Pourquoi Rimbaud a-t-il choisi la date du 26 mai, alors que la fin de la semaine sanglante est datée du 28 mai, et alors que l'épisode du "Mur des Fédérés" date du 27 mai ?
Dans le précédent article de ce blog, j'ai défini le caractère jusqu'auboutiste de l'adhésion de Rimbaud à la Commune, et je vais achever de confirmer ce fait par le présent commentaire sur la datation retenue pour le poème, celle donc du 26 mai 1871. J'ajoute que dans la précédente étude, étant donné que la signification du poème n'était pas vraiment un mystère comme l'atteste l'ancienne étude assez fouillée de Steve Murphy en 1990, j'ai essayé de montrer que le poème faisait pleinement allusion à la Commune malgré ce paradoxe d'un appel à l'émeute qui semblait une bévue à contretemps puisque c'était le moment de l'agonie de l'insurrection.
Quand il compose "Le Bateau ivre", Rimbaud a quelques mois de recul et il peut faire allusion, discrètement si on peut dire, à des propos tenus dans la presse, etc. Rimbaud peut évoquer directement les emprisonnements avec les "pontons" ou le début de l'insurrection avec les "péninsules démarrées", l'idée de se jeter dans la Commune en enfant ou en poète à cause du procès d'un très jeune communard raillé dans les journaux, etc. Pour "Les Poètes de sept ans", la logique est différente : Rimbaud formule un discours que les communards tenaient avant même le 18 mars et Rimbaud le tenait lui-même en 1870 dans la pièce "Le Forgeron" par exemple. Je considère que cet angle d'attaque fait l'intérêt réel de ma précédente étude.
La date du 26 mai signifie l'imminence de la défaite, et donc on a un Rimbaud qui raconte en vers à Demeny un appel à l'émeute comme si nous étions un 17 mars alors que nous sommes un 26 mai. Et ce 26 mai, ce n'est pas une date symbolique comme le 14 juillet au bas de "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" envoyé à Banville. Mais, c'est la veille de la date clef que vise Rimbaud, celle du 27 mai. Rimbaud a déjà procédé de la sorte avec le sonnet "Morts de Quatre-vingt-douze..." antidaté "Fait à Mazas, le 3 septembre". La chute de Napoléon, c'est le 2 septembre, la proclamation de la République, c'est le 4. Il va de soi que Rimbaud ne vise pas un compromis entre les deux dates, comme il va de soi que son sonnet n'est pas pertinent s'il suit d'un jour la chute de Napoléon III. Le propos est celui d'un appel aux républicains, et donc le poème est signé du 3 septembre pour que nous pensions au 4 septembre. Cette analyse de la datation du sonnet est connue et il suffit de la transporter aux "Poètes de sept ans"; ce que n'a pas fait Murphy qui écrivait en 1990 : "Le Poète est "vaincu" (v. 14), comme le sont précisément les Communards le 26 mai 1871 [...]" Murphy souligne bien l'idée d'un entêtement malgré la défaite, mais la signification du 26 est plus subtile.
Pour les historiens, la fin de la semaine sanglante est datée du 28 mai. Seulement, les combats du 28 mai sont surtout des soubresauts. Le 27 mai, seul un quartier résistait encore. Si on acte la fin de la semaine sanglante au jour du 26 mai, on met la lutte de ce quartier parmi les derniers soubresauts. Seulement, le 27 mai, c'est le jour d'un combat qui se termine symboliquement dans le cimetière du Père-Lachaise avec une fusillade sur le désormais nommé et célèbre "Mur des Fédérés".
Il faut bien concevoir la puissance d'écho que cela a pour une lecture du poème "Les Poètes de sept ans" antidaté du 26 mai. C'est un jusqu'auboutisme précis. Le poète écrit que le 26 mai il était déterminé à l'émeute des foules qui grondent et que s'il vivait encore c'était du côté des derniers carrés de la résistance communaliste à Belleville. A bien y réfléchir, le choix du jour du 26 mai est d'une violence insurrectionnelle insupportable à la société alors triomphante...
CQFD.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire