La partie paginée des manuscrits des Illuminations peut être consultée sur le site Gallica de la BNF.
Lien pour consulter la suite paginée de feuillets manuscrits des 'Illuminations'
Peut-on parler d'un manuscrit des Illuminations ? Non, il s'agit d'une appellation tendancieuse. Il faut parler d'un ensemble de feuillets manuscrits dont la délimitation exhaustive pose problème : il nous manque le ou les manuscrits de transcription des deux poèmes "Démocratie" et "Dévotion", comme nous ignorons s'il fallait joindre à l'ensemble d'autres poèmes en prose inconnus, voire un dossier de poèmes en vers "seconde manière". Je ne trancherai pas le sujet de l'appartenance ou non des vers "seconde manière", je constate simplement que jamais il n'a été prouvé que le recueil devait les exclure. Une suspension de jugement est ici nécessaire. Enfin, même encore à l'heure actuelle, l'ensemble des manuscrits qui permettent de transcrire l'intégralité du recueil de poèmes en prose Illuminations, tel que nous le connaissons aujourd'hui, est dispersé en plusieurs endroits différents. Tous les manuscrits ne sont pas rassemblés dans un même dossier, ni en un même lieu de conservation.
Une part non négligeable des poèmes admis comme appartenant au recueil Illuminations (ou Les Illuminations, peu importe !) figurent sur des feuillets volants qui, quand ils ont été paginés, l'ont été nécessairement par les éditeurs.
Il y a donc un problème d'imposture à parler de recueil des Illuminations, à partir d'une partie paginée, puisque Rimbaud n'était pas un idiot : il savait pertinemment que les manuscrits pouvaient tomber par terre et que l'ensemble assez conséquent de feuillets non paginés n'aurait pas repris le même ordre de défilement. Si Rimbaud avait voulu paginer un recueil, il ne se serait pas arrêté à la page 24 pour laisser aux aléas de la première distribution d'éditeur venu le sort des poèmes que n'auraient pas ordonnés une table de sommaire ou une pagination menée à terme.
Parler de recueil des Illuminations, au sens fort du mot recueil, n'a aucun sens.
Or, Jacques Bienvenu a cité un témoignage d'époque de Fénéon dans la presse (7-14 octobre 1886), où il est question de donner "un ordre logique" à des "chiffons volants", ce qui laisse bien penser que la pagination des Illuminations n'est pas de Rimbaud lui-même, et dans son ouvrage Poétique du fragment André Guyaux a souligné un fait capital : la suite paginée des manuscrits des Illuminations coïncide avec la sélection des pièces fournies dans les numéros 5 et 6 de la revue La Vogue.
Il ne faut pas avoir le nez bien fin pour comprendre que la pagination des 23 feuillets en 24 pages vient non pas de Rimbaud lui-même, mais de la revue La Vogue. Cette pagination parcellaire correspond aux premières étapes de publication et par conséquent à une publication partielle des manuscrits rimbaldiens sous le titre Illuminations. Rimbaud n'avait, lui, en revanche, aucun raison d'arrêter la pagination. Les feuillets des poèmes "Mouvement", "Guerre", "Bottom" ou "Génie" nous sont bien parvenus. On ne va pas nous faire croire que Rimbaud n'avait plus assez d'encre pour achever de paginer les feuillets. Pire, il n'avait plus ni encre, ni crayon, selon certains experts. Rimbaud n'avait même plus moyen d'écrire un sommaire pour son recueil. "La dèche, moi, je vous dis, la dèche !"
Au passage, faisons remarquer que dans le cas de la suite de 24 pages (décidément !) de poèmes en vers "première manière" établie par Verlaine, la situation est différente. Nous avons un ensemble de titres de poèmes que Verlaine avait l'intention d'ajouter à l'ensemble, et il n'a pu le faire faute de manuscrits sous la main, ce qui est prouvé par deux faits. Il n'a pas reporté le nombre de vers pour les poèmes manquants et effectivement aucun manuscrit de ces poèmes ne nous est parvenu par la voie de Forain et Millanvoye visiblement. Ce cas de figure permet déjà d'exclure que l'ensemble de 24 pages de poèmes en vers "première manière" (cas à part de "Tête de faune") corresponde à un recueil, puisque cela n'a aucun sens d'imaginer que les transcriptions manquantes coïncident avec la fin d'un recueil projeté. D'une part, le dossier de 24 pages a eu des remaniements dans les cas des "Mains de Jeanne-Marie" et de "L'Homme juste", à quoi ajouter que la table disons "de sommaire" trahit l'ordre établi par la suite paginée, et, d'autre part, il faudrait imaginer que Rimbaud qui, quand il était à Paris, était fourré avec Verlaine, délivrait les dossiers de poèmes au compte-gouttes. Il est tellement plus logique de considérer que la suite de 24 pages a un caractère aléatoire, car elle ne correspond qu'à ce que Verlaine avait sous la main. Pour parler comme Pascal : "Les manuscrits manquants, Verlaine les aurait eus sous la main, l'ordre de la suite paginée eût été différent." En revanche, ici, on en revient toujours à ce constat que plein de feuillets nous sont parvenus qui n'ont pas été paginés par Rimbaud. Ce n'est pas en attribuant à Rimbaud la pagination des 24 pages qu'on pourra parler de recueil des Illuminations. C'est un fait acquis.
Précisons que pour bien étudier la question de la pagination des manuscrits admis comme faisant partie des Illuminations il convient d'étudier la pagination, quand il y en a une, des feuillets de transcriptions de poèmes en vers "seconde manière". Il convient d'étudier la pagination des autres feuillets manuscrits où sont transcrits des poèmes en prose. Il convient également d'étudier quand c'est possible les dossiers préparatoires des éditeurs.
Mais, revenons-en à la pagination des 23 feuillets en 24 pages pour ce qui est des Illuminations.
Il va de soi que si nous refusons de considérer la convergence de certains faits il devient loisible dans l'absolu d'imaginer toutes les possibilités. Pierre a pu écrite un 1) sur le premier feuillet, Paul un 2), Muriel un 3), Stéphanie un 4), et ainsi de suite. Ou on peut imaginer que les chiffres 1 à 24 sont le fait d'une seule personne, et que le repassage de 1 à 9 est d'une personne distincte qui a fait cela par pure caprice.
Mais observons bien les manuscrits. Vous allez voir qu'on ne leur fait pas dire ainsi ce qu'on veut.
Bien avant de publier une étude en deux parties sur "La pagination des Illuminations", Jacques Bienvenu a publié sur son blog Rimbaud ivre un article "Les ouvrières des 'Illuminations' " qui remettait en avant un fait qui jusque-là souffrait du plus grand silence des commentateurs. Loin d'être sacrés, les manuscrits ont été salopés tant et plus par les éditeurs de La Vogue. Il y a plein d'inscriptions ajoutées aux manuscrits, et bien sûr ces mentions de noms des ouvrières et du nombre de lignes qu'elles avaient effectuées.
Les mentions "Marie" et "54 lignes" font nettement tache. Elles gênent la relecture des lignes de poésie en prose sublime de Rimbaud, rien que ça ! Et c'est pareil pour le nom de "M Grandsire" sur le feuillet du poème "Après le Déluge". Et il faut ajouter la transcription au crayon bleu "Neuf Elzevir", on ne peut plus clairement liée à un projet de mise sous presse.
Il faut donc bien s'imprégner de l'idée que pour les éditeurs de La Vogue, ouvrières et direction (peu importe !), les manuscrits n'ont pas eu cette aura sacrée que nous pouvons leur prêter de nos jours. C'était un texte à imprimer, point ! Les gens s'en sont servis comme de brouillons ! Aujourd'hui, les écrivains conservent sans doute précieusement tous leurs brouillons pour être étudiés à l'Université dans 300 ans. Mais, Hugo, Rimbaud, Verlaine et les autres, ils ne pensaient pas du tout ainsi. Nous sommes heureux quand nous pouvons étudier la genèse de leurs recueils, mais en général ces documents ne nous sont pas parvenus. Il faut quand même en être un tant soit peu conscient.
Et si nous venons de parler de la composition des lignes à imprimer par les ouvrières, il faut préciser que les titres sont eux en majuscules avec un émargement particulier.
Or, si l'essentiel de la pagination est au crayon (puisque seuls les feuillets 12 et 18 sont directement numérotés à l'encre, tandis que les chiffres 1 à 9, repassés à l'encre, furent donc initialement établis au crayon), considérons maintenant que le crayon a également été employé sur les feuillets manuscrits pour dégager les titres. Il faut bien comprendre que la démarche tendancieuse de maints rimbaldiens, c'est de prétendre que le crayon a été utilisé par Rimbaud pour la pagination, tandis qu'on concédera que le crayon a pu être utilisé par l'équipe éditoriale de la revue La Vogue. Il y a une action d'enfumage à nier la convergence des interventions au crayon de bois sur les feuillets manuscrits. C'est ça, le problème !
Voici les spécificités qu'il convient d'observer en ce qui concerne l'usage du crayon.
Nous avons un premier ensemble de 9 pages, avec une pagination de 1 à 9 qui a pour constante le report du chiffre de la pagination dans le coin supérieur droit du recto du feuillet manuscrit, avec à chaque fois une sorte d'encerclement à angle droit du chiffre. Je vous laisse vérifier la présence de cette forme à angle droit sur les fac-similés, j'emploierai par défaut l'ouverture de parenthèse : (1, (2, (3, (4, (5, (6, (7, (8, (9. Ce sont les neuf chiffres qui ont été repassés à l'encre. Or, au crayon toujours, la signature "Arthur Rimbaud" apparaît tout en bas du feuillet paginé 9, signature qui correspond très précisément à celle qui figure à la fin de transcription des poèmes dans le numéro 5 de la livraison de la revue La Vogue, à une exception près sur laquelle nous reviendrons qui est que le numéro 5 de la revue contient les transcriptions des 14 premières pages de la suite paginée, et donc la signature "Arthur Rimbaud" figure à la suite du texte imprimé du poème "Ornières" dans le numéro 5 de la revue La Vogue, page 161.
Nota Bene : je précise lourdement, pour ceux qui veulent vérifier par eux-mêmes, que le dossier du site Gallica de la BNF dont j'ai mis le lien plus haut et dont je remets le lien "ici" fait se succéder plusieurs documents avec à la suite des 24 pages manuscrites toute la partie imprimée des poèmes des Illuminations dans la livraison numéro 5 de la revue La Vogue. Le dossier du site Gallica a sa pagination propre. Le fac-similé des feuillets manuscrits, qui inclut la photographie des versos, va de la numérotation 5r à la numérotation 27v, tandis que le fac-similé des pages consacrées à la transcription des Illuminations dans le numéro 5 de la revue La Vogue va de la numérotation 28r à celle 36r. Vous pouvez même apprécier le verso du feuillet paginé 9 et ses salissures dont il va être question plus loin (référence 13v) !
En clair, le repassage à l'encre des neuf premiers chiffres coïncide avec une mention finale ajoutée au crayon au bas du feuillet paginé 9 "Arthur Rimbaud", mention au crayon qui correspond à une précision du nom de l'auteur des poèmes en question telle qu'attendue lors de la publication, et telle qu'attestée par la publication effective dans la livraison numéro 5 de la revue La Vogue. Un troisième élément converge avec les deux faits précédents. Dans Poétique du fragment, André Guyaux avait fait remarquer que le verso demeuré vierge du feuillet paginé 9 était jauni, maculé de traces digitales, comme s'il avait été la "couverture" externe d'une liasse de feuillets. Enfin, il y a un quatrième fait convergent. Des pages 1 à 9, les titres des poèmes sont flanqués de crochets au crayon. Nous avons des doubles crochets pour tous les titres des 6 premières pages, puis un simple crochet initial pour tous les titres des pages 7 à 9. En revanche, des pages 10 à 14, les titres ne sont pas dégagés par des crochets. Notons toutefois que dans l'opération, la mention "xxx" bien ponctuée en tant que titre par Rimbaud lui-même à la suite de "Being Beauteous" n'a du coup pas été identifiée comme un titre par la revue La Vogue, ce qui explique son traitement en tant que second paragraphe du poème "Being Beauteous" dans la livraison numéro 5 de la revue.
Il est clair que les mentions au crayon coïncident systématiquement avec la publication des textes de cette suite paginée dans les livraisons numéros 5 et 6 de la revue La Vogue. Le numéro 5 contient les transcriptions des quatorze premières pages, le numéro 6 contient les transcriptions des pages 15 à 24.
Nous constatons que la signature "Arthur Rimbaud" au bas de la page 9 correspond à la signature prévue par la revue à la fin des transcriptions dans une seule livraison. Nous constatons que cette mention "Arthur Rimbaud" coïncide avec une usure significative du verso du feuillet paginé 9.
Nous constatons que pour les pages 1 à 9 tous les titres sont dégagés par des crochets. Nous constatons que pour les pages 10 à 14 aucun titre n'est souligné par des crochets. Nous constatons enfin que pour les pages 15 à 24 tous les titres sont encerclés au crayon, sauf le titre "Fête d'hiver" qui va connaître un sort similaire à celui de "Les Ponts" au sein de la série des titres non démarqués des pages manuscrites 10 à 14. Ces deux titres ont précisément été oubliés dans les versions imprimées, ce qui fait que le texte de "Les Ponts" devient la suite du poème intitulé "Ouvriers" et le texte de "Fête d'hiver" la suite du poème intitulé "Marine". Il faut ajouter le problème d'identification de la valeur de titre des trois croix pour "Ô la face cendrée...", car les trois croix sont bien suivies d'un point, procédé d'époque utilisé notamment par Lemerre pour les titres de recueils "Les Lèvres closes.", et procédé que Rimbaud utilise pour le titre "Les Lèvres closes." dans l'Album zutique justement, mais aussi pour nombre de titres de ses poèmes en vers. Nous avons donc des preuves irréfutables que les crochets et les encerclements servaient, à l'équipe de mise sous presse de la revue La Vogue, à identifier les titres au sein de la liasse manuscrite afin de leur réserver un traitement particulier. Les titres des feuillets paginés 10 à 14 ne sont pas accompagnés de crochets et ils ne sont pas non plus encerclés. Nous avons les preuves manifestes que c'est la revue elle-même qui a créé une unité de neuf premières pages à publier avant de décider d'allonger la publication dans la livraison numéro 5 aux cinq pages manuscrites suivantes. C'est bien sûr l'équipe de La Vogue qui a repassé à l'encre les chiffres des neuf premières pages, sans doute avant d'enchaîner avec la préparation des cinq pages suivantes. Le fait que les titres ne soient pas soulignés est un indice supplémentaire d'un ajout fait à la hâte.
Mais il est clair également que toutes les interventions au crayon sur la suite paginée de 24 pages viennent de la revue La Vogue. Je ne peux pas étudier les différences d'encre et l'opposition systématique du crayon et de l'encre sur des fac-similés. Toutefois, il faut arrêter avec la mauvaise foi de prétendre que Rimbaud a paginé lui-même ce dossier au crayon et que tout le reste des interventions au crayon vient de la revue La Vogue. Les interventions au crayon concernent très précisément la mise en relief des titres par des crochets ou des encerclements, la mise en relief de la reprise de la publication à la page 15 avec les mentions "A" et "1er", la signature d'une fin de série transcrite avec la mention "Arthur Rimbaud" au bas de la page 9.
Par quelle coïncidence miraculeuse, l'équipe de La Vogue aurait différencié le soulignement des titres à partir des pages 10 et 15 ? La mention "1er" au crayon figure à la page 15. Les titres encerclés courent de la page 15 à la page 24. Les titres flanqués de crochets courent de la page 1 à 9 avec la mention de fin provisoire toujours au crayon "Arthur Rimbaud" au bas de la page 9.
Les mentions au crayon pour les numéros de page vont de pair avec les méthodes de soulignement des titres, avec les méthodes de mise en relief de la signature "Arthur Rimbaud" spécifique à la revue au vu de la livraison numéro 5, avec les méthodes de la revue pour attaquer un ensemble de manuscrits : mention au crayon bleu "Neuf Elzevir" sur le feuillet paginé 1, mention "A" et "1er" sur le feuillet paginé 15.
Ce n'est pas tout ! Les mentions au crayon coïncident avec des éléments que les ouvrières n'ont pas eu à composer. Les ouvrières n'avaient pas à composer les numéros des pages pour les feuillets, puisque cela ne correspondait pas aux pages de la revue. Elles n'ont pas eu non plus à composer le nom "Arthur Rimbaud" au bas de la transcription de "Royauté", puisqu'avec la rallonge celle-ci a été reportée à la suite de la transcription du poème "Ornières" ! Elles n'ont pas eu à composer les crochets devant les titres. Nous avons donc des mentions au crayon pour guider le travail des ouvrières, mais l'emploi du crayon permet de rappeler que ces mentions ne font pas partie du texte, cas à part de la mention Arthur Rimbaud au bas de la page 9. A cette aune, nous pouvons comprendre que les chiffres repassés à l'encre correspondent au travail déjà effectué, l'avertissement de la simple transcription au crayon n'a plus lieu d'être.
Notre raisonnement a commencé à être développé dans la seconde partie de l'article de Bienvenu : "La pagination des Illuminations" (lien pour consulter cette suite d'article), mais il convenait encore d'imposer aux lecteurs de s'attarder au détail de cette importante configuration d'ensemble des manuscrits.
Dans ce qui suit, nous allons rappeler toutes les mentions qui sont flanquées sur le corps manuscrit des différents feuillets paginés. Nous reportons systématiquement les titres des poèmes de Rimbaud, en y adjoignant le cas particulier des trois croix pour "Ô la face cendrée", mais nous ne mentionnerons pas les chiffres romains I, II, III, IV ou V pour "Enfance", "Vies" et "Veillées". En revanche, nous mentionnons toutes les interventions au crayon et, outre quelques remarques en passant, nous relevons aussi les mentions manuscrites des ouvrières et du nombre de lignes qu'elles revendiquent avoir effectuées quand il y a lieu. Pour précision, ces lignes correspondent approximativement aux nombres de lignes des textes imprimés, mais comme il y a des approximations nous nous réservons de revenir sur le sujet ultérieurement. Ce qui est important, c'est de constater qu'en général les ouvrières se voient confiées deux pages manuscrites à la composition. On comprend en ce cas la nécessité de numéroter les feuillets. Une ouvrière s'occupe du feuillet paginé 1 ("Après le Déluge"), une autre s'occupe des feuillets paginés 2 et 3, une autre des feuillets paginés 4 et 5, et à peu près ainsi de suite. On constate que pour le feuillet paginé 21 au recto et 22 au verso il a coïncidé avec le fait d'être confié à une unique ouvrière "Mme Grandisre", celle-là même qui s'est déjà occupée du feuillet paginé 1 particulier contenant "Après le Déluge".
Je dois encore effectuer quelques vérifications, car on peut constater que la séparation des feuillets paginés 2 et 3 et des feuillets paginés 4 et 5 correspond à une séparation entre une personne qui compose "Enfance" pour ses parties I, II et III et une personne qui compose "Enfance" pour ses parties IV et V, avec transcription de "Conte" en supplément. C'est bien ce qui semble s'être passé et ce sera assez facile à évaluer avec les précisions en nombres de lignes de la plupart des ouvrières.
Enfin, cerise sur le gâteau !!!
Pourquoi à votre avis la revue La Vogue a-t-elle bien pu décider d'allonger la quantité de transcriptions pour la livraison numéro 5 ?
La transcription "Arthur Rimbaud" au crayon figure à la suite du texte manuscrit de "Royauté". Or, reportez-vous à sa transcription imprimée dans la revue. Le poème figure au haut de la page 156 et le poème "A une Raison" est venu s'insérer sans problème à sa suite au bas de la même page 156. Toutefois, dans la précipitation, comme aucun titre n'a été mis préalablement entre crochets pour les pages 10 à 14, le titre "Les Ponts" a été oublié dans la suite des transcriptions hâtivement ajoutées. Une nouvelle erreur se produira quand Mme Grandsire ne transcrira pas le titre "Fête d'hiver", le seul à ne pas avoir été correctement encerclé pour la série de poèmes des pages 15 à 24, signe que les titres étaient préparés à part. Nous n'imaginons pas Madame Grandsire se dire que le titre n'est pas souligné, donc elle ne le met pas, d'autant plus que s'il n'était pas souligné elle aurait plutôt dû le confondre avec une ligne de texte du poème "Marine".
En clair, il est bel et bien prouvé que la pagination des manuscrits vient de la revue La Vogue. Si vous ne comprenez pas, relisez cet article autant de fois que nécessaire.
Je ne doute pas que la mauvaise foi de quelques-uns peut aller très loin. Par exemple, ils vont sans doute bientôt exploiter qu'à partir de la page 9 il y a une autre coïncidence les titres "A une Raison" et "Matinée d'ivresse" ne sont pas ponctués et, comme cette ponctuation était le fait de Rimbaud lui-même, il faudrait voir cela comme une convergence décisive avec l'absence de crochets. Non ! Il faut arrêter les âneries et hiérarchiser correctement les informations. Bien sûr que les coïncidences existent et qu'il y en a, mais dans le cas présent nous avons une correspondance d'organisation systématique entre les interventions au crayon pour les titres et les interventions au crayon et à l'encre pour la pagination, et cette convergence est systématiquement renforcée par des correspondances exactes avec les publications des livraisons dans les numéros 5 et 6 de la revue La Vogue, comme avec l'usure du verso du feuillet paginé 9.
Par chance, il semble généralement admis que l'unité des feuillets 11 et 12 est bâtarde pour créer une prétendue suite intitulée "Phrases". Reste donc le cas de la suite "Veillées" avec les feuillets paginés 18 et 19.
Eh bien, nous avons la preuve que les éditeurs ne se gênaient pas pour envisager des remaniements, puisque sur un feuillet manuscrit qui n'appartient pas à notre suite paginée la partie "IV" de "Jeunesse" qui n'a pas de titre autonome a été flanquée du titre "Veillées" par une main inconnue. L'acte n'est pas allé à son terme, mais nous avons bien frôlé le démembrement de "Jeunesse" réduit à trois parties au profit d'un ensemble "Veillées" en quatre parties. La mention "veillées" sur le manuscrit de "Jeunesse IV" est, rappelons-le, d'une main inconnue !!! L'écriture de Rimbaud n'a pas été identifiée, ni celle de Nouveau, sans compter que ce ne serait pas très malin de leur part de considérer cela comme une consigne, vu qu'elle n'a pas été suivie d'effet et même jusqu'à présent n'a jamais été prise au sérieux.
Voici donc une représentation synthétique des informations qui permettent d'affirmer que la pagination fut le fait de la revue La Vogue et non de Rimbaud lui-même.
(1
<Après le Déluge.> M Grandsire Neuf Elzevir [Note : Rimbaud avait ajouté au-dessus de la première ligne le mot "après" qui semble avoir été biffé par une intervention des éditeurs de La Vogue ! La plupart des éditeurs rétablissent cette mention "après", mais je ne peux pas en débattre ici.]
(2
<Enfance.> M Eugénie / mention pâlie au crayon dans le coin supérieur droit "50)", je suppose que c'est le nombre de lignes composées que l'ouvrière revendique et qui implique la transcription des pages 2 et 3.
(3
(4 M Walther (?) mention au crayon en haut de la page "64 lig[nes]", ce qui correspondrait aux lignes revendiquées pour les pages 4 et 5.
(5
<Conte.>
(6
<Parade.>
Melle Marie 54 lignes
(7
<Antique.
<Being Beauteous.
<xxx.
(8
<Vies.
M[°] Jeanne 59 lignes.
(9
<Départ.
<Royauté.
Mention au crayon en bas de page : "Arthur Rimbaud"
(10
A une Raison
Matinée d'ivresse
(11
12/
(13 [Les biffé] Ouvriers
Les Ponts
(14
Ville.
Ornières.
(15
[II biffé par surimpression apparemment du titre final] Villes (sur le manuscrit, titre encerclé au crayon, j'utilise le soulignement à défaut)
Mme Tavernier [9 n 2 (?)]
En haut de cette page 15, nous avons des mentions que je suppose au crayon, un A encerclé et un chiffre ordinal "1er" lui aussi encerclé à la manière du titre "Villes". Ce poème est en effet le premier en tant qu'il ouvre la série des poèmes en prose de Rimbaud transcrits dans la livraison numéro 6 de la revue La Vogue. En effet, il ne faut pas conclure trop vite que "1er" signifie que nous avons le premier des deux poèmes intitulés "Villes" au pluriel.
(16
Vagabonds. (soulignement vaut titre encerclé au crayon sur le manuscrit)
Villes (idem) Note complémentaire le chiffre I a été biffé. Les chiffres I et II pour les deux "Villes" ont été biffés à l'encre par Rimbaud et Nouveau eux-mêmes lors de la transcription des poèmes sur les feuillets.
(17
Mme Walther (?)
18/
Veillées. (titre encerclé au crayon)
Une page fraîchement composée est tombée sur le feuillet manuscrit, page qui contenait la fin de transcription du texte précédent "Villes" (fin du feuillet paginé 17) et le début de transcription de la partie I de "Veillées".
(19
Titre initial biffé par une intervention inconnue, encre très foncée visiblement : "Veillée." Ce titre a été remplacé par un chiffre romain III à l'encre très foncée également. Le titre biffé n'a pas été encerclé, ni le "III", les chiffres romains n'étant jamais identifiés comme des titres sur l'ensemble des feuillets manuscrits.
Melle Jeanne [5?]7 lignes. Une vérification est à faire pour le nombre de lignes revendiquées 37 57 87 ou 97 ?
Mystique. (titre encerclé au crayon)
Aube. (titre encerclé au crayon)
(20
Fleurs. (titre encerclé au crayon)
(21
Mme Grandsire
Nocturne vulgaire. (titre encerclé au crayon)
!!!! 22) la mention chiffrée de la pagination est reportée à gauche sur le manuscrit, sachant qu'il s'agit par exception du verso du feuillet paginé 21. C'est l'unique feuillet avec transcription au recto et au verso de la suite paginée.
Marine. (titre encerclé au crayon
Fête d'hiver. (sans entrer dans les détails d'une analyse compliquée du manuscrit, le titre est suivi d'un point allongé qui le confirme en tant que titre, procédé rimbaldien qui n'est pas systématique mais fréquent pour les poèmes en prose comme pour les poèmes en vers. Le titre n'a pas été encerclé, et il va précisément manquer dans la transcription imprimée qui donne "Marine" et le texte de "Fête d'hiver" comme un seul poème, malgré des différences formelles criantes, "Marine" étant un candidat bien connu à l'identification du vers libre).
(23
Melle Marie [7?]4 lignes, chiffre à établir et vérifier.
Angoisse. (titre encerclé au crayon)
Métropolitain. (titre encerclé au crayon)
!!! 24) nouvelle exception, la page est mentionné à gauche sur le manuscrit, par manque de place sur le côté droit.
!!! Verso non paginé du feuillet 24) : nous avons une transcription biffée sans titre et avec des variantes du premier paragraphe de "Enfance I".
Bien évidemment, il reste d'autres questions à traiter. La suite paginée correspond, pour l'essentiel, à un ensemble de feuillets manuscrits d'un même format avec le cas particulier du verso du feuillet paginé 24 qui contient une version biffée du début de "Enfance I", sachant que ce feuillet est en plus abîmé.
Toutefois, si la pagination n'est pas de Rimbaud, l'ordre de transcription n'a donc pas force de loi, c'est un premier constat. Ensuite, Verlaine n'a jamais protesté, et en 1886 il y a eu deux éditions concurrentes avec des poèmes distribués dans deux ordres différents. J'insiste ! Verlaine n'a protesté contre aucun des deux ordres, alors qu'il est mort plusieurs années après, sans manquer d'écrire à plusieurs reprises sur Rimbaud. Verlaine n'a pas protesté non plus au sujet du mélange des vers avec les poèmes en prose. Et je ne parle pas ici que du problème du mélange des vers avec la prose, car si Verlaine avait perçu l'ensemble des feuillets des poèmes en prose comme un recueil, et s'il avait constaté la présence d'une pagination auctoriale, il aurait pu définitivement dénoncer le mélange des vers avec les proses et dénoncer l'ordre final de défilement des poèmes dans le livre des Illuminations lui-même ! Pour Verlaine, si le mélange des vers et de la prose est accepté, c'est que, dans son esprit, il n'y a pas une unité de recueil pour les seuls poèmes en prose.
Et qu'il y ait eu plusieurs personnes pour écrire les chiffres, que tel chiffre puisse ressembler vaguement à l'écriture de Rimbaud, tel autre non, ce n'est pas le sujet. Qu'un chiffre ne puisse pas ressembler à sa façon d'écrire, le 7 barré, ça c'est important, cela prouve qu'il ne peut avoir écrit lui-même ce chiffre, mais jusqu'à plus ample informé personne n'est en mesure de prouver qu'un chiffre ne peut avoir été formé que par sa seule main. L'intelligence, c'est de connaître les arguments qui ont un poids, et d'identifier les approches argumentatives dont on ne peut rien faire. Et l'intelligence, c'est aussi de s'affronter à la pression convergente des faits manuscrits. Et là, c'est accablant !
La pagination de ces manuscrits ne vient pas de Rimbaud, c'est prouvé par tout ce qui précède. Nous remarquons que ceux qui veulent penser autrement se gardent bien de commenter par le menu avec leurs objections le détail serré de notre argumentation. Ils se contentent de dire que la revue La Vogue a repassé à l'encre neuf chiffres et ils ne font pas cas des autres interventions au crayon sur les manuscrits. Et ils n'ont aucune explication globale cohérente pour concilier tous les faits.
Maintenant, nous allons tout de même apporter un complément en commentant l'insertion de feuillets d'un format différent dans une suite de feuillets homogènes. Ce sera l'objet d'un prochain article qui permettra de méditer à nouveaux frais sur l'état des manuscrits des Illuminations.
Post scriptum :
Je vais aussi préciser ceci.
Pour ce qui est de savoir se remettre en cause, je précise que je me suis opposé avec sincérité à l'attribution du sonnet "Poison perdu" à Rimbaud avant de changer d'avis. Pour la pagination, d'autant plus que je n'avais pas lu directement l'article de Steve Murphy dans la revue Histoires littéraires en 2001, je partageais le sentiment d'évidence de nombreux rimbaldiens que la pagination était de Rimbaud et que c'était nécessairement lui qui avait remanié les feuillets pour établir la suite des trois "Veillées". Quand Jacques Bienvenu, le premier, a mis en doute cette pagination, j'ai résisté, et même si aujourd'hui je peaufine l'analyse il a vu avant moi que l'analyse de Murphy n'était pas fiable.
Ceux qui ne se remettent pas en cause, on peut les identifier, je n'en fais visiblement pas partie...
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