Le sonnet "Voyelles" offre certains aspects inhabituels. La juxtaposition de groupes nominaux y prédomine, alors même que le titre du poème présuppose comme sujet la manière pour le poète de discourir sur le monde. Et la conséquence de ce mode de composition est la raréfaction des verbes conjugués en l'espace de quatorze alexandrins.
Voici le relevé des mots appartenant à la catégorie du verbe dans les classifications usuelles : "dirai", "bombinent", "craché", "semés", "imprime" (variante copie Verlaine : "imprima"), "traversés". Rimbaud ne connaissait pas à son époque la catégorie du verbe conjugué. Il s'agit d'une catégorie assez récente exploitée dans les collèges : elle sépare les infinitifs et les formes participiales des autres emplois verbaux. Le verbe conjugué doit pouvoir varier en personne, ce qui exclut les modes de l'infinitif et du participe. Or, la constatation amusante qu'on peut faire, c'est que, dans le cas de "Voyelles", la suppression des participes passés nous fait passer de six mentions verbales à trois uniquement : "dirai", "bombinent" et "imprime" (ou "imprima"). Moi et d'autres avons déjà fait remarquer que les verbes conjugués "bombinent" et "imprime" sont contenus dans des subordonnées relatives. Le poème est constitué d'une seule phrase étant donné le traitement particulier de la ponctuation. La proposition principale du poème est au vers 2 avec une promesse dérangeante : "Je dirai quelque jour vos naissances latentes", puisque la proposition principale du poème nous annonce que ce qui sera dit d'important le sera en-dehors du poème ! Il va de soi qu'il se joue pourtant un récit dans les douze vers suivants qui, du coup, supposent un recentrement du propos de ce sonnet. Et le tiret du dernier vers est un témoignage direct de la mise en œuvre d'un récit, même si ça m'agace quelque peu quand on sépare un vers consacré à l'oméga des deux vers précédents qui seuls seraient sur le "O bleu". Non ! Le tiret du vers final est une réécriture témoignant d'une réévaluation soudaine du "O bleu". Et l'Oméga est le "O bleu" sublimé par la révélation finale, et il va de soi que les majuscules de l'autographe "Ses Yeux" permettent de comprendre qu'il y a une identification du divin. Dire autre chose sur ce sonnet, c'est se discréditer. Il faut d'ailleurs souligner l'articulation de "pénitentes" à "Ses Yeux". Le mot "pénitentes" est le dernier mot de la paire de quatrains, il exprime la dernière rime d'une série de quatre en "-entes" (variante "-antes"), il est le mot du milieu du poème en fin de vers 8, puisque si le milieu réel est à la fin du vers 7, la structure quatrains et tercets, et l'importance clef de l'organisation des rimes et de l'organisation grammaticale en fonction des strophes quatrains impose "pénitentes" comme le mot final de la paire de quatrain avant la paire de tercets. Et "pénitentes" est un mot du langage religieux. Le mot "pénitentes" crée une alliance de mots redoutable qu'en général les rimbaldiens n'affrontent guère : "ivresses pénitentes", et l'adjectif féminin pluriel "pénitentes" n'exclut même pas un accord possible avec le nom "colère" : "rire des lèvres belles / Dans la colère ou les ivresses pénitentes[.]" Le mot "colères" est employé sans épithète dans "Paris se repeuple" et au pluriel, mais la question se pose de l'éventuelle coordination dans "Voyelles" : "rire des lèvres belles dans la colère pénitente", "rire des lèvres belles dans les ivresses pénitentes". J'ai tendance à lire "rire des lèvres belles dans la colère" et "rire des lèvres belles dans les ivresses pénitentes". Les "ivresses pénitentes" sont redoutables à lire. Je les associe évidemment à l'événement communard avec des martyrs traités d'ivrognes mais placés sous les bombes. Mais, l'idée de pénitence est religieuse et suppose l'acte de contrition. Dans la lecture habituelle que j'adopte où "colère" n'est pas précisé par "pénitente(s)", le rire, comme le "sang craché" est une quintessence, une qualité subsumée de l'état de colère, c'est la valeur positive malgré ce que laisse penser ce que peut être une colère. Le "sang craché" comme valeur positive demande de plus longs développements, mais il me suffit que pour le rire ce soit indiscutable. Et le rire est aussi une qualité qu'on tire des "ivresses pénitentes", mais cette fois le mot "ivresses" conforte la mention "rire".
La colère est un défaut, mais la colère peut être noble et servir une cause, et le rire bonifie la colère. Pour "ivresses pénitentes", l'expression doit aller de pair dans tous les cas avec cette idée du "rire des lèvres belles" comme avec celle de "sang craché", et l'ivresse peut être une valeur positive quand il s'agit de servir une cause, et "rire" comme "sang craché" développent cet horizon de sens, tandis que l'alliance "ivresses pénitentes" suppose aussi un pied de nez au discours chrétien. Remarquons que dans un poème de Sagesse où à peu près tous les lecteurs devinent qu'il est question de sermonner Rimbaud implicitement, Verlaine prie le Seigneur de sauver un enfant de colère: "- Dieu des humbles, sauvez cet enfant de colère !" Ce derniers vers du quatrième poème de Sagesse fait un parfait contrepoint avec le centre du sonnet "Voyelles" : le "sang craché" n'est pas humble, ni le fier et rebelle "rire des lèvres belles". Verlaine quand il écrit son sermon à l'encontre de Rimbaud n'ignore certainement pas cette affirmation de la colère en valeur positive dans "Voyelles", et il y a d'évidence du coup beaucoup à méditer sur le rapprochement du mot "colère" et de l'adjectif "pénitentes" au vers 8 de "Voyelles", vers 8 toujours central dans un sonnet.
Mais j'ai digressé sur ces vers 7 et 8, à partir du constat que les verbes n'articulent pas l'enchaînement du récit des vers 3 à 14. Revenons à la question des verbes. J'ai écarté trois participes : "craché", "semés" et "traversés". Avant de nous en éloigner, nous pouvons apprécier le choix de ces participes passés. Le verbe "craché" peut aller de pair avec le titre "Voyelles" et la mention verbale "dirai" de l'unique proposition principale du poème au verbe 2 : "Voyelles", "dirai", "craché", nous avons un champ lexical de l'expression orale, si pas buccale.
Le verbe "semés" est intéressant également, puisque "Voyelles" est un poème-monde et j'ai souligné en 2003 la référence au verbe divin johannique. Parler au plan divin, c'est semer. Je me retiens de certains précisions sur "traversés", je m'en garde en réserve.
Or, une fois les trois participes passés écartés, il nous reste trois verbes conjugués : "dirai", "bombinent" et "imprime". Dans un poème intitulé "Voyelles", Rimbaud utilise un verbe passe-partout "dire", un verbe inédit "bombiner" qui correspond tout de même à l'expression d'un bruit qui a ses significations et le verbe "imprimer". Et le couple "dire" et "imprimer" me paraît particulièrement éloquent dans un poème intitulé "Voyelles", d'autant que les voyelles A, E, I, U, O, ciblent précisément la dimension écrite de la parole. Et il s'agit de se placer dans le sonnet au plan de la parole écrite divine. Le "U vert" s'imprime en rides sur les fronts !
Ici, plein de développements à faire, mais je garde ça aussi en réserve.
Je reviens sur "rire des lèvres belles / dans la colère ou les ivresses pénitentes", car je voudrais insister sur un point important, c'est leur relation à un autre poème-monde écrit par Rimbaud : "Génie". Rimbaud n'a pas souvent écrit des poèmes-mondes, à savoir des poèmes synthèses de sa conception du monde, des poèmes exprimant une conviction sur la totalité du réel, où donnant la formule décisive de cette totalité. Il y a "Credo in unam", il y a "Voyelles", il y a "L'Eternité" et il y a "Génie". Nous pourrions inclure également "A une Raison". Or, dans "Génie", je relève la phrase exclamative : "Ô monde ! et le chant clair des malheurs nouveaux !" Je lie le "chant clair" au rire des lèvres belles" et je vois la relation de "malheurs nouveaux" à "colère" et bien sûr "ivresses pénitentes". On voit clairement dans l'expression de Génie ce principe de subsumer une valeur positive d'un cadre embarrassant : je dégage un "chant clair" de "malheurs", de la "colère" je retiens le "rire des lèvres belles", des "ivresses pénitentes", je retiens un enivrement qui n'est pas si mal du fait du "rire des lèvres belles".
Ici devrait figurer des développements importants, mais ils sont reportés à une date inconnue.
Maintenant, j'en arrive à un autre point, celui de la mention de "Voyelles" dans "Alchimie du verbe". "Voyelles" est mentionné comme le point de départ d'une pratique poétique. Je cite le passage :
J'inventai la couleur des voyelles ! A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. - Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens. Je réservais la traduction.
Un peu mécaniquement, les commentaires font remarquer que l'ordre des voyelles n'est pas le même et que "Alchimie du verbe" efface ainsi certaines intentions du poème original de manière à favoriser l'autodérision. Le verbe "inventai" est problématique pour sa part. Normalement, quand on lit le sonnet "Voyelles", on songe à un compte rendu de découverte. Ici, c'est l'invention qui est revendiquée. Nous pourrions lire le verbe de manière archaïque : "Christophe Colomb a inventé l'Amérique = Christophe Colomb a découvert l'Amérique." Mais le même verbe est repris dans le même paragraphe avec le sens courant incontestable que nous lui connaissons : "je me flattai d'inventer un verbe poétique..." Il s'agit donc de créer un verbe, et donc les cinq couleurs ont été le fruit d'une invention du poète. Le poète n'a pas découvert les cinq couleurs ontologiques des voyelles, il a inventé leurs couleurs. Mais, à cette aune, qu'est-ce qui permet de dire que le poète les a fixées pour les lecteurs ? Et comme les voyelles ne sont qu'elles-mêmes quand on les emploie, - et puisque ces cinq couleurs, si on les invente pour elles, ne leur sont pas consubstantielles, il faut bien que ce soit l'environnement qui permette de fixer l'invention : les consonnes et les rythmes instinctifs vont créer chaque couleur des voyelles. Sur un autre plan, le court paragraphe de Rimbaud a l'air de réécrire l'unique proposition principale au vers 2 de "Voyelles" : "Je dirai quelque jour vos naissances latentes". Ce vers a l'air d'être partiellement synonyme de "Je réservais la traduction", et il a surtout l'air d'être synonyme de "je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens." Les plus obtus prétendront qu'il y a un énorme écart sémantique entre : "je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible ... à tous les sens" et "Je dirai ... vos naissances latentes", mais il est tout de même difficile de contourner la ressemblance voulue de "quelque jour" à "un jour ou l'autre".
Il conviendrait de parler de la suite du texte "Alchimie du verbe", mais je ne peux pas suivre toutes les réflexions en même temps et je voudrais insister sur un point important dont, pourtant, ni les commentateurs du sonnet, ni les lecteurs de commentaires du sonnet, n'ont forcément bien conscience.
Le discours de "Alchimie du verbe" pourrait laisser croire que Rimbaud parle de l'outil poétique, de la maîtrise du langage par le poète. On pourrait croire qu'il convient d'identifier un travail sur l'organisation des voyelles et des consonnes qui serait propre à Rimbaud. Il tiendrait un système. Et on pourrait croire que Rimbaud parle d'un système de composition autour de voyelles pensées comme des couleurs, et le lecteur aura beau jeu d'essayer de trouver du "A noir", du "O bleu", du "U vert", etc., dans les compositions de Rimbaud prises l'une après l'autre.
Et cette idée va se renforcer de l'annonce dans "Alchimie du verbe" que "Voyelles" a été un point de départ.
Je vais remettre cela en cause en deux temps.
Commençons par de la mise au point chronologique.
Si on excepte les productions scolaires, le Rimbaud poète apparaît fin 1869 et offre une première flambée de pièces en vers intéressantes en 1870.
Il continue en 1871, et en mai de cette deuxième grande année poétique pour lui, il envoie des lettres significatives à son professeur Georges Izambard et à un contact douaisien Paul Demeny où il revendique le sentiment d'être né pour être un grand poète, et il prétend avoir identifié la marche à suivre en considérant qu'un poète se doit d'être un "voyant". Ce propos ne sera pas pris au sérieux par les adultes destinataires des lettres, dans la mesure où le mot "voyant" est un poncif métaphorique employé par les poètes romantiques avant Rimbaud, et c'est un poncif qui passe plutôt pour le prestige de l'illusionniste et du bonimenteur. Mais ce n'est pas le propos ici. Ce que je veux indiquer, c'est que le sonnet "Voyelles" a probablement été écrit plusieurs mois après les lettres du 13 et du 15 mai qui vantent la nécessité pour le poète de devenir un voyant. Le sonnet "Voyelles" date probablement de février 1872, tout comme "Les Mains de Jeanne-Marie", et aucun rimbaldien ne le date plus tôt que le mois de novembre 1871 dans tous les cas. De mai à novembre 1871, nous avons un espace déjà de six mois, la moitié d'une année, et cela monte jusqu'à neuf mois si nous envisageons "Voyelles" comme une composition contemporaine des "Mains de Jeanne-Marie". L'écart est de six à neuf mois. Notre préférence pour neuf mois est liée à une faiblesse de composition de la copie établie par Verlaine, la répétition du vers 5 au vers 6 du mot "frissons" qui n'est vraiment pas heureuse. Mais de 6 à 9 mois, le raisonnement est le même : "Voyelles" n'est pas le point de départ, et surtout, en mai 1871, Rimbaud offre comme illustration de son devenir poétique des pièces telles que "Chant de guerre Parisien", "Mes Petites amoureuses", "Le Coeur supplicié" et "Accroupissements", et il faut y ajouter en juin "Les Pauvres à l'église" et "Les Poètes de sept ans" à leur tour envoyés à Demeny. Et nous avons un certain nombre de poèmes datés de cette époque : "Les Soeurs de charité", "Les premières communions", "L'Homme juste", "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs", et il faut ajouter des poèmes non datés mais admis comme composés à cette époque "Les Assis" ou "J'ai mon fémur !..."
Alors, il est vrai que certains passages en prose des lettres dites "du voyant" permettent d'anticiper la composition de "Voyelles". Rimbaud évoque un vers des "Correspondances" de Baudelaire qu'il nous faut citer ici, et notons qu'Ernest Cabaner qui n'a pas lu la lettre à Demeny du 15 mai va citer ce même vers de Baudelaire dans son "Sonnet des sept nombres" en hommage au sonnet "Voyelles" de Rimbaud, ce qui veut clairement dire que Rimbaud a répété à d'autres ce qu'il a dit à Demeny et que les premiers lecteurs de "Voyelles" ont naturellement fait le lien :
Cette langue sera de l'âme pour l'âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant.
Il faut observer que Rimbaud joue en même temps avec le slogan déformé de "l'art pour l'art". Toutefois, nous nous contentons d'enregistrer que la création de "Voyelles" est quelque peu liée aux idées qui ont fusé à l'époque du mois de mai 1871. Mais, il faut encore citer le passage qui précède immédiatement la citation que je viens de faire :
[...] Des faibles se mettraient à penser sur la première lettre de l'alphabet, qui pourraient vite ruer dans la folie !
Si cet article voulait pousser dès à présent au plan de la réflexion approfondie, il faudrait citer une partie plus conséquente de ce discours qui invite tout poète à "trouver une langue", mais j'essaie de ne pas disperser mon propos. Le passage que je viens de citer concerne la lettre A. Or, dans "Voyelles", non seulement le dispositif se rapproche d'une exhibition de résumés synthétiques de parfums, sons et couleurs, voyelle par voyelle, mais le fait d'inventer la couleur noire au A, ou de lui attribuer, relève bien d'une mise en branle de l'activité cérébrale pour "penser sur la première lettre de l'alphabet". Et nous pouvons observer un fait étonnant. Dans "Alchimie du verbe", le poète se vante d'avoir trouvé une langue, d'avoir découvert la possibilité d'un verbe accessible à tous les sens. Et on doit citer ici la phrase non vérifiée mais qui a toutes chances d'être authentique, quand Rimbaud sur le sens de ses créations semble bien avoir répondu à ses proches qu'il a "voulu dire ce que ça dit, littéralement et dans tous les sens". Nous sommes bien dans le programme exprimé et par la lettre à Demeny du 15 mai 1871 et par la section "Alchimie du verbe". Et si nous poursuivons la lecture de cette partie réflexive "Alchimie du verbe", il est amusant de constater que finalement le poète a endossé le rôle du faible qui rue dans la folie. Nous passons de l'expression de "vertiges" à "l'hallucination simple". Le poète se vante dans un premier temps du "désordre de son esprit", le poète parle d'égarement et de bouffonnerie du style, et finalement le grand mot de "folie" est à nouveau lâché. Rappelons que "Alchimie du verbe" est introduit en tant que "l'histoire d'une de mes folies" et qu'il forme avec "Vierge folle" le couple des "Délires". Et ce basculement de l'assurance au sentiment d'échec et d'impuissance se retrouvent mis en récit dans plusieurs autres sections d'Une saison en enfer. Il est amusant de constater que quelque part le récit fait dans "Alchimie du verbe" est résumé par anticipation dans une phrase de la lettre à Demeny du 15 mai 1871, à condition de considérer que Rimbaud s'identifie désormais à un sentiment de faiblesse : "des faibles se mettraient à penser... qui pourraient vite ruer dans la folie !" / "[...] ma faiblesse me menait aux confins du monde et de la Cimmérie" / "Aucun des sophismes de la folie - la folie qu'on enferme - n'a été oublié par moi", mais il reste un écart d'orgueil, les "faibles" habituels "pourraient vite ruer dans la folie", quand Rimbaud, qui se plaint de sa faiblesse, se vante de "pouvoir les redire tous", de tenir "le système" ! La comparaison entre les deux textes est éloquente.
Mais on le voit, "Voyelles" n'est pas le point de départ. Le départ vient avec les lettres de mai 1871 pour ce qui est des témoignages écrits qui nous sont parvenus. Alors, on peut toujours considérer qu'il y a un départ avec le principe du "voyant" fixé en mai 1871, puis une montée jusqu'au sonnet "Voyelles" qui sera un accomplissement, et donc le point de départ dans "Alchimie du verbe" en tant qu'aboutissement des réflexions préalables du "voyant". Le sonnet "Voyelles" serait le système qui ensuite permettrait la production ultérieure des poèmes du printemps et de l'été 1872 dont plusieurs sont cités en tant qu'illustrations dans "Alchimie du verbe". Il faut ajouter que la cinquième partie du poème "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" est un autre jalon important qui montre qu'il y a bien un cheminement du poète qui va des lettres de mai 1871 à "Voyelles", la notion de voyelle couleur est mise en place dans "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs". Il faut aussi considérer qu'il y a un jeu important sur les couleurs dans "Le Bateau ivre" et il faut considérer aussi que c'est un axe important à la lecture du quatrain "L'Etoile a pleuré rose..." recopié par Verlaine à la suite du sonnet "Voyelles".
Mais, c'est une réalité de fait que "Accroupissements", "Les Assis", "Le Cœur volé", "Paris se repeuple", "Oraison du soir", "Les Chercheuses de poux" et dans une certaine mesure "Le Bateau ivre", ne sont pas des poèmes qui fixent l'horizon d'attente d'une langue à trouver du type "A noir". Et nous observons aussi que "Voyelles" est un des rares poèmes-mondes de Rimbaud, alors qu'en général les poèmes ont des sujets ciblés, particuliers. "Voyelles" est-il réellement le témoignage d'un accomplissement intellectuel que Rimbaud n'avait pas atteint ou suffisamment approché auparavant, ou bien est-il cité préférablement à tout autre au frontispice de la revue critique formulée dans "Alchimie du verbe" parce qu'il est fortement mobilisable à cet égard en tant que poème-monde ?
Verlaine avait lu comme nous "Alchimie du verbe", et pourtant dans Les Poètes maudits il ne fait pas de "Voyelles" une composition point de départ plus importante que "Le Bateau ivre". Pire encore, Verlaine ne cite même pas les poèmes irréguliers de 1872, lesquels il négligeait quelque peu.
Il va de soi pourtant que je ne descendrai pas jusqu'à envisager que ce qui prime dans "Voyelles" ce serait une espièglerie géniale un peu fumiste. Non, je prends le poème tout à fait au sérieux comme on peut le constater depuis longtemps. Mais il est temps de développer une autre idée importante. Je viens de souligner la chronologie qui montre que "Voyelles" n'est pas un poème qui explique par ses thèmes tous les autres poèmes de Rimbaud, n'est pas un modèle théorique pour composer des poèmes. Notons que, après "Voyelles", Rimbaud compose des poésies irrégulières en fait de rimes, en fait de mètres, et passe notamment des rimes très riches de "Voyelles" (Murat, Bienvenu) à des rimes lacunaires et parfois fort lacunaires. "Voyelles" n'a pas l'esthétique des poèmes qu'il aurait initiés selon le discours de "Alchimie du verbe", signe patent que la base est bien plus du côté de l'organisation des idées et du côté du travail de dégagement d'une pensée à partir de thèmes clefs. Je pense notamment au fait que dans les poèmes du printemps et de l'été 1872 une célébration de la Nature sans explication rationnelle de liens compliqués est devenu la manière hermétique du poème. Les virages à 180 degré de l'exprès trop simple et du mal rimé ne doivent pas nous faire perdre de vue cet aspect qui est pour sa part bien dans la continuité de "Voyelles". Il y a bien une spécificité de la manière du poète dans "Voyelles", elle tient notamment dans les juxtapositions nominales délestées de verbes, mais je n'en parlerai pas ici, sauf pour préciser que Rimbaud n'a pas donné suite au projet de poèmes énumératifs et plutôt nominaux que verbaux. Il faut commenter la spécificité dans le cas d'un poème, pas étendre la considération critique à l'ensemble de l'œuvre. Quant à lier entre eux les poèmes qui parlent des couleurs comme de voyelles ou comme un langage, à l'épreuve, nous arriverons à un discours sur le monde et non sur les outils du poète. Rimbaud écrit "Ta Rime sourdra, rose ou blanche," etc. Il parle sans aucun doute du poète, mais moins de son travail sur le matériau que sont les consonnes et les voyelles que sur ses capacités visionnaires dignes d'un prophète du messianisme laïc nouveau.
Or, passons au deuxième volet de notre remise en cause. Je vais pour cela me servir de la distinction saussurienne entre signifiant et signifié, distinction qui n'était pas connue de Rimbaud, mais qui permettra tout de même de faire certains constats. Rimbaud claironne qu'il crée le "A noir", mais le poème "Voyelles" n'est pas pour nous dire que dans les compositions ultérieures du poète le "A" est "noir" et qu'un jour il nous expliquera comment cela se fait. Les lecteurs doivent bien avoir présent à l'esprit que le "A noir" est le signifiant et non le signifié du poème, et qu'à cette aune Rimbaud ne parle pas du tout des lettres, des voyelles, qu'il emploie en tant que poète. Malgré "Alchimie du verbe", le sonnet "Voyelles" ne nous soutient pas que les occurrences du "A" sont noires grâce à un habile réglage des consonnes, des rythmes disons syntaxiques et des images et thèmes mobilisés ! La lettre A n'est pas le sujet du poème, ni la relation de la lettre A à la couleur noire. En fait, le poème ne parle pas du tout des cinq lettres de l'alphabet, du moins il n'en parle pas directement. Ces cinq lettres sont convoquées en tant que métaphores. Le "A" est dans le signifiant, il est une partie du signifiant "A noir", mais il n'est pas le signifié, ni une partie du signifié. Rimbaud parle métaphoriquement d'une perception du monde en cinq éléments et les cinq signifiants "A noir", "E blanc", "I rouge", "U vert" et "O bleu" sont des prétextes métaphoriques. Quand Rimbaud écrit "A noir", n'en déplaise à Etiemble et tant d'autres commentateurs, il ne dit pas qu'il prend pour sujet le "A" ou le "A noir" pour nous dire qu'il le voit ainsi ou qu'il l'associe à telles idées. Non, le "A noir" est une image qui permet de donner un nom poétique à un premier phénomène du monde qui est la création, le début de la vie dans la mort et le pourrissement. La lettre "A" est choisie en tant que symbole du commencement, et le "noir" est choisi pour signifier que le commencement se fait dans l'ombre et quelque peu dans la décomposition. La deuxième étape offrira le parfait retournement avec le choix du "blanc", et le "E" est associé au blanc, simplement parce que le "E" est la deuxième lettre de l'alphabet. Et le "E blanc" va être le prête-nom d'un nouvel élément de représentation dynamique du monde. Et Rimbaud qui n'est ni un scientifique, ni un philosophe, mais qui est tout de même un penseur, et un penseur conséquent et solide, va nous proposer cinq éléments et va faire parler leur coordination, va faire parler la succession de ces cinq éléments. Et c'est ça qui est important dans "Voyelles". Il faut d'ailleurs avoir conscience que Rimbaud parle de lettres divines, et non des lettres utiles à l'écriture pour un humain, et partant pour un poète. Le futur poète des Illuminations n'est pas du tout en train de nous dire qu'il réfléchit sur cinq des vingt-six lettres de l'alphabet et sur les possibilités d'emploi renouvelé qu'il envisage. Et partant de là, il n'est donc pas non plus en train de réellement réfléchir sur des combinatoires où des voyelles prises de telle et telle façon au milieu de consonnes, au milieu de telles configurations syntaxiques, au milieu de telles contraintes sémantiques vont produire des couleurs spécifiques. Et Rimbaud n'est pas du tout en train de nous dire que le génie est de savoir pratiquer cela. Non ! Rimbaud définit le monde en cinq éléments qui seront cinq voyelles divines colorisées. Et il va de soi que dans ce cadre-là, l'emploi à la rime du vers 8 de "pénitentes" et l'identification finale des "Yeux" avec les majuscules du divin "Ses Yeux" ont du sens. Et le rejet de l'adjectif "divins" au vers 9 : "vibrements divins" a également du sens si nous comprenons que les voyelles sont l'expression selon la vision de Rimbaud d'un verbe divin.
Et à partir de là il va falloir quelque peu reprendre l'analyse de "Alchimie du verbe" en déplaçant quelque peu les lignes, car l'idée de régler la forme et le mouvement de chaque consonne c'est un peu la lecture naïve au premier degré qu'offre Rimbaud, mais c'est une lecture à dépasser. Ce qu'organise réellement Rimbaud dans ses poèmes, en mobilisant tant la forme que le fond, c'est des idées.
Dans "Credo in unam", Rimbaud définissait son "credo" et c'est une énorme erreur de considérer que ce poème n'est qu'un centon, puisque, bien que ce soit de manière fortement précoce, Rimbaud va situer son discours singulier en fonction des prédécesseurs Hugo, Lamartine, Musset, Baudelaire, Leconte de Lisle, Banville, Platon, Lucrèce, l'église, etc. Il y a une singularité du propos dans "Credo in unam" au-delà de l'évident brassage de sources mobilisées. La quantité de sources mobilisées n'est pas incompatible avec le fait de tenir un discours singulier. Cela devient de plus en plus évident avec "Voyelles", et Victor Hugo offre une quantité considérable de poèmes sources qui aident à comprendre ce que vise Rimbaud dans "Voyelles". Prenons le cas du mot "clairon". Dans le poème final de la première série de La Légende des siècles publiée en 1859, Hugo a annoncé par son titre qu'il allait être question du "jugement dernier", et il a nommé avec exactitude l'instrument légendaire : "La Trompette du Jugement". En revanche, dans le cours du poème, nous observons une corruption avec les emplois répétés du mot "clairon". Nous aurons une mention "clairon suprême", et puis d'autres mentions diverses du mot "clairon". Dans "Voyelles", Rimbaud ne parle pas de "trompette", il mentionne lui aussi le "clairon", et il inverse la mention "clairon suprême" en "Suprême Clairon". La liaison entre les deux poèmes étant évidente, un des enjeux de lecture du sonnet "Voyelles", c'est d'essayer de comprendre pourquoi la notion de "jugement dernier" ne s'applique pas à "Voyelles". Je ne ferai pas les développements ici, vous verrez ça plus tard. Mais, je vais juste rappeler ce que j'ai déjà dit : le sonnet "Voyelles" inscrit l'idée d'un cycle vie et mort qui permet de parler d'éternité, et qui permet de rendre permanente l'idée du jugement. Rimbaud voulait être un poète quelque peu prophète en-dehors du christianisme. Il est clair que dans "Voyelles" Rimbaud joue sur les allusions au modèle chrétien : "pénitentes" et "Suprême Clairon", mais il joue aussi sur la corruption de "trompette" à "clairon" déjà présente dans le texte source hugolien, et on voit bien dans "Voyelles" qu'il n'est pas question d'une fin des temps, d'un jugement dernier apocalyptique. C'est pour cela qu'il importe de bien constater que le "A noir" parle d'une naissance dans la mort. Le poète venait d'évoquer des "naissances latentes" à dire un jour et cela lance la série des quatre rimes en "-entes" (/ "-antes"). A la fin du premier quatrain, si nous gardons l'idée de la rime en "-antes" à l'esprit, nous sommes à l'heure des réalités "pu-antes" : "puanteurs cruelles", sachant que Rimbaud va jouer sur le retour du suffixe en "-eurs" dans son poème. Et, au-delà de cette éventuelle astuce prosodique qu'il aurait pratiquée, nous avons bien l'image de mouches se nourrissant sur des cadavres. Les mouches pondent leurs œufs dans les excréments et la vermine se développe sur les corps en putréfaction. Il est évident que le poème célèbre un commencement paradoxal dans la mort, la décomposition, la destruction, et c'est ce qui prépare une image du "Suprême Clairon" qui n'est pas un jugement dernier final, puisque du vers 13 au vers 14 nous avons un décrochage du discours marqué par l'occurrence d'un tiret d'attaque. Il va de soi que l'Oméga n'est pas distinct du "O bleu", cela n'a aucun sens et ferait du poème un piètre bricolage. Ce vers 14 est un sursaut de révélation et ce sursaut amène à une réévaluation de la valeur du "O bleu", et si "Oméga", la fin est citée dans ce dernier vers, avec écho au sens d'ultime de l'adjectif "suprême", et si le "violet" est une couleur qui évoque plutôt la mort, nous avons une transcendance érotique finale d'un "rayon violet" tiré d'un regard, d'une paire d'yeux. Nous avons une affirmation de vie, au contraire ! Nous avons une rencontre, avec tout ce que cela suppose comme ouverture. En clair, Rimbaud a congédié l'idée de fin des temps associée à la vision de l'instrument divin. Et puisque les tercets sont nécessairement à apprécier en tant que symétriques, notons le signe d'élection des rides. Les rides rapprochent de la mort, mais loin d'un jugement final, elles sont une marque d'élection des humains qui ont su pratiquer l'alchimie, et la mention de l'alchimie, certes à ne pas prendre au premier degré, permet de bien considérer que ces rides sont une couronne, et non un affront subit face aux ravages du temps. Les "fronts studieux" n'ont pas subi, ils ont agi. Les "rides" sont la leçon de paix des sages : "paix des rides".
On voit bien que plan par plan Rimbaud dans "Voyelles" dément tout un discours traditionnel sur la soumission de l'homme face à Dieu. Et j'ose croire que ceux qui me lisent commencent à comprendre que "colère" et "sang craché" c'est de l'ordre de l'affirmation de la liberté de l'être humain, de l'affirmation de vie.
J'ai développé l'opposition à "La Trompette du Jugement" de Victor Hugo : Rimbaud a amplifié les conséquences de la corruption symbolique de "trompette" à "clairon" et il a mis en place l'idée de cycles qui permettent d'investir une permanence du divin qui exclut le dispositif d'un jugement à la fin des temps. Ce dispositif est signifié non seulement par le paradoxe de vie dans la mort du "A noir", mais par la position centrale du vers 9, dont le premier hémistiche synthétise l'idée de cycles vibratoires en les associant à l'idée du divin par un rejet épithétique emphatique : "U, cycles, vibrements + divins..." Tous les commentaires à peu près relèvent que le "v" est une lettre issue du "u" latin et que leurs rapprochements permet d'évoquer le cycle temporel des vagues. Le "u" représente le cycle sur une ligne temporelle, mais je n'ai pourtant fait attention que récemment à l'idée que le mot "cycle" évoquant plus spontanément la figure circulaire du "o", le mouvement du "v" sur la ligne du temps n'est empêche d'être un "o" que par l'impossibilité du retour en arrière de la main. Le "v" est une image approchante du "o" si on le prend comme un symbole du cycle, ce qui renforce la pertinence de la distribution entre les deux tercets du "U vert" et du "O bleu". Et de toute façon, le cycle "vvvvv" est compris de tous les lecteurs du sonnet, et il ne manque plus à ceux-ci que de prendre plus au sérieux les implications de cette construction centrale du vers 9 : "U, cycles, vibrements + divins..."
J'aurais encore des tas de choses à préciser et développer, mais le fil directeur de cet article c'était d'amener à constater que "Voyelles" n'a pas pour sujet l'outil poétique, mais a pour sujet une pensée sur le monde qui échappe à la soumission traditionnelle, et qui en prime permette de ne pas interpréter de manière désespérée l'échec de la Commune avec la semaine sanglante, dans la mesure où le cycle de vie et de mort et l'affirmation que la vie est désir d'émancipation comme il est dit déjà dans "Credo in unam" fondent un espace d'acceptation du tragique : "Ô monde ! et le chant clair des malheurs nouveaux !" Le propos tenu est un propos moral, puisque quand Rimbaud écrit : "La morale est la faiblesse de la cervelle", il parle de la morale étriquée, mais le but du poète est de construire une morale et non pas de tourner le dos à toute prétention à ce sujet. Il va de soi qu'il vise à une portée morale autre et qu'elle est précisément affirmée dans des poèmes comme "Voyelles" ou "Génie" qui célèbrent la vie à hauteur d'une moral qui peut inclure le tragique de la semaine sanglante, parce que, quand ils songent aux martyrs de l'événement, le poète peut s'écrier "ceux-là sont des hommes" pour parler comme les vers du "Forgeron".
Et croyez bien qu'un jour cela sera dit enfin en toutes lettres dans la meilleure part des éditions annotées des œuvres poétiques complètes d'Arthur Rimbaud. Et c'est bien évidemment la difficulté à tenir ce discours sur la vie qui est au centre du récit Une saison en enfer et qui est la véritable préoccupation du poète en matière de beauté dans "Alchimie du verbe".
Dans l'article que je viens d'écrire, j'aurais pu ajouter la remarque suivante. Dans "Voyelles", Rimbaud formule une conception de la vie où l'épreuve de la mort ne signifie pas l'échec d'une vie, puisque le "sang craché" est une révolte périlleuse. Rimbaud extrait cette valeur périlleuse et la met en vedette dans "Voyelles", le "rire des lèvres belles" va dans le même sens qui est défi dans "la colère ou les ivresses pénitentes".
RépondreSupprimerEt Rimbaud opérait une double connexion que bien des lecteurs qui se prétendent rimbaldiens ne font pas. Il y a d'abord une connexion contextuelle. Rimbaud ne va pas écrire "Voyelles" et célébrer abstraitement l'idée de combattre au péril de sa vie pour ce qu'on croit ou ressent ("sang craché", rire qui monte aux lèvres dans l'affrontement) en écartant que quelques mois auparavant un événement auquel il a adhéré à marquer la France, la Commune, et Rimbaud a adhéré à ce mouvement. A cette connexion contextuelle quelque peu implicite, Rimbaud a ajouté une connexion. Il n'a pas composé de recueils de ses vers premières manière, mais il va de soi que les compositions étaient perçues comme un dossier s'étoffant, ce qui est plus criant encore quand on songe que "Les Mains de Jeanne-Marie" est écrit au même moment que "Voyelles" ou peu s'en faut. Et, quelle que soit la date de composition de "Paris se repeuple", poème remanié à Paris visiblement qui plus est, la liaison était imposé par la mention rare "strideurs" et le réseau de mots communs qui tournaient autour ("clairon", "silences", "suprême"), et cela va jusqu'à s'étendre à l'emploi nominal "colère" au singulier dans "Voyelles" et au pluriel dans "Paris se repeuple" avec non les rires de défi mais la danse (danser dans les colères). Les rimbaldiens qui ne voient pas cela ont d'importants problèmes de compétences critiques. Ils auront beau s'indigner, c'est un fait qu'ils ont un problème de capacité à lire de la poésie et de la littérature, puisque c'est le b.a.-ba de la lecture littéraire qui entre en compte ici.
Ensuite, dans le précédent article, mais je vais y revenir dans un prochain, j'ai souligné le rapprochement entre les "faibles" sur la lettre A de la missive à Demeny et la "faiblesse" du poète qui devient fou en pratiquant son alchimie, mais le mot "faiblesse" est alors dans "Alchimie du verbe" une reprise de ce qui précède quasi immédiatement : "La morale est la faiblesse de la cervelle."
Là encore, les incompétents du vingtième siècle vont penser qu'il n'y a pas de morale dans l'art. Ils n'ont rien compris. Les poètes ne manient pas des concepts comme les philosophes. Rimbaud dénonce la morale mesurée comme faiblesse, mais justement pour fixer une morale ambitieuse d'orgueil. Et si tu n'admets pas ça en lisant Rimbaud, c'est sans doute que tu n'es pas très malin et que tu ne sais pas lire. Et justement, c'est très important pour comprendre "Voyelles" de ne pas se faire piéger par ces clichés de bourrin : il n'y a pas de morale dans la poésie de Rimbaud, puisqu'il a dit "la morale est la faiblesse de la cervelle", car si on peut faire une étude suivie de l'opposition de la morale mesurée à la morale d'orgueil pour la lettre du 15 mai et "Alchimie du verbe". J'y reviens...