mardi 8 juin 2021

"N'oublie pas de chier sur le 'Dictionnaire Rimbaud' si tu le rencontres..." (partie 2 : l'avant-propos et le choix des entrées)

Pour rappel, j'ai mis en ligne la première partie de cette recension le samedi 27 février 2021.
A la fin de cette première partie, j'avais écrit ceci : "La deuxième partie de l'étude va éplucher le discours tenu dans l'avant-propos par Alain Vaillant, puis nous ferons une synthèse critique sur les diverses contributions."
Pour bien remettre le pied à l'étrier, je propose de modifier légèrement le programme. La deuxième partie ne va traiter que de l'avant-propos, j'avais déjà écrit mon texte à l'époque, puis je vais faire une étude comparative entre les choix des entrées du Dictionnaire Rimbaud dirigé par Baronian et les choix du Dictionnaire Rimbaud dirigé par Vaillant, Frémy et Cavallaro. Une synthèse plus approfondie viendra un peu après clore l'ensemble.

Déjà directeur d’un Dictionnaire du Romantisme, mais avec une liste de trente-et-un autres collaborateurs qui étaient tous différents des trente-sept nouveaux collaborateurs à ce Dictionnaire Rimbaud, Alain Vaillant annonce ses ambitions dans son bref « Avant-Propos » (p. 7-9) et il le fait dès les premières phrases : ce dictionnaire va fixer « le savoir académique », « dresser un bilan des connaissances accumulées », permettre d’opérer un « tri indispensable », pour exhiber la science : des « informations », des « éclairages », des « mises au point ». Développant après Baronian tout un baratin sur les possibilités d’un dictionnaire et les querelles de chapelles parmi les rimbaldiens, Vaillant nous avertit qu’il a senti toute la « gravité » du projet. Il ne veut pas que l’ouvrage soit purement dissonant entre contributeurs, mais il ne voudrait pas non plus que nous n’entendions qu’une seule voix. Il nous est expliqué que les contributeurs ont été libres de faire entendre leurs voix personnelles, mais que les discours tenus ont fait l’objet d’une validation par la direction, ce qui permettrait à l’ouvrage d’être autant un « bilan critique » qu’un lieu de réflexion où se multiplieraient les efforts d’interprétation.

 

Il va sans dire, d’abord, que nous n’avions pas autorité pour décider quelle était la signification « vraie » de chaque texte, et chacun de nos contributeurs était donc libre (et responsable) de ses interprétations – à la condition qu’elles aient été validées par nous et que nous les ayons jugées, non pas toujours conformes aux nôtres, mais à ce qu’il nous paraissait admissible de publier.

 

Le plaidoyer des bonnes intentions s’affiche un certain temps. Citons encore l’extrait suivant :

 

La vocation qu’embrassent les notices sur l’œuvre est ainsi, dans la mesure du possible, celle du bilan critique autant que d’une interprétation qui engage les auteurs : un tel dictionnaire doit servir aussi à ordonner et à hiérarchiser la masse surabondante des gloses rimbaldiennes.

 

Et tout cela pour nous conduire au plus heureux « consensus critique » qui serait devenu « possible » autant que « souhaitable ». Néanmoins, j’entends pas mal de formules qui me font dresser l’oreille : « opérer un tri indispensable », « bilan critique » (sans aucun doute labellisé neutre et digne du « consensus »), « hiérarchiser la masse surabondante des gloses rimbaldiennes ». Ne le sentez-vous pas venir que le ver est dans le fruit ?

L’ultime paragraphe prétend nous donner un aperçu du labeur qu’a été la préparation de ce Dictionnaire Rimbaud. Les notices auraient fait l’objet de « discussions », de « repentirs », de « désaccords » qu’il aura fallu surmonter, et le Dictionnaire aurait permis des découvertes à force de « retours aux textes » et de confrontations d’idées. Les « discussions », « repentirs » et « désaccords » portaient-ils réellement sur l’interprétation des textes ou bien ne portaient-ils pas plutôt sur le formatage et calibrage des notices ? Et si l’élaboration de l’ouvrage a permis des découvertes, ce qui serait une bonne chose en soi, où peut-on apprendre du neuf dans les diverses notices qui nous ont été fournies ? Je n’ai pas eu l’impression d’avoir affaire à de la recherche rimbaldienne inédite. En tout cas, pas plus que pour le dictionnaire de Baronian, je n’ai été consulté au sujet de ce nouveau projet collectif de « bilan critique » dans les études rimbaldiennes. Je n’ai aucun conflit ouvert avec Cavallaro, je ne connais pas Alain Vaillant, mais en confectionnant ce dictionnaire, ni Vaillant ni Cavallaro n’ont eu la curiosité de se renseigner auprès de moi sur certaines polémiques rimbaldiennes, ni de me solliciter pour que j’évalue les notices à produire quant à l’Album zutique ou bien évidemment « Voyelles ». Cavallaro et Saint-Amand étaient présents au colloque « Les Saisons de Rimbaud » en 2017, que je sache. Que je ne participe pas au dictionnaire, soit ! Mais, si le but de ce Dictionnaire est de dresser un « bilan critique » honnête qui puisse se targuer d’être une référence, je trouve assez piquante cette absence de curiosité. En renonçant à me contacter, et même plus précisément en renonçant au fait de me connaître, les directeurs du Dictionnaire Rimbaud abdiquent déjà toute objectivité et n’envisagent même aucun véritable débat.

Enfin, si le précédent dictionnaire dirigé par Baronian n’offrait pas de bibliographie de fin d’ouvrage, cette lacune semble avoir été comblée avec le présent volume, sauf que le diable se cache dans les détails. Citons les prétentions affichées de l’avant-propos à ce sujet. Elles sont formulées dans son avant-dernier paragraphe :

 

[…] un soin tout particulier a été porté à l’information bibliographique : non seulement, selon l’usage de ces dictionnaires, chaque notice est suivie d’une sélection de références jugées les plus pertinentes, mais on trouvera, en fin de volume, une bibliographie générale dont nous avons voulu faire un véritable instrument de travail et de référence, au complément du dictionnaire lui-même.

 

A lire ces lignes, il faudrait croire que la bibliographie a fait l’objet d’une concertation collective. Je vais montrer qu’il n’en est rien. En effet, la plupart du temps, pas toujours, les notices sont suivies d’une petite bibliographie, mais celle-ci est le fait, à chaque fois, du seul rédacteur de la notice. Or, la bibliographie finale n’est que la compilation redondante des petites bibliographies dispersées dans l’ensemble des notices ! Un universitaire historien s’indignerait. Il n’y a aucune bibliographie digne de ce nom. Et surtout, n’étant que la reprise paresseuse des bibliographies des divers contributeurs, cette bibliographie lacunaire et redondante est la preuve d’une absence de coordination de la part des directeurs. L’illusion du travail sérieux se fonde sur l’éblouissement quantitatif. A force de reprendre les petites bibliographies des notices, on arrive à un filet aux mailles assez serrées pour donner l’impression que l’essentiel a été rapporté. Pour son unique contribution, Michel Murat n’a pas offert de bibliographie personnalisée. Il traite pourtant un sujet sensible, celui des manuscrits des Illuminations. En fait, dans un second article « herméneutique » sur les Illuminations, Adrien Cavallaro fournit une bibliographie fleuve dont la dimension fourre-tout empêche de considérer sereinement si le travail de dépouillement a été mené consciencieusement. On ne peut pas repérer du premier coup d’œil les lacunes, la logique et rigueur de la sélection, et certaines études ne sont tout simplement pas mises en valeur, même quand elles sont citées. S’il existe des références bibliographiques plus succinctes article par article, c’est précisément pour permettre aux lecteurs de se faire sa propre idée sur un débat plus précis.

Pour des raisons d’humeur, Pierre Brunel décide de ne pas recenser mon étude sur « Le Bateau ivre », alors qu’il mentionne les études de Murphy et Santolini qui signalent que mon travail est l’un des plus importants et incontournables sur ce poème, cette lacune se retrouve mécaniquement dans la bibliographie générale. On remarque aussi que le dictionnaire concurrent de Baronian est cité le moins possible dans ce nouveau Dictionnaire Rimbaud : il y a bien une volonté de le mettre en-dehors du débat sérieux sur la poésie de Rimbaud. Cela peut se concevoir, mais je suis tout de même frappé par « l’entre-soi » des citations dans ce Dictionnaire. En tant que directeur de l’ouvrage, Cavallaro a droit à une plus-value de ses articles antérieurs qui sont volontiers cités, tandis que Bardel fait l’apologie de Steve Murphy. On peut comprendre qu’une certaine admiration soit exprimée, mais l’ouvrage philologique de Murphy date de 1999. Comment se fait-il qu’il n’y ait pas de notice sur Mirbeau dans ce Dictionnaire Rimbaud, alors qu’il y a la révélation d’un vers inédit des « Veilleurs » à la clef ? Certes, je pense que Mirbeau n’a pas cité ce vers inédit par amour de la poésie de Rimbaud, plutôt par malveillance, mais il n’en reste pas moins que sur ces vingt dernières années c’est une information capitale. Il n’y a même pas une notice sur le poème « Les Veilleurs » que Verlaine disait le plus beau de Rimbaud et dont nous pouvons désormais citer un alexandrin visiblement. Sur l’établissement du texte de Rimbaud, depuis 1999, je suis encore une fois obligé de me citer, mais Bardel ne fait rien de mon déchiffrement du passage prétendu illisible de « L’Homme juste », il ne fait rien non plus de mes mises au point philologiques très précises sur « L’Orgie parisienne ou Paris se repeuple ». Pour sa part, Michel Murat dans sa notice sur les « Manuscrits » des « Illuminations » émet des réserves sur l’affirmation de Murphy selon laquelle la pagination serait de Rimbaud, mais il ne cite pas l’article en deux parties de Jacques Bienvenu qui a été le tournant décisif sur la question.

En tout cas, à la fin des fins, malgré ce que dit Vaillant dans son « Avant-propos » qui tient en peu de mots, il n’y a eu aucun travail d’équipe poussé et rigoureux. La bibliographie de fin d’ouvrage en est la preuve : elle ne fait que double emploi avec les références bibliographiques des divers contributeurs. Mais, un travail a été revendiqué également au plan des notices. En réalité, le travail doit être plus ardu pour un premier dictionnaire. Ceux qui suivent ont déjà un modèle à reprendre ou dont s’inspirer, un modèle dont ils peuvent constater les qualités comme les lacunes. N’ayant pas accès au Dictionnaire Rimbaud de Jeancolas, je vais me contenter d’une comparaison entre l’ouvrage dirigé par Baronian et celui dirigé par Vaillant, mais au-delà de cette comparaison je vais cibler quelques lacunes qui demeurent dans le cas du nouveau dictionnaire.

Dans le Dictionnaire Rimbaud conçu par Baronian, il y avait une notice par poème. Ce principe a été repris par le Dictionnaire Rimbaud de 2021. Cela est allé plus loin. Dans l’ouvrage de 2014, il existait des entrées du dictionnaire pour les différents titres d’un même poème et parfois, selon le procédé de l’incipit, nous avions droit à une notice sur des versions sans titre des poèmes. Parfois, plusieurs variantes sont à la suite les unes des autres : « Le Cœur du pitre », « Le Cœur supplicié », « Le Cœur volé ». L’équipe d’Alain Vaillant a radicalisé l’expérience. Nous avons droit à des entrées pour tous les titres ou pour toutes les versions sans titre que l’équipe de Baronian a pu négliger : « A Samarie », « Bethsaïda », « Ce qui retient Nina », « De ce siège si mal tourné… », « Enfer de la soif », « Fausse conversion », « L’Histoire splendide », « L’air léger et charmant… », « Mon pauvre cœur… », « Nous sommes tes grands-parents… », « Ô la face cendrée… », « Obscur et froncé… », « Rêve », « Vieux Coppée »,… Ce n’est pas toujours mal venu, mais je trouve ce principe assez lourd. Qui va ouvrir le dictionnaire à l’entrée « Nous sommes tes grands-parents… » ou à celle-ci « Loin des oiseaux… » ? Le débat sur les titres a d’évidence là encore des implications polémiques. Le vrai titre de « Plate[s-]bandes d’amaran[t]e… » est donné « Juillet », ce qui est normal, mais on a aussi une réponse au louvoiement du dictionnaire de 2014 : « Notice sur l’Ogadine », « Ogadine », « Rapport de l’Ogadine », avec une entrée où les guillemets sont inclus dans le dictionnaire lui-même : « Rapport sur l’Ogadine ».

Evidemment, dans cette minutie, l’équipe de Vaillant s’est exposée à la critique, puisqu’il manque une entrée sur une au moins des pièces inédites citées par Delahaye : « J’ai mon fémur ! » C’est une lacune aussi importante que l’absence d’entrée au poème « Les Veilleurs », surtout quand on voit qu’il y a une entrée sur du feuillet déchiré de l’Album zutique où que ça nous plaise ou non il n’y a plus rien à lire.

Puisque le dictionnaire de 2021 polémique de manière feutrée, je ferai observer qu’en 2014 le dictionnaire dirigé par Baronian comportait des entrées « Cahier de Douai » et « Recueil Demeny ». Ces entrées n’apparaissent pas dans le dictionnaire de 2021. Il n’y a pas non plus de « Dossier Verlaine » ou « Recueil Verlaine » pour la suite paginée de manuscrits de poèmes de Rimbaud. Alain Bardel fait une notice sur les « Manuscrits » de Rimbaud où il nous certifie que les projets de constituer des recueils relèvent de l’évidence en 1870 à Douai, ou lorsque Verlaine établit une suite paginée, mais le dictionnaire avoue sa faillite en n’envisageant pas de notices pour un quelconque de ces prétendus beaux projets. Rappelons que l’idée du « Recueil Demeny » est une invention de Pierre Brunel et Steve Murphy dont nous avons dénoncé avec force l’illusion dans un article paru au début du blog de jacques Bienvenu Rimbaud ivre, ce que Bardel n’ignore pas, puisqu’il l’avait signalé à l’attention à l’époque. Dans des actes de colloque à paraître ce 9 juin (je les ai lus à l’avance en tant que contributeur), Yves Reboul cite précisément cet article du blog de Bienvenu au sujet du caractère fallacieux de l’appellation « Cahier de Douai ».

Lien : "La Légende du Recueil Demeny"

En revanche, on a droit à une nouvelle entrée sur le « Cahier des dix ans ». Mais une notice « Recueil Demeny » ou « Cahier de Douai » n’était-elle pas plus importante qu’une notice « Cahier des dix ans », quitte à contester le bien-fondé de telles désignations trompeuses ?

Le premier Dictionnaire Rimbaud insistait beaucoup sur la biographie rimbaldienne, et donnait une certaine importance à sa vie africaine notamment. Le dictionnaire de 2021 ne retient que très peu de notices sur la partie africaine de la vie de Rimbaud, mais Vaillant n’a pu s’empêcher d’intégrer une notice sur « Dubar » qui manquait à l’ouvrage de 2014. Le problème, c’est que, dans l’économie de l’ouvrage de 2021, cette notice n’est pas à sa place ce qui révèle pleinement sa nature polémique.

Je n’ai pas le courage de me pencher sur une comparaison poussée des rubriques sur différents écrivains du vingtième siècle. Le dictionnaire de 2014 comportait un grand nombre de notices sur des contemporains de Rimbaud ou sur des gens du vingtième siècle ayant écrit sur Rimbaud (écrivains reconnus ou non). Cette part du dictionnaire est significativement allégée elle aussi dans le présent dictionnaire, mais ce qui est un peu étrange c’est que de nouvelles notices apparaissent. Elles sont sans doutes dues aux centres d’intérêt personnels des nouveaux contributeurs, avec un rôle clef d’Adrien Cavallaro, mais en comparant les deux listes on en vient à se demander ce qui justifie les choix en profondeur. Le nouveau Dictionnaire Rimbaud livre des notices sur Tel Quel (Jean-Lousi Baudry, etc.), Thomas Bernhard, Aimé Césaire, Michel Deguy, Isidore Isou, Max Jacob, Le Clézio, Charles Maurras et Marcelin Pleynet, tandis que plusieurs autres disparaissent : Antoine Adam, Akakia-Viala, Guillaume Apollinaire, Nicolas Bataille, Samuel Beckett, Albert Béguin, Suzanne Bernard, Maurice Blanchot, Antoine Blondin, Bouillane de Lacoste, Paul Bourget (tout de même une connaissance des connaissances de Rimbaud), Joë Bousquet, Suzanne Briet, Jean-Marie Carré, Céline, Marcel Coulon, Daniël de Graaf, André Dhôtel, Drieu la Rochelle, Georges Duhamel, Edouard Dujardin, Marc Eigeldinger, André Fontainas, Hugo Friedrich, Michel de Ghelderode, André Gide, Jean Giraudoux, Robert Goffin, Henri Guillemin, Philippe Jaccottet, Francis Jammes, Jack Kerouac, Atle Kittang, Larbaud, Michel Leiris, Pierre Louÿs, Henri Matarasso, Thierry Maulnier, François Mauriac, Marguerite-Yerta Méléra, Henri Michaux, Henry Miller, Octave Mirbeau, Bruce Morrissette, Jules Mouquet, Roger Munier, Maurice Nadeau, Emilie Noulet, Michael Pakenham, Pierre Petitfils, Pascal Pia, Ezra Pound, Pierre Reverdy, etc., etc.

Des remarques similaires peuvent être faites sur les contemporains de Rimbaud. Le dictionnaire de 2021 évite de faire des notices sur différents poètes de l’époque, mais nous avons droit à une notice sur le recueil même Les Glaneuses de Demeny. Plusieurs notices sautent : Camille Pelletan, etc., etc. On en fait apparaître de nouvelles sur Ilg, Labarrière ou Nerval, Descartes, Jules Michelet, Jean Reboul, mais l’appauvrissement en notices sur les connaissances littéraires de Rimbaud me paraît clairement nuire aux prétentions d’un tel projet qui voulait se recentrer sur l’appréciation de l’œuvre poétique elle-même. Les notices sur Catulle Mendès, Léon Dierx, sont qui plus est grandement insuffisantes.

Le principal apport de ce nouveau Dictionnaire relève d’une certaine abondance de nouvelles entrées thématiques qui concernent tout particulièrement Une saison en enfer et le caractère sulfureux des textes rimbaldiens : Alcool, Anticléricalisme, Beauté, Bonheur, Boue, Calembour, Caricatures, Charité, Contre-culture, Crime, Damnation, Déserteur, (S’)Encrapuler, Enfer, Errances et voyages, Folie, Fumisme, Grèce antique, Hallucination, Histoire, Humour, Idolâtire, (L’) « inconnu », Invention, Jésus-Christ, Justice, Liberté, Magie, Mai 68, Mer, Misère, Morale, Nature, Nègre, Occident / Orient, Païen, Peuple, Race, Raison, Religion, Révolte, Rhétorique, Salut, Satan, Satire, Soif, Soleil, Style, Vice, Zutisme. Il reste toutefois à évaluer les prestations article par article, mais ces mentions suffisent à souligner déjà un certain profil rimbaldien ici mis nettement en relief. Toutefois, dans ce procédé des entrées thématiques, les auteurs ont pris certains risques en dressant des citations en entrées de dictionnaire. Le principe apparaissait ponctuellement dans le dictionnaire dirigé par Baronian, en tout cas avec la notice « Main à plume », mais ici elle prend une certaine étendue : « Dérèglement de tous les sens », « Facultés descriptives », « Il faut être absolument moderne », « Je est un autre », « Poésie objective » et « poésie subjective » et « Vieillerie poétique ». Tous ces choix n’ont pas le même degré de pertinence. La notice « Romantisme » est évidemment la bienvenue, elle manquait cruellement au Dictionnaire Rimbaud de 2014 et Vaillant, nous l’avons dit, a dirigé un Dictionnaire du romantisme auparavant.

Un autre point fort du nouveau Dictionnaire, ce sont les notices sur les problèmes de versification. Et il y a des contributeurs de choix à ce sujet : Cornulier, Bobillot, Murat, Rocher, etc. Nous avons des entrées « Rime », « Métrique », « Sonnet », mais aussi « Vers libre », « Poème en prose », « Style ». Malheureusement, la notice sur le « Vers libre » ne fait aucun historique de la notion de vers libre et il manque une rubrique « Strophe », sujet déjà explicitement délaissé par Murat dans son livre L’Art de Rimbaud, alors que l’identification des strophes permet d’affiner de manière considérable notre compréhension des poèmes de Rimbaud et de leurs sources : « Les Reparties de Nina » et « Mes petites amoureuses » en regard de Musset, les sonnets en vers courts en regard d’Alphonse Daudet et Amédée Pommier, le lien de « Rêvé pour l’hiver » à « Au désir » de Sully Prudhomme, etc. Pour ce qui est de l’article « Métrique », je prévois des remarques critiques du contenu dans la prochaine partie de cette recension.

J’ai pu remarquer en comparant les deux dictionnaires qu’il y avait un petit flottement dans les mentions entre guillemets de titres ou d’incipit commençant par un article défini. En 2014, l’article sur le dizain « L’Enfant qui ramassa les balles… » figure à la lettre E, et en 2021 il figure à la lettre L, mais il y a d’autres distributions particulières encore à observer qui distinguent les deux ouvrages dans ces cas de figure. J’observe aussi avec amusement que figure une entrée « Zutisme » alors que quand je propose à la publication la leçon authentique manuscrite « Cercle du Zutisme » je subis la correction « cercle zutique ».

Dans la prochaine partie de ma recension, je vais me pencher sur des problèmes de contenu, mais je voulais aussi insister au moment de confrontation formelle entre les deux ouvrages sur un point important. Le Dictionnaire Rimbaud de 2014 était un ouvrage plutôt descriptif. C’est sensible dans le cas des rubriques sur les différents poèmes. Les notices sont plus courtes que celles de 2021 et se contentent la plupart du temps d’exposer les termes du débat interprétatif. Le Dictionnaire Rimbaud de 2021, tout en polémiquant avec l’ouvrage précédent, crée une confrontation factice, puisque les rubriques sont moins des notices de dictionnaires que des articles rimbaldiens à part entière. Prenez les notices sur les poèmes en prose, vous avez des développements dont la construction est quelque peu semblable à celle d’un article publié dans la revue Parade sauvage ou dans diverses revues universitaires. Le résultat du Dictionnaire de 2021 est clairement bâtard, puisqu’il échoue à s’en tenir dans des limites descriptives et puisqu’en se prétendant à la pointe de la recherche rimbaldienne il offre d’une part peu d’idées neuves article par article, mais surtout la manière d’écrire ces articles fait plus sentir aux lecteurs les insuffisances de l’état de la recherche actuelle que les mises au point. En ce sens, ce nouveau dictionnaire est un échec patent.

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