Il y a quelques jours je finissais un article en écrivant qu'une consultation de la notice du Dictionnaire Rimbaud aux éditions Classiques Garnier allait peut-être me déleurrer, je citais Rimbaud évidemment. Mais je me doute que vous n'aviez pas cette notice en tête et que vous ne la connaissez pas forcément.
Ce n'est pas grave, je vais y remédier. En fait, c'est une notice rédigée par Jean-Pierre Bobillot qui ne cite quasi rien en notes bibliographiques au-delà des articles de Bivort et Murat, et surtout son texte est un déni entier de l'intérêt de lire la poétesse pour y trouver une source aux poésies rimbaldiennes.
Mais, faisons d'une pierre deux coups, je vais aussi me pencher sur Une saison en enfer et du coup sur le problème des références bibliographiques plus anciennes... Je pense qu'il serait piquant de citer les comptes rendus, notamment celui de la revue Parade sauvage, puisque ce dictionnaire n'est qu'une expansion de la revue, même si certains contributeurs penseront que ce n'est pas le cas.
Je commence par vous plonger dans l'avant-propos. Je vous fais un petit bouquet de citations : "Les dictionnaires d'auteur [...] sont l'occasion de dresser un bilan des connaissances accumulées au fil du temps, et d'opérer un tri indispensable, dans la masse des contributions successives", "privilégier l’œuvre elle-même : le repérage des textes, leur génétique, leur interprétation", "Le geste critique, par ailleurs, n'exclut en rien la précision d'une information factuelle qui demeure a minima indispensable, et exigible d'une entreprise comme la nôtre", "La vocation qu'embrassent les notices sur l’œuvre est ainsi dans la mesure du possible, celle du bilan critique", "un tel dictionnaire doit servir aussi à ordonner et à hiérarchiser la masse surabondante des gloses rimbaldiennes", "souhaitable d'aspirer à un certain consensus critique", "un soin tout particulier a été porté à l'information bibliographique", "une sélection de références jugées les plus pertinentes", "une bibliographie générale dont vous avons faire un véritable instrument de travail et de référence".
On sait ce que je pense de la sélection bibliographique à certains égards, mais ici on va traiter d'éléments différents et qui ne sont même pas polémiques, mais qui sont en tout cas très contrariant en regard de la belle ambition affichée.
Il y a une prétention donc à faire le bilan de ce qui s'est construit dans le temps, et cela passe par un tri déclaré indispensable, sauf que certaines vieilleries comme dirait Rimbaud traînent dans le bilan critique et comme un tri a été opéré dans ce qu'il fallait conserver ou non du passé les rimbaldiens sont donc mis dans l'impasse. La remise en cause de vieilles lunes persistantes passe par un retour aux livres qui ont fait l'histoire du rimbaldisme, alors que ce dictionnaire prétend que le temps est venu de ne garder que les résultats du passé sans refaire leur cheminement pour éprouver la solidité des fondations...
Je prends la bibliographie générale et je constate que les éditions critiques de Bouillane de Lacoste sont référencées, mais perdues dans la masse, et comme Bouillane de Lacoste ne traite pas de l'interprétation, mais de l'établissement du texte et surtout fait un état des publications antérieures, cela aurait dû profiter au Dictionnaire Rimbaud. En clair, ils ont mis en bibliographie des ouvrages qu'il n'ont pas vraiment lus.
On parle de factualité de l'avant-propos : d'où vient la correction "mène" imposée à l'édition originale d'Une saison en enfer ? Je vais aller voir les notices sur Berrichon et Bouillane de Lacoste au cas où.
Le livre de Clauzel Rimbaud et Une saison en enfer de 1931 n'est pas référencé, tandis que la plaquette L'Agonie du poète est cité en queue de comète des ouvrages du colonel Godchot.
La notice "Berrichon" est due à la plume d''Alain Bardel qui, avec la mesure d'un balancier, sait faire la part des choses et garder un juste-milieu, on reproche à Berrichon d'avoir falsifié des lettres du poète et même des poèmes, mais on lui doit aussi des éditions. Je note qu'il lui est reproché explicitement des falsifications de poèmes. Il a "confectionn[é] des versions inédites de poèmes de Rimbaud en mélangeant plusieurs versions de manière totalement arbitraire." La notice s'attarde sur la biographie, mais pas sur le travail éditorial. C'est bien dommage, vous le savez maintenant qu'on a traité de la correction "mène". Ceci dit, à bien y réfléchir, je ne sais pas trop si on peut lui reprocher de mélanger les versions connues des poèmes entre elles à l'époque, puisqu'il a fallu visiblement arriver à une certaine maturité de la critique littéraire pour exiger qu'on distingue les versions les unes des autres. En revanche, il falsifie la correspondance, invente des éléments, et Bardel dénonce des "inventions pures et simples" dans la biographie. Or, l'édition critique d'Une saison en enfer par Bouillane de Lacoste dénonce des inventions pures et simples dans l'établissement des textes.
Vous aimez Rimbaud, vous lisez ce dictionnaire, mais jamais vous n'imaginez que le texte que vous lisez peut porter l'empreinte de manipulations de Berrichon demeurées indemnes.
Ce "mène", c'est du Berrichon. Et, puisque la notice sur Berrichon a été confiée à Bardel et que Bardel dénonce les "inventions pures et simples" de Berrichon, je vous rappelle que Bardel a publié récemment un livre sur Une saison en enfer et qu'il a un site Arthur Rimbaud où il fournit sur internet un établissement critique des textes (j'ai relevé des erreurs à différents endroits) et donc je vous invite à consulter ce site où vous avez sur la page d'accueil la publicité pour son livre avec une photographie de sa première de couverture et puis vous allez dans la section "Tous les textes" et vous consulter le passage qui nous intéresse de "Mauvais sang".
Sur cette page du site, vous avez le texte de "Mauvais sang" avec justement la fameuse leçon "outils". Dans les notes sur la marge gauche, Bardel cite ma dénonciation d'une coquille pour le mot "autels" ce que dédaigne Bardel qui ne semble citer cela que parce que Guyaux l'a reportée dans l'édition de La Pléiade : "David Ducoffre estime évidente l'erreur de lecture du typographe". Ben, tous les gens intelligents estiment évident qu'il y a eu erreur de lecture du typographe. Puis, bonjour au Rimbaud : "oh alors aujourd'hui je vais remplacer autels par outils, et j'ai hésité à partir dans une autre direction : "les totems les armes, au départ je voulais écrire heu ! parce que je fais publier ça en Belgique les schtroumphs, les tintins..."
Il y a un moment...
En tout cas, autre point d'un infini comique, c'est que Bardel n'imprime pas la leçon contrariante "même", mais il reconduit la leçon "mène" de celui à qui il a reproché de ne pas respecter la lettre des poèmes qu'il publiait, de ne pas respecter les versions distinctes des poèmes carrément ! Celui à qui il a reproché des "inventions pures et simples" !*
Et le plus drôle, c'est que par les accidents de la mise en ligne, la note sur "les outils" est pile à la hauteur de la ligne non commentée : "Après, la domesticité mène trop loin."
Je reviens au Dictionnaire Rimbaud, il n'y a pas de notice sur Bouillane de Lacoste, alors qu'il y en a eu une sur Yves Bonnefoy. D'accord !
Pour "Vierge folle", il faut consulter la notice "Délires I". A noter que selon Bouillane de Lacoste, il n'existe pas de titres "Délires I" et "Délires II", il dénonçait cette pratique en considérant que le titre commun est "Délires" et qu'un texte est numéroté I et l'autre II, mais peu importe.
La notice sur "Délires I Vierge folle" est due à Yann Frémy qui a rédigé une thèse sur Une saison en enfer, puis qui a publié des fragments de sa thèse sous forme d'articles pendant quelques années et qui a fourni une version remaniée de sa thèse aux Editions classiques Garnier avec le livre Te voilà, c'est la force, Yann Frémy. Ce livre n'est pas identique à la thèse dans mon souvenir, puisque je l'ai lue sur microfiches en partie.
Il y a une notice bibliographique conséquente, mais le livre de Clauzel de 1931 n'y est nullement cité. Frémy a le mérite de ne pas confondre la Vierge folle avec l'identification biographique à Verlaine, mais il ne revient pas sur un débat interprétatif qui fait partie de l'histoire des études rimbaldiennes, avec le livre de Clauzel, mais aussi Adam, Ruff et d'autres qui voyaient la Vierge folle comme un double de l'âme de Rimbaud. Là, il y a une mise au point qui n'est pas affrontée, peut-être parce que l'idée du double est considérée comme dépassée et inutile.
Et nous arrivons enfin à l'article sur Desbordes-Valmore !
Il a été composé par Jean-Pierre Bobillot et sur ce beau billot allons poser nos têtes.
La note bibliographique tient en trois études, celle de Bivort en 2001, celle de Murat acte d'un colloque de 2002 publié en 2004 et un article de Cavallaro sur le texte des Poètes maudits. La notice est assez brève et clame à qui veut l'entendre que Rimbaud n'en avait rien à faire de la très verlainienne Desbordes-Valmore. Je cite : "Verlaine crédite Rimbaud" (verbe tendancieux), "Et comment se fait-il qu'on ne la trouve nulle part mentionnée sous la plume de Rimbaud ?" "Ce lyrisme [...] ne pouvait que résonner en Verlaine [...] mais Rimbaud ?", "ces qualités bien peu rimbaldiennes", "Comment, dès lors, soutenir que Rimbaud ait pu trouver là le modèle de ses propres hendécasyllabes [...] ?"
On rappelle que dans l'avant-propos il était précisé que les articles s'ils portaient l'empreinte personnelle des auteurs n'était publiée que si le discours était admissible.
Je vous laisse juger de l'énormité du plantage !!!!!!!!!! Comment ils vont faire oublier l'existence d'un article pareil ?
Au nom de quelle logique en bois Rimbaud ne peut se réclamer du modèle valmorien parce que ses vers sont directement différents en ce qui concerne la césure ?
Mais comment on peut aller aussi vite en besogne ? C'est sûr que ça me dépasse.
Quelques coquilles dans l'article, mais j'avoue que "Te voilà c'est la force, Yann Frémy" tout en italique, je l'ai fait exprès.
RépondreSupprimerJe remarque que j'attaque d'emblée sans dire que je parle de la notice sur desbordes-valmore, bouah ! pas grave !
Je suis sur plusieurs travaux à la fois et donc sur Desbordes-Valmore, je lis évidemment les recueils délaissés par Sainte-Beuve en commençant par "Pauvres fleurs" qui s'ouvre par "La Maison de ma mère" et qui contient "Fleur d'eau" et "Sol natal", ce qui réunit trois poèmes cités par Murat comme sources pour Rimbaud, alors qu'absents du recueil de Sainte-Beuve. Je ferai Bouquets et prières, et Poésies inédites ensuite, puis je reviendrai à Les Pleurs, et enfin je démêlerai tout ce qu'il y a à démêler de 1819 à 1830.
Pour l'instant, je me garde certains éléments de côté, mais avant Pauvres fleurs il y a déjà très peu de poèmes en vers de moins de six syllabes, surtout si on écarte les poèmes sur plusieurs mesures brèves. Il y en a, mais peu. Il faut ajouter les strophes en vers courts au milieu de poèmes longs dominés par l'alexandrin.
Oe, juste après "La Fleur d'eau", on a le poème "Une âme" en trois huitains de vers de cinq syllabes avec à chaque fois les trois mêmes derniers vers, le vers 5 de chaque huitain a toujours "âme" à la rime. Ce poème est aisé à rapprocher de "Âge d'or" ce qu'accentue les phrases interrogatives.
On a la succession Dormeuse vers de cinq syllabes, conclusion de l'anthologie beuvienne, et Ma fille en vers de quatre syllabes. "Ne fuis pas encore" est en vers de cinq syllabes. Dans Albertine un passage en vers de 3 syll. On a l'Ave Ma
(bug, tant pis)
SupprimerOn a l'Ave Maria avec un refrain en vers de cinq syllabes et une strophe couplet en vers de six syllabes, faible différenciation et alternance musicale sensible du refrain. Un modèle encore pour Fêtes de la faim, et pour la version "Alchimie du verbe" de "Chanson de la plus haute tour". Le "on prie La Vierge Marie" fait d'ailleurs écho à la rime du présent refrain "Maria"/"pria" et l'expression pour la prière "Notre-Dame" revient dans les poésies de Marceline, ainsi que la rime vie/asservie. Le verbe exhaler ne revient pas tout le temps, mais il est significatif, j'en parlerai bientôt, mais pas d'exhaler dans ce Ave Maria.
D'évidence, la relation des Fêtes de la patience à la poésie valmorienne va s'approfondir dans de prochaines recensions. "Larme" et "Mémoire" sont eux aussi évidemment au centre de l'attention. Tout ça suit son cours.