Je poursuis les mises au point.
A partir du site wikisource, il es possible de consulter rapidement les formes prises par les recueils de la poétesse douaisienne. Je me suis également reporté à l'article de Michel Murat pour améliorer la mise au point.
Rimbaud a dit à Verlaine qu'il était question de lire tout Marceline Desbordes-Valmore, mais Murat part de l'idée qu'il y a deux acquis : la romance "C'est moi" et le poème "Rêve intermittent d'une nuit triste", puisque Rimbaud cite un vers de la première romance et Verlaine reprend une rime et sa mesure de onze syllabes à l'autre.
A cette aune, il suffit que Rimbaud ait lu l'anthologie préparée par Sainte-Beuve et le recueil des Poésies inédites.
Or, il y a plein de lacunes dans l'article de Murat.
Prenons la formule attribuée à Rimbaud "tout lire". Murat a remarqué que dans un poème, Desbordes-Valmore pratique précisément cette mise en relief, non au moyen des italiques, mais par un rejet à l'entrevers dans un poème en alexandrins avec une scène de lecture en famille, et la petite Inès veut "qu'on lise / Tout !" Il est question d'une lecture de Cendrillon. Murat fournit une référence qui est la page d'une édition de 1973 des poésies de Desbordes-Valmore par Marc Bertrand. Mais quel est le titre du poème ? Comment je fais pour retrouver ce poème rapidement dans d'autres éditions ? Même avec les mots clefs sur Google, je ne trouve pas au quart de tour. J'ai déjà lu l'article de Murat il y a vingt ans, ainsi que les poésies complètes de Desbordes-Valmore, mais là la recherche est à reprendre.
Je passe un temps infini à retrouver les références, c'est pénible.
Maintenant, je reviens à une phrase rapide de Murat. La première édition de l'anthologie de Sainte-Beuve date de 1842, la deuxième de 1860, la troisième de 1872. En clair, les trois dates ont leur importance !!!
L'année 1842 explique pourquoi il n'y a aucun poème cité du recueil Bouquets et prières dans l'anthologie beuvienne, puisque le recueil date de l'année suivante 1843. Et alors que l'édition de 1860 a été augmentée, elle ne l'a pas été par le report de poèmes du recueil de 1843. Comme d'habitude, je me coltine tout le travail des universitaires, jusqu'aux tâches les plus ingrates.
Ils sont payés à quoi les universitaires, et les étudiants qui font des mémoires c'est quoi la qualité de leurs contributions ? Vous réalisez l'étendue du boulot que j'abats à moi tout seul. Rimbaud n'est qu'un poète du XIXe, mais je traite aussi de Verlaine qui en est un autre et là de Desbordes-Valmore, en sachant qu'on est en pleine vague de féminisme avec des publications à tout va de tous les ouvrages de femmes écrivains. Je les vois les titres en libraire et au programme officiel du lycée.
Vous faites quoi comme travail ? ça vous prend combien des temps ? Vous vous dites des gens organisés, matures, adultes, sérieux, consciencieux, appliqués ! Vous rigolez ? Vous avez des gens qui travaillent dans les bibliothèques universitaires, vous avez plein d'universités sur tout le pays, avec un renouvellement annuel d'un certain nombre d'étudiants en lettres, vous avez des chercheurs internationaux qui viennent en renfort, et vous me laissez moi faire que vous daubez superbement faire tout le travail de compilation des données. C'est hallucinant !
Donc le volume de Sainte-Beuve date de 1842, il est remanié en 1860 avec de nouveaux apports, mais aucun en provenance du recueil de 1843. Murat précise que la poétesse n'a pas participé au recueil établi par Sainte-Beuve en 1842. Mais, la troisième édition de 1872 nous intéresse aussi et il conviendrait de préciser le mois précis de sa mise en vente ! A-t-elle été augmentée ? Et si elle a été publiée en décembre 1871 ou dans les premiers mois de 1872, on aurait une actualité en phase avec le virage poétique de Rimbaud et Verlaine à ce moment-là. Puis, on peut se demander ce qui est sorti dans la presse lors de la mise en vente de cette troisième édition.
Pour l'instant, le plus naturel est de prendre pour support l'édition augmentée de 1860. On se rappelle l'inénarrable Bernard Teyssèdre qui me reprochait de citer la version remaniée des Nombres d'or plutôt que l'édition originale dans le cas de Belmontet... Il croyait me tacler, il tombait tout seul à terre.
Je reviens sur le recueil de 1830 également. Sainte-Beuve, en 1842, a publié essentiellement des poèmes des deux recueils de 1830 et 1833, et un petit prélèvement du recueil de 1839 Pauvres fleurs.
Le recueil de 1833 s'intitule Les Pleurs et a son unité propre, mais le recueil de 1830 est particulier. Il reprend des poèmes parus auparavant, ce que je ne comprenais pas clairement avec l'édition de 2007 de Marc Bertrand (édition qui reprendrait dans quelle mesure identique celle de 1973?).
Or, Murat précise que la romance "C'est moi" a été publiée dans le recueil de 1825 et qu'elle était assez connue, et mise en musique. J'avais manqué la marche, mais vous allez voir que ça a son importance...
Du coup, ni une ni deux, conscient d'avoir manqué quelque chose, je consulte le sommaire du recueil de 1825 sur Wikisource.
On peut lire le recueil sur une seule page, le recueil s'intitule Elégies et poésies nouvelles. Il a une subdivision par genres poétiques : "Elégies", "Idylles", "Romances", "Contes" et "Poésies diverses".
En clair, j'apprends deux choses. Le recueil de 1830 reprend une formule déjà éprouvée de classement : "Elégies", "Idylles", "Romances" et Sainte-Beuve emboîte le pas à l'édition de 1830, mais j'apprends qu'il s'inspire aussi directement du recueil de 1825 qui avait une catégorie "Contes" et je relève la section "Poésies diverses".
Dans son édition de 2007, Marc Bertrand utilise n'importe comment les titres "Poésies diverses", "Poésies inédites" et "Poésies posthumes". Il y a bien un emploi de caractères plus grands pour les titres de recueils eux-mêmes, mais on ne sait jamais clairement si "Poésies inédites" c'est une section de poèmes jamais sortis en recueils. Il change le titre de recueil Poésies inédites en "Poésies posthumes", ce qui n'a même aucun sens au plan biographique, puisque la poétesse a de toute façon préparé le volume à temps pour sa publication.
Je passe un temps fou à rétablir les faits. Je n'ai pas envie de m'affaiblir les yeux à tout lire directement sur internet.
J'en ai tellement marre.
Bref !
Evidemment, on comprend, ce que je soupçonnais déjà il est vrai, que Marc Bertrand n'avait mis pour les années 1820, 1822, 1825 que des poèmes qui ne furent pas repris en 1830, ce qui ne fait pas une édition très rigoureuse dans son principe chronologique soit dit en passant.
Murat passe son temps lui à se demander si Rimbaud a lu l'édition de 1842 ou celle de 1860. Moi, j'identifie que la version de 1860 est augmentée et plus accessible, que l'édition de 1872 a peut-être une valeur d'actualité pour Rimbaud et Verlaine (à moins qu'elle ne soit sortie en novembre), que le recueil Bouquets et prières est passé à la trappe, que Rimbaud a dû s'interroger sur l'absence de "La Maiuson de ma mère", sur la présence de la note d'Alexandre Dumas, ce qui le faisait automatiquement remonter aux deux recueils tels quels Les Pleurs et Pauvres fleurs. Ensuite, je constate que la masse de poésies à lire au-delà de l'anthologie et du recueil final se réduit rapidement comme peau de chagrin. Je constate que le recueil de 1830 reprend une partie des poèmes publiés dans de précédents petits recueils. Rimbaud a dû l'anthologie de 1860 de Sainte-Beuve, le recueil de Poésies inédites, puis, partant de là, il lui manquait Bouquets et prières, et il avait un tour d'horizon complet. Il lui manquait des poèmes importants des Pleurs et de Pauvres fleurs. Ben, il a dû se débrouiller pour y accéder, puisqu'il y avait "La Maison de ma mère" à la clef qu'il aurait lu dans la Revue pour tous. Murat cite aussi à plusieurs reprises le poème "Sol natal". Je n'ai pas rêvé, il n'est pas dans l'anthologie de Sainte-Beuve. Je relève le titre "La Fleur du sol natal", poème distinct, mais pas le poème "Sol natal" que Murat cite au moins trois fois en huit pages d'article.
Enfin, il y a la préface de Sainte-Beuve, qu'il appelle "Notice". Sainte-Beuve met en avant comme une gloire le premier mince recueil publié en même temps que les Méditations poétiques de Lamartine, le premier recueil jamais paru de poésies romantiques, Hugo, Vigny et bien sûr Musset sont venus après. Desbordes-Valmore aurait publié la première plaquette romantique. Rimbaud, il a peut-être eu envie de la lire.
Je me suis emparé du sujet. Le premier recueil est disponible sur Wikisource, il contient le poème "L'Arbrisseau", et vous savez ce qu'il a fait mon grand cerveau ? Il est allé voir si la césure "leur + impénétrable ombrage" s'y trouvait. Je précise que j'ai lu le livre de Descaves qui m'a mis la puce à l'oreille, mais tout spécialiste qui publie sur Desbordes-Valmore lit le Descaves, non ?
Eh bien non ! La césure vient d'un remaniement du vers pour le recueil de 1830, clin d'oeil sensible à ce que faisait Hugo au théâtre...
Voici le vers tel qu'il a été édité en 1819 :
Tandis que moi, sous leur épais ombrage,
ce qui nous fait un décasyllabe littéraire régulier avec la césure après la quatrième syllabe.
En 1830, ce vers devient :
"Et moi, sous leur impénétrable ombrage,
ce qui suppose une césure provocatrice sur article, et le remaniement prouve le fait exprès et la chronologie permet de parler d'un hommage à l'initiateur Victor Hugo.
Eh bien peut-être pas !!!!!!!!!!!
Je vais trop vite !
Car, attentif jusqu'au bout, je consulte le recueil de 1920. le recueil de 1919 c'est la plaquette et le recueil de 1920 celui qui véritablement paraît en concurrence avec Lamartine.
D'après wikisource, s'ils ont bien géré l'établissement des textes, le vers de "L'Arbrisseau" a été remanié, et, du coup, c'est Desbordes-Valmore et la poésie lyrique qui ont l'antériorité sur Cromwell et Hugo, une femme contre les hommes ajouteront les féministes :
Et moi, sous leur impénétrable ombrage,
un vers historique si une consultation d'un fac-similé de l'édition de 1920 ne me dément pas. Je vais vérifier.
Oui, pour les murphyens et cornuliériens et adultérins, c'est une césure à la Baudelaire l'intemporel.
C'est la quantième fois que je vous envoie un argument sans réplique à ce sujet ?
Le recueil de 1819 s'intitule Elégies, Marie et romances. Le poème liminaire en est "L'Arbrisseau" dont un vers au moins a été remanié. Il y a ensuite une section "Elégies", un récit en prose "Marie" et une section "Romances". Autrement dit, nous avons deux sections genrées "Elégies" et "Romances" de part et d'autre d'un récit en prose intitulé "Marie" qui était souvent cité avec honneur à l'époque. Je ne comprenais pas pourquoi je ne trouvais pas "Marie" dans les vers de la poétesse. Je remarque qu'il contient des poèmes qui du coup ont intérêt à être lus en fonction du récit...
Et à cause de la préface de Sainte-Beuve, on est obligés d'au moins lire attentivement ce recueil initial de la poétesse. Sainte-Beuve cite aussi le recueil "Veillées des Antilles" de 1821, et comme il ne précise pas que le recueil de 1830 reprend des recueils antérieurs, il ne précise même pas d'ailleurs que son anthologie reprend des recueils, Rimbaud n'a pu que chercher à avoir accès aux recueils de jeunesse de la poétesse douaisienne !
Et à cause de la préface de Sainte-Beuve, on est obligés d'au moins lire attentivement ce recueil initial de la poétesse. Sainte-Beuve cite aussi le recueil "Veillées des Antilles" de 1821, et comme il ne précise pas que le recueil de 1830 reprend des recueils antérieurs, il ne précise même pas d'ailleurs que son anthologie reprend des recueils, Rimbaud n'a pu que chercher à avoir accès aux recueils de jeunesse de la poétesse douaisienne !
Cette césure, c'est une bombe atomique dans le débat. En 1872, sous influence valmorienne, Rimbaud éclate les mesures, la césure, les rimes, il va bien au-delà de la poétesse, mais il a peut-être vu ses antériorités en fait de césure sur proclitique et hiatus. Les quintils ABABA ou ABBAA de Baudelaire sont également pratiqués par la poétesse bien avant lui.
Oui, oui, c'est Baudelaire qui invente les formes, même si Rimbaud le trouve mesquin, et Desbordes-Valmore c'est un génie à condition ne pas être obligé de la lire malgré les injonctions de Rimbaud.
Question lucidité, vous repasserez !
Le recueil de 1820 suit une subdivision Elégies, romances et Mélanges cette fois.
Le recueil Veillées des Antilles n'est plus du tout ce que je croyais, une mince plaquette de vers, il contient "Marie" et trois récits au nom de filles : "Lucette", "Sarah" et "Adrienne". Les poèmes que fournit Marc Bertrand sont extraits des récits en prose.
C'est de là que viennent deux poèmes de l'anthologie de Sainte-Beuve, mais vous voulez un scoop ? Puisque la romance "C'est moi" sera publiée précocement dans le recueil d'élégies nouvelles de 1825, voici le poème du recueil Veillées des Antilles qui préfigure quelque peu "C'est moi" et qui doit encore s'éclairer de la lecture des récits en prose :
Marguerite, fleur de tristesse,Je t'aime mieux qu'une autre fleur :De ma jeune et simple maîtresseNe m'offres-tu pas la candeur !L'auréole qui te couronneAttire et repose les yeux ;Le doux éclat qui l'environneEst l'aimant d'un cœur malheureux.Ruisselet, dont l'eau calme et pureParle tout bas au voyageur,Le bruit égal de ton murmureEst moins égal que son humeur :Ton ondine ranime en sa courseLe tremble et le frêle roseau ;Ainsi, sa belle âme est la source,Chaque jour, d'un bienfait nouveau.Et vous qui gémissez encoreDu doux gémissement des bois,Triste écho, votre voix sonoreEst moins sonore que sa voix !Si vous plaignez ma rêverie,Répétez l'accent du malheur ;Rendez-moi le nom de Marie,Et soyez l'écho de mon cœur !
Prochainement, je vous cite les premières lignes de la notice de Sainte-Beuve, vous allez vraiment comprendre pourquoi il ne faut surtout pas sous-estimer l'idée que Rimbaud ait pris la peine de mettre la main sur les premiers recueils de la poétesse.
Vous verrez, ce sera éloquent. De toute façon, vous pouvez tout de suite la lire cette notice.
Vous avez vu le mot "veillées", titre littéraire d'époque qu'on retrouve chez Madame de Genlis et tant d'autres, ça fait quelque temps que j'indique que le titre de poème en prose de Rimbaud est peut-être à mettre en relation avec cette tradition littéraire...
je passe à l'édition des Poésies en 1822 avec toujours la pièce "L'Arbrisseau". Cette fois, le vers est remanié en octosyllabe et retourne à la régularité : "Et moi, sous un jaloux ombrage," ce qui plus que jamais demande de vérifier sur les éditions originales elles-mêmes, pas sur des transcriptions wikisource de seconde main.
Je reprends l'article de Murat de 2004. Des rapprochements sont opérés avec différents poèmes, mais j'ai déjà dit que "La Maison de ma mère" et "Sol natal" ne figuraient pas dans l'anthologie beuvienne de 1860. Mais le plus beau rapprochement que fournit Murat est avec le premier vers de la pièce "La Fleur d'eau", un rapprochement très troublant avec deux vers de "Mémoire" :
Fleur naine et bleue, et tristecontreni la bleue, amie à l'eau couleur de cendreetses bras noirs, et lourds, et frais surtout
C'est très intéressant, mais le poème "La Fleur d'eau" n'est pas non plus repris dans l'édition beuvienne qui n'a récolté que onze poèmes du recueil Pauvres fleurs si je ne m'abuse, neuf puis deux.
Sainte-Beuve n'a pas repris le poème liminaire de Pauvres fleurs : "La Maison de ma mère", ni "La Fleur d'eau" quatrième pièce du recueil, ni "Sol natal". Trois poèmes que met pourtant en avant Murat comme sources à pas mal de vers rimbaldiens. Murat cite également comme remarquable un vers du poème "Une halte sur le Simplon" qui fait partie du recueil de 1843 Bouquets et prières.
Tout se passe comme si d'un côté Murat avait fait une évaluation des éditions d'époque de la poétesse sans les consulter, sauf pour vérifier la présence de la romance "C'est moi" puis qu'il avait exploité une édition du vingtième siècle, celle de Marc Bertrand de 1973 qui est citée ou celle de Bonnefoy dans la collection Poésie Gallimard.
Il y a des contradictions internes conséquentes dans cet article.
Toute l'étude de l'influence valmorienne sur Rimbaud est à reprendre. Evidemment qu'il y a des choses intéressantes, des pépites comme le vers de "La Fleur d'eau" dans l'article de Murat, mais il n'y a pas de colonne vertébrale à cette étude largement improvisée.
Et ce qui était concevable à l'époque, c'était un article de circonstance si on peut dire qui prenait un petit sans recul encore la découverte de Bivort et Chovet, et à l'époque on n'avait pas internet pour consulter tant d'éditions comme on veut, encore qu'en habitant à Paris le problème n'a rien de vraiment insoluble., mais ce qui est dérangeant c'est que vingt ans après rien n'a progressé, pas d'autres articles, néant.
Je rappelle que le Dictionnaire Rimbaud de 2021 dans ses propos il tape sur le manque de rigueur des autres groupes rimbaldiens. On est d'accord ? Mais cette non avancée sur vingt ans, c'est joli. je vais aller lire l'article éventuel sur la poétesse dans le Dictionnaire Rimbaud des Classiques Garnier, peut-être que ça me déleurrrera.
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