vendredi 25 septembre 2020

Petites brèves de comptoir entre le Panthéon et le coronavirus

 Pour les infos sur le Panthéon, il y a le site de Bardel, mais il se trouve que mon abonnement Google Alerte aux mots Arthur Rimbaud me fait tomber sur l'article suivant. N'étant pas abonné, je ne peux en lire que le début, mais je vais citer quelques extraits de ce qui m'est accessible.

Lien vers l'article du journal Le Monde

Je cite le début de l'article : "Arthur Rimbaud et Paul Verlaine sont parmi les plus grands - sinon les plus grands - poètes de notre langue. Il se trouve qu'ils étaient amants. Voilà pourquoi nous avons suggéré, avec un collectif d'intellectuels et d'écrivains du monde entier, leur entrée au Panthéon."

L'incise "-sinon les plus grands-" c'est pour remplir des lignes du journal. Il y a Hugo et Baudelaire à côté. C'est déjà assez extraordinaire qu'ils soient deux des plus grands, sans ajouter "peut-être les deux plus grands". Mais dans ces phrases, il y a un tour rhétorique assez retors. La tournure impersonnelle : "Il se trouve que..." semble annoncer une idée secondaire, mais il n'en est rien : l'enchaînement des trois phrases dit clairement que c'est ce "il se trouve que..." qui a déterminé l'initiative, et c'est ridicule.

Ensuite, la pétition se réclame de Roselyne Bachelot et de neuf anciens ministres de la culture. Alors, je regarde la pétition et je tombe sur des noms prodigieux. Roselyne Bachelot en est un, mais vous avez l'inénarrable Jack Lang (en fait, la fête de la musique, c'est en hommage à "Fêtes de la faim", pourquoi je daube la fête de la musique, moi ?), il y a Frédéric Mitterand, puis Aurélie Filipetti (celle-là, je l'ai vue une fois sur la Croisette), puis Fleur Pellerin (celle qui n'a pas le temps de lire à cause de son travail ?), et après une ribambelle d'autres lustres : Aillagon, Donnedieu de Vabres, Françoise Nyssen, Catherine Tasca, Catherine Trautmann (comme dirait l'autre : "moi, les remplaçants, je ne les connais pas.").

Les personnalités, ça part dans tous les sens. Il y a la styliste Agnès B, des écrivains de par-ci par là dans le monde, des avocats, des producteurs, un pianiste, un commissaire d'exposition, un neuropsychiatre, une animatrice, un traducteur, un historien de l'art, quelques libraires, un sociologue, ah c'est éclectique, dites-moi !, et on te refourgue deux ministres en plus, Kouchner. Franchement, ça ne fait pas sérieux.

Ensuite, on a un paragraphe pour expliquer que le combat était attendu et qu'il faut pourfendre encore les réactionnaires en retard d'un siècle, le bataillon des gens qui veulent que Rimbaud soit chrétien et hétérosexuel.

Le paragraphe suivant, on essaie aussi de discréditer toute parole qui s'opposerait à la panthéonisation mais qui partirait de l'extrême-gauche. On a une expression condescendante, à la limite de l'insulte : "quelques soixante-huitards forcément attardés". L'emploi du mot "attardés" est un peu problématique, mais il y a l'idée aussi qui ressort nettement d'une prétention à détenir la vérité maîtrisée sur le sens de l'histoire. On nous dit comme une vérité d'évidence que toutes ces petites querelles ce n'est plus rien, aujourd'hui les institutions sont en paix avec Rimbaud, etc. Le monde n'a plus d'histoire, il n'y a plus à le penser, on a des contemporains qui savent tout et qui peuvent tout nous expliquer, et même si on ne comprend pas il faut leur faire confiance, ils sont lumineux. Et puis ils entretiennent la flamme zutique, merde quoi ? Oui, leur initiative se réclame de l'esprit "zutique" ! Celle-ci aurait été "falsifiée et dénaturée à dessein". Par qui et pourquoi ? Certes, il y a eu le refoulement du zutisme, mais "falsifier", "dénaturer à dessein", les termes sont forts, d'autant plus forts que les gens ne comprenaient rien aux subtilités de l'Album zutique, puisque les cibles n'étaient pas lues, les sources parodiques non identifiées et que les gens se cassent les dents sur les aspects hermétiques de plusieurs contributions, tout particulièrement dans le cas de Rimbaud.

Puis on a droit au retournement de formules à la manière du structuralisme et de toute la littérature universitaire des années 60 et 70, avec "non pas institutionnaliser Rimbaud et Verlaine avec le Panthéon, mais désinstitutionnaliser le Panthéon avec Rimbaud et Verlaine. Qu'est-ce que c'est que cette embrouille et ce charabia ?

De toute façon, on en revient toujours aux mêmes problèmes.

1) Il y un problème de l'article de foi sur ce que pouvaient penser Rimbaud et Verlaine eux-mêmes. Premier appel à la prudence.

2) Rimbaud et Verlaine ont des pensées qui ont évolué dans le temps. D'ailleurs, dans le cas de Verlaine, il est devenu chrétien, alors que Rimbaud jamais. Or, on parle de mettre Verlaine et Rimbaud au Panthéon contre le christianisme de ceux qui veulent récupérer ou étouffer Rimbaud. Il n'y a pas un truc passé sous le tapis au passage ? Verlaine était même à défendre des positions légitimistes. Il se serait certes réveillé avec la gueule de bois si son nouveau souhait politique s'était accompli, mais de fait Verlaine s'est moqué de l'acte d'enterrer Hugo au Panthéon, et ce n'est pas parce qu'en enterrant Hugo au Panthéon la morale bourgeoise ignorait que lui et Rimbaud avaient pour l'époque des tares inavouables. Je ne crois même pas qu'il faut placer le début sur Rimbaud et Verlaine pour ou contre les institutions, et sur la possibilité que ce débat soit dépassé aujourd'hui. Verlaine cible très crument l'acte solennel d'enterrer une célébrité au Panthéon. C'est directement de ce cirque dont il se moque, et là on fait ce cirque en mille fois plus médiocre à son sujet. Il n'est qu'un faire-valoir pour Rimbaud dans la pétition actuelle, on l'a compris. On le prétend en paix avec les institutions pour ne pas avoir à se demander si le projet lui plairait. Puis, Verlaine n'a jamais renié son passé de communard en réalité, il s'est fait plus discret, mais il faut voir aussi que Verlaine il n'est pas contre la République, il est contre Gambetta, il est contre les forces de la Troisième République, contre le gouvernement de défense nationale de septembre 1870, puis contre les républicains au pouvoir moyennant une semaine sanglante jugée nécessaire pour citer par euphémisme des plumes zoliennes ou autres de cette époque trouble. Le combat pour la laïcité, il n'était pas que dans la Commune, le monde qui a écrasé la Commune c'est aussi beaucoup de gens qui ont donné sa dynamique à la Troisième République. Quant à l'homosexualité, elle ne gêne pas les idées libérales. Le libéralisme outrancier, sauvage, ce n'est pas un problème pour lui l'évolution des mœurs. On fait de l'homosexualité et de la laïcité des moyens de tracer une frontière entre les amis politiques de Rimbaud et ceux qui seront repoussés dans le camp adverse, mais tout est biaisé dans cette façon d'exposer les choses... Rimbaud était tout de même du côté du peuple, il avait une conception politique qui n'est pas trotskyste ou marxiste. Rimbaud était parfaitement compatible avec un esprit républicain et on peut étudier sa vie entre le Yémen et l'Ethiopie pour appréhender certaines nuances du personnage, mais fondamentalement il est plutôt dans les révoltes du peuple, dans les grandes idées de la Révolution qui doivent se poursuivre, dans une libération des moeurs qui a une fort côté précurseur des années soixante, mais aussi il a une tendance à un flottement anarchiste et à la possibilité d'être libre. Il aime la liberté libre. Rimbaud, c'est pas quelqu'un qui va demander à d'anciens ministres de la culture comment il doit penser l'Histoire, si les cérémonies officielles sont fondées et justes, s'il doit voter cela pour être bien vu des gens, etc., etc. Il ne va pas se dire que le sens de l'Histoire est fixé une fois pour toutes, qu'il suffit de consulter telle personne qui a tout compris à tout et de s'en remettre à sa bonne parole. Rimbaud et Verlaine, c'est les mecs qui voient quelqu'un en enterrer un autre, et qui au moment où cet homme politique leur serre la pince lui disent "et alors, les 90% aux prochaines élections ?" avec un air goguenard. Ils identifient au quart de tour la respectabilité du monde ambiant. Verlaine joue plus la partition mondaine, Rimbaud pas du tout.

Je reprends ma liste énumérative.

3) Rimbaud et Verlaine, qu'ils soient d'accord avec des idées ou pas, ils n'ont peut-être pas envie d'être mis en avant, de raconter comme on leur a demandé de le faire une histoire. Il faudrait déjà respecter leur pudeur !

4) Je l'ai un peu dit dans la digression du 2) mais Rimbaud et Verlaine ils identifieraient la farce faite en leur nom. C'est pas pour eux les petits gâteaux et les poignées de main de l'opération. Ils n'ont pas envie de s'accoler les différents noms de personnalités de la pétition. C'est pas la compagnie dont ils auraient rêvé ! On les réincarne pour une journée, histoire de fêter l'événement, arriveront-ils à se contenir dans un sourire de glace ? - Oui, Verlaine, le poète, oui, et puis Rimbaud, je vous aime bien, et je n'aime pas qu'on commente la poésie, et votre poème ça me parle, et oui voilà, ah Rimbaud la jeunesse, ah Verlaine cette bonne pâte, et puis nous sommes entre gens tellement bien qui faisons quelque chose de tellement bien aujourd'hui. Tiens, je vous ai mis un peu de Deleuze, de poésie légère et frivole jamais salie par un critique, dans les parutions du jour... Quoi ? Ils feraient les sourires de commande, ils diraient les mièvreries attendues pour ne froisser personne ?

Ouais, je sais pas, je le sens pas ! Je crois vraiment qu'ils pèteraient un câble.

Bon, allez, tirons le rideau.

Sinon, j'ai appris un truc marrant : le cluster, c'est une suite de consonnes en linguistique. Pire que "Voyelles", le prochain sonnet de Rimbaud, s'il vient pour se voir transporté au Panthéon, ce sera tout en clusters à la rime, un raou(l)t de clusters, je crois !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire