On vit une époque rigolote. Il y aura bientôt plus de portraits de Rimbaud que de poèmes de lui en circulation.
Le titre du présent article est en réalité celui d'une pièce de théâtre contemporaine. Proudhon modèle Courbet est une "Dramatique en un acte et cinq scènes" de Jean Pètrement et elle a été créée en 2009 par la Compagnie Bacchus. Il existe deux éditions de cette pièce, je possède celle de 2016 des Editions Bacchus en privé, mais pour une édition liée à la troupe théâtrale je trouve qu'elle a pas mal de coquilles. Ce n'est pas très valorisant. Cette pièce s'intéresse à deux personnages francs-comtois qui furent amis au dix-neuvième siècle malgré certaines divergences, le peintre Courbet et le spécialiste de philosophie politique Proudhon (pour rappel alors que l'exercice de la philosophie semblait confisqué par l'Allemagne, ce qui n'empêchait pas celle-ci de s'égarer dans les systèmes, il y a tout de même eu un fort courant de philosophie politique qui s'est maintenu en France et qui a influencé le monde en retour : Rousseau et Montesquieu relayés par Tocqueville, Proudhon, etc., et sur le long terme, avec le vingtième siècle, les théories du droit sont de meilleure qualité dans le domaine français que dans le monde allemand, même s'il y a eu Ihering, Mommsen et d'autres).
Jean Pètrement n'est certainement pas un écrivain de premier plan. Il est actif depuis les années 80 et cette pièce qui est sa plus connue ne date que de 2009. Les créations nouvelles sont espacées dans le temps et visiblement il s'agit la plupart du temps de mettre en scène des adaptations d'oeuvres ou de pensées des écrivains passés. La pièce est en prose et ne témoigne pas d'un réel souci du style. Il y a beaucoup d'effets de manche, de propos répondant à des appels du pied (propos graveleux lors d'une pose de modèle pour le peintre, misogynie rentre-dedans de Proudhon, manière familière de parler avec des abréviations pour faire provincial à bons frais, etc.). La bascule entre les propos terre à terre et les considérations intellectuelles est brutale, basique, et l'échange intellectuel prédomine complètement avec une volonté d'exposer sans prendre nettement parti au-delà d'un enrobage bon teint. Mais ça se laisse lire, il y a un dynamisme qui entraîne le lecteur et il y a un reflet suffisant de débats tirés d'auteurs du dix-neuvième siècle. On peut dire que ça fait le café.
Pourquoi maintenant m'intéresser à cette pièce et en parler sur un site consacré à Rimbaud ?
Courbet est un peintre ayant adhéré à la Commune et qui a été accusé d'avoir initié le mouvement de déboulonnage de la colonne Vendôme à laquelle Rimbaud fait comiquement allusion dans ses lettres du voyant quand il dit qu'il n'a plus "un rond de colonne" en poche. Proudhon est un penseur à l'aube ce ce qu'on a appelé l'anarchisme et Rimbaud fait une allusion parodique à sa célèbre formule "La propriété c'est le vol" dans "Chant de guerre Parisien" : Le vol de Thiers et de Picard [...] propriétés vertes", et étonnamment dans l'Album zutique Verlaine parodie cette même formule à propos de Rimbaud en réponse à une parodie "Jeune goinfre" qui cible quelque peu Verlaine en prétendu gourmand sexualisé. Verlaine écrivait : "La propreté, c'est le viol", dénonçant le célèbre refus d'époque de se laver de Rimbaud. C'est évidemment à cette époque-là celui qui porte des poux selon l'ex-épouse Verlaine, Mathilde de Mauté qui en parle dans ses Mémoires.
Or, nous soupçonnons que Rimbaud lisait en 1871 non seulement des poésies et des oeuvres littéraires romanesques ou autres mais encore des essais sur les poètes ou l'art. J'ai déjà indiqué que l'opposition entre "objectif" et "subjectif" déployée par Rimbaud n'était pas si naturelle que ça. Il renversait la logique d'emploi d'origine allemande et il associait au mot "objectif" des idées qui ne vont pas nécessairement de soi, et j'ai montré, citations à l'appui, notamment avec la nouvelle Spirite, que Gautier était certainement une source principale à la pensée qu'il développe dans la lettre du 13 mai 1871. Je pense qu'il va me falloir lire plume en main l'ouvrage L'Art moderne de 1856 d'où Schaeffer a extrait une autre citation de l'opposition de l'objectif et du subjectif par Gautier.
Spirite a été publié en 1866, et c'est aussi en 1866 sinon en 1865 qu'a été publié à titre posthume un ouvrage en 25 chapitres de Proudhon sur l'art à partir de sa relation avec Courbet. Le premier chapitre de l'ouvrage de Proudhon part du conflit de Courbet et de son projet d'opposer une exposition personnelle à une exposition officielle. Et dans ce début d'ouvrage, mais je vais relire calmement, il me semble identifier l'équivalent de l'opposition entre "objectif" et "subjectif", mais pas avec les deux mots en question. En gros, Gautier aurait habillé de deux mots inattendus un débat basique préexistant, mais prégnant dans les décennies 1850 et 1860. Par ailleurs, dans la pièce de Pètrement, lequel est tout de même réputé mettre en dialogue des pensées et phrases des écrits qu'il adapte, ou dont il se sert pour mettre en scène des écrivains, nous avons un début de scène 3 qui m'a interpellé. Proudhon lit des notes qui ne seraient pas de lui, mais de Courbet. Je ne sais pas si ces citations sont authentiques, Courbet était en tout cas brocardé pour son orgueil, et les notes qui nous sont livrées m'ont fait penser notamment à un passage du poème "Génie" où j'ai déjà identifié des parodies et inversions du discours biblique : "l'orgueil plus bienveillant que les charités perdues" en réponse à "perdu d'orgueil", etc.
Je cite le texte tel qu'il est transcrit, puisque j'ai annoncé qu'il y avait tout le problème des coquilles :
- L'orgueil est inséparable de l'homme, mais il est justifié que par le travail ; l'orgueil est la conscience de soi-même ; l'orgueil est une récompense...- Le mot Dieu doit être banni du langage, et l'on doit s'éloigner des idées qui s'y rattachent.
Si ces notes ne sont pas authentiques, j'aimerais tout de même identifier ce qui a servi de départ à leur création.
L'ouvrage de Proudhon sur Courbet s'intitule Du principe de l'art et de sa destination sociale, je l'ai téléchargé sur le site Gallica de la BNF.
Je lis et relis toujours la nouvelle Spirite, mais je dois recopier des passages sur un cahier de brouillon et faire une synthèse, donc ma partie finale sur "Fleurs" va encore prendre du temps, mais pour ceux qui suivent ce blog vous assistez un petit peu à un raisonnement en train de se former, et ce que je fais sur les lettres du voyant, sur Gautier, sur Proudhon et Courbet, sur Jules Verne, tout cela se recoupe, on n'y perd rien.
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