Le samedi 1er novembre 2025, sur son blog Rimbaud ivre, Jacques Bienvenu a mis en ligne un des plus importants articles qu'il ait jamais publiés : "Une information inédite pour les proses évangéliques". Ainsi, le fils de Pierre Petitfils a écrit une biographie de Jésus où il explique qu'en 1871 même des fouilles ont permis d'identifier à Jérusalem la piscine où Jésus est censé avoir accompli un miracle, piscine dont parle Rimbaud dans un texte en prose figurant sur l'un des brouillons connus d'Une saison en enfer. Je n'aurais jamais pensé à consulter ce livre du petit-fils d'un rimbaldien et comme beaucoup de rimbaldiens je n'ai pas donné la priorité à ces proses imitant les évangiles sur lesquelles on a bien du mal à arrêter un titre qui fasse consensus.
Les voies du rimbaldisme ne sont pas impénétrables, mais étonneront toujours.
La découverte même vient ensuite et là nous avions pourtant une amorce, puisque Renan est cité par Rimbaud dans "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" et dans la mesure où Yves Reboul, cité ensuite par Bienvenu, a montré que les proses imitant les évangiles s'inspiraient du livre Vie de Jésus d'Ernest Renan. Le livre de Renan s'inspirait d'un précédent livre allemand qui racontait déjà une vie de Jésus sous une forme plus laïque de personnage historique aux potentialités ordinaires, si je ne m'abuse, et Reboul faisait remarquer que Rimbaud parodiait les tours de Renan qui consistait à transposer le présent dans l'histoire passée de Jésus, avec une transposition de la mentalité protestante anglo-saxonne et avec des théories sur le climat : "L'air léger, etc." Je n'ai pas relu cet article récemment, je cite de mémoire. Il me semble que Bruno Claisse a écrit aussi deux articles sur Rimbaud et Renan, mais je n'en ai jamais lu qu'un seul sur les deux, si je ne me trompe pas d'auteur, et cela ne portait pas sur les proses imitant les Evangiles. J'aimerais toujours pouvoir lire les deux articles, celui que je n'ai pas lu doit faire partie d'un volume consacré principalement à Renan lui-même.
La découverte de Bienvenu, c'est qu'en janvier 1872 Renan a communiqué sur cette découverte (je ne le dis pas plus clairement pour vous laisser vous reporter à l'article de Bienvenu lui-même : cliquer ici pour ce faire ). Mon idée est qu'il y a du coup pas mal de sources à dénicher dans la presse d'époque aux proses souvent dites "contre-évangéliques" de Rimbaud. Il y a des enjeux pour mieux cerner l'époque de composition de ces proses, pour mieux cerner les intentions de Rimbaud qui, pour moi, sont bien sûr satiriques à l'égard tant de Renan que du Christ.
Il y a un unique commentaire pour l'instant en-dessous de l'article, d'un certain Alf, qui pense que ces textes imitant l'Evangile et Une saison en enfer sont mêlés et même à mêler parce que traversés par le même souffle. Il ajoute que l'édition originale d'Une saison en enfer comporte pas mal de pages blanches, "comme si quelque chose avait été retiré ou suspendu". et il ajoute qu'il pense que dans ces deux types de textes littéraires il y a les "mêmes tensions entre foi, révolte et désir de salut."
Je ne le crois pas ainsi.
Pour les pages blanches de l'édition originale d'Une saison en enfer, je ne me suis pas encore penché sur le sujet, et je n'ai plus le souvenir de ce qu'avançait Christophe Bataillé dans un article qui traitait pour partie cette question, mais je vais bientôt m'y pencher vu mon étude sur Bouillane de Lacoste éditeur de Rimbaud, puisque l'édition critique de celui-ci comporte des pages blanches, mais le résultat me semble différent.
En fait, pour moi, la solution pourrait être formulée par le texte même d'Une saison en enfer : même si le texte est imprimé et non manuscrit, il s'agit de feuillets arrachés à un carnet de damné. Je me demande si ce n'est pas le principe qui explique que chaque partie titrée commence au recto d'une nouvelle page et ce qui fait qu'il y a des pages blanches. Il est vrai qu'il y a aussi la question des pages blanches recto et verso. Je dois vérifier, mais en tout cas les pages blanches n'ont rien à voir avec des lacunes bien évidemment.
Ce qui m'intéresserait aussi, c'est un débat plus pointu sur la primauté des transcriptions. Rimbaud a-t-il réutilisé les brouillons d'Une saison en enfer ou bien a-t-il écrit les brouillons de la Saison sur des textes plus anciens eux-mêmes encore quelque peu de l'ordre du brouillon ?
J'ajoute que ces proses rentrent dans le prototype du projet de Photographies du temps passé dont avait parlé Delahaye en ses lointains témoignages. Et là c'est autrement intéressant que de débattre sur la continuité d'esprit toujours relative, toujours justifiée pour partie, toujours réfutable aussi, avec Une saison en enfer.
On retrouve le grand drame du manque de préservation des périodiques du dix-neuvième siècle dans l'intérêt des études littéraires. Depuis assez longtemps, je dis qu'il faut une grande enquête sur les poèmes intitulés "Les Sœurs de charité" dans les périodiques de l'époque, puisque j'en ai déjà rencontré au moins un dans mes recherches.
Nombre de poèmes de Rimbaud réagissent à des sujets d'actualité dans les périodiques de son époque.
Tandis qu'Alf pense que la prose de "Bethesda" est liée à Une saison en enfer, rappelons qu'à un moment donné Bouillane de Lacoste en faisait le premier texte en prose des Illuminations, le nom lui-même de la piscine ayant fait l'objet d'un déchiffrement dont il se félicitait.
Rappelons que dans le cas des "Mains de Jeanne-Marie", Georges Kliebenstein a identifié en deux temps l'origine authentique du nom "Khenghavar" et que cela correspondait également à une actualité de recherches archéologiques préoccupant les contemporains de Rimbaud. Je parle d'une identification en deux temps, parce que l'orthographe de Rimbaud semblait un hapax et que c'est en deux étapes que le critique est remonté jusqu'à l'orthographe de Rimbaud lui-même. Rimbaud n'ayant pas écrit "Bethesda", de deux choses l'une, ou Rimbaud se sert d'une transcription biblique tout simplement ou il a eu accès à un autre texte, mais dans tous les cas une recension des textes d'époque autour de cette découverte et surtout impliquant Renan ne saurait manquer d'intérêt pour les études rimbaldiennes.
Puisqu'il est question de manuscrits, j'en profite pour parler d'édition fac-similaire des Illuminations. Vous le savez, la pagination des manuscrits des poèmes en prose de Rimbaud n'est pas autographe, même si une édition fac-similaire paraissant ce mois-ci va tenter de vous imposer cette idée par intimidation et argument d'autorité.
Or, sur ce sujet, il y a d'autres éléments encore à interroger.
La revue La Vogue a publié les poèmes en vers nouvelle manière dont elle possédait des manuscrits et les a mélangés aux poèmes en prose, et elle les a numérotés. Or, les poèmes en vers ont des écritures bien différenciées. Il y a six manuscrits déponctués avec des initiales minuscules en tête de vers, mais il y a d'autres manuscrits où le formatage de la transcription est normal comme c'est le cas du manuscrit "Patience / D'un été". En fait, il y a une étude à faire sur ces manuscrits pour éprouver si oui ou non l'ordre des feuillets passant dans la main des éditeurs a été bouleversé.
Ensuite, si le but d'une édition fac-similaire est véritablement de permettre aux lecteurs de se faire une idée par soi-même, l'édition fac-similaire devrait comporter, outre les manuscrits des poèmes en vers "nouvelle manière" publiés par La Vogue et Vanier, les versos de ces manuscrits avec une loupe sur les versos maculés, et enfin elle devrait comporter le fac-similé des pages consacrés aux Illuminations dans la revue La Vogue, puis dans Vanier, et j'ajouterais encore qu'une édition fac-similaire de la plaquette des Illuminations en complément serait encore la bienvenue. C'est uniquement avec une telle étendue que l'édition fac-similaire aurait une nouvelle valeur scientifique pour ces manuscrits déjà pas mal connus et étudiés ! Là, tout ce que vous allez vous procurer c'est le bel objet avec l'illusion d'un état figé que certains vous imposeront de considérer comme sacré.
Je pourrais m'amuser à fournir une telle édition fac-similaire sur internet, mais je n'en ai peut-être pas trop le droit.
Edité le 05 novembre :
Fait comique, j'ai écrit petit-fils au lieu de fils, fils de Petitfils.
Pour une édition fac-similaire, j'ai oublié de mentionner la version manuscrite allographe de "Promontoire".
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