Je prends le A noir et je confronte les deux associations.
A, noir corset velu des mouches éclatantes Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d'ombre
Le poète ne formule pas des phrases complètes autour d'un verbe, il juxtapose deux groupes nominaux. Dans le premier groupe, le noyau est corset, dans le second le noyau est golfes. Le A noir est une forme qui permet de contenir : corset ou golfe, et le fait qu'il soit "noir" vient du contenu de ce corps. Ce contenu est noir parce qu'il est soustrait à la lumière, mais aussi parce que le couple "corset" et "golfes" est relayé par un second : "d'ombre" avec ses connotations négatives ou inquiétantes est en parallèle au complément du nom "des mouches éclatantes...". Les connotations négatives sont relayées également par la construction des épithètes "noir" et "velu" de part et d'autre du mot "corset". Un autre détail retient l'attention : les mouches sont éclatantes et bombinent. Ainsi, le A noir est perçu en lien avec un jeu de lumière et en même temps "éclatantes" et "bombinent" suggèrent déjà un jaillissement possible vers l'extérieur du sombre contenu du corset.
On voit qu'il y a donc deux parallélismes à relever pour le "A noir". Corset et golfes sont le A, les autres éléments justifient la mention de couleur, celle ici du noir.
Je prends le E blanc et je confronte les associations en jeu. Il s'agit toujours de groupes nominaux, et si on veut retrouver l'idée d'une symétrie sur le même plan que corset et golfes, le E est non pas dans les vapeurs, les tentes, les glaciers et les ombelles, mais dans les candeurs, les lances et les frissons, les frissons et les candeurs étant sur le même plan par la seule confrontation des deux versions connues du poème, puisque "candeurs" est une variante pour "frissons". Remarquons que les glaciers ne sont pas nécessairement des pics neigeux, ils ne le sont même pas normalement. En revanche, on comprend que comme les vapeurs et les tentes ont des candeurs ou des frissons, comme les ombelles ont des frissons, les glaciers s'animent et créent des lances blanches qui sont les frissons de lumière à sa surface. L'association "frissons" et "candeurs" prouvée par la confrontation des copies prouve que les frissons et les éclats blancs sont superposables dans l'idée de Rimbaud. Les lances sont bien des frissons et candeurs de la lumière reluisant sur les glaciers. Un axe moral positif se dessine avec les mentions "candeurs" et "rois". La positivité de "Lances" est soutenue par l'ajout de l'adjectif épithète "fiers" à "glaciers". Les vapeurs, les tentes, les glaciers et les ombelles ont pour point commun de pouvoir être blancs, mais la base de l'association est la série "candeurs", "frissons" et "lances". L'expression "rois blancs" ne dégage pas l'idée de base et s'impose à moi comme une apposition à "glaciers fiers". L'expression "rois blancs" implique tout de même un sacre du blanc, et un frisson de vie. Nous avons l'idée d'une royauté du blanc à cause du frisson de vie des fleurs, poncif des poésies romantiques et parnassiennes.
Je prends le E blanc et je confronte les associations en jeu. Il s'agit toujours de groupes nominaux, et si on veut retrouver l'idée d'une symétrie sur le même plan que corset et golfes, le E est non pas dans les vapeurs, les tentes, les glaciers et les ombelles, mais dans les candeurs, les lances et les frissons, les frissons et les candeurs étant sur le même plan par la seule confrontation des deux versions connues du poème, puisque "candeurs" est une variante pour "frissons". Remarquons que les glaciers ne sont pas nécessairement des pics neigeux, ils ne le sont même pas normalement. En revanche, on comprend que comme les vapeurs et les tentes ont des candeurs ou des frissons, comme les ombelles ont des frissons, les glaciers s'animent et créent des lances blanches qui sont les frissons de lumière à sa surface. L'association "frissons" et "candeurs" prouvée par la confrontation des copies prouve que les frissons et les éclats blancs sont superposables dans l'idée de Rimbaud. Les lances sont bien des frissons et candeurs de la lumière reluisant sur les glaciers. Un axe moral positif se dessine avec les mentions "candeurs" et "rois". La positivité de "Lances" est soutenue par l'ajout de l'adjectif épithète "fiers" à "glaciers". Les vapeurs, les tentes, les glaciers et les ombelles ont pour point commun de pouvoir être blancs, mais la base de l'association est la série "candeurs", "frissons" et "lances". L'expression "rois blancs" ne dégage pas l'idée de base et s'impose à moi comme une apposition à "glaciers fiers". L'expression "rois blancs" implique tout de même un sacre du blanc, et un frisson de vie. Nous avons l'idée d'une royauté du blanc à cause du frisson de vie des fleurs, poncif des poésies romantiques et parnassiennes.
J'en arrive aux deux cas particuliers : "pourpres" pour "I rouge" et "cycles" pour "U vert".
Pour le "A noir", le "noir" précise le corset, et pour le "E blanc", il précise des figures de "rois" que j'interprète comme les "glaciers fiers". Ni "noir", ni "blanc" ne sont le mot clef d'une des deux premières séries.
En fait, dans le cas du "I rouge", le mot fédérateur est "pourpre" et dans le cas du "U vert", le mot fédérateur est "cycles". Je vais expliquer cela, ce sera particulièrement limpide dans le cas du "U vert".
Je prends le I rouge. Nous avons le mot clef "pourpre" au singulier ou au pluriel selon la version retenue, la copie de Verlaine ou celle de Rimbaud.
L'image globale "sang craché" et l'image "Rire des lèvres belles" sont deux illustrations du "I rouge", mais aussi du mot "pourpre" et par conséquent deux expressions des connotations du mot "pourpre".
La succession de "rois blancs" à "pourpre" illustre bien le passage d'une royauté conçue comme un état à une royauté par les actes. Il est question d'une royauté de l'être commandée par le sang, mais aussi finalement tout ce qui s'est fabriqué à l'intérieur du corset des êtres, puisque le rire suppose la bouche et même la respiration. Le sang est consacré par le fait qu'il soit craché, car c'est une marque de prise de pouvoir sur la vie, même s'ils nous en coûtent. On voit aussi que la série se déploie bien du corps à une série d'oscillations d'abord individuelles (blanc et rouge) puis universelles et cosmiques (vert et bleu). La série "corset" et "golfes" est relayée par une série "candeurs", "frissons" et "Lances" illustrant l'idée de rayonnement princier (rois blancs), puis par une série "sang" et "rire" illustrant l'idée de "pourpre".
Je prends maintenant le U vert et j'en traite à nouveau les associations livrées par le poète.
La série clef est "vibrements", et "paix" à deux reprises. Le mot "vibrements" confirme l'idée de "vibration" comme moteur physique et métaphysique de la perception de la Nature par Rimbaud, ce qu'une lecture de "Credo in unam" a tôt fait de renforcer. Le mot "vibrements" est aussi à rapprocher du mot "frissons" et on voit bien que les ondes sont réinterprétées selon les plans. Les frissons sont candeurs dans le cas du "E blanc", en même temps que signe d'élection divine (rois blancs) dans le cas du E blanc. Dans le cas du U vert, les vibrements figurent cette fois la paix. Or, les cycles offrent l'idée d'une stabilité, d'équilibre. Le mot "cycles" contient idéalement les idées de "vibrements" et de "paix". Associé à "paix", le mot "vibrements" est conforté dans l'idée de régularité du mouvement.
Si "vibrerments" et "paix" sont deux aspects du mot "cycles", les groupes nominaux sont bien articulés en fonction de l'idée suivante : cycles des mers, cycles de la Nature, cycles imprimés dans la vieillesse des sages qui acceptent leur sort. On peut remplacer "vibrements divins" par "cycles" et "paix" par "cycles". Comme dans le cas du "I rouge", le mot "cycles" en tête est l'élément symbole qui recoupe la série "vibrements", "paix", "paix". En effet, à cause des mentions "rois blancs", "pourpre" et "cycles", le lecteur ne se concentre pas d'emblée sur les rapports évidents des séries : corset et golfes / candeurs (ou frissons), lances et frissons / sang et rire / vibrements, paix et paix.
Je prends maintenant le O bleu. Il y a trois associations, chacune étendue sur un vers. Les mots clefs sont "Clairon", "Silences" et "rayon". C'est un assemblage retors. Le "clairon" connote la lumière "clair", mais il est du côté du son. Le rayon est lui du côté de la lumière. Il y a bien un recoupement des sens de la vue et l'ouïe, ce qui est nécessairement au coeur de l'idée de voyelles-couleurs. On peut remarquer que "Suprême" a son correspondant dans "Oméga", et à cette aune, on coupera court aux lectures qui voudraient maladroitement envisager qu'il y a deux "o" distincts dans le dernier tercet.
Mais entre "Clairon" et "rayon", le mot clef est "Silences", lequel mot s'oppose au couplage vue et ouïe, de prime abord, à moins de considérer que la lumière est conçue comme une parole silencieuse. Ces associations imposent un plan mystique ou métaphysique évident, puisque du côté de l'ouïe le "Suprême Clairon" suppose déjà le silence énigmatique de Dieu et évoque sans détour le jugement dernier. Le "rayon" pose le problème de l'interprétation de la lumière comme "onde", voire comme liquidité". Rimbaud affectionnait l'idée de la lumière comme liquide dans ses poèmes. Dois-je citer des passages de "Credo in unam", du "Dormeur du Val", etc., etc. ? Il existe un débat entre ondes et corpuscules. Rimbaud dans ses séries rapproche les mots "frissons", "vibrements" et "rayon".
Enfin, je vous cite le quatrain dont la seule version connue figure en-dessous de la copie par Verlaine du sonnet "Voyelles":
L'Etoile a pleuré rose au coeur de tes oreilles,
L'infini roulé blanc de ta nuque à tes reins
La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles
Et l'Homme saigné noir à ton flanc souverain.
Dans ce quatrain, il n'y a pas d'associations entre voyelles et couleurs, mais il y a une mobilisation symbolique des couleurs sur un plan conjoignant l'humain à l'universel.
Il n'existe à l'heure actuelle aucune édition des oeuvres de Rimbaud qui fixe ce que je viens de préciser, alors que dans le principe ce n'est pas bien compliqué à comprendre. Un jour, on soutiendra dans les classes que c'est assez évident de procéder avec méthode et de mettre en relation les termes noyaux des associations. Quelle détresse ! Quelle détresse ! Rimbaud, le poète le plus lu ou le plus commenté au monde. Rimbaud, le poète que même les politiciens prennent en charge avec des livres sur son sujet, avec des commémorations officielles et des petits mots allusifs. Hugo ou d'autres sont cités pour un contenu explicite, pour du débat d'idées. Rimbaud, lui, il est cité comme le poète qui rayonne par-dessus tout dans notre culture. Et face à un tel phénomène, vous préférez rester dubitatifs face à ce qui précède, et lire des considérations de petits enfants sur une cour de récréation : gratuité des associations, illustration du pouvoir de l'aléatoire des mots, séduction du chiffre de la Bête, refuge d'illisibilité pour le confort du quant à soi de chaque lecture individuelle, visions d'un au-delà cernée par des mots qui jusqu'à plus ample informé ne sont pourtant que des médias, et j'en passe...
Si on ordonne le tout.
RépondreSupprimerOn a 1 "A noir": pas de mot directeur, couple corset et golfes, deux expansions, une longue et inquiétante précède une autre concise: noir velu des mouches éclatantes qui... cruelles devant "d'ombre", "ombre" connotée donc par la première expansion, tout autant que l'adjectif "noir" en tête de la première association.
2 E blanc : pas de mot directeur. Trio : candeurs / Lances / frissons ou frissons / Lances (compris comme frissons lumineux vu la série) / frissons selon les versions. Expansions : vapeurs, tentes, glaciers ou glaçons, ombelles. Vapeurs touche à l'idée de limite entre le chaud et le froid, rapport thermique, glaciers, ombelles et tentes désignent des sommets d'exposition au soleil ou des limites de corps. Noter que "rois blancs" est en apposition à "glaciers fiers".
3 "I rouge", un terme directeur de couleur "pourpre", couple "sang" et "rire", expansions : "craché", "des lèvres belles dans..." Idée du don et de la lutte.
4 "U vert". Terme directeur mais pas lié à une couleur "cycles". Trio vibrements / Paix / Paix. Le trio donne un peu une définition positive des cycles paix et oscillations. Expansions : mer / Terre en incluant la faune / vieillesse bien comprise des sages.
5 "O bleu", pas de terme directeur à moins que l'écho entre "Suprême" et "Oméga" n'en fasse office. Trio avec distribution vers pas vers : "clairon" / "Silences" / "rayon", logique assimilant la lumière à une parole silencieuse. Expansions : plein des strideurs étranges / traversés des Mondes et des Anges / violet de Ses Yeux. Idée d'un bleu-violet métaphysique. Les strideurs étranges sont donc des ombres violettes, du bleu-violet, indices métaphysiques dans le Ciel. Les Mondes et les Anges sont eux aussi compris comme des reflets bleus et violets.