lundi 30 octobre 2023

Complément sur la rime "daines"/"soudaines", nouvelle fournée, des éléments de l'article de Banville sur le recueil Les Baisers !

Commençons par des rappels contextuels. En 2009, j'ai déchiffré deux vers jusque-là réputés illisibles du manuscrit du poème "L'Homme juste" et avant même toute publication d'article cela a fait partie d'un ensemble d'informations communiquées à André Guyaux, car j'espérais pour conséquence que le public pourrait sans délai profiter d'une lecture enfin confortable des deux derniers quintils. Guyaux m'a cité pour ce déchiffrage, mais comme le travail du texte semble avoir été confié à Aurélia Cervoni, celle-ci a cru lire "de daines" et non "ou daines", ce qui nous vaut l'anomalie d'une attribution qui m'est faite de la leçon "de daines" dans l'édition de La Pléiade, sans oublier que pose problème l'usage des crochets marquant que l'éditeur n'entérinait pas la solution. Parallèlement, Rimbaud étant au programme du concours de l'Agrégation dans les filières de Lettres pour l'année 2009-2010, j'ai publié un article bref dans une revue obscure dont le titre est une citation de "Matinée d'ivresse" : "Nous t'affirmons, méthode !" Et enfin, j'ai publié une version sur le blog "Rimbaud ivre" de Jacques Bienvenu. Malgré sa somme philologique sur l'établissement des textes en vers de Rimbaud, le volume Poésies, tome I des Oeuvres complètes de Rimbaud, Steve Murphy n'a jamais daigné répondre à cette intervention, ni en privé, ni publiquement. Il s'est contenté de dire à deux reprises que je proposais une solution, solution qu'à deux reprises il a mal transcrites, l'une des mauvaises transcriptions est "d'aines" dans le Clef Concours Atlande sur Rimbaud pour le concours de l'Agrégation 2010, l'autre je ne l'ai pas en tête en ce moment. Je rappelle qu'il n'existe aucune réponse non plus de Steve Murphy sur le démenti de la pagination des manuscrits des Illuminations  par des articles de Jacques Bienvenu où je suis impliqué pour un argument. Je rappelle que le tome III des Oeuvres complètes où il aurait été question des Illuminations n'a jamais vu le jour, et je rappelle que le tome IV des Oeuvres complètes de Rimbaud avec sa collection de fac-similés ne recense pas le manuscrit allographe de quatrains reportés à l'encre pour constituer la version de "L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple", ni la mention au crayon "Copie Vne" en marge de la version imprimée remaniée en deux triolets du "Coeur volé". J'ai en principe toujours les photographies prises à la Bibliothèque nationale belge dite familièrement l'Albertine à Bruxelles sur un appareil photographique numérique. Je prévois de les publier sur ce blog quand j'aurai remis la main dessus, j'ai publié un article sur ce sujet : "Mais que sont devenus les manuscrits de 'Paris se repeuple' ?" dans un numéro collectif rimbaldien. Steve Murphy n'a répondu à aucune de ces avancées ou remises en cause, ni sur les vers de "L'Homme juste", ni sur la pagination des Illuminations, ni sur l'exemplaire du Reliquaire remanié par Vanier conservé à Bruxelles. Il n'a pas dit que j'avais tort dans mon déchiffrement des vers de "L'Homme juste", il s'est gardé de répondre, ce qui n'est pas la même chose.
J'ai contre moi les maladresses de Guyaux et de Cervoni pour l'édition de La Pléiade, le silence de Murphy, et aussi finalement de la part de pas mal de rimbaldiens. Bardel, il ne compte pas, il pèse par sa présence sur internet, mais on aurait pu avoir des réactions d'autres rimbaldiens, simplement désireux de lire enfin ces vers en entier. Et, surtout, il n'est question que de déchiffrer des lettres, des mots, un vers sur un manuscrit, et c'est une syllabe qui est dure à lire, c'est tout ! La syllabe "ou" collée à "daines". Il n'y a rien d'autre à déchiffrer, absolument rien ! Cela veut dire que n'importe qui là dans la section des commentaires du blog "Rimbaud ivre" ou ici dans la section des commentaires du blog présent "Enluminures (painted plates)" peut dire qu'à l'évidence il est écrit : "ou daines". A un moment donné, on va finir par interroger les experts professionnels auprès des vendeurs de manuscrits anciens pour authentifier qu'il est écrit "ou daines". Au fait, pourquoi on ne leur demande pas leur avis ? Moi, je ne peux pas, je suis considéré comme persona non grata. Et ce n'est pas tout, je n'ai pas identifié la signature "PV" sous le manuscrit de "L'Enfant qui ramassa les balles..." Cette information, elle est venue de Steve Murphy qui bien évidemment a eu la primeur de la photographie nouvelle du manuscrit avec cet élargissement. Steve Mur(phy le signalait dans une note de bas de page en soutenant que le poème était de Rimbaud. En 2009, quelques années après déjà, j'ai agi pour que cela cesse. J'ai pris à mon nom de combattre cette imposture d'attribution à Rimbaud. La première photographie ne prenait que les vers et on a identifié l'écriture de Rimbaud, Bouillane de Lacoste habitué à  considérer le poème comme étant de Verlaine avait protesté malgré la réattribution à l'époque. Il est vrai qu'il était influencé par son habitude. Or, la nouvelle photographie révélait la signature "PV", ce qui voulait dire que Rimbaud avait recopié un poème de Verlaine. La signature "PV", elle n'a pas été mise comme ça au milieu du vingtième siècle par un détenteur du manuscrit, elle est selon toute vraisemblance d'époque. Ce n'est pas Régamey qui s'est amusé à la mettre, et Régamey disait bien que les deux poèmes étaient de Verlaine. On peut toujours imaginer des scénarios tordus, mais du point de vue de la recherche scientifique la plus scrupuleuse, la plus rigoureuse, la plus logique et la plus simple, Rimbaud a recopié la deuxième moitié d'un distique inventé par Verlaine seul, et la signature "PV", c'est soit Rimbaud, soit Verlaine reprenant la plume qui l'a mise. C'est tout. La signature "PV" prévaut sur l'écriture de copiste de Rimbaud. On n'attribue pas la copie manuscrite du "Bateau ivre" à Verlaine, ni plusieurs autres copies manuscrites par Verlaine de poèmes de Rimbaud. Là encore, levée massive de boucliers : Murphy, Lefrère et Guyaux pensaient contre Ducoffre que le dizain était bien de Rimbaud et non de Verlaine, comme si les arguments n'avaient pas de valeur hiérarchique, comme s'ils pouvaient expliquer pourquoi Rimbaud aurait laissé Verlaine signer "PV" sa création, comme s'ils pouvaient expliquer pourquoi Rimbaud lui-même aurait signé "PV" sa création. Or, lors de la publication du Dictionnaire Rimbaud, celui dirigé par Vaillant, Cavallaro et Frémy, paru en 2021 je crois, Steve Murphy a publié quelques articles et dans l'un d'eux il rappelle le problème de "L'Enfant qui ramassa les balles..." en disant que plusieurs pensent le poème de Rimbaud, mais n'ont opposé aucun argument à Ducoffre exhibant la signature "PV". Vous voulez que je recherche la référence, que je vous cite la phrase de Murphy ? Je pourrais le faire prochainement en mettant cela à la suite des autres citations de réaction (Clefs concours Atlande, etc.). Vous voyez bien qu'il y a un problème.
Je suis refusé sur le déchiffrement de "L'Homme juste", refusé sur la réattribution à Verlaine d'un poème signé "PV", refusé sur une analyse de la pagination allographe des Illuminations, ignoré sur la valeur de l'exemplaire du Reliquaire annoté par Vanier, et je vous passe plusieurs autres sujets, "Voyelles" et la chronologie de l'Album zutique notamment. Je rappelle que Bernard Teyssèdre s'attribue une chronologie des compositions zutiques, alors que cette chronologie je l'ai établie dans trois articles que Teyssèdre cite précisément dans sa bibliographie de fin d'ouvrage ! Si mes articles sont cités à la fin de son ouvrage, c'est que mes antériorités sont incontestables, non ?
Bref, vous comprenez qu'on puisse en avoir bien marre. Enfin, j'espère !
Maintenant, revenons à cette solution. Quand on écrit un article, on l'organise, mais factuellement cela s'est passé ainsi. J'ai consulté le manuscrit de "L'Homme juste" et à ma grande surprise j'ai découvert qu'il n'était pas du tout illisible. J'ai lu "ou daines". Je l'ai fait lire à d'autres personnes, notamment à ma mère qui ne risque pas de me faire un procès si je rends compte de cet entretien privé. Elle n'est pas arrivée à déchiffrer le "ou" elle-même, ce qui m'a déçu. Je lui ai dit la solution :  "ou daines", elle a répondu :  "oui, une fois qu'on le sait, oui c'est ça, mais c'est difficile, je ne trouvais pas!"
Jacques Bienvenu a trouvé évidente ma solution à 200% comme il le disait à l'époque. Je crois que Reboul fait partie aussi des gens qui l'admettent, puisque je le rencontrais parfois à l'université du Mirail à Toulouse. Mais, après, personne pour m'écrire ou me dire que j'ai raison. Nada de chez nada.
Alors, je reviens sur la rime "daines"/"soudaines" exploitée par Ernest d'Hervilly. En 2009 ou 2010, le recueil Les Baisers n'était pas consultable sur internet, n'était pas téléchargeable sur le site Gallica de la BNF. En revanche, des facs-similés des reliures des livraisons mensuelles de la revue L'Artiste étaient disponibles sur le site Gallica de la BNF, et Jacques Bienvenu avait exploité l'un d'eux pour son article sur "Chanson de la plus haute Tour" rapproché de poèmes de Glatigny et notamment de la plaquette "La Presse nouvelle". Il se trouve que j'ai lu la rubrique "Les Livres" de Banville dans le numéro de la revue L'Artiste de mars 1872 et je suis tombé à ma grande surprise sur la rime "daines"/"soudaines", et ça m'a fait d'autant plus d'effet que je venais assez récemment de déchiffrer les vers du manuscrit de "L'Homme juste".
Alors, je ne sais plus les dates des différents articles. Le volume de l'édition de La Pléiade date de 2009 et l'article sur le site "Rimbaud ivre" date d'octobre 2010. En tout cas, à un moment donné, comme je collaborais au blog "Rimbaud ivre" à l'époque, il a été décidé que ma découverte de déchiffrement serait publiée en ligne. Et je tiens à préciser que Bienvenu étant celui qui a publié mon article nous étions tous les deux d'accord sur le fait que cette rime "daines"/"soudaines" Rimbaud l'avait lue dans l'article de Banville. Et je peux même préciser que l'expression de mon article : "la garantie de la viabilité suprême de cette rime" je l'ai reprise je crois mot pour mot des pressions orales de Bienvenu qui voulait que j'insiste sur l'importance de cet article de Banville, et ce que j'ai écrit sur le blog en 2010 a un sens précis : je ne dis pas que l'emploi d'Hervilly de cette rime et la reconnaissance de Banville prouve qu'il est viable d'employer cette rime, ça n'aurait aucun sens, c'est une rime, point ! L'expression que j'ai reprise à Bienvenu (il échangeait avec moi avant la publication sur son blog) signifie, et en tout cas c'est ainsi que je comprenais les choses quand j'écrivais) que la rime en tant que déchiffrement est viable parce que, pré-ci-sé-ment, cette rime rarissime est citée dans la presse deux mois auparavant par rien moins que Banville, et citée au sein d'un poème d'Ernest d'Hervilly, poète que Rimbaud aurait insulté lors du dîner des Vilains Bonshommes du 2 mars 1872 qui lui a valu un bannissement et à tout le moins qui l'a amené à un exil de presque deux mois, entre la mi-mars et le 7 mai 1872 environ. Cette révélation prouvait que j'avais vu juste et je  n'ai jamais soutenu que Rimbaud avait lu plutôt le recueil Les Baisers que l'article de Banville. Je suis assez fûté pour comprendre immédiatement la logique de Rimbaud qui va citer un extrait saillant. A l'époque, beaucoup de gens lisaient la revue L'Artiste parmi les poètes, et pas toujours les recueils proposés. Je garantis formellement que moi comme Bienvenu considérions que d'évidence Rimbaud réagissait cet article. Cela ne faisait aucun doute. Bienvenu n'a pas attendu 2023 pour y penser. C'était ce qui nous paraissait évident en 2010. En revanche, lui comme moi, nous avons laissé passer le temps et nous avons négligé d'essorer la rubrique de Banville pour lui faire dire tout ce qu'elle avait à révéler.
Récemment, et avec raison, Jacques Bienvenu a cité une phrase qui aurait fait un bon effet dans mon article de 2010. Effectivement, Banville a des mots très forts pour souligner le mérite qu'il prête à cet encore inconnu Ernest d'Hervilly. Bienvenu fait la citation suivante : "[...] parmi les jeunes poètes dont la réputation depuis quelques années, je n'en connais pas un qui soit plus original et plus nouveau qu'Ernest d'Hervilly, qui vient de publier son petit livre des Baisers." La citation a une lacune, je vais la reprendre et l'allonger, et je précise que "Parmi" est bien un mot en attaque de phrase et même de début de paragraphe juste après la citation des vers de "La Presse nouvelle" de Glatigny :

    Parmi les jeunes poètes dont la réputation s'est faite depuis quelques années, je n'en connais pas un qui soit plus original et plus nouveau qu'Ernest d'Hervilly, qui vient de publier son petit livre des Baisers. Oui, il est nouveau, vraiment moderne, vraiment contemporain, comme Edgar Poe, comme Baudelaire, comme Gavarni. Il habite non pas dans la lune, mais dans le Paris d'Etienne Lousteau et de Lucien de Rubempré ; les lèvres que ses baisers ont caressées appartiennent non pas à des dames chinoises ou à des princesses grecques, mais à des Parisiennes de Paris ; croyez qu'il ne manque pourtant ni de caprice, ni d'humour, ni de fantaisie, et qu'il n'est pas moins poète pour cela ; et pour en être certains, lisez avec moi quelques-uns de ses vers."
La citation des vers ne suit pas immédiatement, nous enchaînons avec un autre paragraphe en prose dans lequel Banville prend la défense d'un poète qu'il prétend fustiger par les censeurs actuels de la Sorbonne ou de l'Académie, mais qui passera à la postérité, et je cite enfin à dessin la formule qui lance la citation des vers du poète : "[Les Baisers] auront leur place dans toutes les anthologies, et les écoliers apprendront alors par cœur cette délicate et naïve Epitaphe : [...]" Et l'article se termine par la citation du poème. Je vais y revenir. Mais, vous constatez que dans le premier paragraphe cité, énormément de mots font sens pour Rimbaud. Hervilly est selon Banville "original", "nouveau", "moderne", "vraiment contemporain" Il est comparé à "Poe" ! C'est marrant, mais un peu après Rimbaud compose "Famille maudite", poème réintitulé "Mémoire", mais qui dans sa version initiale "Famille maudite" était coiffé du surtitre "Edgar Poe". Verlaine dira en Angleterre que lui  et Rimbaud apprennent la langue du pays en lisant Edgar Poe, et on ne rappelle plus l'introduction en France de Poe par les traductions de Baudelaire. Baudelaire, le deuxième nom auquel Banville compare Ernest d'Hervilly : tout un programme ! D'ailleurs, le quintil ABABA de "L'Homme juste" est un héritage, une adaptation d'un modèle baudelairien !!! Et puis, il y a ce nom Gavarni qui détonne un petit peu, qui est cher à Banville, et qui a déjà été brocardé par Rimbaud ! On appréciera la mention des "dames chinoises", Ernest d'Hervilly on l'a compris préfère les daines parisiennes. On est loin de l'appréciation désagréable proposée par Marc Dominicy. Rimbaud exècre les yeux de non pas de naines et de trisomiques, mais de daines dont le regard inoffensif est explicité par les vers et la rime "daines"/"soudaines" d'Ernest d'Hervilly : "les fuites soudaines" des daines et des merles, cela veut dire que leurs yeux sont doux, craintifs. Les dames chinoises citées par Banville sont séductrices, puisqu'à bien lire le texte de Banville l'exotisme en poésie a l'avantage et c'est contre la fantaisie et le caprice des sujets exotiques que la poésie parisienne d'Ernest d'Hervilly surprendrait par sa capacité à être fantaisiste et capricieuse autrement. On est loin de la thèse dépréciative de Dominicy, et je voudrais que celui-ci ou d'autres m'expliquent les rencontres élevées entre les deux quintils de "L'Homme juste" et la partie de la rubrique de Banville consacrée au seul recueil d'Hervilly. Je n'ai pas fini, j'ai cité à dessein la phrase qui introduit à la lecture des vers, elle parle d'écoliers récitant une épitaphe délicate et naïve. Des écoliers récitant une épitaphe, cela ressemble à des "enfants / Près de mourir", l'épitaphe n'est pas la leur, mais il meurt de pâmoison en la lisant en quelque sort, et ce sont des "idiots doux  aux chansons soudaines", il récite par cœur une poésie lyrique délicate et... naïve.
Et enfin, au-delà de la rime "daines"/"soudaines", j'ai insisté dans mon précédent article sur des éléments qui n'auraient jamais dû m'échapper en 2010, l'équivalence de serrement du cou entre la "gorge cravatée / De honte" et le poète amant qui est invitée par sa belle qui a froid a mieux serrer le châle autour du cou. Oui, dans un cas, la cravate de honte est sentie comme mortelle, tandis que dans l'autre le cou est protégé, mais le parallèle de serrement du cou est encore un point commun entre les deux poètes et la mort est présente, la dame avait froid et elle est morte peu après.  Le poème s'intitule "Epitaphe" et raconte ce dernier souvenir deux ans après. Au sein de son article, Bienvenu offre un fac-similé de la dernière page de la rubrique de Banville. Mais la citation du poème commence à l'avant-dernière page. Or, si on prend la citation faite par Banville dans son ensemble, nous avons deux mentions de l'adjectif "doux". Le mot est à la rime du premier vers de la citation et il est placé après le nom auquel il se rapporte "sanglot" à la fin de la longue séquence de récit, à l'antépénultième vers du poème, puisque nous avons encore droit à un distique conclusif. Je cite donc les deux vers en question et, en évitant de croire que Rimbaud parle de lui-même dans "Roman", notez que le premier vers correspond à l'âge de Rimbaud en mars 1872, il n'avait même pas dix-sept ans et demi, il lui manquait encore un bon mois pour ça :
Elle avait dix-sept ans. C'était un très doux être,
[...]
Un sanglot doux m'étouffe et me rend anxieux.
Le sanglot qui étouffe le poète et le rend anxieux est quelque part plus proche de l'expression "la gorge cravatée / De honte". Le fait de placer l'adjectif "doux" après le nom est commun à "sanglot doux" et "idiots doux" et donc aux deux poèmes rapprochés à partir de la commune rime "daines"/"soudaines". Et la douceur revient elle aussi à deux reprises dans les dix vers que Rimbaud a ajoutés à "L'Homme juste". Rimbaud n'emploie pas l'adjectif "doux" dans les quintils initiaux connus de "L'Homme juste" du moins dans les 45 vers qui nous en sont parvenus. Il l'emploie deux fois dans les dix vers ajoutés, ce qui établit bien une nouvelle "convergence" trouble entre la citation faite par Banville et ces deux quintils : "doux / Comme le sucre sur la denture gâtée..." et plus loin "idiots doux", sachant que "doux" est placé après la césure cette fois, une fois à la rime, une fois en rejet au second hémistiche, ce qui vaut soulignement renforcé de son emploi. Mais ce n'est pas tout ! Nous avions le couplage "yeux de chinois ou daines". Il va de soi que Rimbaud n'en est pas resté à la mention des "dames chinoises", Rimbaud n'est pas un poète simpliste, mais les "yeux" étaient ainsi mis en vedette. Dans un article antérieur de la revue L'Artiste, j'ai relevé une expression du genre "il ne faudrait pas avoir les yeux de... mais les yeux de l'esprit", mais peu importe. Ici, dans le poème cité par Banville, le mot "yeux" est à la rime, et les yeux sont un livre ouvert de mots cités en italique. Avant de citer ces mots en italique, je me permets de faire remarquer que Banville parle de lire une poésie parisienne qui se substitue à des mots renvoyant à des "dames chinoises". Quelque part, les "yeux de chinois ou daines", c'est l'équivalence de la fantaisie selon Banville que Rimbaud a cerné et frappé d'inanité. Banville, disciple du Victor Hugo des Orientales, vante l'évasion par le libre choix de sujets dépaysants avec les "dames chinoises" comme avec les femmes grecques, mais pour faire un mérite à d'Hervilly de ne  pas recourir à ces artifices. Hervilly a le même talent de caprice et de fantaisie en traitant de sujets parisiens. Et Banville d'illustrer cela par la citation d'un poème annoncé comme parisien. Je ne sais pas à quel point les daines sont parisiennes, mais les "yeux de chinois ou daines", si les yeux sont un livre ouvert devant le poète ça veut dire pour Rimbaud qu'il exècre le faux et facile exotisme de traiter un thème chinois en poésie tout comme l'espèce de facilité si pas cliché de comparer un femme amoureuse à une daine ou un merle. Et pour signe tangible que Rimbaud cible la mention "yeux" à la rime dans l'extrait d'Ernest d'Hervilly, j'en veux pour preuve que "denture" a la terminaison du mot "friture" et que les mots "latin sauté", "friture" évoquent les plaisirs de la table, la friture étant susceptible non seulement de rimer avec "denture" mais de provoquer des caries, et Rimbaud rappelle un autre cliché de la poésie amoureuse avec la femme qui aime les bonbons quand il parle de la douceur du sucre. On lisait dans les yeux de cette femme des mots qu'elle-même trouvait "délicieux", mot qui rime avec "yeux" dans cette "Epitaphe". Le poète (Hervilly pour dire vite) parle de sa douleur passée comme d'un "sanglot doux", sanglot qui donne l'impression d'un rengorgement, d'une salive qu'on ravale. Et dans les mots en italique que lisait le poète dans les yeux de sa défunte aimée il y a "friture", "lapin sauté", mais aussi "balançoires" et "bosquets" qui ne sont pas dénués d'intérêt quand on songe que quelques vers plus loin la femme est comparée aux merles et aux daines. Oui, l'écriture de Rimbaud est tellement télescopée que vous n'y comprenez rien. Vous devez sentir au moins que ces rapprochements dépassent nettement la simple coïncidence. Une autre métaphore alimentaire ou d'engorgement est employée par Rimbaud : "ruminant mon ennui". Rimbaud raille "l'Homme juste", à savoir Hugo, lequel doit s'en aller en "ruminant" le spleen que Rimbaud lui a envoyé à la face. Dans "Epitaphe", l'amant rumine un amour mort deux ans après. Et autre candidat à un rapprochement avec les "enfants près de mourir" nous avons cette femme morte à dix-sept ans qui était frileuse, et dont le dernier souvenir dont nous fait part le poète est cette atteinte du froid qui fait qu'il est invité à nouer un châle autour du cou, sauf que la froideur mortelle ira jusqu'à son terme et que le poète ne sauvera pas du tout cette femme fragile. C'est bien un récit convoquant le souvenir d'une enfant près de mourir.
Bien sûr que Rimbaud ne redit pas le poème d'Hervilly ou les propos de Banville, il construit sa réplique par des procédés de résonance, ce qui est nettement distinct.
Evidemment, je ne peux pas surexploiter les rapprochements, rime en "-té" contre rime en "-tée", mention non à la rime d'un "lapin sauté" et puis d'une chienne victime de l'assaut des toutous avec une "entraille emportée" qui ferait presque songer à une équivalence entre le pélican de Musset se sacrifiant pour ses enfants et la chienne victime des ardeurs abusives des chiens mâles. Il y a d'autres sources à dépister, c'est une évidence.
Maintenant, en attendant de nouvelles découvertes plus précises, je vais parler de l'insertion des deux quintils dans le poème "L'Homme juste" et de la revue L'Artiste au-delà du texte de Banville, encore que j'ai encore quelque chose à dire sur sa rubrique.
Le poème "L'Homme juste" cible Victor Hugo, comme l'a démontré Yves Reboul dans un article du numéro 2 de la revue Parade sauvage et même s'il nous manque les vingt premiers nous savons que la "nuit" y est importante, il est question de "farces de nuit", ce qui veut dire que l'expression "Nuit qui chante" indiscutable à la lecture tête posée du manuscrit n'est pas un ajout insensé au poème. Nous constatons aussi que le poème est de nature politique et parle des émeutiers qui ont essayé d'attaquer la porte de la maison de Victor Hugo à Bruxelles. Victor Hugo rejetait dos à dos les communeux et les versaillais, mais ils prenaient la défense des réfugiés de la Commune. Rimbaud ne se satisfaisait pas de cela. Or, dans les dix vers ajoutés, Rimbaud formule son désir du départ du poète. L'expression "ruminant mon ennui" exclut l'idée d'une mort de Victor Hugo, mais il lui souhaite un nouvel exil. Rappelons qu'en mars 1872, quantité de grands noms de la poésie française ne sont déjà plus : Vigny, Lamartine, Sainte-Beuve, Baudelaire,... Peu importe l'importance réelle de Sainte-Beuve en tant que poète, je parle de notoriétés publiques qui disparaissent, et il y en avait d'autres : Nerval, etc. Gautier était en mauvaise santé avant de décéder, et il est précisément mort à la fin de l'année 1872. Rimbaud venait d'écrire en février 1872 un poème communard satirique "Les Mains de Jeanne-Marie" qui prenait pour modèle le poème "Etude(s) de mains" du recueil Emaux et camées de Gautier. Or, dans la revue L'Artiste, avant le mois de mars 1872 et la rubrique "Les Livres" signée par Banville, il y avait eu une recension du dernier ouvrage de Gautier, Tableaux du siège, et je prétends que son début anticommunard est une source éclairante pour expliquer en partie les intentions satiriques du poème "Les Mains de Jeanne-Marie". Suite à la mort de Gautier, Arsène Houssaye et d'autres dans la revue L'Artiste exprimeront leur deuil et diront que seul le maître reste et qu'il faut souhaiter qu'il ne s'en aille pas. Evidemment, ce serait anachronique d'en faire des sources aux deux quintils de Rimbaud, mais cette coïncidence n'est pas dépourvue de sens. Rimbaud a fréquenté Banville, quelques dîners des Vilains Bonshommes. Peut-être que Rimbaud entendait ce souhait de longue vie à Hugo et qu'il réagissait, un peu méchamment, à ces propos mondains. La rubrique "Les Livres" n'était pas tenue par Banville, c'est l'une de ses rares contributions. En revanche, Gautier était un pilier de cette revue et Charles Cros, qui a hébergé Rimbaud en 1871, a publié des poèmes dans cette revue. Et puis, la recension de Banville, elle commence par les Chants du soldat de Paul Déroulède, on célèbre un patriote dans la guerre franco-prussienne, mais un patriote anticommunard si je ne m'abuse. La recension se poursuit avec Les Humbles de Coppée. Banville cite comme célèbres désormais des poèmes parodiés déjà dans l'Album zutique. Puis la plaquette "La Presse nouvelle" de Glatigny est citée, le sujet étant l'hypocrisie de ce petit monde, tout comme les deux quintils de Rimbaud sont une attaque contre l'hypocrisie des poètes parisiens. Rimbaud dans les deux quintils qu'il ajoute parle du seul Hugo en attaque de chaque quintil : "Qu'il s'en aille...", "Qu'il dise charités crasseuses et progrès", mais nous avons un effet de rupture manifeste avec trois petits points de fin de vers après "progrès", puis un tiret et cette soudaine attaque contre les "yeux de chinois ou daines" qui pourraient être finalement les yeux des autres justes qui admirent Hugo et qui ne veulent pas qu'il s'en aille contrairement à Rimbaud ! Le poème finit par une mention au pluriel des "justes", ce qu'on comprend aisément comme l'ensemble des admirateurs de "L'Homme juste" qu'était Victor Hugo.
On peut parier que le discours politisé de Rimbaud ne passait pas auprès de Banville, d'Ernest d'Hervilly et d'autres. Parmi les collaborateurs réguliers de la revue L'Artiste, les anticommunards ne manquent pas. Il y a Gautier, il y a Paul de Saint-Victor auteur du livre Barbares et bandits qui réunit des articles publiés dans la presse, et quand Gautier est mort, Arsène Houssaye a vanté le mépris de Gautier pour les révolutions, a traité les meneurs de la dernière révolution de barbares, ceux de la Commune si j'ai bien compris. Banville et les autres se compromettaient aux yeux de Rimbaud avec des anticommunards. Oui, la poésie de Gautier est géniale, mais "Les Mains de Jeanne-Marie" ne prennent pas un poème de Gautier en modèle pour lui rendre hommage. Non, c'est pour mieux faire passer un message satirique bien sûr à l'auteur des Tableaux de siège. Banville cite tout de même Rimbaud dans un journal en mai 1872 pour se moquer de son souhait d'une disparition prochaine de l'alexandrin, mais c'est politiquement que Rimbaud est un sujet brûlant. Adhérer à l'esprit revanchard de la Commune est tabou à l'époque ! Forcément !  Et au-delà de la Commune, Rimbaud pensait de Banville et des autres qu'ils étaient non pas des voyants, mais des compromis assurant le confort d'une vie bourgeoise. Le sucre sur la denture, c'est ce que pense Rimbaud de la poésie compromise de Banville, d'Hervilly, à partir du moment où il s'agit de faire croire au public qu'on a de la fantaisie à simplement parler de pays du bout du monde, ou de parler d'un amour imaginaire rendu impossible par la mort de l'aimée. Rimbaud se moque de ces poètes qui donnent la comédie, tout simplement, car ils ne sont justes qu'à la mesure de la compromission sociale qu'ils ont acceptée. C'est ça que disent les deux derniers quintils ! Comment en douter une fois qu'on le dit ? Banville a visiblement pris la défense de Victor Hugo et même de Déroulède, Gautier et compagnie face à Rimbaud. J'oubliais que dans sa recension Banville cite aussi Léon Dierx, et je rappelle qu'Armand Silvestre était lui aussi un anticommunard à cause des livres publiés sous le pseudonyme de Ludovic Hans, un anticommunard qui a rencontré Rimbaud au dîner des Vilains Bonshommes de la fin du mois de septembre 1871. Derrière Gautier, il y avait ses gendres anticommunards, Bergerat et Catulle Mendès, lequel Catulle Mendès se moquait en public du couple formé par Rimbaud et Verlaine en compagnie de Mérat et visiblement de Léon Dierx, vu une certaine recension d'une soirée à l'Odéon...
Banville n'a pas pris le parti de Rimbaud et de Verlaine, du moins de guerre lasse il n'a même plus pris le parti de tolérer les frasques des deux poètes.
On ne peut pas donner raison sur toute la ligne à Rimbaud, les comportements de Rimbaud en public et de Verlaine vis-à-vis de son ménage étaient clairement problématiques. Toutefois, au plan de la reconnaissance poétique, Banville faisait une sacrée erreur, et l'injustice était criante. Cela n'est allé qu'en empirant.

***

Petite note, on sait que les deux quintils ont été ajoutés, non seulement par la différence de qualité d'écriture sur le manuscrit, mais aussi parce que nous avons conservé la transcription initiale du dernier quintil de "L'Homme juste" qui est l'antépénultième de la version connue. Et sur une liste de poèmes de Rimbaud où les nombres de vers sont précisés, Verlaine a modifié le nombre de vers. Le remaniement de cette liste est obligatoirement postérieur à la transcription du manuscrit qu'il contient des "Mains de Jeanne-Marie" où figure la mention du mois de février 1872. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que ce remaniement lié au retour de Rimbaud à Paris en mai 1872 peut difficilement ne pas être relié et à l'article de Banville dans la revue L'Artiste et à l'incident du dîner des Vilains Bonshommes le 2  mars 1872. Il n'y a aucun raisonnement compliqué qui pousse à une telle conclusion.

3 commentaires:

  1. 31/10 10h0 5, j'ai quelques coquilles à corriger, il s'agira des seules retouches à faire à cet article.
    Je mets ici les précisions supplémentaires.
    D'abord, vu que j'énumère mes analyses philologiques, il y a aussi le refus de la leçon "autels" pour la coquille "outils", mais les choses évoluent quand même, sauf qu'en 2021 encore elle était rejetée et en 2023 l'évidence le cède à l'hypothèse éternelle, alors que "la domesticité même trop loin" changée arbitrairement en "mène trop loin" ça ne gêne personne sauf moi. Il y a aussi le brouillon de la fin d'Alchimie du verbe sur les quatre fins essayées et le statut de la beauté.
    Maintenant, un complément sur les rimes des deux quintils ajoutés à "L'Homme juste", nous avons pour le premier quintil une série de trois rimes travaillées au plan du sens, puisq ue "cravatée" c'est le malaise de l'habillage et "denture gâtée" et "entraille emportée" partagent une idée de destruction, de souffrance et "emportée" est pourtant l'idée d'arrachement inverse de "cravatée". L'autre rime du quintil est "doux"/"toutous", à relier à "idiots doux" avec rejet à la césure. La rime est pensée au niveau du sens, elle tourne à la familiarité avec "toutous", et elle traite de douceurs débilitantes les envolées lyriques d'Hervilly appréciées par Banville qui cite un extrait où "doux" apapraît deux fois, où "doux" est le mot à la première rime. Notons que Rimbaud ramène cela à Hugo et qu'il fait de l'ironie : la douceur du sucre tourne en douleur quand on la pose sur une carie. "Je vous en donnerai de la douceur", ça prépare le vers final qui congédie les Justes. Le second quintil a une rime qui est une citation "daines"/"soudaines" (renvoi à Hervilly) et la rime "progrès", "près [De mourir]", "ventrres de grès" dans lesquels on chie a un sens aussi qui consiste à dénigrer le prétendu "progrès" de ralliement !
    J'ignore si Dominicy développe ou non une analyse des rimes dans son article...

    RépondreSupprimer
  2. Lancé à plein régime dans une lecture et relecture générale des recueils de poésies du dix-neuvième siècle (avec un immense projet de mise au point sur l'histoire des césures), je tombe sur cette jolie coïncidence dans un poème de Philoxène Boyer. C'est un ami de Banville et aussi de Baudelaire, et un "hugolâtre". Son recueil Les Deux saisons ne me paraît pas très bon poétiquement, il est assez faible, imite en moins bien les romantiques avec une versification nettement rétrograde, passéiste, il ne pratique même pas les enjambements d'épithètes, les mises en relief d'un élément d'une phrase par rejet, comme Chénier, Hugo et puis les romantiques à partir de 1828. Il est vraiment sans intérêt. Etrangement, c'est dans un poème adressé à Baudelaire que par exception il fait plein d'enjambements intéressants, mais à la manière romantique et pas jusqu'aux audaces types de Baudelaire, ça m'a frappé. Je me garde d'autres idées, sans importance mais suggestives, et puis voici ces vers : "Rien n'est doux, rien n'est fin, rien n'est charmant comme elle, / Comme son clair regard de chevreuil effaré[.]" Le poème s'intitule "Claudina" et autre surprise, plus loin dans le même poème je lis ceci : "C'est un refrain maudit que chaque écolier sait !" C'est hallucinant comme ça fait écho à Banville disant que les écoliers réciteront par coeur le poème d'Hervilly incluant la rime "daines"/"soudaines". Décidément !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah oui, j'ai oublié de préciser que malgré son classicisme en fait de césure, Boyer a fait comme Musset dans "Promenade des Alpes" (titre de mémoire) un poème hétérométrique qui mélange les deux décasyllabes 4-6v et 5-5v, je vais être obligé de vérifier si Gouvard ou Chevrier en ont parlé. Mais comme je m'ennuyais avec Philoxène Boyer, je suis passé à Jules Breton. Là encore, Gouvard corrompt les noms et titres, après Jean Autran pour Joseph Gouvard a écrit Les Champs de la mer pour Les Champs et la Mer. Rimbaud n'a pas pu lire du Jules Breton et je n'ai pas les mêmes éditions des recueils que Gouvard sachant que l'auteur remanie ses poèmes, en enlève et en met de nouveaux. Ceci dit, j'adore lire les poésies parnassiennes de Jules Breton, un peintre à l'origine. C'est comme lire du Heredia, mais en mieux parce que Breton n'arrête pas de jouer avec des images typiquement rimbaldiennes de la Nature et de la vibration poétique. Une belle découverte. Je vais m'en servir d'une façon subtile dans les études rimbaldiennes, parce que je prévois de faire un grand tableau des vers rapportés à des lieux communs parnassiens dans le fond comme dans la forme pratiqués avant et après Rimbaud. Je sens que ça va être génial.

      Supprimer