Au début, je pensais critiquer cet article LES "CHIFFRES NON RIMBALDIENS", LE FOLIO 18 ET LA PAGINATION DES ILLUMINATIONS (qu'Alain Bardel se tient sans doute très heureux d'avoir mis en ligne le 09 janvier 2020 sur son site internet) à la fin de mon compte rendu au sujet du Dictionnaire Rimbaud, mais cela fait déjà quelques jours que j'y ai renoncé, ce ne serait pas à sa place.
Il va de soi que ce n'est pas parce qu'il n'est pas un universitaire que je lui reproche le statut de médiateur qu'on lui confère dans le milieu de la revue Parade sauvage. Il n'a pas le moteur pour être un authentique chercheur rimbaldien. Je vais trahir ici une anecdote révélatrice. Il y a environ quinze ans il est allé consulter pour quelqu'un d'autre le livre des souvenirs de Delahaye, et il devait trouver la citation de Mallarmé que Delahaye disait avoir entendue de la bouche de Rimbaud lors de l'une de leurs promenades. Bardel ne l'a pas trouvée. J'ai été sollicité pour me rendre à la grande bibliothèque municipale de Pinsaguel (c'est pour ceux qui suivent) et, l'ouvrage entre les mains, j'ai consulté le chapitre où l'information devait se trouver, elle n'y était pas, mais j'ai consulté dans la foulée les notes de fin d'ouvrage, et je suis tombé sur le vers de Mallarmé que Delahaye prétend avoir entendu dans la bouche de Rimbaud (nous n'avons aucune confiance en son témoignage évidemment).
Dans le présent Dictionnaire Rimbaud, Bardel fait la notice sur le poème "L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple", mais il ne se reporte pas à l'article "Mais que sont devenus les manuscrits de 'Paris se repeuple' ?" ce qui est d'autant plus piquant qu'il est en charge en même temps de la notice "manuscrits". Dans sa notice sur les "manuscrits", il ne me semble pas qu'il ait référencé mes articles mis en ligne sur internet "La Légende du Recueil Demeny", un autre sur le dossier Verlaine, etc., alors même qu'il a déjà mentionné comme importante sur son site l'étude "La Légende du Recueil Demeny". Il va de soi que Bardel suit une politique, tacitement établie ou non, et bien suivie par plusieurs collaborateurs du Dictionnaire Rimbaud, de ne pas citer volontiers les articles du blog Rimbaud ivre (je ne parle même pas du mien). Il va de soi aussi qu'il est sous influence, il y a des rimbaldiens installés et des rimbaldiens non installés. Sur "Voyelles", Bardel référence l'article "Consonne" de la revue Parade sauvage, mais il ne fait pas d'efforts de recensement, il passe à côté de l'article publié dans Rimbaud vivant, alors que plus consciencieux Bataillé et Denis Saint-Amand référencent d'autres de mes articles dans la revue Rimbaud vivant. Il faut bien comprendre que Bardel n'a rien d'un chercheur rimbaldien rigoureux et, en plus, il travaille comme un soldat fidèle pour d'autres rimbaldiens qu'il admire.
Or, j'en arrive à la question de la pagination des Illuminations.
Cette réfutation en deux parties a été publiée en 2012. Personne n'a réagi parmi les rimbaldiens, sauf Michel Murat, mais, pour minimiser le problème, et encore Murat dans sa version remaniée du livre L'Art de Rimbaud ne cite qu'en une note de bas de page une seule partie de l'article de Bienvenu, la partie la moins sévère dans la remise en cause.
Dans le Dictionnaire Rimbaud, on sait que la bibliographie finale n'est que la reprise des mini-bibliographies des notices. Murat a fait l'article sur les manuscrits des Illuminations. Il n'y cite pas l'article de 2012 de Bienvenu, et sur un principe appliqué également aux "Déserts de l'amour", pour la bibliographie nous sommes renvoyés plusieurs pages plus loin à la fin de l'article sur l'interprétation des Illuminations conçu par Adrien Cavallaro. Et, évidemment, dans cette bibliographie conséquente, si un article de Bienvenu est référencé, il n'est pas question de l'article "La pagination des 'Illuminations' ".
Il y a un moment où on est en droit de demander des explications, non ?
Et donc, pour réfuter l'article de Bienvenu de 2012, pendant que Murphy et Murat sont bien tranquilles en position retranchée, Bardel en fidèle soldat va au combat. Et il met l'article référencé ci-dessus en ligne le 9 janvier 2020, un an avant le Dictionnaire Rimbaud, et il plie les faits à la thèse qui doit être démontrée. Il est convaincu d'en avoir brillamment montré la possibilité. Il n'envisage aucune réserve logique sur la vraisemblance de son analyse, il passe à la trappe certains détails, et le tour de force est joué. Il ne nous reste plus dès lors qu'à perdre notre temps avec un rimbaldien de second ordre sur lequel la haute-magistrature s'appuie, à s'échiner à expliquer la logique des choses, et si nous y arrivons de toute façon le combat reste intégralement à mener puisque les rimbaldiens autorisés ne se sont toujours pas expliqués.
Je rappelle que Murphy a publié trois des quatre tomes d'une édition philologique des Œuvres complètes de Rimbaud chez Honoré Champion, sauf le deuxième, celui qui précisément doit porter sur les Illuminations, sachant que bien avant 2012 Murphy n'ignorait pas que sa pagination était contestée par Bienvenu. Si c'est facile de réfuter l'article de Bienvenu, pourquoi Murphy ne le fait-il pas ? Pourquoi Murat ne cite-t-il pas l'article à réfuter ? Murphy et Murat penseraient-ils que l'article de Bardel n'est pas si convaincant que ça et qu'il est même plutôt riche en concessions maladroites ?
Tout comme dans le Dictionnaire Rimbaud (à de nombreuses reprises et par plusieurs intervenants), dans cet article, Bardel affirme ce qu'il conviendrait de démontrer (je fais du copier/coller, j'ai référencé le lien et je suis fatigué), tous les soulignements sont nôtres :
3) La cause des exceptions constituées par les f° 12 et 18 est claire : on a voulu construire des séries (Phrases, Veillées) qui n'avaient pas été prévues dans un premier temps. Cette opération s'est donc déroulée après la pagination au crayon. Il y a eu auparavant un autre f°12 et un autre f°18 paginés au crayon. Puis quelqu'un a ôté les deux feuillets précédemment numérotés 12 et 18, dans le style original, pour y substituer ces nouveaux feuillets d'allure atypique.
Je vous cite aussi la note précédente :
2 bis) Les chiffres au crayon 1-9 ont été repassés à l'encre, probablement par les préparateurs de La Vogue pour valider une liste de titres à insérer dans le n°5 (voir ci-après), mais c'est là un phénomène annexe qui n'a pas d'incidence sur le débat général concernant l'auteur de la pagination du manuscrit.
Vous lisez bien : "... mais c'est là un phénomène annexe qui n'a pas d'incidence sur le débat général concernant l'auteur de la pagination du manuscrit."
Bardel ne se dit pas deux secondes qu'il y a peut-être quelque chose qui lui échappe. Il vous somme de le croire sur parole que les choses sont ainsi que lui, Murphy et Murat en ont décidé.
Bardel n'a aucune conscience de ce que signifient les crochets autour des titres, les recours au crayon en-dehors des chiffres de la pagination. Tout cela ne lui parle pas, et donc il a beau jeu de défendre sa thèse, c'est le champion de la cause Murphy. Il ne sait même pas hiérarchiser les informations, évaluer la vraisemblance d'un ensemble. Sur tout cela, il n'existe pas, et je ne vais pas me donner la peine de vous expliquer les choses ici, je me réserve pour un cadre d'explication valable. Je ne considère pas, définitivement pas, Bardel comme un chercheur rimbaldien rigoureux ! Il est professeur tant que vous voulez. Je vais admettre une chose. Au sujet des Illuminations, il est passionné, il a lu la littérature critique assez loin, il a eu raison d'admirer les articles de Claisse, il a eu raison, peut-être pas d'admirer, mais en tout d'apprécier avec intérêt le travail de Fongaro sur les poèmes en prose, et il a raison de s'intéresser aux travaux de Murphy qui sont plutôt sur la poésie en vers. Il ne s'est pas contenté de ça, il a lu des tonnes d'ouvrages, et il ne fait aucun doute que c'est une des rares personnes à pouvoir parler aussi bien des Illuminations, et quand je parle de rareté c'est vraiment de la rareté. Dans ses notices, il passera aussi bien et même beaucoup mieux que pas mal d'autres collaborateurs, parce qu'il est aguerri et peu parmi les autres peuvent s'en prévaloir. Mais, en tant que chercheur, non, mille fois non ! Bardel n'est pas à la pointe, et je déclare qu'il n'a pas la capacité motrice du chercheur, je n'identifie pas en lui les mécanismes du gars qui s'échine à expliquer les choses. Il est beaucoup trop passif pour ça.
Je cite un passage situé beaucoup plus loin maintenant :
Sur un point cependant, les objections de Bienvenu et de Ducoffre à la thèse de Murphy paraissent fondées : leur attribution à La Vogue et non à Rimbaud des chiffres repassés à l'encre des feuillets 1 à 9. Le 7 à hampe barrée du feuillet 7, tracé à l'encre, est en effet, comme l'a dit Bienvenu, assez peu rimbaldien (voir ci-dessus les nombreux "7" à hampe non barrée dans les dates inscrites au bas des poèmes) [10]. C'est un indice convaincant de ce que ce 7 à l'encre surchargeant le 7 précédemment inscrit sur le manuscrit, émane de La Vogue.
Je fais cependant remarquer que le premier "7" tracé au crayon était "non-barré", comme d'ailleurs le "7" du feuillet 17. La présence de ces "7" typiquement rimbaldiens ne suffit certes pas à prouver que la numérotation au crayon soit de Rimbaud, mais elle devrait indiquer à Bienvenu, qui accorde tant d'importance à la forme des chiffres, que Fénéon, s'il est l'auteur du 7 à hampe barrée, ne saurait être tenu simultanément pour l'auteur de la pagination au crayon.
On appréciera la modalisation : "paraissent fondées" et la restriction chiffrée "sur un point". Dans la suite de l'article, le point semble engager plus que le chiffre "un" et Bardel admet que nous avons raisons sur ce "point" d'objections.
Le problème, c'est que Bardel ne tient absolument pas compte de tout ce que l'ensemble d'informations a de contraignant dans le groupe des quatre points que j'ai soulevé. Et, peu amène envers Bienvenu, il adopte l'attitude de reproche, alors que, dans les faits, Bardel admet que Bienvenu a montré qu'un chiffre repassé n'était pas de Rimbaud et a montré que la thèse de Murphy n'était pas concluante au plan scientifique. Il ne faut pas oublier qu'au départ, c'est à Murphy, Murat et leurs soldats de plomb de prouver la validité de leur thèse. On va citer plus loin la fin de l'article de Bardel où il admet que la thèse de Murphy n'est pas établie en un mot !
Citons les deux derniers paragraphes !
Ducoffre a sûrement raison de supposer qu'il y a eu de la part de La Vogue un premier choix de neuf publications suivi d’un changement d'option les ayant amenés à publier quatortze textes dès la première série de leur feuilleton Rimbaud de mai-juin 1886 (cf. la même page du blog Rimbaud ivre, 6 mars 2012).
Dont acte. Mais il n'y a rien là qui remette en cause ni l'argument clé de Murphy concernant les feuillets 18 et 12, ni la possibilité que la pagination à l'encre des feuillets 18 et 12 soient de la main de Rimbaud, ni la possibilité que la pagination au crayon des feuillets 1-11, 13-17, 19-24 soit elle aussi de la main de Rimbaud.
L'avant-dernier paragraphe, au plan des concessions, c'est pas rien, déjà ! Evidemment, je ne vais pas me lancer ici dans la réfutation détaillée de la réfutation bardélienne de la réfutation de 2012 de la thèse de Murphy. Les malins qui croiront que je n'en suis pas capable, je pense qu'ils commencent à voir que je sais me donner le temps, que je sors mon jeu quand je veux, et quand je le sors j'ai des arguments auxquels mes opposants ne savent pas répliquer grand-chose.
Entraînez-vous tout seuls à voir pourquoi Bardel ne réfute pas vraiment ce qui est dans l'article de Jacques Bienvenu en deux parties de 2012. C'est un bon exercice !
Avec superbe, Bardel lance son dernier article par un "Dont acte !" et il nous lâche le mot "possibilité". Il nous dit : "Il n'y a rien là qui remette en cause l'argument clé de Murpy", ce qui est faux, mais ce qui n'empêche pas Bardel de modérer son propos : la thèse n'est plus qu'une possibilité ! Nous avons même deux occurrences pour le prix d'une du mot "possibilité" dans cet ultime paragraphe !
Tirons l'échelle !
Article publié le 4, le 5 article de Bardel, timing parfait !
RépondreSupprimerBardel fait un plaidoyer pro domo (génial dico), il fait un éloge paradoxal d'un article parfait (qui pourtant ne fait que retourner au consensus de fin des années 80) mais pour le critiquer sans arrêt et lui reprocher de ne pas accepter les Illuminations en tant que recueil au sens fort du terme, et de ne pas accepter la pagination, ce qui est plus flou en réalité dans l'article de Murat qui ne cite pas l'article de Bienvenu et qui organise son paragraphe pour donner une préséance. Mais, l'étonnement naïf de Bardel est superbe. Là, c'est bon, la déroute est complète, on va enfin être débarrassé de ce sujet pesant.
Je précise que sur la pagination je ferai l'explication dans un cadre valable, mais quand je parle des crochets et du crayon qui ne sert pas qu'à la pagination, je vous dis déjà comment renvoyer à la poubelle la pseudo réfutation bardélienne.