De nombreux articles sont consacrés au poème "Les Effarés", et dans le lot de cinq recueils d'articles qui vient de m'être offert, j'en relève trois. Les cinq volumes sont tous édités chez les Classiques Garnier, il y a trois volumes de la revue Parade sauvage et deux volumes d'hommages, l'un à Lefrère, l'autre à Frémy, ce qui veut dire que les contributeurs tournent aussi autour de la revue Parade sauvage. Les volumes de la revue sont les numéros 30, 31 et 33 et datent de 2019, 2020 et 2022. L'Homme à Lefrère "Rimaud, Verlaine et zut" date de 2019, celui à Frémy "Rimbaud, Verlaine et Cie, 'un devoir à chercher'" (notez la symétrie des titres) date de 2023.
Benoît de Cornulier a composé un article"Pas de Noël pour les 'Effarés' de Rimbaud" (pages 161-172) dans le volume "Zut" de 2019. Murphy a publié l'article "Vers une scato-idéo-logique des 'Effarés'" dans le PS de 2019 même, et spécialiste de Victor Hugo, Pierre Laforgue a publié dans le numéro suivant de la revue l'article " 'Les Effarés', un poème misérable. La tendresse de Rimbaud".
Il existe une étude formelle plus ancienne de Philippe Rocher à laquelle Murphy renvoie, tandis que Laforgue renvoie à un article court paru dans le numéro 20 de la revue Parade sauvage. Laforgue l'appelle un articulet et le juge insuffisant, mais il s'agissait d'un article fait par deux hugoliens qui venaient reprocher aux rimbaldiens un traitement condescendant de l'influence hugolienne sur Rimbaud en soulignant que le poème "Les Effarés" à tout l'air de récrire des scènes des Misérables, tout particulièrement la rencontré de Gavroche avec des enfants dont il ignore qu'ils sont ses petits frères biologiques avec une scène de boulangerie qui forcément doit être mise en relation avec le début du roman, puisque Jean Valjean a été condamné au bagne pour avoir volé du pain. Et c'est mécaniquement dans la situation de forçat que Valjean à subi une accumulation d'années de peine à accomplir, un peu comme l'oncle de Rimbaud dans l'article fourni tout récemment par FD sur le blog Rimbaud ivre de Jacques Bienvenu.
Il va de soi que je partage les conclusions des hugoliens sur l'influence du roman Les Misérables : la symbolique du pain pour les miséreux est un rapprochement éclatant d'évidence. L'emploi du mot "misère" est un indice patent. C'est moins évident pour le mot "Effarés" qui n'est pas exclusivement hugolien.
Face à cette référence hugolienne, Murphy, notamment dans son article récent de 2019, puisqu'il a déjà écrit sur ce poème, accentue l'idée d'une influence de poèmes en prose de Baudelaire "Le Joujou du pauvre", "Les Yeux des pauvres" et "Le Gâteau". Là lecture de Murphy est très fine, mais les liens aux poèmes de Baudelaire ne sont pas véritablement étayés. Puis, Laforgue accueille l'idée d'une influence baudelairienne qui s'expliquent aussi par le fait que les proses de Baudelaire s'inspirent aussi des Misérables. Cependant, il faut se méfier de l'idée d'un Rimbaud encyclopédique qui créerait à un moment donné un poème dans la quadruple référence à des passages espacés des Misérables, à trois poèmes en prose de Baudelaire, à des extraits du livre ancien Les Rêveries du promeneur solitaire et à un contexte de Noël dont nous parlerons plus loin mais qui est déjà développé par Cornulier en 2019.
L'idée d'une influence des Misérables me paraît bien étayée et j'ajouterais que vu les révélations sur le frère de la mère d'Arthur cela éclairé d'un jour nouveau la lettre à Izambard ou elle lui reproche le prêt des Misérables avec cette histoire de forçat qui faisait écho au secret familial.
Sur un autre plan, l'opposition des hugoliens à la baudelairophilie des contributeurs de la revue Parade sauvage entraîne aussi un conflit interprétatif où Laforgue insiste sur une tendresse de Rimbaud comparable à celle d'Hugo, pendant que Murphy et d'autres éventuellement soulignent le caractère grinçant du poète jusqu'à envisager que Rimbaud écrit contre le misérabilisme complaisant et bourgeois des écrivains admis ou peu s'en faut : Coppée, Hugo...
Là, il faut nuancer.
On dirait à lire les rimbaldiens qu'il y a un concours d'image politique propre à donner de soi. Rimbaud vient d'un milieu politiquement conservateur semble-t-il, le père plus présent aurait affermi une filiation bonapartiste. La mère défendait la religion. En 1868, Arthur était à la fin de son parcours d'enfant chrétien et bonapartiste modèle, ce en quoi il n'a été suivi ni par son frère, ni par ses sœurs. Le modèle sulfureux de l'oncle bagnard relève donc d'une exception, mais le modèle est absent et fantasmé. Il existe une énigme en l'état insoluble l'envoi de vers latins au prince impérial pour sa première communion. Ce poème contenait-il un persiflage précoce ? Pourquoi prendre un tel risque ? Ou bien l'acte sincère d'Arthur a-t-il été l'occasion de cerner une divergence politique qui fera basculer Rimbaud dans des valeurs opposées au modèle de sagesse auquel il avait consenti jusque-là ?
En tout cas, Rimbaud n'est pas un ouvrier, il fait partie de la classe moyenne ou de la petite bourgeoisie. Il a également rencontré as mal de francs-maçons sur sa route, mais il n'en fera pas lui-même partie. Rappelons qu'il est question aussi d'imaginer les Bonaparte comme membres de la franc-maconnerie. Il ne s'agit pas d'une société au profil communales et il s'agit d'une société à pouvoir occulte et hiérarchisé dont on ne voit pas très bien en quoi elle s'oppose aux privilèges de l'ancien Régime et à l'influence sur la bande des riches. Que du contraire ! C'est un moyen de pouvoir pour intrigants.
Politiquement, Rimbaud a visiblement une sensibilité libertaire. Il aime la liberté libre. Il cite Proudhon au début du poème de lutte communaliste "Chant de guerre Parisien" et Verlaine dans l'album zutique associé la saleté fière de Rimbaud a une réécriture de la même formule de Proudhon : Là propreté c'est le viol, qui reprend La propriété c'est le vol.
Rimbaud se réclame plutôt de l'ennemi français déclaré de Marx, et son poème "Les Mains de Jeanne-Marie" rend hommage à des femmes libertaires qui seront plus tard dans l'anarchisme, courant encore non clairement défini en 1871.
Par ailleurs, les critiques rimbaldiens actuels et même du vingtième ne sont jamais des ouvriers, ils sont tous automatiquement ou à minima des gens des classes moyennes, liés à un relatif embourgeoisement. Et dans les universités, ce sont des gens de pouvoir. Et les votes au parti socialiste ou aux partis des verts sont des votes tout autant bourgeois et Adolphe thiersistes versaillaisque les votes pour les républicains ou En marche. Et le dérèglement des mœurs à depuis longtemps montré qu'il n'était pas l'ennemi de la rapacité des milliardaires capitalistes.
J'ai un peu de mal à comprendre pourquoi Rimbaud devrait railler le malheur des enfants du poème "Les Étrennes des orphelins" sous prétexte qu'ils sont dans un cadre petit-bourgeois et non ouvrier, comme j'ai du mal à comprendre pourquoi Rimbaud et les rimbaldiens seraient dédouaner de leurs situations sociales embourgeoisées.
Le sujet politique actuel, et il est rimbaldien, c'est que nous avons une guerre économique civilisationnelle majeure où trois pays et un continent jouent leur vie.
On aurait pu 3viter cette configuration, mais les milliardaires américains ne l'ont pas voulu. Ils ont cru dans les années quatre-vingt-dix que le monde dirige de manière orwellienne était possible enfin. Il suffit de maîtriser l'opinion par une mainmise sur les médias et une infiltration des partis politiques. La Russie, reste de l'URSS, était à terre, tandis que certaines de ses avancés au plan militaire étaient ignorées. En un quart de siècle, le redressement est spectaculaire. Impatients, les américains ont attaqué la Russie vingt ans trop tôt au lieu de bien l'infiltration et user par le soft power. Une fois la Russie tombée, il ne resterait que la Chine, mais elle aurait été encerclée par les bases américaines installées dans d'anciens territoires de la Russie et dans la Russie même. Ici, la Chine récupérera d'évidence Taiwan, tandis que Poutine est une icône parmi tous les peuples du monde économiquement lésés par les européens et américains qui en bons bourgeois traitent Poutine d'horreur absolue. De toute façon, la Russie et la Chine vont gagner. Les États-Unis vont perdre et vont même voir se retourner contre eux les techniques qu'ils ont favorisées contre la Russie : le gel des avoir russes sera un jour le gel des avoir américains, le passage des détroits du côté d'orgue et de la Mer rouge sera toujours plus compromis, et ainsi de suite.
Enfin bref, je reviens aux Effarés.
Pour moi, le poème décrit la misère des cinq enfants et s'attendait sur leur sort, et vu la dureté deniaisante du récit des Misérables je ne crois pas que le poème soit une mise en conserve du misérabilisme hugolien un an avant le cas de "L'Homme juste" motivé par la révélation du positionnement mitigé d'Hugo par rapport à la révolution communaliste.
En revanche, je m'éloigne de la lecture attendrissante dans la mesure où la fin du poème évoque clairement un petit protestataire de sans-culottes : "ils crèvent leur culotte". Le thème du pain renvoie à la grande Révolution française, crever sa culotté veut dire devenir sans-culotte et il y a un pet populaire qui double clairement le vent du dehors. Le poème va clairement du visuel culs en rond au sonore "crèvent leurs culottes".
D'ailleurs, le poème "Les Effarés" a des liens avec le poème "Le Forgeron" où la substitution à la figure historique d'un boucher n'empêche pas des développements sur le pain qu'on fait pousser avec de mêmes équivoques séquelles que le bras qui enfourne le pain dans Les Effarés: "voitures de foin / Enormes", "sentir l'odeur de ce qui pousse", "Oh, plus fort, on irait, au fourneau qui s'allume, / Chanter joyeusement en martela l'enclume". Là symbolique de jouissances phallique n'y est-elle pas sensible ?
Ce n'est pas tout.
Dans "Les Poètes de sept ans", le locuteur dit s'enfermer dans les latrines où il cumule le sentiment du cadre "Tranquille" avec le fait de respirer la liberté par les "narines" , mot en rime à "latrines" où le poète s'attache à des enfants puant la foire, autrement dit la matière fécale. Autrement dit l'odeur de pet des Effarés qui crèvent leurs culottes.
Le couplage narines et tranquille est significativement présent dans le sonnet "Le Dormeur du Val" dont on soutient régulièrement qu'il dénonce l'horreur d'une mort causée par la guerre, ce qui est en contradiction flagrante avec plusieurs éléments : datation du poème en octobre 1870, époque à laquelle Rimbaud réclame des armes et munitions, ce qui n'est pas spécialement pacifiste, en contradiction avec la répétition constante "il dort", en contradiction avec le rejet de "Tranquille". Certes. Les parfums ne font pas frissonner sa narine...
Reprenons le cas des Effarés.
Cornulier souligne l'importance du mot "médianoche" pour identifier une Nuit de Noël à l'ensemble du poème, ce qui emporté l'adhésion de Murphy. Il me semble que la signification de mediaboche a déjà été traitée auparavant, peut-être dans l'article plus ancien de Philippe Rocher, mais en tout cas en avril j'ai mis en ligne un article décisif qui montre que le poème très connu d'auguste de Châtillon A la Grand-pinte à servi de modèle pour les deux titres "A la Musique" et "Au cabaret-vert", pour les thèmes du "Cabaret-vett", de "La Maline", de "Larme", etc., et pour la forme en semaine d'octosyllabes avec des vers de quatre syllabes des "Effarés ". Le fait d'écrire les sizains en tercets renvoie au poème des "Feuillantines" d'Hugo. Verlaine à pratiqué cette forme, mais aussi Veuillot d'après l'anthologie L'émerveillement à la fin du siècle. Or, ici, Rimbaud a inversé le choix de Châtellenie qui au lieu de sectionner les sizains en tercets à monte des strophes doubles de douze vers.
Le poème en octosyllabes "Une nuit de Noël " avec en prime sa rime tournebroche accroché préparant la variante de Rimbaud medianoche brioches une source thématique évidente au poème Les Effarés, une fois admise la référence au poème Là grand-pinte, et le mot plus populaire "réveillon " pour "medianoche" fait partie des premiers à la rime de la pièce de Chatillon.
En adjoignant l'importance de Murger soulignée dans mes articles récents, le lien des Effarés au recueil de Chatillon à beaucoup de conséquences : confirmation que Rimbaud décrit une nuit de Noël sachant que le mot "medianoche" est une variante de juin 1871, donc avec notre source la référence à la nuit Sainte ne se discute pas pour la pièce originale. On a aussi un révélateur d'une homogénéité des représentations de la révolte bohémienne dénudée dans un nombre conséquent de poèmes de Rimbaud de 1870 comme de 1871, et au-delà. Nous sortons de l'alternative réductrice Hugo contre Baudelaire.
Puis, il y a le motif du grillon qui est partagé par Rimbaud, Murger et Châtillon, sachant que Murphy cité, mais sans y croire, un récit de Charles Dickens que je n'ai pas encore lu.
Précisons aussi un autre lien passe inaperçu. Même si Murphy cite "Les Étrennes des orphelins", il ne dit nulle part il me semble que le poème "Les Effarés " reprend aux "Étrennes des orphelins" le projet d'écrire un conte de Noël en vers.
J'ai énormément de mal à comprendre les raisonnements de Murphy, Cornulier et quelques autres sur le caractère grinçant des "Étrennes des orphelins".
Oui, Rimbaud est souvent obscène, et cela des ses débuts. Il aime les fausses notes au bon goût poétique. Avec raison, Christophe Bataillé a souligné l'équivoque latente du nom "vit" dans des emplois du verbe conjugué homonyme, et dans l'un d'eux Rimbaudle fait avec une césure tout aussi équivoque sur la préposition "sous" : sous - son argile charnelle", ce qui entre en résistance avec le même jeune suspension de la même préposition "sous" en fin de ligne sur le manuscrit obscène d'un cœur sous une soutane, et cela est reconduit avec la rime sur la préposition "sous" dans "Le Châtiment de Tartufe" dans un contexte de description masturbatoire voilée : " Tisonnant, tisonnant son cœur amoureux sous / Sa chaste robe noire". A noter que l'attaque Tisonnant, tisonnant... vient apparemment de celle d'un poème des Nuits d'hiver de Murger : "Traînant, traînant..."
On peut trouver de telles corruptions inouïes dans Les Étrennes des orphelins, mais je n'arrive pas à comprendre en quoi le poète serait féroce pour ces pauvres enfants, au-delà de la cruauté à la Maupassant du dernier vers les montrant confondre les décorations mortuaires avec des Étrennes.
Mais, comme je l'ai indiqué récemment le poème "Les Étrennes des orphelins" réécrit déjà un conte de Noël, celui célèbre et si court de la petite fille aux allumettes d'Andersen. Conte que Rimbaud a pu lire dans une traduction ou adaptation avec le nom ou non de l'auteur.
Le poème "Les Étrennes des orphelins" reprend un travail scolaire et surtout sa référence un poème bien connu "L'ange et l'enfant" de Jean Reboul, dont je rappelle que la célébrité venait du fait qu'il était un ouvrier, un boulanger. Le boulanger au "gras sourire", grivois comme le souligne Murphy, est clairement une antithèse du portait de Jean Reboul.
Qui plus est, le poème de Reboul a été imite à plusieurs reprises par Victor Hugo, notamment dans Les Contemplations.
Et il de trouvé que le début du poème de 1869 de Rimbaud commence par un emprunt patent au poème "Les Pauvres gens" de Victor Hugo, poème célèbre aussi en tant qu'il est l'adaptation en alexandrins d'un récit en prose d'un autre écrivain, tandis que l'alexandrin final du morceau hugolien était en réalité un vers blanc sans doute involontaire dans le récit en prose du modèle.
Jusqu'à quel point Rimbaud etait-il bien renseigné sur toutes ces sources de sources, je l'ignore . Mais une bonne part des rapprochements vont de soi à la simple lecture des textes concernés.
Je rappelle que dans le poème de Reboul et les imitations faites par Hugo l'enfant mort est enlevé au paradis ou il retrouve sa mère, un autre enfant,... Dans le conte d'Andersen, la fille est emmenée au paradis par la vision de sa grand-mère au moment où le froid va l'emporter. La double lecture est bien sûr maintenue par Andersen, quand Hugo force le discours de la foi.
Ni dans " Les Effarés " ni dans "Les Étrennes des orphelins", Rimbaud ne force le discours de la foi, mais je ne partage pas les automatismes qui consistent à prétendre qu'il raille forcément l'illusion pour marquer son irréligion. Dans les Étrennes des orphelins, Rimbaud décrit une vision de la mère comme ange qui montre le paradis riant à ses enfants, ce qui est exactement le ressort fantasmagorique consolateur développé par Hugo et Reboul. C'est aussi une démarcation de la fin en rêve de la fille aux allumettes.
Dans "Les Effarés ", les petits sont ravis au sens d'élèves au ciel. Le traitement du lieu commun se teint d'ironie.
Soutenant une lecture sarcastique anti-bourgeoise des Étrennes des orphelins et même une satire du misérabilisme hugolien, ceux qui suivent la lecture de Murphy ne se préoccupent jamais de ce plan pourtant majeur des Étrennes des orphelins, il s'agit pourtant d'un lieu commun déclaré vu les réécritures hugoliennes du poème de Reboul.
Pour dire le poème anti-miserabiliste, il faut pourtant dénoncer la valeur consolatrice du rêve.
Aboyer pour aboyer, ça ne fait pas une valeur de bon poète communaliste en soi, que je sache.
Dans Les Effarés, il y a une violence latente mais les enfants la partagent avec Rimbaud par le fait de péter en crevant leurs culottes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire