Au sujet de la signature "PV" au bas du dizain
"L'Enfant qui ramassa les balles..." Depuis le début de cette
révélation (qui ne vient pas de moi, mais d'une mise en vente du manuscrit),
Steve Murphy, André Guyaux et Jean-Jacques Lefrère ont maintenu de force
l'attribution du dizain à Rimbaud. J'ai insisté pour que ce poème soit de
nouveau admis comme étant de Verlaine. Je suis cité à ce sujet dans l'édition
de la collection "La Pléiade" en 2009 et j'ai produit une étude
argumentée dans le volume collectif La Poésie jubilatoire. Rien n'y fait !
D'autorité, le poème est considéré comme étant de Rimbaud. C'est Félix Régamey
qui, on ne sait pour quelle raison, aurait signé lui-même le manuscrit. Ce problème vient encore une fois des mécanismes de
l'habitude. A l'époque de la révélation que le manuscrit était de l'écriture de
Rimbaud, un phénomène inverse s'était produit avec Bouillane de Lacoste qui
avait émis que ce dizain lui semblait de Verlaine et non de Rimbaud. Bouillane
de Lacoste avait eu l'habitude de lire ce poème attribué à Verlaine. Cette
fois, c'est la majorité de ceux qui sont habitués à l'avoir lu en tant que
poème de Rimbaud qui ne veulent pas admettre l'argument philologique supérieur
de la signature "PV", qui accessoirement justifie les anciennes
réticences de Bouillane de Lacoste. Les rimbaldiens peuvent exprimer leurs convictions
personnelles, mais ils n'ont pas à imposer leurs vues par-delà les arguments
philologiques eux-mêmes. J'avais rappelé ce fait essentiel dans mon article du
volume La Poésie jubilatoire.
Dans le présent Dictionnaire Rimbaud pour l'année 2021, Frémy a été en charge de la notice sur le poème "L'Enfant qui ramassa les balles..." Faut-il chercher cette notice à la lettre E ou bien à la lettre L ? La première notice à la lettre "E" est consacrée à une section du livre Une saison en enfer qui s'intitule "L'Eclair", mais la notice "Eclair (L')" adopte l'usage traditionnel pour les titres de ne pas prendre en compte les articles définis (le, la, les, l'). La remarque va s'appliquer aux notices suivantes : "Eclatante victoire de Sarrebruck (L')", "Effarés (Les)". Cependant, aucune notice en ce qui concerne le dizain "L'Enfant qui ramassa les balles..." ne figure à la lettre E. Etant sûr d'avoir déjà lu cette notice, je me suis reporté à la lettre "L", mais les premières notices ont réussi à m'inquiéter sur l'avenir de ma recherche.
La première notice pour la lettre "L" est en fonction d'un incipit : "L'air léger et charmant de la Galilée..." Ce n'est pas une notice à proprement parler, mais un renvoi à une notice général sur un ensemble de textes sans titre authentique : "Proses dites 'évangéliques' ". Toutefois, le principe semble bien de différencier les titres authentiques et les mentions d'incipit par défaut. Dans le cas des incipit, l'article défini est pris en compte dans le classement alphabétique. Le problème, c'est que la suivante notice fait une entorse à ce principe : "L'étoile a pleuré rose..." Ce quatrain de Rimbaud n'a aucun titre connu, la mention de genre "Madrigal" n'est pas attestée en tant que titre à part entière, rappelons-le. Il semble donc avoir été correctement rangé à la lettre "L", puisque le poème est référencé par le biais de son "incipit". Cela vaut encore pour la notice suivante qui traite du monostiche de Ricard : "L'humanité chaussait le vaste enfant Progrès..." [sic]. Tout a l'air d'être pour le mieux, sauf que la mention "L'Enfant qui ramassa les balles..." aurait dû précéder les notices sur "L'étoile a pleuré rose..." et "L'humanité chaussait..." Les notices suivantes à la lettre L remontent à la suite "La" pour "Labarrière" et reprennent alors le défilement alphabétique : Laforgue, Lamartine, Langue,... On peut penser que les mentions à partir de l'incipit sont rassemblées au début de la section "L" du Dictionnaire. Pourtant, dans la "Liste des articles par auteur", l'incipit du poème a bien été référencé. Or, si nous poursuivons la lecture des notices à la Lettre "L", nous finissons bien par trouver la notice en question, sauf qu'elle ne répond pas visiblement au même principe de rangement alphabétique que "L'étoile a pleuré rose..." et quelques autres.
Dans le même cas, je relève le renvoi pour "Le Loup criait...", un autre renvoi un peu vain : "Le Juste restait droit..." qui désigne le poème "L'homme juste" en tant que fragment, les notices du sonnet "Les anciens animaux...", du dizain : "Les soirs d'été..." et le renvoi "Loin des oiseaux..." à "Larme". Au passage, cela me fait envisager qu'il doit manquer le renvoi "La rivière de cassis..." au poème intitulé "La Rivière de Cassis".
Je rappelle que Vaillant, Frémy et Cavallaro pouvaient s'appuyer sur deux exemples antérieurs, les dictionnaires de Baronian et Jeancolas. Et, ô surprise, l'anomalie "viendrait" directement du dictionnaire de Baronian en 2014 où les deux premières notices à la lettre "L" sont "L'Etoile a pleuré rose..." et "L'Humanité chaussait..." Plus loin, dans le Dictionnaire dirigé par Baronian, toujours à la lettre L, nous avons des renvois "Le Juste restait droit..." pour "Homme juste (L')" et "Le Loup criait sous les feuilles..." pour "Délires II", et puis plus loin encore nous avons un renvoi "Les anciens animaux saillissaient..." pour "Stupra (Les)" et une notice "Les soirs d'été...", et nous avons ensuite le renvoi "Loin des oiseaux..." pour "Larme", alors que nous sommes toujours en souffrance d'un renvoi "La rivière de cassis..." pour "La Rivière de Cassis".
Cependant, même si je ne l'ai pas anticipé, je comprends le procédé appliqué par Baronian dans son dictionnaire. Il assimile le signe de l'apostrophe dans l'article défini à un signe graphique qui va passer avant les lettres de l'alphabet. Ce principe semble avoir été adopté dans le Dictionnaire Rimbaud de 2021 avec même l'ajout du renvoi : "L'air léger..." devant les notices "L'étoile a pleuré rose..." et "L'humanité chaussait..."
Les autres mentions d'incipit à la lettre "L" sont ensuite rangées en fonction de l'alphabet, mais il va néanmoins demeurer une exception : "L'Enfant qui ramassa les balles..." dont la notice a pourtant été rédigée par l'un des codirecteurs de l'ouvrage, quelqu'un qui a un rôle à jouer dans l'harmonisation de l'ensemble. Est-ce que Yann Frémy lui-même a mal répertorié cet "incipit" dans le Dictionnaire ? Après le "L", nous avons bien le signe d'une apostrophe qui aurait dû demander de ranger la notice devant celle consacrée au quatrain "L'étoile a pleuré rose...", puisque le "n" passe avant le "t": "L'ét..." contre "L'en...".
Pour information, la notice de Guyaux sur ce dizain dans le Dictionnaire dirigé par Baronian est rangée à la lettre "E" sous la forme "Enfant qui ramassa les balles (L')", ce qui pose à l'ouvrage de 2014 son propre problème d'harmonisation des notices.
Maintenant que nous avons une explication à ce rangement, ne perdons plus de temps et épluchons la notice elle-même. Nous savons que Frémy a tendance à affirmer ce qu'il conviendrait de démontrer : la lacune aberrante d'une virgule dans une énumération au premier de "Voyelles" est un fait exprès de Verlaine, pourtant simple copiste, ou bien le mot "outils" est substitué au mot "autels" pour rendre la lecture de "Mauvais sang" beaucoup plus compliquée. Je cite donc des extraits significatifs de sa notice sur "L'Enfant qui ramassa les balles..." au plan de l'attribution du poème à soit Rimbaud, soit Verlaine :
[...] Verlaine et Rimbaud inscrivent dans l'album personnel de Félix Régamey deux poèmes en miroir [...]
Objectivement, il n'est question que d'inscriptions, mais, à défaut d'avertissement, le lecteur va en inférer qu'un poème est de Verlaine et l'autre de Rimbaud. A moins d'être prévenu sur le problème d'attribution qui concerne ce dizain, personne ne va se douter que Rimbaud pourrait ne pas être l'auteur d'un quelconque de ces deux poèmes.
Je poursuis les citations :
Les deux pièces forment un diptyque (2002 : 570) [...]
Le nom de Murphy n'apparaît pas, mais nous verrons plus bas que la référence le désigne. Murphy est donc mis une première fois en avant.
Je poursuis les citations :
Les deux en-têtes (et même tout l'encadrement graphique) peuvent être de la main de Verlaine, la caricature du Prince impérial dans les nuages étant assez proche d'un autoportrait de Verlaine en ange ailé en amont du poème "Des morts" (Régamey 1896 : 45). En outre, dans ses productions de l'Album zutique, Rimbaud a parfois laissé à des dessinateurs plus doués que lui le soin de réaliser des lettrines et des illustrations, tout en s'en chargeant à l'occasion, afin d'orner les pièces "J'occupais un wagon..." et "Je préfère sans doute..."
Je reprendrai la citation où je l'ai arrêtée, mais un commentaire s'impose. Frémy rédige son article d'une manière étrange. Il n'expose pas les données du problème au public et se lance dans une contre-argumentation immédiate sans prévenir. Il écrit que le cadre est de Verlaine, ce qui rétrospectivement doit se comprendre comme une concession. Ensuite, alors que le lecteur ignore le fond du débat, Frémy se lance dans une contre-argumentation en tant que telle. En effet, il n'a aucune raison d'écrire à cet endroit-là que Rimbaud laisse le soin à d'autres de faire des dessins autour de ses poèmes. En plus, ce qu'écrit Frémy est drôlement approximatif. Sans parler du débat qui serait nécessaire au sujet de la politique "zutique" en fait de lettrines, Frémy nous offre une réflexion un peu hésitante. Rimbaud laisse faire les autres, mais pas toujours. Quel est l'intérêt de dire ça ? La plupart des lecteurs du Dictionnaire Rimbaud ne comprendront pas le sens de cette argumentation bancale, puisqu'il n'a encore été dit nulle part qu'il y avait une querelle d'attribution du poème à Rimbaud ou Verlaine. Cela va devenir plus clair avec la suite, sauf que plusieurs lecteurs ne raccrocheront que péniblement les wagons. Citons donc la suite immédiate de cette notice :
[...] Concernant "L'Enfant qui ramassa les balles...", Rimbaud est certainement l'auteur de ce dessin exécuté avec application, qu'il a pu recopier d'après une caricature existante [...]
Je vous ai évité une référence à un ouvrage de Murphy dans la continuité de cette citation. En attendant, pourquoi Frémy n'écrit-il pas plus simplement que le cadre a été fait par Verlaine pour les deux poèmes, mais que le dessin a pu être fait par Rimbaud ? Pourquoi toutes ces comparaisons ? Pourquoi tout ce discours sur les habitudes de Rimbaud et tout ce que ces habitudes n'ont pas de systématique ? Nous nous sommes embrouillés dans des considérations qui nous ont fait perdre du temps. Notons que l'expression "certainement" est problématique. Il n'est pas absolument certain que le dessin soit de la main de Rimbaud. En fait, cette probabilité se fonde sur l'idée que, malgré l'application dans l'exécution, le trait n'est pas adroit. Or, Régamey et Verlaine savent très bien dessiner, ce qui n'est pas le cas de Rimbaud. Que le dessin ait été le fait de Rimbaud, je ne vais pas le discuter pour autant. Ce qui m'étonne, c'est que Frémy prétende que Rimbaud recopie ce dessin à partir d'une caricature imprimée, alors qu'il existe une autre hypothèse. Verlaine et Rimbaud n'ont fait que recopier des poèmes qu'ils possédaient selon un autre état manuscrit. Rimbaud a très bien pu imiter le dessin du manuscrit utilisé, et ce dessin original pourrait très bien être de Verlaine lui-même. Je ne l'affirmerai pas, je n'en sais rien, mais je trouve remarquable que dans sa notice Frémy s''échine à donner tous les gages d'une création rimbaldienne authentique. En effet, s'il imite une caricature imprimée dans un ouvrage, il sera l'auteur du report de cette caricature à proximité du poème. Rimbaud n'aurait pas inventé la caricature elle-même, mais il est consacré implicitement en tant qu'inventeur du rapprochement de la caricature avec le dizain. Et c'est toujours dans ces subtilités subreptices qu'il nous faut intervenir pour empêcher qu'on banalise certaines impressions subjectives au sujet de l'interprétation des poèmes, au sujet ici de l'attribution même d'un poème.
Enfin, en attaque d'un nouveau paragraphe, Frémy signale que l'attribution du dizain à Rimbaud est contestée, sauf que le lecteur a déjà subi un assaut d'arguments alors qu'il n'en était pas prévenu. Mais, ce qui est superbe, c'est que c'est à Murphy que revient l'honneur d'avoir soulevé le débat :
La question de l'attribution à Rimbaud de "L'Enfant qui ramassa les balles..." a été soulevée (Murphy 2002 : 570-572 et 2004:80).
Nous en sommes à peu près aux troisième et quatrième mentions bibliographiques de Murphy dans cette notice. Mais le problème est le suivant : Murphy n'a pas soulevé le problème de l'attribution. Il a voulu l'enterrer. Si ça n'avait tenu qu'à lui, le débat était clos. Murphy a affirmé que cette signature "PV" n'était pas un vrai problème philologique et il a maintenu l'attribution à Rimbaud. C'est moi, David Ducoffre, et moi seul ! qui ai dénoncé le traitement négligent de cette information capitale.
Bien sûr que je n'ai pas pu comme Murphy être le premier à signaler à l'attention cette signature "PV". Mais je vais dénoncer ici un abus. Qui a révélé cette signature "PV" ? C'est le catalogue de vente même qui a exhibé une photographie élargie du manuscrit la révélant. Murphy n'a fait que relayer l'information, et encore en la minimisant le plus qu'il lui était possible.
Et je tiens aussi à insister sur les problèmes d'antériorités. Par leurs postes universitaires ou par une sorte de reconnaissance publique pour leurs écrits, Guyaux, Murphy et Jeancolas, d'autres encore, vont être les premiers informés des ventes de documents, vont être les premiers à pouvoir les consulter directement. Il faut se calmer à un moment donné. Autant quand un chercheur a fait l'enquête pour signaler à l'attention un manuscrit il a des droits à une reconnaissance, autant dans le cas de "Famille maudite", de "Juillet" ("Platebandes d'amaranthes...") et de cette signature "PV", nous avons affaire à des revendications d'antériorités dans les mises au point qui ne sont pas légitimes. Les antériorités ne viennent pas d'une émulation entre chercheurs, mais de privilèges d'accès aux documents concernés. Dans de telles conditions, il conviendrait d'annuler toute prétention à certaines antériorités dans l'analyse. Il faut être sérieux quand même ! Ensuite, je le dis et répète ! Murphy a immédiatement contesté la portée de cette signature "PV", et j'ai voulu combattre ce refoulement le plus rapidement possible.
Cette signature "PV" ne peut guère provenir que de Rimbaud ou de Verlaine. L'idée d'une signature par Félix Régamey est toujours envisageable, mais elle est de l'ordre de la mise de Paris en bouteille. Et, à défaut d'argumentation serrée, cette signature signifie qu'au moment de la transcription, même si Rimbaud a recopié une partie du diptyque, il a été déclaré que l'invention du poème qui fait débat était verlainienne. C'est un fait philologique auquel on ne peut pas passer outre, et c'est pourtant ce qu'ont fait Murphy, Guyaux, Lefrère, Frémy et plusieurs autres !
Or, dans ce même Dictionnaire Rimbaud, Murphy s'est prononcé à nouveau sur la question de l'attribution de ce dizain, mais avant d'en parler, je poursuis mes relevés dans la notice de Frémy.
Des arguments existent en faveur d'une paternité verlainienne. D'abord, les souvenirs de Félix Régamey plaident pour une attribution des deux ensembles à l'aîné : "A me voir peindre et dessiner, l'inspiration s'empare de Verlaine, et... mon album s'enrichit de deux perles [...]"
Il va de soi que ce premier argument est fragilisé par l'idée que les deux poèmes ont été composés sous le coup de l'inspiration, ce qui n'est pas concevable, mais au-delà de ce manque de prudence il est tout de même affirmé que les deux poèmes sont de Verlaine. Pourquoi Verlaine aurait-il caché à Régamey qu'un dizain était de Rimbaud si tel était le cas, puisque Régamey a dessiné Rimbaud endormi et a témoigné sur le passage des deux compères ? Qui plus est, j'observe que la mention "l'aîné" est tendancieuse dans le texte de Frémy, car elle fait de Rimbaud un cadet qui reste dans l'ombre du grand frère.
Frémy ne se fait pas faute d'épingler l'idée d'inspiration subite. Les deux poèmes ont forcément été composés plus tôt. Vient alors l'argument le plus difficile à contester, la signature "PV". Voici comment Frémy escamote la difficulté :
Ensuite, le manuscrit de "L'Enfant qui ramassa les balles..." comporte en son coin inférieur droit les initiales "P V". Toutefois, l'écriture du second poème est bien celle de Rimbaud et ces initiales ont pu être inscrites par Régamey lui-même (Murphy 2009:80). Même si elles l'ont été par Verlaine, elles ne sauraient constituer une contre-signature venant après la signature de Coppée. Comme dans le cas du Sonnet du Trou du Cul, nous serions donc face à un cas d'écriture collaborative, non plus dans le "partage" du même poème (les quatrains pour l'un, les tercets pour l'autre), mais selon une logique de répartition des deux volets du diptyque [...]
Il faut appeler les choses par leur nom. Frémy est dans le déni et la mauvaise foi. Vous constaterez qu'à nouveau Murphy est mentionné comme référence dans le débat. Murphy a-t-il débattu tout seul ? Vous avez la preuve qu'on a affaire à un disciple qui rend sans arrêt sa révérence au maître. Ensuite, vous avez une manière cavalière de se débarrasser du problème. Régamey a signé "PV" à la place de nos deux poètes et s'est trompé. Il suffit d'affirmer ce qu'on veut croire. La phrase suivante, particulièrement mal rédigée, a l'air d'envisager l'hypothèse inverse : car cette phrase ferait en soi un argument pour dire que la signature "PV" est bien la signature de l'auteur revendiqué du poème, mais relisez plusieurs fois l'extrait et vous verrez bien que cette phrase est insérée n'importe comment dans l'ensemble. Elle n'a donc pas tout son relief d'argument en sens inverse et ce qui le prouve c'est l'enchaînement immédiat avec la phrase suivante et sa conjonction de coordination "donc" pour affirmer que Verlaine et Rimbaud ont composé chacun un dizain. En réalité, avec un manque d'articulation patent des idées, Frémy fait se succéder une phrase pour dire qu'il s'en moque de la signature "PV" si le poème est recopié par Rimbaud, puis que la signature "PV" ne veut pas dire que le dizain est une parodie de Coppée par Verlaine (?????), et enfin que les poètes se sont partagés le travail : un dizain chacun. Si vous comprenez les liens logiques qui font tenir la ficelle de ces phrases entre elles, moi pas.
Je ne vous cite pas la suite de la notice : Rimbaud aurait une affection particulière pour le thème du Prince Impérial, il comparerait même son âge avec le sien (1854 pour Rimbaud, 1856 pour le Prince Impérial, cela nous rappelle des débats d'une stupidité confondante sur le rapprochement entre la date de naissance de Rimbaud en 1854 et celle du maréchal Pétain en 1856, car je vous assure qu'il y a eu des gens pour se dire que Rimbaud était contemporain du maréchal Pétain, si si je vous assure).
Et, évidemment, à la façon de Lefrère sur une photographie d'Isidore Ducasse, il vient un moment où l'auteur de la notice en a assez du débat et affirme que nous avons affaire à un "poème rimbaldien", et il va le commenter d'autorité dans cette perspective.
Ce que fait Frémy s'autorise de tout ce qui a déjà été publié par Guyaux (notice dans la Pléiade en 2009, mais aussi notice dans le Dictionnaire Rimbaud dirigé par Baronian), Lefrère et Murphy lui-même. Les rimbaldiens ont décidé de dauber cette signature "PV". Or, dans ce Dictionnaire Rimbaud de 2021, où les notices ont d'ailleurs très souvent un format bâtard entre la notice de dictionnaire et le démarrage d'article universitaire classique, il est d'autres contributeurs qui évoquent le dizain "L'Enfant qui ramassa les balles..." C'est le cas pas exemple de Denis Saint-Amand, en charge de la notice sur François Coppée. Il écrit ainsi à la page 180 du Dictionnaire :
En visite chez Félix Régamey à Londres, Verlaine et Rimbaud prolongeront la logique de parodie coppéenne en recopiant dans l'album du peintre deux "Vieux Coppées", dont le dizain satirique ("L'Enfant qui ramassa les balles...") conclu par l'explicit " 'Pauvre jeune Homme, il a sans doute l'Habitude !' "), citation explicite du Passant [...]"
Je n'emploie pas personnellement le mot "explicit" et j'ai des doutes sur sa pertinence notionnelle, mais peu importe. Rimbaud est clairement impliqué en tant qu'auteur du diptyque.
Le dizain n'est pas convoqué par Adrien Cavallaro dans sa notice au sonnet "L'Eclatante victoire de Sarrebruck", il l'est en revanche par Hisashi Mizuno au sujet de l'énigme du poème "H" et l'attribution à Rimbaud est inévitablement affirmée : "Rimbaud utilise le terme 'habitude' au sens de masturbation" (page 329).
Je ne vais pas me lancer dans une recherche d'allusions à ce poème dans toutes les autres notices. Il me reste maintenant à citer Murphy lui-même pour une notice sur le "Prince Impérial" qui imposait de revenir sur ce dizain. Je cite :
Reste "L'Enfant qui ramassa les balles...", dizain de l'album Régamey qui cite in fine Le Passant de Coppée, comme l'a relevé André Guyaux. Cet éloge de la part d'un poète jugé complice du régime impérial serait comme un lapsus filé, imputant à l'Enfant une impuissance militaire et de mauvaises habitudes. La publication d'un fac-similé complet du manuscrit comportant les initiales "P V" signifie que l'attribution de ces vers suscite des interrogations qu'on a parfois balayées sous le tapis. David Ducoffre conclut qu'il faut attribuer le dizain à Verlaine ; d'autres maintiennent l'attribution à Rimbaud sans lui opposer une véritable argumentation. Le débat n'est pas clos, encore faut-il le poser.
Le son de cloche est différent désormais. Enfin, il est avoué que l'attribution pose problème. Toutefois, même cet extrait de Murphy est entaché d'une certaine mauvaise foi. Sans revenir sur le fait que le poème est de toute façon mobilisé dans une étude du traitement du "Prince Impérial" comme motif dans les poésies de Rimbaud, Murphy trouve pertinent d'écrire que la signature "PV" soulève des interrogations. Non ! La signature "PV" vaut attribution explicite du poème à Verlaine. Il y a donc bien un nouvel escamotage dans l'article présent de Murphy. Bien sûr que, dans un second temps, nous pouvons nous interroger, mais à condition d'acter que la signature "PV" vaut attribution du poème à Verlaine. Cela, Murphy n'arrive même pas à l'admettre ! Et c'est d'autant plus piquant qu'il reproche ensuite aux rimbaldiens de balayer le problème sous le tapis ou de n'avoir aucune argumentation à m'opposer. Mais ça ne s'arrête pas là, puisque Murphy se permet d'écrire que le débat n'a même pas encore été bien posé, et vu la construction de son texte je suis bien sûr inclus dans le fait de ne pas avoir clairement posé le débat.
C'est impressionnant de mauvaise foi.
Je rappelle que, dans sa notice, Frémy argumente en s'appuyant quelque peu sur une inversion de l'ordre chronologique des révélations. Le poème a d'abord été attribué à Verlaine sur la foi du témoignage de Régamey. Ensuite, une photographie des seuls vers manuscrits du dizain "L'Enfant qui ramassa les balles..." a révélé que le poème avait été recopié par Rimbaud, ce qui fait que l'attribution du poème est passée de Verlaine à Rimbaud, malgré des réticences exprimées par Bouillane de Lacoste habitué à lire ce poème comme étant de Verlaine. Enfin, une nouvelle photographie du manuscrit a révélé la signature "PV", et Murphy, le tout premier, a refusé de la prendre en considération. Il a refusé sa prééminence en tant qu'argument philologique au profit de l'argument de la copie manuscrite par Rimbaud. A cette aune, Murphy devrait défendre l'attribution du "Bateau ivre" à Verlaine, puisque nous n'en connaissons pas de transcription autographe, et puisque le témoignage de Régamey ne valant rien celui de Verlaine dans Les Poètes maudits ne vaudra rien également.
Le débat est clairement posé, c'est celui de la prééminence d'un argument philologique, la signature "PV", argument secondairement renforcé par un témoignage d'époque de Félix Régamey, le propriétaire initial des deux transcriptions manuscrites.
Rimbaud n'aurait fait que recopier le poème.
Il est vrai que, dans l'absolu, on peut imaginer bien des hypothèses pour soutenir que le poème serait en effet de Rimbaud, mais ces hypothèses sont invérifiables, alors que la signature "PV" et le témoignage de Régamey sont des réalités convergentes imparables.
Il faudrait démontrer que la signature "PV" a été faite par Régamey, ce qui est improbable et en même temps rendu difficile par le problème d'accès à un manuscrit qu'en plus on n'acceptera pas volontiers de détériorer pour faire une enquête par prélèvement. Peut-on seulement constater de visu une différence d'encrage ? Est-il si impossible que ça d'évaluer si les deux lettres sont plutôt de Régamey, plutôt de Verlaine ou plutôt de Rimbaud ?
Et si la signature est soit de Verlaine, soit de Rimbaud, comment les rimbaldiens vont-ils pouvoir consolider l'hypothèse selon laquelle Verlaine et Rimbaud auraient fait exprès de ne pas révéler à Régamey que Rimbaud était pour partie un auteur du diptyque en question ?
Démontrer cela par le style n'est pas évident, les arguments sont rapidement envisagés comme étant subjectifs. Or, la seule chose que Murphy et les rimbaldiens veulent entendre, je vais vous la donner, puisqu'ils ne sont même pas capables de produire efficacement leur propre argumentation. L'idée est la suivante, Rimbaud a composé un sonnet dont le dernier vers est une citation de Molière dans "Le Châtiment de Tartufe", mais l'argument peut facilement être fragilisé, au vu d'exemples dans l'Album zutique même, mais surtout Rimbaud a évoqué la scène du Prince Impérial sur le champ de bataille dans "L'Eclatante victoire de Sarrebruck", cette escarmouche étant la source de l'anecdote sur le prince qui ramasse courageusement une balle sur le sol, et Rimbaud a ensuite pratiqué l'équivoque sensible sur le sens obscène du mot "Habitude" bien plus tard dans le poème en prose des Illuminations intitulé "H". Et il faut ajouter le jeu de mots sur "Enghiens chez soi" dans le sonnet "Paris" de l'Album zutique. Les rimbaldiens ne veulent entendre que cela. Le dizain concentre des motifs que Rimbaud a exhibés dans d'autres poèmes, donc le dizain doit forcément être de lui. Voilà ce qu'ils veulent entendre. L'ironie, c'est que c'est moi qui formule avec le plus de force les arguments qui peuvent flatter leur conviction. Mais, la vérité, c'est que ça reste indémontrable, un article de foi, que cela peut se contester, tandis que la signature "PV" demeure insolente, mais pour que la plupart des rimbaldiens se déprennent de leurs habitudes, vous pouvez toujours attendre...
Vous m'accorderez qu'il vaut mieux que je prenne bien le temps de faire un sort à ces sujets qui m'irritent au plus haut point au lieu de précipiter une fin de compte rendu sur le Dictionnaire Rimbaud qui serait informe et indigeste.
RépondreSupprimerDans tous les cas, on est dans le sujet. Je traite par le menu un détail, un micro-événement, quelque chose qui n'est pas l'enjeu essentiel des études rimbaldiennes, mais le mécanisme que je décris est révélateur pour tout le reste et la gravité de plomb qui est mise par les rimbaldiens à s'enferrer dans leurs convictions et à refuser de citer une contestation est un révélateur inquiétant qui apprend à se méfier de toutes les notices expertes sur des sujets compliqués et beaucoup plus tributaires de la subjectivité des arguments. Je ne vais pas dire : "le diable se cache dans les détails", mais l'idée que le détail que je mets à la loupe en apprend beaucoup pour l'édification du lecteur est bien là.