mercredi 5 novembre 2025

La liberté libre : Rimbaud et la littérature du vingtième siècle

On fait de Rimbaud le père d'une poésie nouvelle, mais en tant que personne qui cherche à comprendre sa poésie je découvre que je me suis plutôt spécialisé dans la lecture de ceux qui l'ont précédé et quand j'essaie de m'en corriger je n'arrive qu'à me dire que j'ai profondément raison.
En ce moment, mon blog connaît une activité remarquable avec tout ce que je révèle sur l'influence de la poétesse Marceline Desbordes-Valmore sur plusieurs poèmes de Rimbaud et Verlaine : les "Ariettes oubliées" I, II et bien sûr IV du recueil Romances sans paroles, "L'Aveu permis" comme source à "Comédie en trois baisers". Je justifie petit à petit l'influence de poèmes de Desbordes-Valmore sur "Larme", en mobilisant le recueil des Poésies inédites, les échos du côté de Verlaine, les poèmes en vers de onze syllabes eux-mêmes et j'ai d'autres développements qui viendront en leur temps et là sur "Bannières de mai", je montre que le renvoi à la romance "C'est moi" cité précisément par Rimbaud au dos de la seconde version connue de ce poème permet de mieux envisager le sens des "Fêtes de la patience" et de la première d'entre elles notamment. Je pensais il y a peu à comparer la clef dans Une saison en enfer et la métaphore de la clef de lecture dans une préface des environs de la décennie 1980 pour un recueil de contes pour enfants, mais je n'ai rien mis en ligne pour l'instant. Je pensais aussi au conte La Reine des neiges d'Andersen dont le récit n'a rien à voir avec le film de Walt Disney et sa chanson ou rengaine radicalement insupportable qui a pu se propager sur les réseaux. Il y a un mot que l'un des personnages est mis au défi d'écrire qui est celui d'éternité. J'ai aussi souligné que le récit des "Etrennes des orphelins" démarquait celui de la petite fille aux allumettes pourtant connu de tous aujourd'hui. Finalement, les goûts affichés dans "Alchimie du verbe" avaient une certaine sincérité. J'ajoute que je développe l'idée que le manuscrit de "Voyelles" remis à Emile Blémont devait, fatalement comme on dit parfois par tic dans les échanges oraux en Belgique, être prévu pour une publication dans la revue La Renaissance littéraire et artistique, et je pense que les "Fêtes de la patience" en mai et juin 1872 étaient la deuxième phase du projet. En effet, la revue va publier sur le tard un poème hivernal qui a un segment en commun avec "La Rivière de Cassis", donc "Voyelles", "Les Corbeaux" et peut-être "Oraison du soir" furent les premiers poèmes confiés à la revue, tandis qu'au retour de Rimbaud en mai, vu que Verlaine était publié pour un, puis un deuxième poème, il semble évident que, malgré l'incident Carjat et les dos qui se tournent, c'était la voie normale pour se faire admettre en tant que poète. Les vers "nouvelle manière" n'ont pas de contenus politiques ou obscènes, du moins rien d'explicite la plupart du temps, et Rimbaud tentait alors de s'imposer par un autre mode de provocation avec la forme des rimes et des vers. Je pense clairement que "Fêtes de la patience" entre en résonance avec le titre de la revue. Et cela conforte ce que j'avance sur "Voyelles", c'est-à-dire une influence maximale jusque-là insoupçonnée d'Armand Silvestre, le protégé de George Sand. Le sonnet "Voyelles" contient une rime "belles"/"ombelles" reprise à un poème du début des Contemplations qui va de pair avec la mention "Suprême Clairon" qui cite à l'envers le "clairon suprême" de "La Trompette du Jugement", poème final du recueil La Légende des siècles de 1859, recueil dont il ne vous aura pas échappé que l'Université le dédaigne dans la mesure où il s'agit de poésies fournissant bien souvent des émerveillements de contes pour enfants. Rimbaud a aussi employé "latentes" à la rime parce que cet adjectif est à la rime dans un poème de Silvestre, l'auteur de "sonnets païens" vantés par George Sand et Rimbaud montre s'être intéressé au second recueil plus actuel de l'auteur toulousain, à savoir le recueil intitulé Les Renaissances, et Rimbaud a dû faire le rapprochement à un moment ou l'autre avec le nom de la future revue La Renaissance littéraire et artistique, puisqu'il était depuis plusieurs mois dans le secret du Coin de table. A propos de "Bannières de mai", je suis allé tout à l'heure lire rapidement le commentaire de Bardel sur son blog, ce qui me permet de calmer mon envie de relire immédiatement l'étude de Bernard Meyer, puis celle de Christophe Bataillé. Je note que pour le deuxième vers Bardel n'est pas sûr de devoir donner raison à la lecture de Meyer, alors que pour moi il est évident que "Meurt un maladif hallali", c'est une inversion alambiquée digne de "hydrolat lacrymal" pour dire la mort du mortifère hiver. Rimbaud souligne le cycle vie et mort en évoquant la mort de la mort pour le dire autrement. Mais, plus loin, à propos du mariage du ciel et de l'onde, Bardel cite en termes méprisants un passage de George Sand, lui préférant Hugo, ce qui n'est pas difficile, mais justement citer Sand c'est citer aussi la marraine d'Armand Silvestre et ça me donne raison sur les liens que j'entrevois entre "Voyelles" et les "Fêtes de la patience" au plan des symboliques mobilisées.
J'ai un peu l'impression de parler dans le vide. Très productif actuellement, je vois que la quantité de lecteurs article par article en pâtit, mais je constate aussi dans le profil des lectures de mes articles que parfois ce que je trouve le plus important ne l'est pas pour mon public, car je constate un tassement pour les articles sur Desbordes-Valmore. Il faut que je trouve un remède au manque d'intelligence de mes lecteurs. Il n'est pas sûr que je trouve, mais le problème est posé. Et puis, j'en reviens au problème de la littérature après Rimbaud.
Rimbaud a inventé le vers libre moderne. Je rappelle que Verlaine parle à deux reprises de vers libres pour les poèmes en vers nouvelle manière et que Philippe Martinon entre le XIXe et le XXe siècle définissait autrement que nous le terme de vers libre. Ceci dit, dans la troisième édition de leur traité de versification paru en 1897, Le Goffic et Thieulin définissent le vers libre à peu près comme on l'a fait tout au long du dix-huitième siècle, même s'ils en précisent l'origine italienne et l'influence sur certains poètes classiques, et ils parlent de l'invention du vers libre moderne véritablement émancipé en citant déjà comme ses deux inventeurs possibles Marie Kryzinska et Gustave Khan. Le débat entre les deux n'a pas attendu le vingtième siècle. En réalité, Gustave Khan a pillé l'idée appliquée par Rimbaud dans "Mouvement", et on peut penser que Kryzinska aussi n'est pas très claire dans cette histoire. Notons que le vers libre moderne a été défini non par Rimbaud, mais par ceux qui l'ont trouvé chez lui et qui l'ont manié selon leur axe de compréhension.
Je ferai un second article sur le traité de Thieulin et Le Goffic, parce que c'est un vrai sujet. Le vers n'a plus aucune mesure syllabique dans ce système moderne, du moins à partir de Kahn et Kryzinska, puisqu'il faut écarter "Mouvement" et "Marine" de Rimbaud. Pour moi, "Mouvement" est le seul poème pensé en vers libres par Rimbaud, sauf que la syllabation compte plus qu'il n'y paraît, "Marine" est proche de "Mouvement" mais n'est pas en vers libres, mais ce n'est pas un sujet à débattre ici.
Et, moi qui ai toujours aimé lire de la poésie, je dois rendre compte ici de ma difficulté à apprécier la poésie en vers libres du vingtième siècle. Je peux lire ces recueils en les empruntant dans des bibliothèques ou bien je pouvais par le passé, quand la poésie se vendait encore, passer du temps à consulter les recueils des collections Poésies Gallimard ou Orphée La Différence, ainsi que de quelques autres éditeurs s'accrochant encore et étalés sur les tables et rayons de la librairie Ombres blanches à Toulouse dans les années 1990, sinon jusqu'en 2010 à peu près. Et le problème, c'est que j'ai très souvent l'impression de lire du charabia, de lire des improvisations débilitantes de gens qui tentent à grand-peine de racoler le lecteur avec des effets de manche, avec l'expression de leur surprise, extase, tristesse devant des choses simples et des mots dérisoirement nus. J'ai l'impression que les retours à la ligne ne riment à rien et que le rythme ne ressemble à rien, et partant ne témoigne d'aucun souffle inspiré. Et ces productions infiniment pédantes publiées abondamment ont certainement contribué à une lassitude et à un manque de foi du public même qui désirait pourtant de la poésie.
Là, j'essaie de voir jusqu'à quel point je peux obtenir un catalogue des poètes et recueils publiés dans la collection Poésie Gallimard parce que je prévois de faire un récapitulatif de tout ce que j'ai lu pour trier le bon grain de l'ivraie et faire un état des lieux. Je me suis par le passé défait d'un grand nombre de mes volumes de poésies du vingtième siècle, les folles intempéries m'y ayant aidé, etc. Depuis peu, j'essaie de me refaire une collection de ce que j'estime en valoir la peine. Ou je donne une nouvelle chance à des recueils que, par le passé, j'avais lu en bibliothèque et qui ne m'avait pas déplu. Avignon me permet un accès intéressant, malgré tout, à de tels ouvrages. Je peux même feuilleter parfois d'un coup quelques dizaines de volumes de la collection Orphée La Différence, et je profite inévitablement de la chute libre du prix des livres d'occasion au format de poche. Là, j'ai entre les mains cinq volumes : Epaisseurs suivi de Vulturne de Léon-Paul Fargue, parce que singeant Rimbaud, même si le contenu est faible, il y a un rythme encore assez bien compris, Capitale de la douleur suivi de L'amour la poésie de Paul Eluéard, Le Crève-Coeur et Le Nouveau Crève-coeur car c'était du Aragon qui me manquait, Carreaux et autres poèmes d'André Salmon, car même si je trouve ce poète médiocre je voulais revenir dessus, Cahier de verdure suivi de Après beaucoup d'années, de Philippe Jaccottet, parce que la prose m'en paraît excellente à partir d'un petit sondage. Je vais continuer de la sorte, je parle des cinq derniers recueils que j'ai achetés, j'en ai d'autres, j'en lis en bibliothèque. J'ai envie de reprendre la main. Mais la contre-partie, c'est qu'il faut vous attendre à ce que je défonce massivement la poésie en vers libres du vingtième siècle, et je précise bien que je consulte quelques pages de nombreux recueils qui me tombent des mains tellement je trouve ça mauvais et risible. Je trouve ça important qu'un rimbaldien aguerri, que quelqu'un qui a des connaissances aussi vastes de la poésie du dix-neuvième siècle exprime le malaise qu'il ressent à la lecture des vers libres et même poèmes en prose du vingtième siècle.
Et si je ne le fais pas aujourd'hui, vous pouvez déjà sentir toute l'ironie du titre de mon présent article quand j'emploie l'expression "liberté libre" en songeant au vers libre et à la poésie en prose des singes qui descendent de Rimbaud.
Dans le recueil d'André Salmon, il y a justement un poème qui s'intitule Arthur Rimbaud et qui commence par une citation de Verlaine : "MORTEL, ANGE et DEMON, poète et baladin," et j'en parlerai dans l'avenir... Rires.
Dans le Dictionnaire Rimbaud dirigé par Vaillant, Frémy et Cavallaro aux éditions Classiques Garnier, j'avais été frappé par la sélection des notices portant sur des écrivains du vingtième siècle. Je trouvais que la sélection était assez aléatoire et que certaines lacunes étaient criantes. Je citais à l'époque l'absence de notice sur François Mauriac, lequel a écrit un roman Le Désert de l'amour dont le titre est un décalque de celui au pluriel de Rimbaud pour un ensemble poétique en prose. Je peux citer aussi Marguerite Yourcenar qui a écrit un livre intitulé Quoi ? L'éternité ! Je n'ai pas encore ce livre, ni La Couronne et la lyre, mais je les possède déjà, tout comme L'Oeuvre au noir et Mémoires d'Hadrien.
Dans le Dictionnaire paru en 2023, voici les auteurs du vingtième siècle qui ont leur notice : Maurras (que je n'ai jamais lu), Louis Aragon, André Breton, Paul Claudel, Léo Ferré, Anatole France (dont je ne comprends pas le rapport avec Rimbaud, que j'ai lu en me forçant), Julien Gracq (sur lequel j'aurais des choses à avancer, mais que je ne trouve pas si mémorable que ça), Max Jacob (lequel détestait Rimbaud et n'est pas un poète si important dans la masse des poètes du début du vingtième siècle), Pierre Jean Jouve, Pierre Michon, Victor Segalen, Paul Valéry, Thomas Bernhard, Jean Cocteau, Le Clézio (je n'ai rien contre, mais bon), Aimé Césaire, Georges Pérec (??? ah oui ! La Disparition...), Pierre Reverdy, Yves Bonnefoy, René Vhar, Michel Deguy (trois notices par Jean-Michel Maulpoix qui est publié en tant que poète dans la collection de Gallimard), Benedetto Croce, Gaston Bachelard (mouais), Albert Camus (je veux bien, mais pour dire quoi ?), Gilles Deleuze (mouais), Martin Heidegger (???), Jean-Paul Sartre (heu ? pour dire quoi ?), Patti Smith (il est vrai que c'est le grand écart entre son intérêt dans le rock et ce qu'elle a à dire sur le poète), et je me rends compte que je n'ai pas relevé de notice sur Antonin Artaud, signe que la référence s'est démonétisée.
Et j'en viens à la question de la prose. Sur la prose aussi, il y a quelque chose à repenser. J'ai une prédilection pour les proses des siècles passés et notamment je lis une grande quantité de romans, récits, d'auteurs du dix-neuvième siècle, à quoi adjoindre la poésie en prose. Or, pour la littérature du vingtième siècle, je dois dire que je me régale à lire des romans du vingtième siècle, mais plutôt avant 1960 en gros, et j'ai des expériences de lecture qui me plaisent pour des romanciers fort obscurs et parfois aussi un plaisir à lire le secteur des romanciers qui jouent avec l'Histoire, et donc soit les expressions du passé, soit l'art consommé des belles descriptions fleuries. Evidemment, ce dernier genre littéraire est plus codifié et moins porteur. Je préfère lire du Hervé Bazin en tout cas que tout ce qu'on monte en épingle par des prix et des recommandations ces cinquante dernières années. Pour moi, il y a clairement eu une rupture qualitative et on nous fait réellement admirer de la pose et du concept bas-de-gamme. J'ai aussi ce ressenti-là avec le théâtre. L'auteur est un peu controversé si j'ai bien compris, mais objectivement j'ai du plaisir à lire La Guerre de Troie n'aura pas lieu ou Electre de Giraudoux, alors que j'ai beaucoup de mal avec les principaux dramaturges du vingtième siècle qu'on encense tous. Même le théâtre des Sartre, Camus, Ionesco, Beckett, Anouilh, Genet et compagnie, j'ai du mal à apprécier leur texte. Je vois bien toutes les finesses littéraires dans Fin de partie et En attendant Godot, mais je ne prends pas de plaisir avec des textes ainsi écrits. Lagarce, oui, il y a un travail, il y a des finesses, mais je ne vis pas pour autant une pleine expérience littéraire. J'ai un manque d'intérêt évident pour toutes ces manières d'écrire. Quand je lis un livre de Marguerite Duras, de temps en temps, je repère des phrases qui sont recherchées, qui ont leur finesse, mais je lis une masse littéraire qui m'assomme. Là, ça ne vient pas que de l'influence de Rimbaud, mais il y a globalement une sorte d'extase littéraire sans règle des phrases trop simples et sans rythme, ou sans vrai rythme, et ça m'ennuie. Et que je sois libre d'oser dire cette infortune.

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