jeudi 14 septembre 2023

Présence de poèmes de Desbordes-Valmore dans quelques poèmes de Rimbaud

Ce n'est que par le témoignage de Verlaine dans ses Poètes maudits que nous estimons devoir parler de l'intérêt de Rimbaud pour les poésies de la femme de lettres douaisienne. Rimbaud ne s'inspirerait jamais d'un quelconque poème de Marceline Desbordes-Valmore. C'est timidement que le poème "Sol natal" est envisagé comme une source au poème "Mémoire". Michel Murat a avancé l'idée dans un article qui porte à la fois sur Desbordes-Valmore et sur Siefert, au lieu de se concentrer sur la seule poétesse des pleurs, mais l'idée n'est guère citée par la suite. Le principal rapprochement est fait avec le poème "Les Etrennes des orphelins". Rimbaud s'est inspiré des poèmes de François Coppée, de la pièce "Les Pauvres gens" de Victor Hugo et de quelques autres, il s'est aussi inspiré de son expérience scolaire, mais on a aussi avancé le poème "La Maison de ma mère" de Desbordes-Valmore, et l'idée c'est que Rimbaud a publié "Les Etrennes des orphelins" dans la Revue pour tous après que certains numéros de cette revue aient publiés "Les Pauvres gens" de Victor Hugo et le poème en question de Desbordes-Valmore. Notons que le rapprochement a un côté désobligeant : le Rimbaud débutant s'abandonne aux rimes typiques complaisantes de Desbordes-Valmore, "mère"/"amère" au premier chef, à une expansion lyrique touchante mais facile et d'un art négligé.
Pourtant, on le sait, soit depuis un livre sur Verlaine de Georges Zayed, soit depuis 2001, Rimbaud a recopié un vers de la poétesse au dos d'un manuscrit d'une de ses compositions de mai 1872 : "Prends-y garde, ô ma vie absente !" C'est d'ailleurs l'année suivante en 2002 que Murat a fait une conférence sur les inspirations féminines de Rimbaud, en couplant Siefert à Desbordes-Valmore.
Dernièrement, nous l'avons vu sur ce blog, Rimbaud a recopié un vers du poème romance "C'est moi" qui est la source principale de la première des "Ariettes oubliées",  et dans la foulée, j'ai montré que Verlaine s'était inspiré de poèmes précis pour sa quatrième ariette, et aussi d'au moins deux poèmes très précis pour sa troisième ariette, et j'ai même envisagé une source valmorienne frappante pour la deuxième ariette.
J'ai commencé à indiquer en quoi les poèmes "Larme" et "Mémoire", ainsi que les "Fêtes de la patience" s'inspireraient étroitement des poésies de Desbordes-Valmore.
Mais revenons sur "Les Etrennes des orphelins". Ce poème contient des réécritures voyantes de Coppée et Hugo, alors qu'aucun vers précis de "La Maison de ma mère" n'est jamais cité en source. Pourtant, j'ai découvert une source valmorienne à un poème d'août 1870 de Rimbaud, autrement dit dans un poème antérieur à tout séjour douaisien.
Le poème "La Maison de la mère" ouvre le recueil Pauvres fleurs et si j'ai bien compris le poème "Dans la rue" le referme, et ce poème "Dans la rue" est une source assez évidente au sonnet rimbaldien "Le Mal", lequel est dominé évidemment par des renvois au recueil des Châtiments, et je rappelle que tous les recueils de Desbordes-Valmore publiés de son vivant sont de loin antérieurs et aux Châtiments et même aux événements de 1848 et 1851.
Le poème "Dans la rue" fait parler un être nommé "La femme" sur cinq quatrains puis un groupe dit "Des femmes" dans un ultime quatrain.

          DANS LA RUE par un jour funèbre de Lyon

La Femme

Nous n'avons plus d'argent pour enterrer nos morts.
Le prêtre est là, marquant le prix des funérailles ;
Et les corps étendus, troués par les mitrailles,
Attendent un linceul, une croix, un remords.

Le meurtre se fait roi. Le vainqueur siffle et passe.
Où va-t-il ? Au Trésor, toucher le prix du sang.
Il en a bien versé... mais sa main n'est pas lasse ;
Elle a, sans le combattre, égorgé le passant.

Dieu l'a vu. Dieu cueillait comme des fleurs froissées
Les femmes, les enfants qui s'envolaient aux cieux.
Les hommes... les voilà dans le sang jusqu'aux yeux.
L'air n'a pu balayer tant d'âmes courroucées.

Elles ne veulent pas quitter leurs membres morts.
Le prêtre est là, marquant le prix des funérailles ;
Et les corps étendus, troués par les mitrailles,
Attendent un linceul, une croix, un remords.

Les vivants n'osent plus se hasarder à vivre.
Sentinelle soldée, au milieu du chemin,
La mort est un soldat qui vise et qui délivre
Le témoin révolté qui parlerait demain...

Des femmes 
Prenons nos rubans noirs, pleurons toutes nos larmes ;
On nous a défendu d'emporter nos meurtris.
Ils n'ont fait qu'un monceau de leurs pâles débris :
Dieu ! bénissez-les tous ; ils étaient tous sans armes !
Alors, je vous cite  le sonnet "Le Mal" des "Cahiers de Douai". Si si les "Cahiers de Douai" existe, c'est le programme du Bac de français 2024 qui l'a dit ! On a des éditions pour le concours des prétendus "Cahiers de Douai", Jean-Luc Steinmetz et Henri Scepi se sont prêtés au jeu, et on a même droit à une réédition d'un livre de Pierre Brunel de 1983 qui est félicité pour avoir lancé l'idée : Projets et réalisations. C'est super ! C'est un livre de critique littéraire sans intérêt, qui a manqué toutes les découvertes des quarante dernières années, qui ne sera pas un outil de travail pour les lycéens, mais on en fait une réédition après quarante ans comme si c'était un classique de la Littérature dans le genre de..., de... pffh de l'essai ?... de critique littéraire ?... de je tiens bien la plume je suis prof en Sorbonne ? Ce que j'en pense de Projets et réalisations... Et on va faire ânonner les jeunes de dix-sept ans sur des idioties : "oui, c'est un recueil, les poèmes sont réunis ensemble dans la main d'un propriétaire,  oh il y a des échos entre ces poèmes écrits à une même époque par une même personne, mais ces échos sont donc ceux d'un recueil concerté, parce que jamais ça n'arrive quand quelqu'un écrit des textes dans un certain laps de temps s'il le fait sans penser à un recueil." "Oui, le recueil ne ressemble à rien,  il n'a pas de début ni de fin, il n'a pas une unité thématique, mais c'est un recueil, ça doit être très inspiré des modèles anciens de miscellanées et tutti frutti, quoi ?" La débilité mentale va bon train.
Allez, trêve de plaisanteries, rappel du sonnet "Le Mal" :
Tandis que les crachats rouges de la mitraille
Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu ;
Qu'écarlates ou verts, près du roi qui les raille,
Croulent les bataillons en masse dans le feu ;

Tandis qu'une folie épouvantable, broie
Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant ;
- Pauvres morts ! dans l'été, dans l'herbe, dans ta joie,
Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !...

- Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées
Des autels, à l'encens, aux grands calices d'or ;
Qui dans le bercement des hosannah s'endort,

Et se réveille, quand des mères, ramassées
Dans l'angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir
Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir !
Rimbaud s'est surtout inspiré de vers des Châtiments, mais les échos sont sensibles : "troués par les mitrailles" (deux fois), "le vainqueur siffle", "Le prêtre est là, marquant le prix des funérailles" (deux fois, - et on a un écho possible du coup avec "Les Premières communions"), "Le meurtre se fait roi", "Les Hommes", "Des femmes", "pleurons toutes nos larmes", "rubans noirs", "un monceau". 

Dans le recueil des Poésies inédites de 1860, recueil posthume mais préparé et lancé aux éditeurs par l'autrice au cours de ses derniers mois d'existence, nous rencontrons un quatrain intitulé "Les Eclairs" qui se termine par l'hémistiche "éclairs délicieux".
J'ai déjà signalé cet écho avec les "corbeaux délicieux" par le passé, au moins lors d'interventions sur le net et sur ce blog. Or, à partir du moment où Verlaine s'est autant inspiré de poèmes de Desbordes-Valmore pour créer les "Ariettes oubliées" et à partir du moment où au-delà du recopiage du vers "Prends-y garde, ô ma vie absente !" Rimbaud s'est inspiré massivement de la poétesse au printemps 1872, il devient sensible que la lecture suivie des recueils valmoriens devait être de quelques mois antérieurs, puisque le poème "Les Corbeaux" date probablement de février ou mars 1872, en fin d'hiver, et on appréciera que la reprise du syntagme "corbeaux délicieux" s'accompagne du qualificatif "noble" dans "La Rivière de Cassis" :
Orages de l'amour, nobles et hauts orages,
Pleins de nids gémissants blessés sous les ombrages,
Pleins de fleurs, pleins d'oiseaux perdus, mais dans les cieux,
Qui vous perd ne voit plus, éclairs délicieux !
Relisez "Les Corbeaux" ("Les vents froids attaquent vos nids") et "La Rivière de Cassis": "[...] vraie / Et noble voix d'anges", "quand plusieurs vents plongent").
Enfin, je ne vais pas parler encore de "Mémoire" et des "Fêtes de la patience", ni de tout le dossier que j'accumule au sujet de "Larme", mais je voudrais citer un fait troublant qui concerne la fin de "Bannières de mai", cette fin même dont j'ai rappelé qu'elle faisait significativement écho à la fin en queue de poisson du poème "Larme".
En 1868, quelques pièces de la poétesse ont été publiées sous le titre "Poésies de l'enfance". Cela tient en un ensemble de trois poèmes sur deux colonnes d'une seule page dans l'édition de l'oeuvre poétique complète par Marc Bertrand. La fin du deuxième poème résonne étrangement bien avec la fin de "Bannières de mai", poème dont la version manuscrite "Patience d'un été" est précisément affublé de la citation du vers valmorien : "Prends-y garde, ô ma vie absente !"
Je cite ce poème en deux quatrains (comme "Sensation"), si ce n'est la variation métrique en clausule :

A MES ENFANTS

Quand le soleil y passe, ouvrez votre fenêtre ;
Lui seul sait essuyer l'humide et sombre hiver.
Si le bonheur absent vient pour vous reconnaître,
Que votre coeur charmé, tout grand, lui soit ouvert !

Gardez-vous de bouder, enfants, contre vous-même.
Sachez : l'or est moins pur qu'un tendre et doux conseil.
Enfants : ne pas sourire à l'ami qui vous aime,
            C'est tourner le dos au soleil.

Et Rimbaud d'enchaîner : "Mais moi je ne veux rire à rien, / Et libre soit cette infortune."
Notons que le poème valmorien parle d'évacuer l'hiver, quand Rimbaud parle d'un printemps naissant qui fait attendre l'été. Le syntagme "bonheur absent" fait écho à "vie absente" puisque Rimbaud écrit ce vers de "C'est moi" au dos de "Patience d'un été".
Il va de soi que je n'ai pas encore tout dit.
Pour ceux qui m'ont entendu parler d'un détour par Baudelaire, j'ai prévu de parler des quintils notamment, mais je ferai ça à tête reposée.
J'ai énormément de choses à dire sur "Larme" et "Mémoire" et les "Fêtes de la patience", voire sur d'autres poèmes, tout cela viendra en son temps.
Il me manque les contes de Desbordes-Valmore, j'en ai quelques-uns dans ses recueils de poésies, mais je n'ai pas les contes eux-mêmes et en plus je ne sais pas s'ils sont en prose ou en vers.
Maintenant, le gros problème que pose "Larme" en termes de filiation valmorienne, c'est la mention des "gares". La plupart des recueils de la poétesse sont antérieurs au développement du train, a fortiori en France et sur le continent européen (par opposition à l'Angleterre), et donc antérieurs au développement des gares. En écrivant en 1843 "La Maison du berger", Vigny était un poète précurseur, à ceci près que le motif était alors envisagé négativement, quand Rimbaud et Verlaine se réjouissent de la poésie des voyages en train. Le seul recueil de Desbordes-Valmore qui pourrait parler des gares et qui ne le fait, c'est celui des Poésies inédites de 1860. La difficulté concerne aussi les écrits de Banville. Le train peut être présent dans les Odes funambulesques, mais pas vraiment dans les premiers recueils Cariatides ou Stalactites.
La grande énigme de lecture de "Larme", c'est précisément l'orage qui change le ciel et fait défiler des décors que le poète énumère laconiquement en plaçant des "gares" à la rime. Ce mode énumératif fait songer au poème "Walcourt" où il est question de notations rapides concernant le décor et d'un emportement rapide des visions par la nécessité de reprendre le train. La section des "Paysages belges" est singulière dans les Romances sans paroles puisqu'elle s'oppose à la tristesse et au dolorisme des "Ariettes oubliées", mais aussi des "Aquarelles" et de la section "Birds in the night". Il y a une inversion comique et joyeuse du motif des "ariettes oubliées", celle des joyeux vagabonds errants de vers latins que Verlaine fera titre d'un de ses poèmes et sujet du poème portant ce titre.
Mais tout n'est pas nécessairement venu de la lecture de Desbordes-Valmore dans "Larme".
Je mettrai prochainement en place ce qui doit l'être dans tous les cas.

A suivre...

5 commentaires:

  1. Pour le lien avec "Patience d'un été" / "Bannières de mai", les plus avisés auront compris qu'il faut avoir en tête les vers qui précèdent la citation de deux vers dont je me suis contenté.

    C'est rire aux parents, qu'au soleil...

    Je fais un sort à part à ce lien aux poésies de l'enfance, car une difficulté à méditer est introduite. Si Rimbaud cite des vers publiés en revue en 1868, c'est qu'il y a eu accès et que soit il les a bien mémorisés, soit il y a encore accès en 1872, puisque c'est une chose que de chercher à accéder à tous les recueils de la poétesse et une autre d'accéder à ce qui est épars dans des revues datées.
    Pour les plus impatients d'une suite, je précise aussi que pour l'Oise chez Banville, il faut bien sûr lire "L'Amour à Paris" poème des Odes funambulesques. L'Oise est un symbole ironique du faux dépaysement hors de Paris, Rimbaud joue avec cette feinte dans Ce qu'on dit au Poète à propos de fleurs "Oises extravagantes" dans une fausse "case" exotique qui sert de lieu d'aisance, et il joue à nouveau avec l'extrait de Banville loin des oiseaux, des villageoises, près d'une jeune Oise reprend "pays lointains situés à dix lieues, / Où l'Oise dans la Seine épanche ses eaux bleues, / Parmi ces Saharas récemment découverts", et "Saharas de prairies " dans les paysages belges ou dans Michel et Christine, c'est la reprise des feintes de ces mêmes vers de Banville.

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    1. Et vous en voulez plus ?
      Dans "Larme", Rimbaud emploie une fin de mot en "-ée" suivi d'une consonne : "entourée de tendres bois de noisetiers". Cela pouvait encore se rencontrer dans des poèmes du XVIe siècle, mais cette configuration fut ensuite proscrite. On évite que le "e" soit une syllabe à part entière dans un poème, qu'il compte ou non pour la mesure. Rimbaud va introduire un "e" qui ne compte pas pour la mesure dans "Larme" avec "entourée de" et il remet ça trois mois plus tard dans "Fêtes de la faim" : "Pains couchés aux vallées grises".
      Et le scoop est le suivant, c'est que dans le seul poème "L'Amour à Paris" de Banville, on a à la fois la mention ironique de l'Oise comme exotisme frelaté "loin" de Paris et une antériorité en fait de licence : "armée d'Italie", entorse grave au mot du traité "des licences il n'en faut pas".
      Et bam !
      Et vous sentez venir le troisième élément de "L'Amour à Paris" repris dans "Larme" avec non pas le "Corsaire" à la rime car ça c'est pour "Est-elle almée ?" mais avec cette descente dans les gouffres amers pour trouver la perle en feu qui rayonne au fond des mers... ? Vous le sentez le lien avec le Pêcheur d'or ou de coquillages ?

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  2. Pour illustrer à quel point l'énumération du changement de paysage par l'orage est le point difficile du poème "Larme", on peut d'un côté se reporter à la version de "Alchimie du verbe" qui supprime purement et simplement toute cette énumération.
    On peut citer aussi le commentaire succinct de Bernard Meyer en 1996, lequel ne parle pas du tout de la référence à l'Oise dans les Odes funambulesques et ne fait pas du tout le rapprochement avec les "Oises" de "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs".
    Meyer parle d'une "énumération de référents assez hétéroclites", et s'il commente un peu "pays noirs", "perches" ou "lacs" il affirme un peu vite les choses à propos des "colonnades" et "gares" : ces mots "nous font quitter la campagne", le premier peut désigner des arbres, mais le deuxième confirme qu'il est bien question d'architecture nous soutient-il, mais en nous imposant de considérer que les colonnades concernent la façade des gares.
    Et le critique passe à autre chose.
    Notons que "gares" est à coupler à "auberges", les mots à la rime ou en fin de vers au deux extrémités du même quatrain, "auberges" et "gares" un couple qui justifie encore le rapprochement avec "Walcourt" de Verlaine et pensons que "Tel j'eusse été mauvaise enseigne d'auberge" est à rapprocher de "Comédie de la soif" (comédie !) avec l'auberge verte qui ne peut plus s'ouvrir au poète.
    Le présentatif "ce furent" n'est pas le plus absurde pour chercher une source à l'énumération rimbaldienne dans Banville. Toutefois, ni colocase ni colocasia ne semblent être chez Banville. Hugo et Virgile restent bien en lice.
    Quant à l'Oise dans Boileau, il s'agit de l'épître II et il est question d'art poétique. La ressemblance satirique est frappante avec l'Oise de Banville, qui a pu s'en inspirer à moins d'une coïncidence, mais malgré les calembours "bois l'eau" je ne crois pas que "Larme" cible l'ami de Racine.
    A suivre toujours !

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  3. On l'a compris : la lecture de "Larme" peut facilement s'approfondir à partir de mots clefs. L'Oise n'est pas une référence intime, mais une référence culturelle déjà mobilisée dans "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs", poème envoyé à Banville, et c'est Banville qui fournit le modèle culturel, l'Oise est une sorte de dépaysement loin de Paris, mais un dépaysement sur lequel on ironise, tout comme "Malines" de Verlaine ironise sur le décor exotique belge. L'épître II de Boileau et l'ode funambulesque "L'Amour à Paris" permettent de caractériser culturellement la référence ironique à l'Oise par rapport à Paris.
    Mais, le gros morceau, c'est la colocase. Il s'agit à l'évidence d'un emprunt à la quatrième bucolique de Virgile, poème court extrêmement célèbre avec son avènement mystérieux d'une Vierge, d'un enfant et d'un âge d'or peu avant l'existence du Christ.
    Une rapide recherche me révèle que la traduction de 1859 de Charpentier privilégie le mot "bruyère" dans sa traduction... plutôt qu'arbrisseaux, tamaris, etc. "Tout le monde n'aime pas les arbrisseaux et les humbles bruyères", le poète veut une forêt digne d'un consul pour son annonce épique. En plus, nous sommes dans l'univers des églogues et il n'y a pas de bergers ni de troupeaux dans ce poème de Virgile. Enfin, c'est un écrit hermétique célèbre comme Rimbaud est hermétique.

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    1. Je viens de relire les deux, trois pages de Paul Claes sur la gourde de colocase (Parade sauvage n°21 en 2006). Il passe en revue toutes les manières des commentateurs de ne pas affronter la difficulté de lecture pour "colocase". Il explique que le mot n'a pas son sens actuel, mais celui de nénuphar égyptien. Claes donne raison à Suzanne Bernard d'avoir cité la quatrième bucolique de Virgile et dit que si Rimbaud connaît ce mot c'est forcément plutôt par ses études classiques en latin qu'en tant que voyageur. Hélas ! Claes ne tire aucun parti du reste de la bucolique, ni de sa célébrité extrême avec cette raison qu'on a voulu y voir une annonciation du Christ. Je rappelle que dans "Larme" le vent du ciel devient le vent de dieu.
      En revanche, Claes rapporte une extension précieuse en identifiant le texte de Pline qui rapporte que ce nénuphar permet de boire, et Claes fait remarquer que "gourdes vertes" et même "gourdes jaunes" désignent des végétaux utilisés pour boire, mais surtout que "fleurs pour verres" dans "Comédie de la soif" renvoient aux mêmes nénuphars, et Claes aurait pu ajouter que dans Comédie de la soif le poète dit que rien ne le désaltère, quand Bannières de mai parle de ne rire à rien et Larme d'un refus de boire.
      Niveau consolidation, on est bon.

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