Vous n'avez pas encore eu le temps de lire la première partie. Tant pis pour vous ! Comme dirait Verlaine, notre enthousiasme nous invite à entrer sans plus attendre dans la puissance et la force.
Avant de reprendre, je me suis permis de relire les pages consacrées par Michel Murat à "Alchimie du verbe". Elles sont récentes puisqu'elles datent de la "Nouvelle édition revue et augmentée" du livre L'Art de Rimbaud en 2013. Murat cite les principaux ouvrages rimbaldiens sur Une saison en enfer comme autant de supports à son propre travail. Il en dresse une liste dans la note 34 au bas de la page 388. J'ai des réserves sur les ouvrages de Bandelier, Brunel et Nakaji, seul l'ouvrage de 1975 me semblant véritablement une critique assez pertinente du livre Une saison en enfer, mais peu importe. Par ailleurs, en 2013, Murat a pu lire de nombreux articles récents sur Une saison en enfer qui sont mentionnés au hasard des notes et des pages du volume. Et ce qui m'intéresse, c'est au sein du chapitre II "La Narration", la sous-partie intitulée "L'histoire d'une folie", puisque c'est la partie de l'ouvrage qui offre une lecture des passages en prose de la section "Alchimie du verbe". Et si j'ai insisté sur les références de Murat aux publications antérieures, c'est que sa synthèse permet de mesurer l'absence de renvois conséquents aux lettres du 13 et du 15 mai 1871. Elles sont citées, mais en passant, et dans tous les cas le thème de la folie dans le livre de Murat est traité sur un mode indépendant, alors qu'ici je vais tirer parti du rapprochement entre les textes.
Je cite les premières lignes d'introduction de cette sous-partie intitulée "L'histoire d'une folie" (page 411) :
Dans Alchimie du verbe, la poésie est représentée comme indissociable d'une maladie intellectuelle et morale qui met en jeu les facultés du sujet et jusqu'à sa vie. [...]
Murat va s'appuyer sur le fonds culturel d'une époque. Esquirol est alors un auteur de référence en matière psychiatrique et vu que Rimbaud a parlé de "la folie qu'on enferme" Murat montre avec évidence le champ lexical de la folie psychiatrique à l'œuvre dans le texte de Rimbaud et il souligne aussi que les aliénistes eux-mêmes associaient la poésie, le prophétisme et la folie dans leurs discours. Une citation du traité d'Esquirol est livrée aux lecteurs :
Les hallucinations caractérisent seules un état particulier de délire, qui a fait prendre quelques hallucinés pour des inspirés ; mais observée de près, ces individus trahissent bientôt la véritable cause de leur état. L'Allemagne est inondée de ces voyants. Dans l'Orient, dans l'Inde, on rencontre de ces prétendus prophètes, qui ne sont que des hallucinés.
Il est assez évident que Rimbaud joue avec ce lieu commun de la raillerie sociale. Je ne veux pas rendre ici compte du texte de Murat et je ne vais pas vous en faire un compte rendu. Je veux simplement cibler des points qui m'intéressent pour que, plus loin, vous cerniez que ce que je vais dire n'est pas un acquis de la doxa rimbaldienne ambiante. J'en viens donc à la partie du commentaire qui tourne autour de la citation : "La morale est la faiblesse de la cervelle." Le brouillon est également mobilisé, mais il est précisé que le mot qui a précédé la mention "morale", biffé, n'a pu être déchiffré. Je dois déjà prévoir de faire une mise au point à ce sujet dans les jours qui viennent. Mais, pour l'heure, je veux cerner où se situe sur des points précis ce commentaire fourni en 2013, et je rappelle que le texte de cette sous-partie consacrée à "Alchimie du verbe" s'ouvrait sur l'idée d'une "maladie intellectuelle et morale", et c'est bien cela que je trouve important en ce moment-même. Je cherche à cerner ce que Murat va dire sur l'identification de la morale à une faiblesse. Or, que fait Murat, sur une partie de la page 416, il cite successivement une transcription du brouillon du passage qui m'intéresse. Ce passage dans le brouillon était d'une certaine étendue. Puis, il cite le court paragraphe définitif avec cette phrase connue : "La morale est la faiblesse de la cervelle."
Le commentaire reprend aux deux dernières lignes de cette page 416 et il se prolonge jusqu'aux deux tiers de la page 418, avant la citation d'un paragraphe suivant. Or, nous avons une analyse de l'évolution du texte du brouillon à la forme concise finale, nous avons une analyse des liens logiques présents ou absents dans le texte, nous avons une analyse de la folie ou des perspectives de l'affabulation créatrice et nous pouvons apprécier telle phrase qui donne du contexte d'époque pour comprendre les implications du texte rimbaldien : "Le voyage d'agrément était prescrit par les aliénistes comme un remède à une folie qui a pris le caractère de la mélancolie triste [...]". Murat s'interroge sur une autre affirmation clef de ce paragraphe du récit rimbaldien, sur cette idée de "fatalité de bonheur" qui expliquerait que "l'action n'est pas la vie" selon le poète, mais rien n'est dit sur la phrase : "La morale est la faiblesse de la cervelle." En fait, je ne relève aucune occurrence du nom "morale" dans le commentaire qui suit les citations, ni même au-delà. La sous-partie suivante intitulée "Du narrateur à l'auteur" poursuit le commentaire de "Alchimie du verbe" sur huit pages (pages 419-426). Nous avons un emploi de l'expression "jugement moral", mais qui n'est pas du tout sur le même plan de signification : "jugement moral et esthétique porté par l'auteur." Cela n'a rien à voir avec l'avertissement : "La morale est la faiblesse de la cervelle."
Donc, avant de revenir à l'étude par Gérald Schaeffer des "Lettres du voyant", je vais fixer un petit peu le point important. Offrons aux lecteurs la citation qu'ils attendaient. Après la citation du poème "L'Eternité", le locuteur dans Une saison en enfer reprend la parole en prose l'espace de six alinéas. le premier alinéa contient la sentence : "La morale est la faiblesse de la cervelle." Puis, trois alinéas plus loin, Rimbaud déclare : "Ma santé fut menacée[,]" avant de mentionner à nouveau le mot "faiblesse" et cette nouvelle mention est chapeautée par le déterminant "ma" tout comme le mot "santé" au début de l'alinéa : "[...] ma faiblesse me menait aux confins du monde et de la Cimmérie, patrie de l'ombre et des tourbillons." Pour les auteurs antiques, la Cimmérie voisine avec le royaume des morts évidemment et c'est ce que les éditeurs s'empressent de faire remarquer au note au sujet de cette phrase, mais il faut s'attarder sur le syntagme "ma faiblesse". On peut trouver la reprise anodine et penser que comme le poète vient de déclarer sa santé menacée le mot "faiblesse" désigne un état de faiblesse de cet ordre-là. Tout de même, si nous prenons en considération la répétition, nous avons un indice fort que la "faiblesse" est dans la cervelle et vient de la "morale", et la morale, ce n'est pas un état physique, ni un état moral, c'est "la morale" ! Il est vrai que la phrase : "La morale est la faiblesse de la cervelle[,]" s'entend comme l'un de ces "sophismes de la folie" qui sont en train de perdre le poète, mais l'analyse est très sommaire si nous nous contentons de ce constat. Qui plus est, le récit étant rétrospectif, il faut considérer que cette phrase avait une valeur de vérité au moment où le poète agissait. Enfin, comme nous avons une répétition du mot "faiblesse", nous avons une reprise de "cervelle" à "cerveau", et cela dans la phrase qui suit immédiatement celle sur la "Cimmérie" et qui ouvre l'alinéa suivant : "Je dus voyager, distraire les enchantements assemblés sur mon cerveau." Et, à la fin de cet alinéa, nous aurons la conjugaison des mots "force" et "beauté" : "Le Bonheur était ma fatalité, mon remords, mon ver : ma vie serait toujours trop immense pour être dévouée à la force et à la beauté."
On peut songer au poème "Nevermore" de Verlaine dans ses Poèmes saturniens, l'allusion étant des plus transparentes. Il convient également de songer à Baudelaire, d'autant plus que la mention "cerveaux" est décisive à la rime dans les différentes versions du recueil Les Fleurs du Mal.
Citons les deux derniers vers du sonnet "La Mort des artistes" qui clôt avec le chiffre cent ("C") l'édition censurée de 1857 :
C'est que la Mort, planant comme un soleil nouveau,Fera s'épanouir les fleurs de leur cerveau !
Citons les trois derniers vers du poème "Le Voyage" qui clôt les deux éditions ultérieures de 1861 et 1868 :
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau !
Le terme "remords" employé par Verlaine dans "Nevermore" vaut d'ailleurs comme filiation au discours des Fleurs du Mal dont il est un mot clef.
Je devins un opéra fabuleux : je vis que tous les êtres ont une fatalité de bonheur : l'action n'est pas la vie, mais une façon de gâcher quelque force, un énervement. La morale est la faiblesse de la cervelle.[...]Aucun des sophismes de la folie, - la folie qu'on enferme, - n'a été oublié par moi : je pourrais les redire tous, je tiens le système.Ma santé fut menacée. La terreur venait. Je tombais dans des sommeils de plusieurs jours, et, levé, je continuais les rêves les plus tristes. J'étais mûr pour le trépas, et par une route de dangers ma faiblesse me menait aux confins du monde et de la Cimmérie, patrie de l'ombre et des tourbillons.Je dus voyager, distraire les enchantements assemblés sur mon cerveau. [...]
L'idée motrice de notre réflexion, c'est que l'extrait que nous venons de citer est idéal à rapprocher du passage suivant de la lettre du 15 mai 1871 à Demeny :
[...] Il faut être académicien, - plus mort qu'un fossile, - pour parfaire un dictionnaire, de quelque langue que ce soit. Des faibles se mettraient à penser sur la première lettre de l'alphabet, qui pourraient vite ruer dans la folie ! -
Le poète veut alors "trouver une langue" et il se moque des académiciens qui croient fixer une vérité définitive et mieux un état des connaissances au point de perfection. Et Rimbaud utilise l'injure "Des faibles". Et cela s'oppose au fait que dans cette lettre Rimbaud s'est reconnu parmi les forts, et donc digne de devenir un poète.
Le rapprochement est saisissant. Nous avons un parallèle de parcours. Des "faibles", en tant que moins doués que le poète, se lancent dans une réflexion sur le pouvoir de la langue, à partir de la seule lettre "A", et cela excède à ce point leurs capacités qu'ils virent à la folie. Le fait de se dire fort en mai 1871 consiste quelque peu à dire que le poète ne court pas le même risque. Or, dans "Alchimie du verbe", nous retrouvons l'idée de réflexion sur la lettre A à cause de l'évocation du sonnet "Voyelles" et la mention de son premier vers. Et, dans l'extrait même que nous venons de citer, les deux mentions "faiblesse" sont insérées dans un récit sur la quête d'une langue par l'artiste qui s'est dit plus fort que la société. La première mention du mot "faiblesse" : "La morale est la faiblesse de la cervelle", peut correspondre à la phrase de mépris : "Des faibles se mettraient à penser [...] qui pourraient vite ruer dans la folie !" Et cela se confirme quand nous songeons que dans la suite du récit de "Alchimie du verbe", une construction verbale similaire permet de mettre en tension le mépris affiché : "qui pourraient vite ruer dans la folie" et l'orgueil du poète qui délire : "je pourrais les redire tous". Une nuance est à introduire. Dans le texte de "Alchimie du verbe", la revendication : "je pourrais les redire tous, je tiens le système[,]" n'est pas entièrement reportée dans le passé du locuteur, elle se confond également avec une bouffée d'orgueil à l'instant de l'énonciation. Mais cette nuance n'empêche pas de constater que les deux textes se répondent avec un plan limpide et clair d'opposition de faibles qui ne savent pas penser la langue et d'un fort qui se ruine peut-être la santé, mais qui a un système et qui a acquis une connaissance supérieure. Evidemment, la deuxième occurrence du mot "faiblesse" écorne les prétentions : le poète constate l'existence d'une faiblesse qui est la sienne, tandis qu'il constate un progrès de la folie et de la mort, quand les "faibles" eux étaient critiqués en tant que déjà morts ("plus morts qu'un fossile") et en tant que faibles face à la folie. Le texte dans "Alchiumie du verbe" impose toutefois de considérer une autre nuance, puisque le poète prétend aussi avoir "joué de bons tours à la folie" et cette duplicité dans son rapport à la folie ne doit pas être perdue de vue, quand bien même il inscrit en tête de son récit : "A moi, l'histoire d'une mes folies."
Mais, la grande idée, c'est d'exploiter la formule : "La morale est la faiblesse de la cervelle[,]" en relisant attentivement les lettres à Izambard et Demeny des 13 et 15 mai 1871. Est-ce que nous pouvons vérifier la prégnance d'un discours sur la morale comme faiblesse dans le corps de ces deux lettres de 1871 ? J'ai d'autres idées que je ne vais pas formuler immédiatement, mais voilà le principe d'une approche renouvelée des rares textes rimbaldiens admis comme des commentaires critiques explicites de sa pratique littéraire. Nous avons vu dans cette deuxième partie que cet axe de compréhension est complètement ignoré de la critique rimbaldienne. Nous avons du coup retardé l'analyse des études linéaires des lettres de mai 1871 par Schaeffer, et nous passerons à une troisième partie pour cela, mais nul doute que nous avons entre les mains un bon levier d'Archimède en termes de réflexion critique rimbaldienne.
Enfin, avant de rendre la plume, je voulais faire une remarque complémentaire sur le mot "voyance". Dans ma première partie, j'ai précisé que l'article de Marc Eigeldinger La Voyance avant Rimbaud avait nui en retour sur l'étude de Schaeffer, à cause de cet emploi du mot "voyance" quand les rimbaldiens soulignent que jamais ce substantif précis-là n'a été utilisé par Rimbaud. J'ai évidemment oublié de dire que Schaeffer utilise à plusieurs reprises le mot "voyance" comme s'il allait de soi, ce qui explique bien évidemment que le texte de Marc Eigeldinger lui fasse cortège. Dans la partie du livre de Murat que j'ai traitée plus haut, je relève le passage suivant où le mot "voyance" est placé entre des guillemets de réserve au sein d'une phrase sur "la réception de l'œuvre rimbaldienne" qui pour être plus claire appellerait une précision sur le positionnement de Murat lui-même sur la question, et j'observe aussi une considération critique problématique sur le contraste entre les poèmes cités dans les "lettres du voyant" et ceux cités dans "Alchimie du verbe" :
[...] La narration inverse donc la chronologie, et présente les poèmes du printemps 1872 comme une première réalisation du programme des lettres de 1871 - alors que ces lettres comportaient leur propre anthologie et que les deux ensembles ne se recoupent pas. Le récit institue ainsi un ordre artificiel, mais qui a fait autorité, et qui a permis d'unifier sous le signe de la "voyance" la réception de l'œuvre rimbaldienne.
Même s'il ne précise pas ici son positionnement, Murat rejette cette liaison. Mais je ne suis pas d'accord. Il faut d'abord s'entendre sur les implications du mot "voyance" et dans tous les cas cette unification est jouable. Vous voyez venir mon raisonnement de puissance et de force ? Dans "Alchimie du verbe", section où sont cités en tant qu'illustrations d'une recherche d'une langue des poèmes en vers "nouvelle manière", mais aussi un poème première manière tel que "Voyelles", nous relevons la phrase : "La morale est la faiblesse de la cervelle[,]" dans une séquence de raisonnement étroitement parallèle à une autre de la lettre du 15 mai 1871 à Demeny. Cette lettre à Demeny contenait trois poèmes. Et, moi, ce que je constate, c'est que la formule qui définit quelque peu un aspect important des poèmes cités dans "Alchimie du verbe" pourrait bien valoir pour une meilleure compréhension de la logique qui fait que pour Rimbaud "Mes petites amoureuses", "Accroupissements" et "Chant de guerre Parisien" sont des échantillons de cette approche du "voyant" que veut être Rimbaud. Est-ce que dans le quatrain suivant, Rimbaud n'est pas en train de dire : "La morale est la faiblesse de la cervelle" ?
Fade amas d'étoiles ratées,Comblez les coins !- Vous crèverez en Dieu, bâtéesD'ignobles soins !
Et cette création "Chant de guerre Parisien", tout en étant une adhésion à la Commune, ne suppose-t-elle pas elle aussi le refus d'une morale comme faiblesse. Rimbaud ne pouvait alors avoir lu les ouvrages de Catulle Mendès et Armand Silvestre contre la Commune, mais il lisait la presse et il vivait au milieu d'une société qui s'exprimait en public. Rimbaud savait que, face à la Commune, le discours était d'apprécier l'Ordre, une retenue morale, etc. Et, dans "Accroupissements", cette charge particulièrement obscène contre un homme qui sert la cause de la religion, c'est aussi une façon de dire que "la morale est la faiblesse de la cervelle", et ce sera pareil dans "Les Poètes de sept ans" et dans "Les Pauvres à l'église", deux des trois poèmes que Rimbaud a envoyés à Demeny dans une lettre du 10 juin 1871, où, en l'absence d'avis contraire, comprendre que ces trois poèmes sont un complément de l'échantillonnage représentatif de sa nouvelle manière poétique ! Et je ne vais pas m'attarder sur "Le Cœur supplicié" envoyé le 10 juin à Demeny dans la version "Le Cœur du pitre" et où une question se fait entendre : "Comment agir, ô cœur volé ?" qui entre en écho avec cette défiance un peu folle envers l'action exprimée dans notre passage cité plus haut de "Alchimie du verbe". Vous vous rendez compte de ce que vous perdez, de ce que vous laissez passer dans les mailles trop larges de votre filet à vouloir ne penser que le degré d'hermétisme des compositions, que le degré d'incongruité de la versification, etc., que l'idée d'un réglage étrange et mystérieux des consonnes et des voyelles pour prétendument produire tels et tels effets imparables ? Deux mois après la semaine sanglante, Rimbaud a écrit "Les premières communions", ce syntagme resurgit dans le poème en prose "Après le Déluge" depuis longtemps admis comme une évocation métaphorique de la société rétablie après le massacre des insurgés. Et dans "Bannières de mai", première pièce de la série des "Fêtes de la patience", le vers : "L'azur et l'onde communient" suppose une perfide allusion à l'idée de communion chrétienne, et derrière la fausse apparence de bleuette naïve nimbée d'un vocabulaire religieux, est-ce que le poète n'est pas en train de nous dire encore une fois que "La morale est la faiblesse de la cervelle", en transférant perfidement la valeur religieuse à un état de grâce par l'abandon de soi dans la nature ambiante ? Le poème "Bannières de mai" est sans nul doute plus retors que cela, mais il n'y a aucune innocence bucolique dans les poèmes printaniers de Rimbaud en 1872. Et le recul de l'armature logique dans les phrases participe évidemment de l'idée d'empêcher le lecteur de réajuster la mesure protectrice de l'âme. Est-ce tellement éloigné de ce qui est dit dans "Chant de guerre Parisien", "Mes petites amoureuses", "Accroupissements" ou "Les Poètes de sept ans" ? Je ne le crois pas pour ma part.
A suivre...
Cette deuxième partie a immédiatement du succès, elle est même plus consultée que la première partie.
RépondreSupprimerJe ne suis pas en état d'enchaîner rapidement, mal de tête et obscurité d'un jour de pluie. En fait, pour la suite, il va être question du couple "poésie objective" / "poésies subjective" qui, selon le discours de Schaeffer, vient de Kant, et c'est vrai, mais le problème est celui de l'alignement, car le sens donné à ces deux adjectifs par Rimbaud semble tout de même légèrement discordant. Et c'est pour cela qu'après Schaeffer il aurait été bien de faire une inspection systématique de déjà toutes les sources qu'il donne : De l'Allemagne de Mme de Staël, un texte de 1825, il évoque sans le citer un dialogue entre Nodier et Hugo rappelé page 44 du livre de Gaudon Le Temps des Contemplations, et surtout il y a plusieurs citations du Littré, dont une très bien, sauf que Littré pose la question de l'anachronisme possible en fait de source directe, puis il y a les citations venant de Gautier ! Là encore, il en est d'anachroniques, l'Histoire du romantisme, mais l'ouvrage L'Art moderne est cité !
Après, il y a des raccourcis de pensée qui me posent problème à la lecture du commentaire de Schaeffer. Il évacue aussi des débats légendaires : "en bocks et en filles" lire des filles pas des petites bouteilles, "ça ne veut pas rien dire" qui veut dire ça signifie quelque chose et pas rien et "On me pense" jeu de mots non pas sur [panse] mais sur le déplacement de "Je pense" à "On me pense" avec double sens incongru de "On me pense" (Schaeffer ne loe dit pas, j'ajoute cette précision, moi !), ce qui est sain.
Enfin, sur la versification, elle est une mesure conservatrice du beau et de la morale, et c'est pour cela que dans les vers du printemps et de l'été 1872, le propos est de dérèglement des sens moraux, et la versification est chahutée à l'aune de ce combat contre la morale. Lire L'Art moderne de Gautier, ce sera déjà important, beaucoup de choses à venir.