Cette expression dans Une saison en enfer m'a toujours déstabilisé.
Normalement, le verbe échapper se construit avec un complément d'objet direct, pas avec un complément d'objet indirect.
"J'ai échappé à ces gens, je leur ai échappé, j'ai échappé à ce danger, j'y ai échappé, j'ai échappé à Roger, je lui ai échappé."
"J'ai échappé à ces gens, je leur ai échappé, j'ai échappé à ce danger, j'y ai échappé, j'ai échappé à Roger, je lui ai échappé."
Dans notre citation, le verbe est construit avec un pronom de complément d'objet direct. Du coup, j'aimerais rencontrer deux choses plus souvent. D'abord, d'autres phrases avec ce pronom pour complément d'objet direct. Ensuite, des phrases où le verbe "échapper" est construit avec un complément d'objet direct qui ne soit pas un pronom, genre "échapper l'occasion", "échapper le gorille", ou que sais-je encore ?
Voici donc à tout le moins un exemple que je puis dans le roman La Joie de vivre de Zola. Je cite les paroles mêmes d'un personnage. Nous sommes à la fin du quatrième chapitre d'un roman qui en comporte onze. Les chapitres font quarante ou cinquante pages. Pauline vient d'échapper à la mort, elle est en train de guérir d'une maladie qu'il a fallu prendre au sérieux. Elle est amoureuse d'un certain Lazare et elle doit l'épouser, mais elle est instinctivement jalouse d'une certaine Louise, tandis que son amour l'empêche d'achever sa révolte de femme prudente et économe dans la mesure où elle se fait manger tout l'argent qu'elle devrait avoir le jour où elle sera majeure. Comme le danger s'éloigne, elle dit à Lazare : "Allons, mon ami, tu ne peux l'échapper : je serai ta femme."
Je suis content d'avoir trouvé un autre exemple de ce tour grammatical, un exemple un peu contemporain de la phrase de Rimbaud, puisque ce roman zolien a été publié en 1884, tandis qu'Une saison en enfer date de 1873.
Après, il me reste en tête le rapprochement avec l'expression "l'échapper belle", où le "l'" signifie la balle, mais où "échapper" a aussi plutôt le signe de "manquer". L'autre singularité de l'expression "échapper belle", c'est que le participe passé est invariable par figement malgré la présence du pronom COD : "Je l'ai échappé belle."
C'est pour cela que je suis toujours un peu interloqué par le choix rimbaldien. Si on garde le sens "échapper", il suffit de moderniser le texte et de dire "Y échappons-nous ?" au lieu d'un archaïsme ou d'une faute populaire à l'oral : "les échappons-nous ?" En revanche, si on prend le sens "manquer", la phrase prendre un sens inverse : "Les manquons-nous ?"
Pour me sentir plus à l'aise, j'aurais besoin d'une intervention d'un linguiste chevronné.
L'expression zolienne favorise la première hypothèse qui est déjà celle que je privilégie spontanément en lisant Une saison en enfer, puisque dans la phrase de Pauline on reconnaît avec un pronom aberrant en surface l'expression consacrée : "tu ne peux y échapper".
J'ai remarqué également que, si Rimbaud avait osé l'accord étonnant "bois sidérals", Zola est particulièrement friand du verbe "émotionner", là où on attendrait "émouvoir". Aujourd'hui, on nous habitue à "solutionner" au lieu de "résoudre".
Je viens lire de temps en temps et j'aime bien tomber sur des articles comme celui-ci.
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