dimanche 27 septembre 2020

Matinée d'ivresse, compte rendu de lecture (Bardel, Claisse, Fongaro) : première partie

Sur son site "Arthur Rimbaud, le poète", Alain Bardel livre dans sa section "Anthologie commentée" une étude du poème "Matinée d'ivresse". Il s'appuie sur une mince bibliographie dans laquelle nous avons une mention du livre de Pierre Brunel Eclats de la violence qui commente tous les poèmes en prose les uns après les autres avec un nombre conséquent de pages à chaque fois. Il y a mention d'un article de Fongaro repris dans son ouvrage décisif sur les Illuminations paru chez Champion. Un unique article de Bruno Claisse est cité, celui qui a été publié dans la revue Parade sauvage et qui a été ensuite repris dans le second livre de Claisse réunissant ses articles sur Rimbaud. Il faut savoir qu'il existe quelques articles de Bruno Claisse qui n'ont jamais été réunis dans ses livres ultérieurs. Il y a un article sur "Après le Déluge" dans la revue Parade sauvage qui ne figurait déjà pas dans le volume Rimbaud ou le "dégagement rêvé". Il existe aussi deux articles de Claisse sur des poèmes en vers, un sur le "I rouge" de "Voyelles", un sur "Le Bateau ivre" aussi je crois, mais il faut encore dénombrer d'autres articles. Il y a un article sur les Illuminations et Renan qui figure dans une revue sur Renan et auquel je n'ai jamais eu accès, je me demande s'il n'y en a pas deux. Ensuite, il y a eu un article sur le poème "Les Ponts" qui n'a jamais été repris, mais que je possédais sous forme de photocopies reliées, et il y a eu également un premier article sur "Matinée d'ivresse" que celui référencé par Bardel réfute quelque peu. Je le possédais également en photocopies agrafées ensemble.
En tout cas, je vais pouvoir également rendre compte des articles de Fongaro et Claisse cités dans cette bibliographie. En revanche, je ne possède plus le volume Eclats de la violence de Pierre Brunel qui a été détruit par une catastrophe naturelle, et il ne m'est pas si simple de m'organiser pour aller le consulter dans une bibliothèque universitaire.
L'article de Guyaux, je l'ai lu, mais il y a fort longtemps. Le volume Duplicités de Rimbaud était consultable à Toulouse où je n'habite plus depuis dix ans déjà. Le lien pour lire l'article de Denis Saint-Amand ne fonctionne pas. Les études de Lawler et Zimmermann, je ne les connais pas du tout.
Sur le site labyrinthique d'Alain Bardel, il faut d'abord se reporter à la transcription du poème flanqué d'un premier commentaire introductif.


Bardel souligne un paradoxe dans le traitement. Un lendemain d'ivresse, en général, cela se décrit plutôt comme une mauvaise expérience de gueule de bois. Rimbaud choisit l'exaltation. J'y vois un premier contresens de lecture, sans nul doute lié au rapprochement du titre "Matinée d'ivresse" avec sa variation dans le texte "Petite veille d'ivresse". Mais, matinée n'est pas synonyme de veille au sens de jour d'avant bien évidemment. La matinée d'ivresse, cela veut dire que l'ivresse a lieu le matin même, voire que l'ivresse est en soi un matin si on considère les choses au plan symbolique et poétique. Rimbaud ne décrit précisément pas un lendemain d'ivresse. Il décrit un "maintenant" d'ivresse. Il n'y a donc aucune raison de s'attendre plutôt à un "réveil triste et dégrisé". Bardel affirme ensuite que le poète prétend avoir trouvé le secret d'une extase qui jamais ne retombe. J'y vois un deuxième contresens de lecture, puisque l'ivresse n'a duré qu'une matinée et qu'il est question de la fin de cette "fanfare" dans le poème. Ce qui reste, ce n'est pas l'extase, mais le "poison" : "Ce poison va rester dans toutes nos veines même quand, la fanfare tournant, nous serons rendu à l'ancienne inharmonie." Peut-être en confondant l'idée de poison avec l'idée d'une drogue stimulante, Bardel pense pouvoir dire que le poison fait perdurer l'extase au-delà de la fanfare. Mais cette fanfare, si elle ne naît pas de la drogue, alors qu'elle est le Beau et le Bien qui exalte le poète et lui fait une révélation, quelle est-elle ? Je n'ai pas l'impression en lisant le poème que la fanfare n'ait rien à voir avec le poison, je suis plus dans l'idée que le poison permet un certain temps une fanfare, mais il demeure en tant que poison, tandis que le premier effet de fanfare s'estompe.
Bardel répond ensuite à l'énigme du poison en nous révélant qu'il s'agit de la poésie. C'est sûr, Rimbaud est un poète et il est bien commode de dire que ce qu'il a découvert et ce qu'il a à nous montrer c'est la poésie. Mais, une fois qu'on a dit ça, on n'est pas très avancé !
Le point pour lequel je tenais à passer en revue ce premier tour d'analyse du poème, c'est évidemment tout le problème de la relation du mot "Assassins" au terme "haschischins". L'idée d'une exploitation de l'étymologie "haschichins" a reculé dans le monde rimbaldien. Fongaro la conteste, et Claisse a évolué sur ce sujet-là qui l'admettait dans un premier article non référencé ici par Bardel et qui la récuse jusqu'à dire que Rimbaud n'a peut-être pas envisagé du tout cette étymologie en écrivant son poème, et cela il le dit dans l'étude cette fois bien présente dans la bibliographie proposée par Bardel.
Or, il n'est pas rare dans le cas des poèmes de Rimbaud d'avoir des lectures qui essaient de conserver tout ce qui a été proposé, et Bardel a tendance à suivre les évolutions en conservant bon an mal les anciennes conceptions qu'il pouvait avoir du poème, et ça devient une sorte de mélange. C'est encore le cas présentement comme nous allons pouvoir l'observer de plus près.
Bardel a un discours très restrictif quand il évoque la possibilité d'une allusion au haschich, mais il énumère ce sujet un nombre considérable de fois, et loin de récuser la filiation au haschisch il l'admet mais en lui fixant des limites.
Vérifions cela.
1) Le poison est assimilé à la poésie et Bardel fait mine de rejeter l'ancienne identification au haschich, mais la rejette-t-il vraiment ? Voici ce qu'il écrit : "Quel est ce 'poison' ? La poésie, bien plus sûrement que le haschich, qui n'est ici qu'un comparant symbolique." En clair, quand Rimbaud écrit : "Ce poison va rester dans toutes nos veines..." et puis "Nous avons foi au poison", il faut comprendre que le poison est le haschich "Ce haschich va rester dans toutes nos veines..." et puis "Nous avons foi au haschich", mais pour dire symboliquement "Cette poésie va rester dans toutes nos veines..." et "Nous avons foi en la poésie". On a vraiment besoin de cette triangulation du "haschich" entre "poison" et "poésie" ? Bardel ne renonce pas à l'ancienne interprétation, il l'accommode à la situation nouvelle née de ses lectures des articles de Fongaro et Claisse, puisque Fongaro qui rejette l'interprétation par le haschich a relevé les indices d'ironie et dérision dans "Matinée d'ivresse", cependant que Claisse a enchaîné sur une lecture qui n'engage aucune référence à la drogue.
2) Dans un second paragraphe, Bardel développe la comparaison de la poésie avec des "excitants chimiques", motif qui n'apparaît pas dans le texte de "Matinée d'ivresse" où on a du chevalet, l'idée de trébucher, d'atrocité, etc. On a bien le poison à deux reprises, mais l'idée précise des "excitants chimiques" non !
3) Toujours dans ce second paragraphe, Bardel développe une comparaison avec la secte du Vieux de la Montagne. Il fait dire au texte de Rimbaud que le poète est prêt à se sacrifier pour déporter les honnêtetés tyranniques, ce qui est peut-être prendre certains raccourcis avec ce qu'écrit précisément Rimbaud, mais surtout très discrètement Bardel rappelle que l'étymologie "Haschichins" pour "assassins" est probablement erronée. Je cite : "Comme les fanatiques drogués au haschich de la secte persane des Haschichins (XIe siècle), nom qui a passé longtemps pour avoir donné en français le mot "Assassins", le poète est prêt à se sacrifier..."
Au passage, à notre époque, et déjà dans les années soixante, le haschich se consomme en le fumant à la manière d'une cigarette. Moi, ça ne me fait rien de sensible, personne ne parle d'hallucinations causées par le haschich, et c'est plutôt perçu comme une détente ou un développeur des perceptions méditatives, alors que dans le poème de Rimbaud où le mot "violence" apparaît, il est question d'une "Fanfare atroce". Il est vrai qu'à l'époque de Gautier et Baudelaire il se consommait autrement, on le mangeait froid avec du café, que sais-je encore ? Mais Baudelaire décrit des effets qui ne correspondent pas non plus à ce que développe Rimbaud et c'est une raison pour lesquelles les fans de littérature subversive ont perdu l'envie d'insister à la Godard ou que sais-je encore ? d'insister sur les ouvertures de la perception poétique par le haschich. Il y a d'autres drogues auxquels on peut penser, mais le haschich ça ne fait pas très sérieux pour justifier les visions du poète.
Mais l'important, c'est le démenti apporté à l'étymologie "haschichins" pour "assassins".


Il serait intéressant de citer les ouvrages précis de l'époque de Rimbaud qui soutenaient cette étymologie. Il y a bien sûr le livre des Paradis artificiels de Baudelaire, peut-être quelques récits de Gautier dont "Le Club des haschichins", mais il faudra désormais étayer les liens possibles du texte de Rimbaud avec ces textes de Gautier et Baudelaire. En tout cas, le terme "assassins", s'il a bien une origine arabe au Moyen Âge n'était pas associé au "haschich". Dans le lien que je soumets à l'attention ci-dessus, on constate que cette piste étymologique n'existe pas dans le témoignage du chroniqueur Joinville et que Marco Polo associe la secte du Vieux de la Montagne à une drogue qui serait un breuvage, mais sans mentionner le "hachisch" précisément. Pourtant, et c'est facile à éprouver sur internet, plusieurs dictionnaires affirment cette étymologie "haschichins"::"assassins" comme authentique. Et Bardel montre qu'il est au courant, mais comme c'est ce qu'a pu croire Rimbaud en son contexte d'époque qui importe la réfutation ne s'impose pas. Bref, l'étymologie est fausse, mais cela ne change rien pour la critique rimbaldienne qui a toujours Baudelaire et Gautier à l'appui. Néanmoins, il serait intéressant de passer en revue les écrivains classiques pour citer les passages où le mot "assassin" apparaît, car Rimbaud n'est pas un montreur d'étymologies, il peut employer le mot "assassins" comme tout un chacun, dans le sens premier que le mot a pour tous. Le mot est en italique, mais il y a plusieurs mots en italique dans les poèmes de Rimbaud, on n'a pas systématiquement considéré que les italiques demandaient d'étudier le mot en fonction d'un sens étymologique. Les déterminants possessifs "mon" qui sont en italique au début du poème n'appelle pas un commentaire étymologique. Les italiques sont plutôt une figure d'insistance. Et dans le cas du mot "Assassins", il s'agit de toute façon dans un premier temps d'une forme d'insistance pour que le lecteur soupèse l'emploi du mot. La signification est sans doute métaphorique, mais une métaphore pour "haschichins" ne nous renverrait qu'à une autre métaphore finalement, la poésie selon Bardel, des forces de destruction plus politiques et sociales selon d'autres. Bref, il y a un serpent qui se mord la queue à affirmer que le mot "Assassins" renvoie à la secte du vieux de la montagne. Si ce renvoi est à prendre au sérieux, alors il conviendra de passer tout "Matinée d'ivresse" à la moulinette d'une comparaison serrée avec les textes emblématiques sur le sujet de Gautier et Baudelaire. Pourquoi s'y dérobe-t-on si ce n'est parce que la recherche a été décevante ?

Passons maintenant à l'étude complète du poème par Alain Bardel.


Dans l'introduction, Bardel met d'emblée le lecteur face à la question traditionnelle qui concerne ce poème : s'agit-il d'une relation sur l'influence favorable ou non des drogues dans l'activité poétique ? Bardel rappelle que Rimbaud a indiqué lui-même cette possibilité dans ses lettres de mai 1871 sur le projet de se faire voyant, mais il bascule soudainement dans une fin de non-recevoir avec une explication qui ferait sans aucun doute bondir Yves Reboul, l'un des plus grands pourfendeurs des lectures mystiques de Rimbaud du côté de la voyance, car c'est du charabia de la voyance dont il est bien sûr question dans la dérivation métaphorique que Bardel croit pertinent de formuler en contrepoint : "Mais, en vérité [Note que j'ajoute : "en vérité", c'est une formule courante dans les traductions en français des paroles de Jésus, ce ne serait pas à éviter ici ?], l'ivresse pour l'auteur qu'une métaphore commode pour représenter, sous l'espèce d'une illumination sacrée, l'intuition ou les intuitions fondatrices qui président à son aventure poétique." Je ne sais pas comment Bardel pouvait tenir une conversation avec feu Fongaro, sinon peut en tenir une aujourd'hui avec Reboul, qui, tous deux, se sont battus contre ce genre de lectures qui ne veulent rien dire et qui sont mystico-mystifiantes pour rien. C'est quoi qu'il faut comprendre dans ce passage : "l'intuition ou les intuitions fondatrices". Si on ne sait pas, autant ne pas écrire ça, et si on sait autant préciser ce qu'on a à dire. Là, ça, c'est du charabia. Les livres sur Rimbaud de Jouffroy et quelques autres, personne ne les lit plus depuis plus de trente ans, on ne sait pas si quelqu'un les a lus à l'époque où ils sont sortis. Il faut quand même en être conscient que le langage illuminé pour parler de Rimbaud, c'est une farce qui a tenu longtemps, mais les gens en ont eu marre, sauf Circeto.
Oui, le poète a une intuition, il en rend compte dans un langage métaphorique, et nous on est là, on aimerait comprendre le mystère et on est en adoration devant cette poésie qui nous échappe. Tout ça ne fait pas sérieux.
Le texte parle de "déporter les honnêtetés tyranniques", il ne parle pas de la poésie au sens large et vague derrière lequel se réfugie Bardel. C'est un texte politique bien évidemment, et la figure du poète est politique, et son ivresse est politique, et c'est pour cela que, en revanche, il va de soi que "Le Bateau ivre" est convoqué à juste titre pour justifier une lecture métaphorique de "Matinée d'ivresse". Ce que je reprocherais à Reboul, c'est de conspuer aussi des lectures un peu édifiantes des poèmes de Rimbaud, mais ce avec quoi il faut dans tous les cas en finir c'est cette idée que la poésie est une entité mystérieuse. Le poète, c'est quelqu'un qui écrit des textes où la forme doit soit séduire, soit être maximalement productrice d'effets, de préférence du côté du sens je précise à tout hasard. Même si le poème est hermétique, la poésie est un jeu avec les mots, elle est donc du côté du sens, et si le lecteur ne comprend pas la reconnaissance du poète vaut dans la mesure où on sent qu'effectivement des enjeux de sens puissants sont à l'oeuvre et la mise à l'épreuve critique permet de sentir que l'écrit est dense, intelligent et qu'il a des promesses à tenir. Cependant, de faux amateurs de poésies qui conspuent l'analyse ont développé une parade compensatoire selon laquelle il y a un mystère absolu de la poésie et qu'on peut l'apprécier en tant que tel, que la poésie c'est un autre monde. Tout ça, c'est des foutaises. Le poème est composé de mots et dit quelque chose. Et si on a découvert l'Amérique, c'est qu'il y avait une réalité physique de l'Amérique. On n'a pas apporté à Colomb un poème où il a découvert l'Amérique, il faut arrêter les âneries. N'importe quel poème, son sens se joue dans les mots qu'il emploie. Quand Rimbaud parle de "déporter les honnêtetés tyranniques", on peut consentir à dire qu'il y voit un devoir de poète, mais on ne peut pas dire que le texte parle du mystère de la poésie. Certes, Rimbaud dans les lettres dites du voyant parle d'expériences nouvelles de poète, mais il sous-entend clairement pour peu qu'on y prête attention qu'en jouant avec les mots il va chercher à mieux cerner nos psychologies, les sédimentations de nos poncifs littéraires, etc., etc. Il n'y a pas une magie hors-sol de sa poésie. Il travaille sur la langue, les mots, mais dans ses poèmes il fait rentrer des éléments de culture auxquels il a été confrontés, et son travail de poète est de les malaxer pour en souligner les limites langagières, les défauts de conception, les contradictions internes ou que sais-je encore ? Mais c'est pas de l'intuition et de l'aventure pure sur les mots, sa poésie ! Et même si dans plusieurs lectures Bardel s'intéresse à la compréhension socio-politique de l'oeuvre créée, cette tendance à dire que dans le poème il y a une métaphore de la poésie, c'est du solipsisme. "Le Bateau ivre", c'est une métaphore des intuitions du poète racontées dans un parcours, "Matinée d'ivresse" c'est sous des apparences de discours d'illuminé une façon de tourner en dérision d'anciennes croyances sur les pouvoirs du poète, il faut arrêter avec ces concepts à deux balles. Cela ne dit rien de précis et n'est qu'une dérobade. Le poème parle de l'importance de la poésie, ok, d'accord, j'ai passé un bon moment, maintenant je vais me coucher. Quand est-ce que ces absurdités vont cesser ? Circeto veut aller serrer la pince à Rimbaud et lui dire qu'il est comme lui et qu'il sait mettre en mots des fulgurances ? Non, mais il faut arrêter le sketch ! Circeto, c'est de la frivolité, ça n'a rien à voir avec Rimbaud... On peut aussi faire comme Guillaume Meurice : "ouais, je suis finalement plus légitime pour parler de Rimbaud, je ne suis pas un critique, un spécialiste, je suis comme tout le monde, donc plus légitime, et puis je me moque de tout, je ne prends rien au sérieux, et mon livre est-ce que je le prends au sérieux ? Donc achetez-le et écoutez-moi mépriser les autres, je suis comme vous !" On peut aller loin dans le délire de revendication pour soi de la poésie de Rimbaud.
Mais, la critique rimbaldienne est fondée, malgré une débauche d'énergie, à chercher à mieux préciser le sens d'une oeuvre. Dans "Matinée d'ivresse", on a aussi la "promesse faite à notre corps et à notre âme créés", là c'est clair on a une spiritualité en réponse au christianisme, alors ce sera un horizon poétique, mais dire que Rimbaud parle de poésie au détriment de tout ce que ces expressions permettent de dégager comme thèmes précis, c'est affolant. Pourquoi se love-t-on dans des impasses pareilles ?
Bon, reprenons !

Il est tard, je vais faire une pause, je reprendrai demain...

En fait, l'objectif important du compte rendu, ça va être de se confronter aux lectures des autres sur la clausule. L'article de Claisse ne rendait pas vraiment compte des variations de temps verbaux dans la reprise "commencer" et "finir". A la fin du poème, tout le monde veut lire d'évidence que l'expression : "Voici le temps des Assassins[,]" c'est l'affirmation de la révolte du poète qui continue la fanfare à sa manière. J'ai insisté sur la répétition insistante d'une fin dans ma lecture. Maintenant, il faut évaluer les derniers alinéas. La fanfare est terminée, mais le poison reste dans les corps et le dévouement demeure également. Pour le dernier alinéa, l'alternative est la suivante : soit le poète au troisième alinéa s'est réarmé moralement et est maintenant prêt au combat contre les assassins de l'ancienne inharmonie, soit bien qu'ils aient sous-évalué la composition et l'idée insistante que la fanfare se termine les lecteurs auraient eu finalement l'intuition juste que "Voici le temps des Assassins" est une affirmation. Mais, il faudrait seulement corriger de la sorte, c'est que "le temps des Assassins" n'est pas la fanfare, mais le dévouement au combat contre l'ancienne inharmonie. Et comme l'étymologie haschichins a pollué la lecture, le mot "assassins" est lu abusivement comme kamikaze semble-t-il, puisque la secte du vieux de la Montagne ce sont des gens qui se suicident pour en tuer d'autres, ce qui permettrait in extremis de relier le fait de donner sa vie tout entière tous les jours à l'idée d'être un assassin. Toutefois, je concilier mal l'idée métaphorique d'une mort qui se revit tous les jours au fait d'assassiner les éléments de l'ancienne inharmonie. Je vais donc bien jauger les lectures qui ont été faites de "Matinée d'ivresse" pour voir ce qui semble le plus porteur des deux termes de l'alternative, ce qui est appelé à se confirmer ou non. Evidemment, cela va de pair avec une lecture de "Barbare" où la mention "anciens assassins" signifie pour moi la désignation des ennemis rejetés par le fait de fuir le monde pour un pôle désert, et non les anciennes passions du poète. Dans le même ordre d'idées, les "vieilles fanfares d'héroïsme" sont celles du monde que le poète rejette dans "Barbare"? Dans "Being Beauteous", le monde est un agresseur, et dans "Barbare" le poète trouve un refuge. Il m'est évident que les "anciens assassins" et les "vieilles fanfares d'héroïsme" sont ce que le poète rejette sous nos latitudes, puisque "Bien après les saisons et les pays," le poète évoque clairement un refuge de juif-errant du côté du pôle.
Et dans "Matinée d'ivresse", la fanfare atroce s'oppose déjà à l'idée de "vieilles fanfares" puisqu'elle est définie comme celle où le poète ne trébuche point. Dans ma lecture, l'opposition est entre la "fanfare atroce" et les "vieilles fanfares d'héroïsme" qui sont des marches napoléoniennes, etc., tandis que dans la lecture généralement admise des deux poèmes on a un laborieux enchâssement : les "vieilles fanfares d'héroïsme" seraient le rejet de l'expérience donnée en exemple d'une "Fanfare atroce" qui s'oppose à celles où le poète trébuche, et on a aussi cet autre enchâssement laborieux, puisque les "anciens assassins" seraient la figure dévaluée des "nouveaux hommes" et du "nous" protégé par la mère de beauté les recouvrant d'un nouveau corps amoureux, sauf que les "nouveaux hommes" s'opposent par définition à d'anciens hommes et à l'homme nouveau du christianisme selon les épîtres de saint Paul, tandis que dans "Being Beauteous" c'est le "nous" qui est attaqué par le monde à coups de "sifflements mortels".
Il va de soi que j'erre tout seul dans mes convictions et que la communauté des rimbaldiens qui refuse de ne fût-ce que nommer le problème que je soulève aura raison à la fin des fins. C'est évident de chez évident. Pourquoi réfléchir encore sur Rimbaud ? Le bon sens informulé l'emportera en devenant formule grâce au fait que j'aurai clamé mes grossières erreurs. Tout cela est très subtil, je n'en doute pas un instant.


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