lundi 3 septembre 2018

Voyelles, une réflexion sur les difficultés posées par le texte

Je reviens encore une fois sur le cas du sonnet "Voyelles".
Il devrait être évident pour tout le monde que ce texte n'est pas ironique et qu'il a une forte charge symbolique. Les séries d'associations se parlent entre elles, se font écho, entrent en résonance, etc., etc.
Voici pourtant le genre d'âneries qu'on peut glaner dans les commentaires et notices le concernant.
Sur son site, Alain Bardel écrit : "Ne cherchons pas autre chose dans ce bel et célèbre 'sonnet des Voyelles' qu'un poème à feuilleter comme un livre d'images, un ingénieux protocole de création poétique." Bardel ne voit là que du "prétexte" à des "associations d'idées". Selon lui, "Ces associations sont presque exclusivement et simplement fondées sur le rapprochement d'images évoquant la même couleur".
 

Un autre site qui nous vend du "Rimbaud expliqué" renvoie précisément à cette page d'Alain Bardel, mais nous soutient également le point de vue suivant : Le sonnet est un "exercice de style" qui "témoigne de l'arbitraire de tout jeu associatif" et ce sonnet serait le poème "le plus représentatif d['un] dépassement rimbaldien" impliquant des "visions".

Peut-on apprécier un texte parce qu'il illustre l'arbitraire, l'aléatoire, etc. ? Peut-être ! Mais en quoi "Voyelles" illustrerait-il mieux l'arbitraire et l'aléatoire que tel exemple suivant de mon invention : "Une petite montre pour une grosse coiffure, je tape à gaille et j'ai bu tous les livres" ? Sur quels principes, nos commentateurs vont-ils séparer les associations aléatoires qui sont pertinentes, artistiques, et celles qui ne le sont pas ? Le sonnet "Voyelles" est-il un poème qui a un mérite en soi ou n'a-t-il qu'une valeur historique de premier abandon explicite à l'aléatoire ? Faut-il célébrer l'arbitraire d'un rapprochement ou bien plutôt la pertinence d'un rapprochement inattendu ? Poser cette dernière question, c'est suggérer la réponse et elle ne va pas dans le sens des citations faites plus haut.

Reprenons donc les cinq séries d'associations dans "Voyelles". Nous avons un regroupement du "A noir", du "E blanc" et du "I rouge" sur six vers (vers 3 à 8), puisqu'il faut isoler les deux premiers vers d'annonce. Le U vert et le O bleu forment un autre ensemble de six vers. Le premier ensemble est compris dans les quatrains, le second forme l'ensemble des tercets. Nous avons trois vers pour le U vert, trois vers pour le O bleu, mais seulement deux pour le A, le E et le I. Toutefois, un rejet entre quatrains fausse même ce dernier rapport, puisque le A mange sur le vers 5 et réduit la part métrique consacrée au "E". Ce cas d'interpénétration est unique et il concerne comme par hasard le basculement du noir au blanc, avec en prime, du moins dans la version finale autographe, une symétrie : "Golfes d'ombre, E candeurs" où "candeurs" implique l'idée de blanc quand "ombre" implique l'idée du noir. On comprend aisément que nous avons un passage de la nuit au jour, ou en tout cas de l'obscurité au dévoilement des choses par la lumière.
Traitons maintenant les cinq séries une par une.
Quatre séries sont faciles à comprendre spontanément, le cas du "E blanc" sera traité à part.
Commençons par les tercets.

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux.

Abstraction faite d'une variante de détail dans la ponctuation, la copie Verlaine offre une leçon différente pour ce tercet : "Qu'imprima l'alchimie aux doux fronts studieux." J'en retiens l'adjectif "doux" qui entre fortement en résonance avec la répétition "paix".
Le tercet du "U vert" offre un tableau parfaitement articulé. Rimbaud n'a pas du tout créé une série aléatoire sur la couleur verte, par exemple une suite : "petits pois, crotte de nez, banc vert, volets verts, poteaux verts". Sa série commence par un terme général abstrait "cycles", mais elle se poursuit pas deux associations dans les mots clefs sont "mers" et "pâtis" couplés à "vibrements" et "paix". On comprend que les "vibrements" sont sur le même plan que la "paix", on comprend qu'il est question des "mers" et de la Nature: "vibrements divins des mers virides" et "Paix des pâtis semés d'animaux". On comprend qu'il est donc question du monde sublunaire dans lequel nous vivons. Les cycles sont ceux des marées, des saisons et de la faune, cycles qui forment l'harmonie. Ces vibrements et cette paix, c'est l'harmonie des cycles du monde. Or, face à cela, nous avons la présence contemplative des vieux sages, avec la reprise du mot "paix" pour bien signifer que la paix de la Nature passe à l'Homme : paix des rides / Que l'alchimie imprime aux grands [ou doux] fronts studieux." Il est bien évidemment question de la figure du sage à travers les mentions "rides", "studieux" et "fronts". Il est question d'une position contemplative, passive donc, mais avec un gain. Les rides signifient l'approche de la mort, mais il y a une acceptation dans le regard de ses hommes qui ont vévu et ont bien compris que c'est la loi naturelle et harmonique de la vie.
En quoi ce tercet parfaitement structuré et porteur d'un sens assez clichéique finalement illustre-t-il la modernité des associations aléatoires ? En quoi, l'idée de U vert n'a-t-elle été que le prétexte à des associations gratuites et bizarres qui feraient sensation ? C'est un discours antique qui est tenu dans ce tercet et c'est l'imprégnation de cette idée venue du fond des temps qui a de l'effet sur nous lecteurs !
Or, si le U vert sous forme de tercet a décrit rapidement le monde sublunaire et la contemplation assagie qu'il procure aux hommes mûrs, le tercet du O bleu lui oppose précisément la vue du ciel, et non pas le ciel bleu, mais le ciel comme coin de l'espace où nous cherchons la solution à nos interrogations métaphysiques.

O, Suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges,
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux.
Certes, vous pouvez chercher à en savoir plus sur le mot "strideurs" ou bien sur la nature de ce "rauon violet" ou bien cette idée de "Mondes et Anges" qui traversent les silences, mais ce n'est pas parce que ces éléments du texte vous interpellent que vous devez négliger la ligne essentielle transparente. Le "Suprême Clairon", on en convient, c'est la trompette du Jugement dernier, les "strideurs" sont un élément de la "trompette du jugement dernier" de toute façon, donc pas la peine de rétorquer que la lecture est bloquée pour le vers 12. Le vers 13 est piloté par le mot clef "Silences". Or, si l'homme cherche la raison de son existence, s'il cherche une transcendance, s'il cherche à résoudre un questionnement métaphysique, s'il cherche Dieu, il ne fait que collecter des indices, que soupçonner une existence. L'homme interroge le ciel, mais Dieu ne répond pas. Vigny le vivait très mal ce silence et c'est ce qu'il exprime dans plus d'un de ses poèmes. Or, le vers 13 de Rimbaud est nécessairement dans le sujet, puisque les "Silences" sont traversés par des "Mondes" ce qui rompt l'idée de solitude inquiétante, mais aussi par des "Anges": on a donc bien l'idée clef de "Silences" liés à une quête d'indices métaphysiques de l'existence d'autres mondes ou de Dieu. Ce vers 13, il suffit de le comparer à la célèbre formule de Pascal : "Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie." Enfin, le vers 14 est celui de la révélation d'un Dieu qui nous observe, tout à fait à la manière des représentations de l'oeil de Dieu pris dans un triangle au milieu d'un nuage. La subtilité, c'est que la formulation érotique : "rayon violet de Ses Yeux" subvertit le modèle chrétien. Le poète ne désigne pas Dieu comme l'idée de trompette du jugement dernier pouvait nous préparer, mais une sorte de Vénus, et c'est ce qui justifie le tiret qui lance le dernier vers, car la subversion montre que le dernier vers est bien en quelque sorte une espèce de pointe moqueuse.
Certains commentateurs prétendent qu'il n'est nullement question de Dieu ou de divinité dans ce dernier vers. Mais, bon sang, les voyelles sont organisées du A au O, et le O est transcendé en Oméga, lettre grecque qui n'a pas la forme o micron du O latin soit dit en passant. C'est une claire allusion à une expression de l'Apocalypse: "Je suis l'Alpha et l'Oméga." Je ne suis pas spécialiste de ce texte biblique, mais jusqu'à plus ample informé cette expression désigne le Christ. Et, dans le même ordre idées, le fait d'employer une majuscule pour un déterminant ou pour un pronom : "Je vois Son visage, Je Le vois, etc." est appliquée au possessif "Ses" dans la copie autographe : "Ses Yeux"; ce qui renvoie à l'idée d'un personnage supérieur qu'on nomme dans toute sa majesté. Ce procédé s'applique à Dieu. Il y a bien un jeu dans le texte de désignation de la divinité, mais avec une dérobade provocatrice par le rayon violet.
Si Rimbaud voulait exhiber un principe associatif aléatoire, jamais il n'aurait si clairement articulé une telle bipartition des tercets. L'un décrit la contemplation du monde sublunaire par l'homme sage, l'autre décrit le ciel comme espace des attentes métaphysiques des mêmes fronts. Et ces fronts tournés vers le ciel croisent un regard.
Du coup, il y a certainement encore beaucoup de petits détails qu'on peut commenter dans les six vers de tercets, mais l'idée essentielle on la tient. Elle n'est pas à discuter.
Passons maintenant au cas du "A noir". Je cite le passage qui nous intéresse en soulignant en gras deux mots clefs :

A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre [...]
Il n'y a que deux associations, et la deuxième a une forme succincte lapidaire. Nous avons pour cette deuxième un simple complément du nom "d'ombre", ce qui veut dire que le terme clef est ce nom "Golfes". Dans le complément du nom, nous n'avons finalement qu'une précision justifiant l'idée du "noir", ce qui peut même faire dire que les "Golfes" sont des "A". La forme de la lettre "A" correspond à un angle aigu fermé par une barre. Les "golfes" sont un peu l'équivalent de ce resserrement, de ce goulot d'étranglement perceptible dans la représentation de la lettre "A". Dans son recoin intérieur, le "A" contient l'ombre. L'autre association se fonde sur le mot "corset", tout le reste n'étant qu'expansions ajoutées au nom "corset". L'adjectif "noir" précise "corset". Ensuite, "des mouches éclatantes...", c'est un complément du nom "corset" et la relative "Qui bombinent..." est un complément des "mouches éclatantes", mais un complément qui fait partie du complément au nom "corset". Ce que j'anticipe, c'est que le lecteur peut avoir la faculté naïve de ne pas s'arrêter à ce qu'ont en commun les mots "corset" et "Golfes". Le lecteur est capable de laisser vagabonder son esprit. Le corset est fermé, le golfe est ouvert, etc. Le corset a tel sens précis, le golfe a tel autre sens précis. Mais, l'activité cérébrale du lecteur doit ici se concentrer sur la convergence de sens entre les deux mots. C'est un principe de pertinence que de rechercher ce qu'il y a de commun entre le corset et les golfes, car on part de l'idée que ce qui justifie que le corset est un "A noir" c'est aussi ce qui vaut justification pour les "golfes". Pour des raisons que j'ignore, ce trait fondamental de l'intelligence humaine n'est pas partagé par beaucoup de personnes. Chez moi, il est immédiat. J'ai constaté que quelques personnes me donnaient raison pour le rapprochement entre corset et golfes, mais la quasi totalité des gens n'ont pas ce réflexe intelligent de lecture. Je les ai vu faire. Ils étudient corset, puis golfes, mais ils passent en revue des différences entre les deux mots, et du coup ils s'interdisent de revenir, même s'ils l'ont amorcé auparavant, sur la mise à jour de facteurs communs entre les deux mots. Il lâche la proie pour l'ombre. C'est un signe de bêtise, mais il est dominant parmi les hommes. Je ne comprends pas pourquoi.
Il va de soi que la figure du corset de la mouche correspond mieux à l'image de la lettre A, mais le golfe est aussi une forme d'enceinte, et j'emploie le mot à dessein, parce que le corset contient un corps et suggère l'idée de parties féminines consacrées à la maternité, tandis que les golfes sont des terrains d'accumulation, de sédimentation, qui favorisent la vie. D'ailleurs, la vie maritime ne se joue-t-elle pas plutôt le long des côtes et dans les golfes que loin en mer. Le golfe crée une forme qui contient, qui empêche un délitement, le golfe évoque comme le corset l'idée d'un embrassement corporel protecteur. Le golfe et le corset supposent tous les deux un contenu soustrait à la pleine lumière. Si le début du vers 5 joue explicitement sur l'idée de passage de la nuit au jour, c'est bien sûr ce rapprochement entre les mots directeurs des associations du "A noir" : "corset" et "golfes", qui permet de dire que le "A noir" symbolise la matrice. Il y a d'autres choses, puisqu'il  y a l'idée d'un être intime, fragile, couvé, caché à la lumière, mais aussi l'idée de la décomposition, de la pourriture, du répugnant qui n'en prépare pas moins la vie. Les mouches se repaissent de cadavres, mais parce qu'elles doivent vivre elles aussi. Ce qui est répugnant de notre point de vue ne l'est pas pour la mouche, et ça les sages aux "fronts studieux" qui font le rapprochement avec les "pâtis semés d'animaux" le comprennent.
Passons au "I rouge". La mention de couleur "pourpres" est isolée, avec un passage du singulier au pluriel entre les deux copies manuscrites connues. Il va de soi que la connotation symbolique du pourpre est engagée, sachant qu'au vers précédent nous avons une mention "rois blancs".
Juste devant la césure, nous avons l'expression "sang craché" au vers 7, puis dans le second hémistiche la prise d'élan de l'expression "rire des lèvres belles". Si l'aléatoire était le principe suivi par le poète dans ses associations, comment aurait-il négligé d'éviter une nouvelle symétrie patente entre "sang craché" et "rire des lèvres belles". Nous avons déjà vu le contraste symétrique : "Golfes d'ombre, E candeurs", où "ombre" s'oppose à "candeurs" (expression du blanc) quand "Golfes" représentation du "A" fait face à la lettre "E". Au vers 7, l'expression "sang craché" contient l'idée clef du "I rouge", celle de "sang", comme nous allons le montrer, mais aussi celle de "bouche", et même celle de propulsion vers l'extérieur : "craché". Le "rire des lèvres belles" implique quelque peu l'idée de "sang" au plan des "lèvres belles" comme au plan du "rire qui agite les personnes, mais le "rire des lèvres belles" implique inévitablement la bouche (rire et lèvres), comme à nouveau le fait que quelque chose part de l'intérieur et va communiquer son être à l'extérieur en se propageant (rire). Or, cas à part de la mention "pourpres", ce sont les deux seules associations concernant le "I rouge", puisque le vers 8 "Dans la colère ou les ivresses pénitentes" est une expansion qui précise le cas du "rire". On prétend que Rimbaud fait des associations gratuites d'un arbitraire étonnant, mais, encore une fois, on constate qu'il n'en est rien : "sang craché, rire des lèvres belles", tout cela s'interpénètre étroitement au plan du sens. Rien à voir avec un rapprochement arbitraire entre différents éléments de couleur rouge : "drapeau rouge, couchant, coccinelle, etc." Et si, dans un premier temps, certains penseront opposer le "rire" au "sang craché", le vers 8 est là pour couper court à cette opposition, puisque ce "rire" est celui soit de la "colère", soit des "ivresses pénitentes".
L'alliance de mots "ivresses pénitentes" ne retient guère l'attention des commentateurs, alors qu'il s'agit des deux mots qui concluent les quatrains, moment peu innocent dans un sonnet.
Le "sang craché" devient alors d'évidence celui de la lutte, puisqu'il est couplé à un "rire dans la colère", puisqu'il est sur le même plan que des "ivresses pénitentes" qui ne peuvent renvoyer qu'à une fierté de se battre pour une cause, bien évidemment. La "colère", c'est encore ce qui bout en soi et qu'on extériorise. Les "ivresses pénitentes" confirme l'idée d'un soi intérieur qui lutte avec le monde.
On comprend désormais que le A, le E et le I vont représenter une unité symbolique autour du déploiement de l'individu : matrice, E blanc, sang qui affirme la vie par la lutte, tandis que le U vert et le O bleu sont l'expression du positionnement de l'individu doué de sagesse par rapport au monde, dans sa forme sublunaire, puis selon le mode de l'interrogation métaphysique.
Ce qui peut entraîner des réticences, c'est que les lecteurs vont procéder comme ils le font pour "corset" et "golfes", ils vont accentuer des divergences. Pour eux, certains vers concernent les êtres humains, d'autres les animaux, les choses ou la Nature. Les lecteurs vont avoir du mal à corréler la matrice au plan des mouches avec la paix des fronts studieux et le rire dans la colère. Les lecteurs vont compartimenter les plans symboliques, les cloisonner de manière étanche, parce que pour eux la matrice du "A noir" n'a rien à faire avec un discours sur l'Homme dans le "I rouge" ou le "O bleu". Pour eux, la succession des "pâtis semés d'animaux" et des "grands fronts studieux" ridés ne fait pas sens. Ils n'ont pas la capacité naturelle à subsumer. Ils créent des zones tampon qui font que les éléments du poème sont irréconciliables entre eux, au mépris de l'évidence nécessaire que tout est soudé dans ce sonnet, au mépris de l'idée que ce sonnet n'est pas si tous ses éléments ne sont pas solidaires entre eux. C'est un blocage que je n'ai pas et qui rend ma relation assez étrange avec les autres humains.
Enfin, il faut en venir au cas du "E blanc". Les associations du "E blanc" sont hétérogènes à la différence de ce que nous observons pour le "A noir" et le "I rouge" qui s'en tiennent à deux associations, à la différence de ce que nous observons de clairement articulé et organisé pour le tercet du "U vert", à la différence même de la suite de trois idées métaphysiques que nous relevons dans le tercet du "O bleu".
Pour le U vert, nous avions repéré la série mers / Nature / sages contemplatifs, mais nous avions aussi relevé le parallèle vibrements / paix / paix. Dans ler cas du "E blanc", nous pouvons au moins cerner un parallèle du type vibrements / Paix / Paix, il s'agit de la suite : "candeurs / Lances ./ frissons", sachant que cette série sur la copie Verlaine suppose une répétition comme ce l'est resté pour "paix" dans le cas du "U vert", puisque nous avions la suite : "frissons / Lances / frissons".
Cette idée de "frissons" est capitale et nous pouvons comprendre que les "lances" bien que plus concrètes sont une variante de l'idée de "frissons". Le "E blanc" crée une effet de "frissons" quand le "U vert" crée un effet de "paix" Il y aussi l'idée d'une grande oscillation universelle quand on songe que "frissons" et "vibrements" se répondent quelque peu. Le "sang" et le "rire" ont aussi à voir avec la vibration. Pour le "A noir", la vibration n'est pas tout à fait envisageable au même plan, mais elle apparaît quand même dans le verbe "bombinent".
Reprenons pourtant notre lecture en situant le E blanc dans le contexte d'enchaînement du sonnet. Apèrs un "A noir" de matrice, le passage du noir au blanc est clairement orchestré en fonction d'une idée de passage de la nuit au jour. Ensuite, nous aurons le I rouge dont l'idée clef sera le sang comme vie autonome accomplie avec cette fois une affirmation de soi qui va de l'intérieur vers l'extérieur, alors que le A noir était plutôt la soustraction protectrice aux dangers de l'extérieur.
Le E blanc comme idée de dévoilement par la lumière de jour offre un magnifique symbole intermédiaire. Le corps est protégé dans le ventre enceinte, dans le ventre maternel. Il se forme, mais sa naissance est celle de sa venue au monde. Le poussin doit sortir de sa coquille. Ensuite, plein de sang, il va aller à la conquête du monde.
Mais les associations du "E blanc" vont poser problème aux lecteurs. Nous avons une série hétérogène : "vapeurs", "tentes", "glaciers" et donc sommets de montagnes, éventuellement rois et enfin ombelles autrement dit fleurs blanches. Cette suite hétérogène peut difficilement correspondre, surtout pour des esprits qui vagabondent plus volontiers dans les oppositions que dans les mises en facteur commun, à l'idée d'une enveloppe, d'une coquille de l'être qui va se révéler au jour. Spécifiquement pour ce "E blanc", l'approche enseignante doit s'accompagner d'un étalage de sources pour offrir aux lecteurs une familiarité avec la célébration de la venue du jour en poésie qu'ils n'ont pas. Il faut offrir aux lecteurs plusieurs textes tremplin de Victor Hugo, d'Alfred de Vigny, d'Alphonse de Laamrtine, de Leconte de Lisle, de Paul Verlaine et d'Arthur Rimbaud lui-même pour qu'ils s'imprègnent de ce qu'impliquent en général les mentions "glaciers", "tentes" ou "frissons" dans la poésie du dix-neuvième siècle. IL faut qu'ils lisent nombre de poèmes où il est question des "frissons des bois", de l'effet de la lumière sur les choses. Le lecteur doit sentir que le sommet de la montagne, l'éclat de la fleur et l'effet de lumière sur la tente sont trois clichés de la célébration du jour ou du moment de l'aube dans la poésie romantique. Plus il aura ces textes sous les yeux, plus il sera disposé à admettre l'unité des associations du "E blanc" dans le sonnet "Voyelles".
Cette lumière du jour suppose aussi la chaleur qui amène à la vie. Les "vapeurs" sont un état de l'atmosphère sous l'effet de cette succession de l'ombre aux candeurs telle qu'elle est orchestrée dans le premier hémistiche du vers 5. L'éclat du jour sur les tentes invite l'homme à sortir de sa tente, c'est un moment de réveil parce que nous avons la lumière et en général la chaleur du soleil qui reviennent. Le frisson de la tente, c'est la lumière du soleil qui pénètre la tente et qui vient dire aux hommes de reprendre leurs activités. Enfin, à cause de la série "candeurs"/"Lances"/"frissons", je suis convaincu que l'expression "rois blancs" est en apposition à "glaciers fiers". Il est évident qu'il est question d'une royauté par la blancheur, et pas du tout de "rois" que le blanc viendrait sacrer dans un second temps.
Maintenant, j'ai aussi une lecture communarde du sonnet "Voyelles", mais il est depuis assez longtemps malsain que les rimbaldiens ne tiennent aucun compte de cette lecture symbolique articulée où il est question d'affirmation de soi et de foi en une éternité dans un spectacle qui engage la vie et la mort. Je voudrais déjà assurer ceci. Et là, pour l'instant, on est dans un schéma inquiétant. Ma lecture n'est même pas citée, n'est même pas présentée comme une hypothèse à débattre. Et ceux qui sont jaloux ne peuvent que s'en mordre les doigts. Ils m'auraient pris au sérieux en 2003, ils avaient un boulevard pour corriger ma lecture, moquer mes errements et présenter des conclusions plus fermes. Il aurait été si facile de pointer du doigt les insuffisances de ma lecture aurorale et de corriger les symboles des cinq séries. Certes, le E blanc c'était le jour, mais on ne pouvait pas s'en tenir à assimiler le "A noir" à la nuit, ni évidemment le rouge et le pourpre à un éclat du soleil à l'horizon, pour paresseusement considérer ensuite que le vert et le bleu étaient les couleurs de la Nature et du ciel une fois que le soleil s'était levé. On aurait pu après 2003 fixer plus posément que moi que le vert c'était finalement le monde sublunaire et le bleu le ciel perçu comme plan de la méditation spiritualiste ou métaphysique. On aurait pu dégager le "A noir" comme matrice et le I rouge comme expression du sang, fluide vital pour s'affirmer. Ma lecture a été rejetée en bloc, on voit le résultat : aujourd'hui, elle approche de la perfection, mais qui, mais qui va reconnaître ses erreurs, qui va pouvoir dire que c'est juste maintenant qu'il découvre que j'étais en bonne voie depuis quinze ans au moins... ? C'est ça la situation de dingues dans laquelle nous sommes...
Vous pouvez aller sur Wikipédia. Vous ne trouvez pas affligeant et pauvre, signe d'un lectorat désemparé, que nous ayons comme tentatives de compréhension du sonnet "Voyelles" des réflexions qu'un lycéen peut faire en dix minutes après une première lecture du texte : l'aléatoire des rapprochement, ou bien l'absence de la lettre dans la mention de couleur correspondante. Cela ne vous inquiète pas de lire sur la page Wikipédia consacrée à "Voyelles" qu'un biographe a remarqué que le A n'est pas dans noir, que le E n'est pas dans blanc, que le I n'est pas dans rouge, que le U n'est pas dans vert, que le O n'est pas dans bleu. Cela ne vous afflige pas de voir que sur Wikipédia on recense déjà, même si c'est en la mettant en doute, une explication qui nous dit que le poème est illisible si on ne passe son temps à dénombrer les caractères typographiques employés, tant la lecture est dans le seul dénombrement des 666 caractères. Selon Cosme Olvera, "Oraison du soir" et "Voyelles" sont deux variantes du même poème. Le contenu n'a aucune importance, puisqu'on vous dit que le poème est illisible et que tout tient dans un décompte de lettres, signes de ponctuation et d'espaces. Il n'y a pas un moment où vous vous dites que vous avez affaire à un cirque et à une belle brochette d'imposteurs ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire