mardi 7 janvier 2014

Pour bien lire Voyelles, jouons cartes sur table (partie 2/2)

La forme (sonnet, rimes, alexandrins)

Le sonnet Voyelles est un sonnet d'alexandrins. Il est le plus proche du modèle traditionnel qu'ait composé Rimbaud, puisqu'il présente une reconduction des mêmes rimes dans les quatrains, puisque les rimes des quatrains sont embrassées et que la distribution des rimes dans les tercets correspond à celle d'un sizain classique. Toutefois, la position des rimes s'inverse d'un quatrain à l'autre, ce qui est à mon souvenir une caractéristique d'un grand nombre de sonnets du premier volume du Parnasse contemporain. De mémoire et pour exemple, il me semble que les sonnets de José-Maria de Heredia sont du type de Voyelles dans le Parnasse contemporain, ABBA BAAB en notation scolaire habituelle, mais dans Les Trophées de 1885 Heredia est repassé à un modèle plus conventionnel ABBA ABBA.
Le sonnet est d'origine italienne, mais, en me fondant sur les travaux de Benoît de Cornulier, le sonnet français est une suite de deux strophes quatrains et d'une strophe sizain réunissant deux parties de trois vers. Je ne traite pas ici de l'histoire du sonnet, mais Rimbaud adopte ici la forme de sizain la plus régulière qui n'est pourtant que la deuxième forme traditionnelle française pour les sonnets. Le modèle prédominant est AAB CBC, le modèle plus régulier AAB CCB est le second.
Pour la disposition des rimes, ce poème est un sonnet assez régulier avec un léger profil parnassien dans l'inversion des positions des rimes au plans des quatrains.
Sur le papier, le poème fait apparaître deux quatrains qui sont des strophes et deux tercets qui ne sont qu'une seule strophe anormalement associée à des quatrains.

Mais, ce qui est intéressant, c'est la façon dont un poète s'appuie sur ces séparations sur le papier. C'est un exercice classique dans le domaine du commentaire de sonnets, et il y a des choses originales à dire sur certains sonnets.
Le poète peut varier la composition, mais il n'est pas rare de constater chez Ronsard ou du Bellay que les quatrains font contraste avec les tercets, et qu'en même temps le premier quatrain peut contraster avec le second comme le premier tercet avec le second, en laissant apparaît du coup un rapprochement possible entre le premier quatrain et le premier tercet, et parallèlement entre le second quatrain et le second tercet.
Le dernier vers peut se démarquer de l'ensemble, ce qui n'est pas obligatoire mais assez naturelle vu qu'il est question de laisser le lecteur sur une belle impression finale.
Or, dans le cas de Voyelles, le dernier vers est démarqué par un tiret.
Certains en font un argument pour dire qu'il y a rupture du propos du poème, ce qui est assez vain, loufoque et dérisoire, et ce qui est surtout démenti par la ponctuation, le fameux double point à l'avant-dernier vers sur le manuscrit autographe. La mise en perspective du dernier vers est dans la dépendance du O bleu.

Mais un autre aspect est à ne pas négliger.
Du point de vue du découpage du texte, nous avons deux et douze vers, lesquels douze vers se subdivisent en cinq séries. Les études du poème tendent à les placer sur un pied d'égalité et je traitais assez mal cet aspect dans mon étude de 2003. D'ailleurs, entre 2003 et 2004, je me suis contredit posant une fois qu'il y avait une lecture linéaire, une fois non (alternative qui était absurde au sans strict, mais devait maladroitement suggérer l'idée que le poème était circulaire).
En 2003, j'ai placé à tort les associations sur un pied d'égalité, je ne voyais pas pourquoi une voyelle primerait sur l'autre et j'observais qu'elles se faisaient écho par des éléments communs.
Mon article de 2010 est revenu sur ce problème. J'ai désormais une lecture progressive du poème, mais aussi une lecture par plans. J'observe que si on détache les deux premiers vers, le poème se subdivise ensuite en deux groupes de six vers, l'un avec les trois voyelles A, E et I, l'autre avec les voyelles U et O, ce qui correspond au basculement de quatrains à tercets, et ce qui m'a permis de traiter avec beaucoup de bonheur le jeu de mise en regard de tercet à tercet, et aussi les positionnements du I et du A, le couplage du blanc et du I, et surtout d'affiner progressivement une analyse déjà soulevée en 2003 d'un jeu d'accouchement noir/blanc au vers 5.
On peut me contredire si on veut, mais je ne connais aucune lecture qui prend à ce point en considération la distribution en fonction des quatrains et tercets que celle que je propose dans mon article de 2010 et sur mon blog pour la fin de l'année 2013.
Et je sais la différence qu'il y a entre une étude où le positionnement quatrains tercets est à peine formé et une autre où il est maximalement exploité, puisqu'en 2003, je faisais jouer insuffisamment ces jeux de distributions.
J'indique le procédé, j'ai fait jouer tout cela dans mes commentaires récents du sonnet.

Pour ce qui est des césures, je note qu'elles sont à peu près régulières, très peu libertines comme dit Verlaine. La tête de locution prépositionnelle dissyllabique devant césure du vers 4 est quasi classique : "autour + des", on peut en trouver l'équivalent chez les classiques. La césure la plus audacieuse est au vers 8, mais une dans un poème c'est un procédé et une moyenne en phase avec les habitudes parnassiennes de la décennie 1860.
"Dans la colère ou les + ivresses pénitentes"

On observe tout de même une proportion importante de césures "acclimatées" ou reprises du lointain passé par les romantiques rejet de complément de forme participiale "semés + d'animaux", deux rejets d'adjectifs "vibrements + divins" et "rayon + violet" dont remarquer qu'ils créent une boucle de premier à dernier des six vers de tercets.
Les rejets peuvent survenir également entre deux vers, et du coup entre deux strophes, c'est le cas de vers 4 à 5 avec le rejet de "Golfes d'ombre".
Tout le reste est régulier, habituel y compris pour un classique.

Passons aux rimes. En 2003, j'ai insisté sur les assonances placées sur les césures elles-mêmes : "frissons" (copie Verlaine) et le couple "Clairon" "rayon" au dernier tercet, ou bien assonance avec une rime en prime dans le premier quatrain "rouge", "jour", "autour". On peut y ajouter un écho plus facile, moins noble avec "craché", "semés" et "traversés". Il s'agit d'une saturation importante, les césures amplifient les rimes déjà très riches relevées par Michel Murat comme un cas unique.
Venons-en aux rimes justement.
C'est par un procédé de dénombrement des lettres que Michel Murat a empiriquement constaté la richesse des rimes de Voyelles. Le procédé est riche d'enseignements, mais un peu arbitraire au vu des définitions et de la compréhension de la rime.
Mais il permet d'arriver à la conclusion qu'effectivement les rimes sont plus riches que dans les autres poèmes avec Voyelles.
La richesse graphique s'explique par le fait qu'en un petit sonnet Rimbaud accumule un grand nombre de rimes par inclusion sans que cela ne soit systématique, mais quasi rien n'y échappe.
Jacques Bienvenu a ensuite montré que Rimbaud avait réellement tenu compte de la consonne d'appui en étudiant ce poème et sur les rimes par inclusion également.
Il faut ajouter aussi que Rimbaud ne respectant pas l'alternance des cadences féminine et masculine propose un sonnet avec une unique rime masculine. 12 vers sont féminins au lieu de 6 o u 8, ce qui fait des "e" en plus, des consonnes en plus aussi devant certains "e", et comme les rimes sont toutes au pluriel, nous avons aussi plusieurs "s" qui aggravent le poids graphique des rimes.
L'important, c'est la consonne d'appui initiée par Banville et les rimes par inclusion, non nobles à l'origine, mais acclimatées à la grande poésie par Hugo et relayées par Banville. Le lien à Banville signalé par Jacques Bienvenu est donc exact et concerne bien Voyelles également.
Enfin, la rupture de l'alternance est cette fois une idée personnelle directement initiée par Banville, alors qu'il n'est que continuateur, propagandiste pour consonne d'appui et rimes par inclusion.
Dans sa recherche, Bienvenu a fait remonter des citations importantes sur les rimes et sur le sonnet Voyelles. Cette citation par exemple est importante :

 Rimbaud en logeant chez Banville a pu lire le passage du traité où Banville conclut par ces mots : « Les similitudes, les gradations, les gammes de couleurs et de sons pareils sont le dernier mot de l’art ».
Là où je m'éloigne de Bienvenu, c'est au plan de l'analyse du sens.
il écrit ceci par exemple :

Ce ne sont pas, dans le sonnet, les mots qui riment qui expriment les visions du poète, mais surtout les autres qui sont placés au début ou au milieu des vers. Ainsi dans le vers :
  
              I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles 
      
        Le seul mot dans ce vers qui ne soit pas important pour la vision décrite du rouge c’est précisément le mot à la rime (riche et banale) « belles ».


En fait, il prend l'adjectif "belles", et il aurait pu prendre "étranges", "anges" ou "yeux" dans le dernier tercet, mais il aurait aussi pu prendre "virides", "ombelles", "cruelles", "pénitentes", "tentes". Il prend l'adjectif "belles" ce qui favoriserait pour un exemple sa conclusion, mais il faut s'affronter à tous les vers. Qui plus est, l'adjectif "belles" est tout de même postposé au nom "lèvres". On parle de "belles lèvres", pas de "lèvres belles", et du coup cet adjectif n'est pas si banal que ça à la rime.
Il y a enfin que je pense que le traité de Banville est bâclé, qu'il dit des idioties à la pelle, voire qu'il émet pas mal de jugements erronés, et que Rimbaud était assez fin pour s'en rendre compte.
Oui, le traité est intéressant, et oui le poète Banville a un maniement du vers que nous sous-estimons aujourd'hui, mais je pense qu'il faudrait de bons articles de mise au point sur ce qui cloche et ce qui a de la portée dans ce traité assez confus, avant de fixer l'influence précise sur Rimbaud.
En tout cas, je ne vois pas de différence entre les mots du poème, qu'ils soient à la rime ou pas, je ne constate pas ce qui est dit dans la citation plus haut. Je ne vois pas les mots à la rime comme éteints, et les mots à l'intérieur des vers comme porteurs des visions poétiques. Pour moi, là, pour le coup, ça n'a pas de sens. Les mots ne sont pas créés par le poète, le poète crée des phrases, des groupes de mots, des suites.
Il y a là un discours sur les mots à la rime qui n'est pas maîtrisé ni par Bienvenu quand il écrit cet article, ni par Banville en son traité.
Et tout cela aboutit à une recherche forcée sur la méthode de composition de Rimbaud. Il faut absolument que la mauvaise rime "livrée"::"ivraies"dans Chanson de la plus haute Tour soit le noeud du poème, pour citer une autre des études de Bienvenu. Mais du coup, l'ivraie mauvaise rime implique un décodage métaphorique peu évident où la prairie doit être le poème, puis le "Je" un poète qui se pose des questions sur la façon d'écrire les vers et l'allusion à "Notre-Dame" est une nécessaire allusion à Victor Hugo si on suit l'idée que la mauvaise rime est un poteau indicateur pour le sens du poème.
Je préfère dire que je n'ai pas le dernier mot sur la raison au cas par cas des fautes de versification de Rimbaud et je me méfie d'une approche systématique en ce sens qui tend à aller pour moi à rebrousse-poil par rapport au sens premier des mots.
C'est le cas dans Voyelles. Nous avons une unique rime masculine "studieux" :: "yeux" et la fin du poème impliquant le dernier mot de cette rime est "rayon violet de Ses Yeux". Nous nous retrouvons à faire abstraction de tout le poème pour dire que la rime "studieux"::"Yeux" ressemble à une rime d'un poème de Ronsard "stygieux"::"yeux", alors que les rimes en "-eux" on peut en trouver tant qu'on veut et tant qu'à faire on aurait attendu la même rime ou à défaut une allusion au moins au Styx dans le sonnet de Rimbaud.
Or, le raisonnement, c'est que parce que le poème imite Banville au plan du dérèglement de l'alternance, le mot "yeux" a une signification dans une oeuvre liée à cette question de l'alternance. Des choses qui ne sont pas sur un même plan, les yeux verts d'une femme, la couleur violette des améthystes, une rime pour moi non équivalente de Ronsard "stygieux"::"yeux" sont rassemblés pour se proposer comme une lecture et une explication de la fin de Voyelles. Cette explication ne s'appuie pas sur le tissage du poème, mais l'explication cite simplement trois mots du poème, deux même "violet" et "yeux", en s'autorisant pas mal d'exceptions pour passer d'yeux verts et améthystes à regard violet. L'histoire de Marie Daubrun commune à Baudelaire et Banville justifierait un rapprochement avec Voyelles, mais les éléments qui regroupent Baudelaire, Banville, Marie Daubrun et Ronsard ne concernent Voyelles que parce qu'il est question d'alternance non respectée. Et là il faut admettre sans autre forme de procès que des "yeux au regard violet", c'est la corruption des "yeux verts" de Marie Daubrun en fonction de la couleur suggérée par le titre Améthystes.
Si on ne le savait pas, on lisait sans doute un poème incomplet, dont on ne pouvait jamais comprendre le sens, comme si le poème n'avait pas de sens. Le problème, c'est que cet échafaudage ne s'impose pas, et que la comparaison "stygieux" "studieux" n'est que la forme la plus voyante de l'impasse.
Et pour admettre cette lecture, il faut encore faire abstraction du fait que ces mots ne sont que les derniers du poème, et donc faire abstraction de tout ce qui amène à cette mention finale et qui est dans le poème.
 J'estime que l'influence du traité sur les thèmes de Voyelles est bien réelle, mais que la méthode de commentaire adoptée ici par Bienvenu pose problème. Et pour moi, il faut se méfier de la tentation d'expliquer le sens d'un poème par les particularités de la forme. Cette rencontre peut s'opérer mais il faut la laisser venir plus naturellement en respectant d'abord la composition des phrases et des mots.

J'en arrive au dernier point à traiter, les cinq séries d'associations. Je n'offre pas ici la lecture du sonnet, mon article s'intitule "Pour bien lire Voyelles".
J'indique juste l'idée clef qui est qu'il faut traiter l'organisation de chaque série.

L'organisation de chaque série d'associations

Donc, pour rappel, le poème est une adresse aux cinq voyelles en leur faisant la déclaration qu'il va expliquer leurs naissances latentes, et il donne une longue suite d'illustrations de ces naissances latentes, en reprenant voyelle par voyelle.
Voilà comment on peut résumer. Et il est évident que le poète ne se contredit pas par rapport au vers 2 quand il propose son amplification de 12 vers.
On peut proposer le modèle de cette phrase en plus court : "voyelles, je dirai quelque jour vos naissances latentes : corset, golfes, candeurs, etc."
Je ne comprends pas qu'on dise qu'il y a contradiction au-delà du double point.

Donc, passons à la méthode.

Le A noir ne compte que deux associations donc sur un plan égal, nous les plaçons ici l'une en-dessous de l'autre

noir corset velu des mouches éclatantes qui bombinent autour des puanteurs cruelles
Golfes d'ombre

Corset correspond à Golfes, les deux mots peuvent dériver d'une méditation sur la forme de poche du A et il est clair qu'il y a recueillement noir dans une espèce de matrice. Le mot "ombre" reprend "noir" et en même temps par sa position de complément il est parallèle à "des mouches..."
Le noir implique une certaine négativité et il est question de mouches sur des cadavres, et pourtant de matrice.
Cela ne rappelle-t-il rien ?
Lisez ceci dans Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs :

Ta Rime sourdra, rose ou blanche,
[...]
De tes noirs Poèmes, - Jongleur !
Blancs, verts, et rouges dioptriques,
Que s'évadent d'étranges fleurs
Et des papillons électriques !
La matrice des Poèmes libère les couleurs et accouche de fleurs et des papillons écloses, originaux ceux-là.
Bienvenu ayant breveté une remarque sur l'adjectif "dioptriques" peut-être qu'il va enfin dire un mot sur l'idée du "noir" matrice et attribuer la découverte à l'illustre Jacques Gengoux dont je me demande bien ce qu'il peut d'ésotérique là-dessus pour le coup?
On voit donc les fleurs pousser et juste avant une image de la rime comme aube rose ou blanche.

On a bien le A noir de Voyelles et son passage à l'aube du E blanc accompagné de frissons de fleurs, pas moins. Et cela concerne précisément le cas exceptionnel dans le sonnet d'un violent rejet de vers à vers et même de quatrain à quatrain, précipitant une transition maïeutique dans le premier hémistiche du vers 5, cas unique de transition suivie entre deux voyelles dans le poème.
Je disais déjà en 2003 que les "Golfes d'ombre" c'était le recueillement hugolien de la lumière dans une déconstruction de l'antithèse du noir et du blanc.
On m'attribue une construction délirante au sujet de ce passage du "A noir" au "E blanc" où je vois l'ombre prête à devenir lumière chez Hugo, où je vois deux vers de Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs rapprochement qui fait ricaner quand je dis qu'il est hyper important, je vois une matrice et des images de décomposition superposées dans le "A noir", tout cela fait crier au crime de lèse-majesté.

Le mot "corset" mérite une étude plus poussée, il semble que les mots "corset" et "corselet" soient substituables dans tous les cas en français, sauf dans le cas des mouches où l'emploi exclusif est "corselet". La corruption et la mention donc de "corset" oblige le lecteur à une lecture érotique.
Evidemment, j'ai donc bien vu que sur le charnier une renaissance se joue et il ne m'en faut pas plus pour songer à un hommage aux martyrs de la Commune, mais le plus je l'ai avec le mot clef "bombinent" et l'environnement de "mouches" puis dans les autres séries d'autres éléments.
Fin 1871 ou début 1872, c'est du délire de penser que Rimbaud qui parle dans un poème de corps morts, en déclarant la scène cruelle, en utilisant un verbe "bombinent" qui se trouve à la même époque dans un poème communard, songe donc à ce martyre.
Mais c'est grave d'être des lecteurs aussi bornés, et ça prétend aimer Rimbaud ?
En tout cas, déjà deux associations à mettre en parallèle pour les confronter, c'est le "A noir", tirez-en un meilleur parti ainsi que du rejet du vers 5, mais vous avez l'air de croire qu'on peut imaginer tout ce qu'on veut à partir de cela, soit, je vous laisse à vos chimères.
Je ne m'attarde pas sur une façon de s'exprimer et de mettre en vers typiquement parnassienne, j'ai en réserve des comparaisons stylistiques avec Leconte de Lisle pour ce qui est du positionnement à la césure de mots comme "vêtu" et "velu" et d'autres détails.

E blanc

4 associations et une variante à apprécier

(variante : frissons des vapeurs et des tentes)
candeurs des vapeurs et des tentes
lances des glaciers fiers
rois blancs
frissons d'ombelles

Les mots clefs sont candeurs, frissons, lances, rois et frissons.
Lances est un terme d'élan, plus guerrier en même temps ce qui va bien avec "fiers", frissons est particulièrement important et il est associé à des fleurs en tous les cas, candeurs qui remplace une mention "frissons" est à la rime dans la cinquième partie qui m'intéresse tant de Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs.
Après le recueillement intérieur du A noir, ben moi des frissons de fleurs blanches, je pense à la lumière du jour. Les candeurs, les vapeurs, tout se tient, et les glaciers sont blancs à la lumière du jour.
Il n'y a qu'un cas particulier, c'est "rois blancs", cette association est soit en apposition aux "glaciers fiers", soit une association autonome.
Mais je ne crois pas du tout qu'il est question de rois dans des draps blancs, Rimbaud n'est pas monarchiste à cette époque.

Le terme "rois" a une signification métaphorique comme c'est le cas dans Credo in unam.

Pour le I rouge, il y a trois associations:

pourpre(s),
sang craché,
rire des lèvres belles Dans la colère ou les ivresses pénitentes

Le mot "pourpre(s)" tend à conforter l'idée de lire "rois blancs" comme symbolique et non comme référence concrète.
Le "sang craché", je lis l'expression comme elle est et je la mets en relation avec la suite du même vers "rire des lèvres belles".
Je remarque également un parallèle possible "sang craché", "colère" et "rire des lèvres belles" et "ivresses"
Le "sang craché" a sa place aussi dans "la colère ou les ivresses pénitentes".
J'observe dans tous les cas que selon la lecture qui prime et qui raccorde le vers 8 au rire, la colère est donc supposée rieuse et que le rire s'élève dans les "ivresses pénitentes", j'observe aussi l'alliance de mots "ivresses pénitentes".
Je vois difficilement la scène se situer autre part que dans une foule combative en liesse, et donc mon délire c'est la Commune. Le I rouge représente une vie sociale avec de la mort, de la vie, du rire et du sang, et la Commune en est une forme plus intense pour Rimbaud. Mais délire que tout cela.

Enfin, on a passé le cap des quatrains, on arrive aux tercets et là tout est parfaitement clair.

U vert - 4 associations, mais la première gouverne les trois autres
cycles

puis donc trois figures des cycles

vibrements divins des mers virides
Paix des pâtis semés d'animaux
paix des rides que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux

Le mot "paix" est également recteur pour partie et complémentaire de "vibrements"
On a bien des alternances dans le poème : noir interne recueilli blanc royal expansif et candide puis rouge agitation de vie avec rire et souffrances, puis paix du U vert, régulation de l'agitation par des cycles et par l'acquisition du savoir.

Je délire ? Mais vous les avez lus les vers du premier tercet ? Ce n'est pas clair ?
U on passe au U
cycles on nous propose des cycles
vibrements divins des mers virides, c'est un cycle amplifié qui ramène l'idée de force à une régularité qui nous dépasse et nous apaise, vous avez déjà contemplé la mer ? un aigle qui vole ?

Paix le mot est lâché et il va l'être une deuxième fois (pardon du jeu de mots)

Paix des pâtis semés d'animaux, c'est bien en contraste avec l'essentiel du I rouge, oui ou non?

Paix des rides que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux

Il se trouve que les cycles de la vie ont un point crucial la mort des générations, mais dans les reprises des cycles on a la transmission de la pensée, du savoir, de la sagesse des anciens.

Et le O parle précisément du Jugement dernier après la paix des rides.
Après un tercet du U vert qui nous déroule un spectacle sur la planète avec mers, pâtis, animaux et fronts studieux, on se tourne vers le ciel, et comme l'azur ne suffit pas on va jusqu'au dernier rayon violet qui fait entrevoir le divin, mais surprise il est féminin.
Une femme pense certains, oui la Sorcière d'Après le Déluge peut être une femme, mais pour Credo in unam, Being Beauteous, A une Raison, Beams de Verlaine et la "Elle" de Métropolitain ce sont bien des divinités féminines, et tous ces poèmes offrent maints apparentements.

Le tercet du O, tient en trois associations dont deux symétriques par des jeux d'échos (vers 12 et 14) et l'ultime est mobilisé dans "Oméga" et "Suprême".

Suprême Clairon plein de ou des strideurs étranges selon les versions connues
Oméga, rayon violet de Ses Yeux
Silences traversés des Mondes et des Anges est l'autre association, mais au pluriel, ce qui fait qu'on peut se demander si ce n'est pas un tercet à deux associations seulement avec une équivalence entre "strideurs" et "Silences", ce que j'ai exploité en 2003 pour dire que comme le O est bleu les strideurs sont finalement striures.

Voilà ce sur quoi il faut se fonder pour lire les textes, il y a bien sûr la construction grammaticale des mots, mais aussi le nombre d'associations parmi lesquelles cerner celles qui sont au même niveau, celles qui sont à hiérarchiser ("cycles" ou peut-être "rois blancs" en apposition à "Lances"), celles qu'il faut évaluer ("Silences") dans leur positionnement.

Bilan,

A noir matrice contrant la mort cruelle, un charnier renvoie alors au martyre des communards Le verbe "bombinent" avec "mouches" est à rapprocher des "diptères" et du même verbe "bombinent" dans Les Mains de Jeanne-Marie
E blanc aube royale et frissonnante sur les fleurs et les sommets, valeurs combatives du poème Credo in unam Le nom "ombelles" est à rapprocher de la thématique solaire dans Mémoire.
I rouge continuation du régime royal quand la vie est intensément vécue par le sang livré, l'accueil du rire dans une agitation de foule qui permet le rire dans la colère et des scènes de combat qui sont enivrantes, mais avec leur lot de souffrances, nouveau rappel sensible de la Commune La notion des "ivresses pénitentes" est parallèle en position de fin de quatrain à "puanteurs cruelles" pour la signification sombre, le traitement de l'adjectif "belles" et la mention de "colère" sont à rapprocher d'un même traitement de l'adjectif et d'une mention "colères" au pluriel dans Paris se repeuple
U vert cycles des mers, de la Nature avec sa vie animale et résolution du problème des générations humaines par la transmission d'une science L'adjectif "virides" est à rapprocher de son emploi dans un poème cette fois parodique et décalant le thème Nature dans "Entends comme brame..."
O bleu jugement dernier au fond du ciel jusqu'à l'ultime rayon violet qui laisse entrevoir le regard bienveillant de la divinité et qui met en confiance par son dévoilement quant à la promesse d'expliquer l'origine des couleurs, la source de la lumière. Les mentions "suprême clairons" et "strideurs", voire "silences" sont à rapprocher d'un quatrain de Paris se repeuple et la rime "anges"::"étranges" se trouve également au dernier quatrain des Mains de Jeanne-Marie

L'explication que je donne du poème ne manifeste clairement la présence communarde que pour le A, le I et le O, car le sonnet se fonde sur un système d'alternance. Le E et le U sont les valeurs de Credo in unam bien sûr : "frissons d'ombelles" ou "vibrements divins des mers virides", ces mentions en sont de clairs témoignages. On voit que les mots de Paris se repeuple et Les Mains de Jeanne-Marie sont bien présents dans Voyelles ce que Rimbaud ne pouvait ignorer.
Maintenant, si quand je parle du "U vert" pour les cycles, vous dites "oui, mais là il laisse la Commune de côté", vous ratez toute cette logique.

Cette lecture est bien dans le "si miraculeux de détails" dont parlait Verlaine et cela a toute une autre portée qu'un clin d'oeil à Banville. Quant au lien avec les considérations du traité de Banville, il vient de ce que nous avons affaire à un poème ambitieux qui exhibe ses rimes et sature l'idée de rime (les juxtapositions inhabituelles sont un aspect de ce jeu), qui développe aussi à fond quelques axes de correspondances analogiques à commencer par celui entre textes et couleurs par le biais du premier vers. Rimbaud ne croit sans doute pas à la théorie, mais il montre qu'il sait faire. Et Rimbaud n'est pas un intellectuel du vingtième siècle qui montre en enfant au garde à vous qu'il montre qu'il sait et qu'il a compris que la théorie est fausse, mais il montre qu'il sait pratiquer, jouer avec ce qu'on lui propose. Le sens du sonnet est on ne peut plus sérieux.

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