lundi 17 juin 2024

Nouvelle source au quatrain "Lys" de Rimbaud révélée par un intervenant sur ce blog qui a signé Cyril Balma, des triolets signés Ludovic Hans

Ce matin, je me lève en espérant prendre un peu de temps pour faire avancer mon article en cours sur le monostiche zutique de Ricard, et je découvre un commentaire dont la modération est en attente, je ne sais pas depuis combien de jours, vu que j'ai pas mal travaillé cette fin de semaine.
Je n'ai pas encore validé le message envoyé, parce que j'ai un message de problème qui a indiqué à deux reprises : "Attendre ou quitter la page". Donc, je vais immédiatement transformer ce message en article à part entière ce qui en augmentera la visibilité, d'autant que l'article précédent était de transition, écrit au smartphone avec plein de coquilles et que je prévoyais de le détruire du coup.

***

Donc, en commentaire à un article précédent, "Cyril Balma" (j'ignore évidemment si j'ai affaire à un pseudo ou non, d'autant que Cytril est le prénom du rimbaldien Lhermellier et Balma une ville en périphérie de Toulouse, la ville d'Armand Silvestre) a fourni une information sourcée capitale. Je réécris le message ici, en incluant le lien internet et en le rendant fonctionnel sur mon article de blog. Je ne sais pas si Cyril Balma avait fait exprès d'accorder épigramme à l'ancienne au masculin et j'ai corrigé systématiquement le texte de Ludovic Hans en m'appuyant sur le fac-similé, notamment en ce qui concerne la ponctuation. A noter à la lecture l'obligation d'une diérèse surprenante à "poële" pour que le  compte syllabique tombe juste. L'absence de "s" à "remord" vient de la source. Un autre point important : j'ai dû soigner l'émargement, car il y a un emploi de deux vers distincts. Les triolets sont en octosyllabes, mais il y a une légère altérations dans l'avant-dernière strophe, un décasyllabe répété à l'identique. Le journal a bien respecté l'émargement différencié selon les types de vers employés, ce que même la quasi-totalité des rimbaldiens ne maîtrisent plus à l'heure actuelle. Le commentaire adopte la forme de la lettre à Banville du 15 août 1871 avec inclusion de poème et "Monsieur" en en-tête. J'aurais du mal à jouer le Banville dans ma réponse, c'est plutôt à un rimbaldien officiel qu'il aurait fallu envoyer la primeur de cette découverte et la mise en forme blagueuse.
 :

Monsieur Ducoffre,

Le 19 septembre 1871, Ludovic Hans, que nous savons être le poète modique A. Silvestre, signe une série de Triolets du Bon voyage dans les colonnes de L'Opinion Nationale (lien vers le site RETRONEWS ici : https://www.retronews.fr/journal/lopinion-nationale/19-sep-1871/2349/5721268/2). Elle fait partie de la chronique La semaine fantaisiste, que M. Hans signe tous les mardis depuis le 27 juillet  1871. Il s'agit d'épigrammes adressé(e)s aux royalistes d'extrême-droite exclus de la commission permanente pendant les vacances parlementaires. Elles pourraient présider à l'écriture du quatrain du Cercle du Zutisme : "Lys". Je les reproduis ci-après.

               I

     Tout étant providentiel,
     C'est à propos de tes vacances,
     O Brun ! que je bénis le ciel !
     - Car tout est providentiel.
     Donc, en paix, distille le miel
     De tes futures éloquences.
     Tout en étant providentiel,
     O Brun ! je bénis tes vacances !

               II

     Quand Belcastel nous reviendra,
     La neige couvrira la France.
     Des fleurs de lis il en fera,
     Quand Belcastel nous reviendra.
     Puis, fleurs et neige, tout fondra,
     Avril, ramenant l'espérance.
     - Quand Belcastel nous reviendra,
     La neige couvrira la France.

               III

     Holà ! Pyramides, oyez :
     Oyez-vous pas, monsieur du Temple ?
     - Si jamais il passe à vos pieds,
     Holà ! Pyramides, oyez :
     Avec d'amusantes pitiés,
     Le dernier siècle le contemple.
     Holà ! Pyramides, oyez :
     Oyez-vous pas, monsieur du Temple ?

               IV

     Vive Montjoye et Saint-Denis !
     Dahirel au combat s'apprête :
     Tous les deux en lui sont unis.
     - Vive Montjoye et Saint-Denis !
     Montjoye il est, je vous le dis ;
     Saint-Denis, il est par la tête.
     Vive Montjoye et Saint-Denis !
     - Dahirel au combat s'apprête.

               V

     Dans un poêle, Ravinel
     Comme Descartes se retire.
     Nous voyons, remord éternel,
     Dans un four, monsieur Ravinel.
     - "Tiens ! c'est la bûche de Noël !"
     Dit Paris avec son gros rire.
     - Dans un poêle, Ravinel,
     Comme Descartes se retire.

               VI

      Bon voyage, monsieur Ducrot !
On sait pourquoi vous n'aimez pas la presse !
      Mais ne le rappelez pas trop.
      Bon voyage, monsieur Ducrot !
      Naguère, en vous prenant au mot,
      Nous avions tort, je le confesse.
      Bon voyage, monsieur Ducrot !
On sait pourquoi vous n'aimez pas la presse !

               VII

     Contre la presse ou bien Paris,
     Vous tous qui preniez la parole,
     Allez reposer vos esprits.
     Contre la presse ou bien Paris,
     Pour nous sauver pas de tels cris,
     Vous croyez-vous au Capitole ?
     Contre la presse ou bien Paris,
     Vous tous qui preniez la parole ?

                                   LUDOVIC HANS.

A vous de mesurer l'opportunité de cette anecdote. Rimbaud aurait pu, sur ce modèle, [suite du message encore non accessible : on verra après validation].

***

Il va de soi qu'il ne m'appartient pas de "mesurer l'opportunité de cette anecdote", il s'agit d'un domaine réservé : il faut faire partie des chapelles d'universitaires rimbaldiens ou être une personne avec un minimum de statut, ou bien il faut faire allégeance à Macron, Lefrère ou aux grands patrons du rimbaldisme, mais bon, je vais faire comme si ça m'appartenait quand même... Le danger, c'est qu'après les rimbaldiens s'interdiront d'officialiser la mise au point. Il leur en faudra une fausse de substitution si par malheur ma mise au point disait vrai.
Trêve de plaisanteries !
Donc, ces triolets posent un problème, en même temps qu'il s'agit d'une découverte éclairante et authentique.
Je m'explique.
Un fait étonnant, c'est la liaison entre le poème envoyé par lettre à Banville "Ce qu'on dit au Poète à propos de fleurs" et le quatrain "Lys" de l'Album zutique, puisque les deux ont un sujet en commun et que certains traits d'esprit (pour dire vite) passent de l'une à l'autre composition. Cependant, le poème envoyé à Banville cible plutôt Banville : il est cité dans le poème et est le destinataire de la lettre et du poème, lequel est demeuré qui plus est inédit, n'étant pas repris dans le dossier de manuscrits préservés par Verlaine, Forain et consorts. Le quatrain "Lys" cible Armand Silvestre, celui qui signait aussi sous le pseudonyme de Ludovic Hans. Autre différence notable, le premier poème envoyé à Banville est en octosyllabes et le quatrain zutique est en alexandrins.
Et voilà que tombe une source qui a un côté le cul entre deux chaises, puisque le poème de Silvestre a été publié dans la presse le 19 septembre 1871, entre les deux dates de transcription des deux poèmes qui nous intéressent. Peu importe, l'antidatation "14 juillet", le poème "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" doit être daté de l'envoi de la lettre en août 1871 à Banville, le 15 août en principe. Le poème "Lys" date d'octobre pour sa transcription zutique, mais il ne faut pas écarter l'idée d'une genèse de certaines contributions zutiques rimbaldiennes depuis au moins son arrivée à Paris à la mi-septembre.
Armand Silvestre (ou Ludovic Hans) n'écrivait pas de poèmes-quatrains à ma connaissance. Pour l'instant, je considère qu'il y a une enquête à faire sur la pratique zutique du poème-quatrain. Il faudrait enquêter sur les poèmes d'esprit zutique ou satirique antérieurs, il faudrait aussi faire des recherches dans la presse : l'usage concis et satirique du quatrain ou du monostiche dans des rubriques de faits divers. J'envisage aussi de chercher des titres du format "Vu à Rome" dans la presse. En tout cas, dans "Lys", Rimbaud a employé l'alexandrin parce qu'il a parodié des alexandrins des deux premiers recueils de Silvestre, et surtout ceux du sonnet à Rosa où figure le mot "étamines" à la rime. Je dis tout cela parce que nous avons un passage frappant des octosyllabes pour "clystères d'extase" aux alexandrins pour "clysopompes d'argent". Mon idée initiale, c'est qu'il y aurait une même source aux deux parodies de Rimbaud, mais ce glissement de l'octosyllabe à l'alexandrin est pour moi frappant, puisque la logique parodique veut qu'on reprenne certains éléments de versification à a sa source. Ici, on a un changement de type de vers, et un changement de cible déclarée : passage de Banville à Silvestre.
La source proposée ici a le mérité d'être en octosyllabes, mais ne peut en aucun cas être une source à "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs", à cause de la datation : 19 septembre contre 15 août.
Cependant, l'emploi de triolets enchaînés est remarquable et permet de relativiser certaines difficultés. On sait que le nom de Banville est associé au regain d'intérêt pour la forme du triolet. Mais il faut ensuite distinguer le poème triolet du poème en triolets, autrement dit du poème dont la strophe est un triolet, les triolets enchaînés si vous préférez.
Banville a composé des poèmes-triolets, mais il n'a publié que deux poèmes en triolets enchaînés dans ses Odes funambulesques. L'un sera remanié dans la nouvelle édition des Odes funambulesques de 1873-1874. Alphonse Daudet a publié des triolets enchaînés avec son plus célèbre poème "Les Prunes". Rimbaud a composé des triolets enchaînés avec "Le Cœur supplicié" devenu "Le Cœur du pitre" et enfin "Le Cœur volé". Plus vif que les rimbaldiens, je soupçonne bien évidemment que Rimbaud a vécu un séjour au contact de poètes zutiques parisiens lors du séjour dans la capitale qu'il rapporte à Demeny et qui eut lieu du 25 février au 10 mars. A part Jacques Bienvenu, les rimbaldiens ne se demandent même pas où Rimbaud a bien pu dormir du 25 février au 10 mars à Paris. On sait qu'à son arrivée il a dormi dans l'atelier d'André Gill (quelques photographies du bâtiment où Rimbaud a dormi dans un des tout récents articles printaniers de mon blog), mais il n'y serait pas resté. On sait aussi que dans ses lettres du début octobre 1871 à Maître et Blémont, Léon Valade s'attribue un rôle de saint Jean-Baptiste dans l'exhibition de Rimbaud devant les parisiens, aux côtés de Verlaine. Alors, je sais que pour les rimbaldiens c'est très compliqué à comprendre, mais cela expliquerait de manière lumineuse pourquoi Rimbaud dit de Mérat et Verlaine qu'ils sont les deux voyants de la nouvelle école parnassienne. S'il a rencontré Valade entre le 25 février et le 10 mars, tout s'explique. Il est vrai que Verlaine était moins friand de Mérat, mais je n'exclus même pas une rencontre directe avec Verlaine à ce moment-là. Les rimbaldiens ne se posent pas les questions élémentaires. Vous m'imaginez, moi, débarquer, non pas pour vivre, mais juste pour faire quinze jours de recherches à Paris, chez un universitaire rimbaldien ? Vous m'imaginez débarquer chez Reboul, chez Murphy. Aujourd'hui, ce serait un cas de casus belli, mais c'était déjà inenvisageable en 2002, ou en 2000, ou en 1998. Il va de soi que si Verlaine a hébergé Rimbaud à son arrivée, c'est que les choses autrement engagées que ce que la maigreur des informations peut nous le laisser croire. Lors de ce séjour à Paris, du je le rappelle 25 février au 10 mars, Rimbaud cherchait l'adresse de Vermersch, l'inventeur du mot "Zutisme" apparemment (voir un article sur le blog de jacques Bienvenu à ce sujet). Il cherchait l'adresse de Vermersch, mais il ne cherchait pas à se loger lui-même ? Les rimbaldiens, eux, ils préfèrent se poser des questions d'une force éblouissante du genre de celle-ci : "Oh ! Rimbaud se rend à la librairie de Demeny, il veut faire avancer son projet de recueil douaisien millésimé 1870 !" Mais comment on peut lâcher la proie pour l'ombre à ce point !
Et, évidemment, on peut même ouvrir une fenêtre et se demander si Rimbaud n'a pas rencontré Banville et lu à ce moment-là la version remaniée du poème en triolets enchaînés réservée à la future édition. Mais, cela reste spéculation. En revanche, fréquenter Gill, Vermersch et Valade, à tout le moins, cela jetterait un jour nouveau sur l'emploi des triolets enchaînés dans le cas du "Cœur volé", parce qu'au-delà de Banville il y a "Les Prunes" d'Alphonse Daudet, cible zutique et pré-zutique déclarée depuis l'affaire du Parnassiculet contemporain, et il y a Valade lui-même qui sera au moins associé à la publication de triolets satiriques de circonstance dans la presse avec La Renaissance littéraire et artistique.
Et donc, sous le pseudonyme Ludovic Hans, Armand Silvestre atteste l'existence de triolets enchaînés dans des rubriques satiriques de faits divers politiques ou littéraires dans la presse. Le dépouillement littéraire de tous les périodiques d'époque, c'est le drame de la culture française. Il n'a pas été fait et beaucoup de choses sont peut-être déjà perdues, faute d'avoir été bien récoltées, faute aussi de résistance des papiers journaux d'époque à l'usure du temps.
Le présent document prouve encore une fois, car ce n'est pas la première, qu'il y a des découvertes rimbaldiennes à faire à partir de l'étude des journaux d'époque, même obscurs. Je rappelle que cela nous a valu une révision du texte de "Tête de faune" dans la version des Poètes maudits (découverte d'Olivier Bivort de sa pré-originale dans une Revue critique difficile d'accès).
Le poème de Silvestre a aussi l'intérêt de fixer Silvestre en tant que disciple de Banville, puisque les triolets et la fantaisie du poème de Silvestre sont clairement dans l'esprit des Odes funambulesques. Rimbaud vient d'arriver à Paris d'ailleurs, autour du 15 septembre, donc le poème en triolets de Silvestre a pu faire partie de ses premières lectures où il découvrait un poème inédit en même temps que Verlaine. Il faut imaginer la scène : Verlaine ou une connaissance rapporte le périodique, et Rimbaud et Verlaine découvrent à peu près ensemble, à peu près en même temps le poème.
La filiation à Banville des triolets de Silvestre permet de lier définitivement l'esprit du quatrain "Lys" à l'esprit du poème envoyé à Banville en août "Ce qu'on dit au Poète à propos de fleurs".
Rimbaud y a vu une liaison opportune qui a relancé les associations d'idées qu'il avait au moment de composer "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs".
Evidemment, il y a peu de place pour imposer une influence décisive des triolets du 19 septembre sur le quatrain ramassé composé par Rimbaud. Certains éléments n'apparaissent tout simplement pas dans les pièces de Silvestre, le mot "balançoirs" par exemple. Le premier vers : "O balançoirs ! ô lys ! clysopompes d'argent !" est clairement une reprise du poème envoyé à Banville, à tel point que les rimbaldiens avaient considéré comme sans intérêt d'aller éplucher les vers de Silvestre. Il était admis que Rimbaud parlait à un trop haut degré de généralité que pour s'intéresser à une source expresse du côté des poésies d'Armand Silvestre.
Les vers 3 et 4 s'inspiraient directement d'un sonnet païen de Silvestre, jusqu'à la reprise du nom "étamines"  à la rime.
Notons que plutôt que de reprendre la mention "avril" Rimbaud a privilégié la mention de "L'aurore", et au passage je fais le lien avec le recueil Les Chants de l'aube de Ricard, d'où provient la source au monostiche : "L'humanité chaussait le vaste enfant Progrès !", monostiche contre poème-quatrain.
On peut pourtant noter que les triolets n'établissent pas qu'un lien entre Banville et Silvestre, ils établissent aussi un lien par les lys qui éclairent que l'accusation faite à Banville de ne trouver nulle part des lys passent en ironie mordante sur les lys des poèmes de Silvestre. Non seulement dans les deux poèmes il y a une ironie à propos de fleurs poétiques abondantes qu'on ne voit nulle part dans la Nature, mais il y a une ironie autour de son symbole politique : "Monsieur de Kerdrel" et "Dédaigneux des travaux, dédaigneux des famines[.]"
Nous avons aussi une liaison politique qui se précise au sujet des étamines, puisque l'attaque des "Triolets du Bon voyage" commence par les vacances de Brun, qui loin d'être un ours est assimilé à une abeille : "distille le miel / De tes futures éloquences."
Il va de soi aussi que le poème de Rimbaud redouble la raillerie des trois premiers des vers suivants signés Ludovic Hans :
Quand Belcastel nous reviendra,
La neige couvrira la France.
Des fleurs de lis il en fera,
Quand Belcastel nous reviendra.
Puis, fleurs et neige, tout fondra,
Avril ramenant l'espérance.
- Quand Belcastel nous reviendra,
La neige couvrira la France.
J'ai cité l'intégralité de cette strophe-triolet, à cause de la mention clef "avril".
Le reste des "Triolets du Bon voyage" ne me fait pas relever une autre source sensible. Là, comme ça, je ne vois rien d'autre à relever.
Toutefois, le poème en triolets fait suite à un article en prose que je n'ai pas encore lu, vu que je dois manger et travailler cet après-midi, il est déjà 13h50, je suis en retard.
Et mon article sur Ricard, je suis vachement brimé moi avec cette découverte du jour... Boah ! cette découverte m'a bien plu, mon article peut attendre quelques jours de plus.

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