qu'ils ne fassent référence aux "Vieux Coppées" pour autant. Cela aurait augmenté notre liste à un ensemble de 26 poèmes. 

Les dizains de Rimbaud, Verlaine, Valade et André Gill ont été transcrits en octobre-novembre 1871, et cela vaut aussi pour au moins un des deux dizains de Charles Cros, le second dizain a été probablement transcrit à la même époque, mais nous pouvons hésiter pour une partie de l'année 1872 (mai par exemple, à cause des dessins autour de la tête coupée de Mérat). En revanche, Charles Cros n'a pas participé à la fournée de contributions impliquant Germain Nouveau, Raoul Ponchon et quelques autres à la fin de l'année 1872. Un seul dizain est obligatoirement de la fin de l'année 1872, celui de Raoul Ponchon. Cela en dit long sur l'importance décisive de Charles Cros au sujet des Dixains réalistes. Entre les contributions à l'Album zutique et la publication des Dixains réalistes, Charles Cros a publié quatorze "Vieux Coppées" en 1873 dans son recueil Le Coffret de santal, et à la différence de Jean Richepin et de Germain Nouveau qui ont écrit sur l'Album zutique seul Charles Cros a été témoin des contributions de Rimbaud et Verlaine sur le vif et a composé des dizains à la manière de Coppée dans l'Album zutique. Parmi les poètes qui ont contribué aux Dixains réalistes (et je précise entre parenthèses le nombre de dizains qui leur sont attribués), nous avons la dominante à nouveau de Charles Cros (15), puis un ensemble d'auteurs qui ne sont pas considérés comme ayant assisté à une quelconque rencontre du Cercle du Zutisme en 1871 : Nina de Villard (9), Maurice Rollinat (10), Auguste de Chatillon (1), Hector l'Estraz (2) et Charles Frémine (1). Antoine Cros est l'exception avec Charles Cros : il a assisté aux réunions du Cercle du Zutisme à l'Hôtel des Etrangers dans la compagnie directe de Rimbaud et Verlaine. Toutefois, il n'avait laissé aucun dizain sur l'Album zutique. Nous pourrions dire qu'il y remédie avec les deux contributions aux Dixains réalistes. Germain Nouveau et Jean Richepin ont tous deux écrits sur l'Album zutique, surtout Germain Nouveau, mais leurs contributions datent de la fin de l'année 1872. Ils n'ont pas connu les réunions du Cercle du Zutisme proprement dit en octobre-novembre 1871. La participation de Jean Richepin aux Dixains réalistes est assez maigre, il n'offre qu'un seul "Vieux Coppée" au recueil. En revanche, Germain Nouveau a presque rejoint le régime imposé par Charles Cros, en étant l'auteur de neuf "Vieux Coppées".
Or, c'est ici qu'il faut soulever un nouveau problème d'attribution des contributions zutiques. On prétend en général que Germain Nouveau a contribué à l'Album zutique avec un dizain "Garçon de café" que, par exception, il aurait signé "P. N." Dans le volume des Dixains réalistes, Cros a fourni quinze "Vieux Coppées", en reprenant les deux contributions zutiques qu'il avait faites. En revanche, parmi les neuf "Vieux Coppées" de Germain Nouveau, sans parler de la question du style très subjective, nous n'avons aucune reprise du dizain "Garçon de café" signé "P. N." dans l'Album zutique. Voici ce que dit Pascal Pia dans son édition fac-similaire de l'Album zutique, au sujet du dizain "Garçon de café" et de sa signature "P. N." :
   Ce dizain, signé François Coppée, est suivi de deux initiales qui se déchiffrent mal, mais où nous croyons pouvoir lire P. N. [...] Elles correspondent au nom de P. Néouvielle, pseudonyme qu'utilisa Germain Nouveau en 1872, quand, pour la première fois, il se fit imprimer en donnant des vers à la Renaissance littéraire et artistique.
   Fallait-il attribuer Garçon de café à P. Néouvielle, alias Germain Nouveau ? Nous avons d'abord hésité à le faire. A côté de ce dizain figure dans l'Album zutique un sonnet de Nouveau, signé de son monogramme habituel, et dont l'écriture est différente. [...]
L'étude graphologique se limite à des comparaisons dérisoires avec un sonnet parodique de Musset ailleurs dans l'Album :
La façon dont s'achèvent dans Garçon de café certains mots terminés par un s (las, toujours, jamais), la manière de barrer les t (trop, éternel), de réduire les f à un trait vertical (fameux, café), le dessin du v commençant un mot (vers), tous ces détails de graphie se retrouvent dans un sonnet de Nouveau qu'on a lu plus haut et au bas duquel il y a le nom d'Alfred de Musset.
La comparaison ne concerne qu'un seul autre poème. Plusieurs difficultés sont contournées. Et en particulier celle-ci : pourquoi Germain Nouveau qui, partout ailleurs signe "G. N" accompagné d'un monogramme, va-t-il signer "P. N." ? Je ne connais aucune étude graphologique de cette transcription de "Garçon de café" en-dehors de ces lignes écrites par Pascal Pia, lequel avoue ses doutes.
Nous ignorons par conséquent si ce dizain est une contribution d'octobre-novembre 1871 ou bien de l'année 1872. Nous ignorons qui est l'auteur de ce dizain, même si Pia suppose qu'il s'agit de Nouveau. Notons un autre argument étrange de Pia dans sa notice à ce dizain zutique :
Ajoutons que Nouveau s'amusait volontiers à imiter Coppée. Neuf poèmes sont de lui dans le recueil collectif de Dixains réalistes, publié en 1876 [...]
En partant du même argument, nous avons envisagé une conclusion inverse. Cros a repris ses contributions zutiques, mais Nouveau ne reprend pas le dizain "Garçon de café" qui est une composition inédite. Je prévois de travailler à une étude des Dixains réalistes et même des "Vieux Coppées" zutiques en envisageant non seulement la parodie des poésies de Coppée, mais l'influence des "Vieux Coppées" antérieurs sur les suivants. Je pense que ça va donner un profilage intéressant. J'ai déjà quelques repères significatifs à formuler.
En tout cas, n'étant pas moi-même spécialiste pour identifier de qui est une écriture manuscrite, je me permets d'insister sur le cas fort problématique du dizain "Garçon de café". En-dehors de ce cas problématique, seul Raoul Ponchon semble avoir composé un dizain "Vieux Coppée" à ajouter à l'Album zutique à la fin de l'année 1872. J'ai envie de soumettre une idée farfelue à la réflexion. Les initiales de Raoul Ponchon sont "R. P." Dans l'alphabet, le P est deux lettres avant le R, et le N deux lettres avant le P. Ce serait amusant si on identifiait l'écriture de Raoul Ponchon au sujet de ce dizain. Il va de soi que je dis ça, juste pour amuser la galerie, je n'ai aucune conviction personnelle.
Je remarque également en passant que Léon Valade n'a pas participé à la confection des Dixains réalistes, ce qui est tout de même quelque peu étonnant. Pour quelle raison est-il demeuré en retrait ? Je l'ignore. La même réflexion vaut pour André Gill.
Enfin, contrairement à ce qu'écrivent plusieurs rimbaldiens (Denis Saint-Amand, Solenn Dupas, notices du Dictionnaire Rimbaud d'actualité, etc.), les recueils Dixains réalistes et Hombres prouvent que la publication des poèmes zutiques n'était pas exclue. Il faudrait citer également la Revue du Monde Nouveau de Mercier et Cros qui a publié des poèmes en vers d'une syllabe de Valade.

**

Les alexandrins orphelins sont une autre caractéristique des contributions à l'Album zutique. Mais ce que je voudrais dire d'intéressant là-dessus est lié aux "Vieux Coppées".
Faisons-en le relevé !

"L'Humanité chaussait le vaste enfant Progrès." (3r) Fausse signature : Louis-Xavier de Ricard, vraie signature "A. Rimbaud". Plus haut, Rimbaud a signé "A. R." et parodiquement "François Coppée" deux dizains enchaînés.  J'ai déjà montré que l'alexandrin-orphelin réécrivait bien des vers de Ricard, mais j'ai déjà dit une chose très importante sur la publication d'une nouvelle série de "Promenades et intérieurs" dans la revue Le Monde illustré.
La nouvelle série de "Promenades et intérieurs" a été publiée dans deux revues hebdomadaires : Le Moniteur universel, puis Le Monde illustré. La publication a eu lieu à la page 30 du numéro du 8 juillet 1871. Or, comme il s'agit d'un journal, la première colonne de la page 30 offre la fin d'un article de Maxime Vauvert qui se termine par la citation d'une sentence célèbre de Corneille, autrement dit par un alexandrin orphelin : "A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire."


Il va de soi qu'à l'époque nos poètes n'avaient pas d'autre choix que de consulter ce journal pour effectuer toutes leurs parodies successives. Ces nouveaux dizains n'avaient pas encore été rassemblés dans un recueil. Et si nous ne pouvons exclure l'idée d'une transcription manuscrite des dizains, cette hypothèse est fragilisée par la quantité de dizains à prendre en considération. Or, poursuivons le relevé des alexandrins orphelins dans le corps de l'Album zutique.

"L'idée à Bergerat, et la forme à Coppée !" (5v). Les mots "idée" et "forme" sont soulignés sur le manuscrit. Cet alexandrin orphelin semble avoir été écrit par Valade. Il n'est pas signé, mais c'est l'attribution qui prévaut. Je suppose que l'expertise graphologique a tranché, voici ce qu'en dit Pascal Pia :
Cet alexandrin ponctué d'un point d'exclamation est de Léon Valade.
Dans sa concision, il ne manque par de malice. Autant la forme, chez Coppée, était banale, autant l'idée chez Bergerat était pauvre.
Il ne relevait pas le calembour possible avec "pharmacopée". Mais il faut aller plus loin. Pia identifie-t-il l'allusion au dizain ? Il parle d'un problème de forme chez Coppée comme d'une réalité générale qui peut concerner les sonnets ou les longs poèmes en rimes suivies finalement. Le phénomène étrange, c'est que cet alexandrin orphelin ne figure pas en-dessous de "Vieux Coppées", mais en-dessous de deux sonnets, l'un "Cabaner cantinière" signé par Valade et le sculpteur Jean Keck, l'autre sans titre qui correspond à l'unique contribution d'Henri Mercier. A tout le moins, cet alexandrin orphelin a été transcrit hasardeusement dans le corps de l'Album. Nous n'essaierons pas de le relier à la forme des deux sonnets, il est certainement question des échanges de nos compères au sujet des dizains qui figurent sur des pages voisines.
Ce qui est intéressant, c'est qu'à nouveau un alexandrin orphelin suppose un lien aux "Vieux Coppées", après la sentence de Corneille dans Le Monde illustré et le monostiche attribué à Ricard de Rimbaud.
Au recto du feuillet 8, Verlaine a fait figurer un distique parodiant une sentence cornélienne en vers:
A tuer son beau-père il faut qu'on se décide,
C'est s'immortaliser par un beau-parricide.
                                         Un gendre.
Valade a enchaîné avec une réécriture d'un titre de brochure de Napoléon III : "A l'extinction du beau-pèrisme !...."
Accessoirement, un dizain de Valade figure au recto du feuillet 8 à côté de ces deux saillies, mais le lien à Corneille suffit à justifier un rapprochement avec la publication des "Promenades et intérieurs" dans le numéro du 8 juillet 1871 de la revue Le Monde illustré.
A la suite de la parodie "L'Aumône" d'un poème d'Eugène Manuel par Valade au recto et au verso du feuillet 10, Verlaine a laissé un nouvel alexandrin orphelin : "- ô Oui, Manuel, ô oui ! - nos deux âmes sont sœurs !-" (Faites bien une synérèse en lisant "Manuel", effet recherché par Verlaine) Et parallèlement à la signature "Un gendre", Verlaine a produit la signature d'autodérision : "Un poëte obscur" qui, finalement, relève moins de l'autodérision que de la critique du très prétentieux Manuel. L'édition du recueil des Poèmes populaires venait d'avoir lieu. Valade ironise en parlant de "(1001e édition)" qui a une double visée ironique : illusion du succès et fausse annonce d'un recueil ayant le charme des récits des Mille et une nuits. Cette transcription parodique est datée du 22 octobre 1871, et Rimbaud cite Manuel dans le sonnet "Paris" de sa première série de "Conneries". De toute évidence, il y a des informations à glaner dans la presse au sujet d'Eugène Manuel. Nous apprendrons certaines raisons qui expliquent les parodies de Valade et Rimbaud. La pratique de l'alexandrin orphelin déjà liée à Coppée concerne désormais Eugène Manuel, et on sent que Coppée et Manuel sont des ennemis politiques communs de Verlaine, Valade et Rimbaud en octobre 1871. Le 22 octobre 1871, la première de la pièce anticommunarde Fais ce que dois de Coppée est encore toute fraîche à la pensée des contributeurs zutiques.
Un dernier alexandrin orphelin est à relever au recto du feuillet 29 : "A manger sans excès on digère sans honte." Il est signé "Corneille" ce qui se conçoit et il s'agit précisément d'une parodie du vers du Cid cité par Maxime Vauvert sur la page du Monde illustré où figure la nouvelle série de "Promenades et intérieurs" de Coppée.
A cette aune, il peut devenir pertinent d'envisager que le monostiche attribué à Ricard est un petit peu l'équivalent de la sentence cornélienne mise involontairement en présence des dizains de Coppée dans Le Monde illustré. Toutefois, le vers attribué à Ricard ne parle ni de victoire ni de gloire, mais fait sous-entendre la mauvaise digestion du péril.
Cependant, une autre idée est à creuser.
Il est d'autres alexandrins-orphelins dans l'Allbum zutique. Nous ne parlerons pas des citations d'alexandrins d'autres auteurs insérées de force dans un poème parodique : "Oaristys" de Charles Cros qui cite un vers de Coppée en conclusion, (au-delà de l'Album zutique "L'Enfant qui ramassa les balles..." de Verlaine qui se conclut par une quasi citation du Passant de Coppée ou bien "L'Orgue" de Valade qui cite un vers de Molière, etc. Nous avons un alexandrin orphelin qui est cité à la fin des "Hypotyposes saturniennes ex Belmontet" et nous en avons un autre à la fin de "Vieux de la vieille". Le caractère de centons des deux parodies de Belmontet ne doit pas empêcher de constater que les deux textes se terminent par des alexandrins orphelins.
Malgré le montage d'extraits en prose, le poème "Vieux de la vieille" continue d'être un bon candidat en tant que premier poème en vers libres, car si les premières lignes sont de la prose la dernière est la reprise d'un alexandrin, lequel est fondu aux quatre lignes en prose. Quant aux "Hypotyposes...", il est amusant de constater que l'alexandrin orphelin final fait écho au monostiche attribué à Ricard, notamment à cause de l'imparfait à la césure, et aussi à l'alexandrin orphelin de Verlaine qui fait suite à la parodie de Manuel par Valade :
Oh ! l'honneur ruisselait sur ta mâle moustache. ("Belmontet, archétype Parnassien" a précisé Rimbaud)

L'Humanité chaussait le vaste enfant Progrès.

- ô Oui, Manuel, ô oui ! - nos deux âmes sont sœurs !
Dans cette hypothèse, nous pouvons rapprocher encore du monostiche de Verlaine, le distique de Belmontet cité par Rimbaud dans les "Hypotyposes" :
L'amour veut vivre aux dépens de sa sœur,
L'amitié vit aux dépens de son frère.
Je dois ajouter un autre alexandrin orphelin dans les "Hypotyposes", mais je n'ai rien à en dire pour l'instant : "Renversons la douleur de nos lacrymatoires."

**
J'allais oublier un point important au sujet des dizains. Le principe est de faire figurer en entier la signature "François Coppée". Rimbaud se permet une variante : "Françis Coppée" qui est une idiotie voulue. La cédille n'a pas sa place, c'est une faute d'orthographe enlaidissante exprès, mais Rimbaud a repéré que parfois Coppée signe ses productions "Francis" dans la presse. La signature "François Coppée" est en général suivie de la signature de l'auteur réel de la parodie mais sous forme d'initiales : "LV" pour Léon Valade, "AR" pour Arthur Rimbaud. Mais entre zutistes, il devient amusant de ne pas signer du tout le dizain, et Rimbaud a adopté une autre astuce, celle de signer "F C" le dizain "Le Balai". En effet, c'est faire barrage ainsi à l'identification de l'auteur réel de la parodie. Coppée prendra en charge le statut d'auteur du dizain "Le Balai".
Je ferai une recension plus rigoureuse ultérieurement, mais à ceux qui veulent attribuer le dizain "L'Enfant qui ramassa les balles..." à Rimbaud, j'annonce que j'en parlerai dans mon compte rendu du Dictionnaire Rimbaud et je rappelle déjà que Félix Régamey n'était pas un membre du Cercle du Zutisme, ce qui fait qu'il est énormément suspect qu'il ait pu signer "PV", des initiales de Paul Verlaine, deux "Vieux Coppées" parodiques. Seuls Rimbaud et Verlaine connaissaient la convention de signer ainsi les parodies.


La suite, prochainement...

1 commentaire:

  1. Petit complément.
    Sur les manuscrits, la signature "A. R." est rarissime.
    Cela concerne en 1870 la version sans titre de "Sensation" envoyée à Banville, mais ni "Credo in unam", ni "Ophélie" de la même lettre, ni les manuscrits remis à Demeny, ni ceux remis à Izambard.
    En 1871, cela ne concerne que quelques poèmes envoyés par courrier : "Mes Petites amoureuses" le 15 mai, Les Poètes de sept ans et Le Coeur du pitre le 10 juin, et "Les Effarés" pour la lettre à Aicard.
    La signature "AR" n'est pas dominante et cède la place à la signature A Rimbaud, à l'absence de signature ou à la signature complète Arthur Rimbaud, sinon à l'abréviation "A. Rimb.". En août 1872, la signautre A.R. apparaît uniquement sur "Fêtes de la faim" daté d'août 1872, ce qui nous rapproche de la transcription des "L'Enfant qui ramassa...", mais ce n'est pas bon pour les tenants de l'attribution du dizain à Rimbaud, puisque la signature adoptée est "PV". Cette signature n'est pas si courante que ça, mais elle tend à se développer chez Rimbaud en 1871 et est accentuée par l'expérience zutique. En septembre 72, Rimbaud l'adopte mais signe "PV" parce qu'il a recopié un poème zutique de Verlaine à côté d'une autre parodie zutique de Verlaine d'ailleurs. Y a-t-il deux fois "PV" sur le diptyque ? Non, je ne crois pas. Hélas, les deux manuscrits vivent séparément, photo de l'un dans la biographie de Lefrère et photo de l'autre dans un catalogue de ventes désormais.
    Si Régamey voulait insister sur le fait que le poème était de Verlaine, il aurait écrit "Verlaine" en toutes lettres, et pas un désinvolte "PV". Il faudrait enquêter sur les signatures en-dessous de poèmes au-delà de Rimbaud pour vaincre définitivement l'argument de mauvaise foi qui consiste à dire que Régamey a écrit "PV" en lieu et place de Rimbaud et Verlaine.

    RépondreSupprimer