Pour le prochain article, je vous invite à relire attentivement les poèmes XV et XVII des Feuilles d'automne. Ils sont à peu près au milieu du recueil, et deux épigraphes en latin confortent l'idée de les réunir. Ils sont en sizains d'alexandrins avec contraste d'un vers plus court conclusif des modules (deux modules de trois vers dans un sizain, référence à la terminologie employée par Benoît de Cornulier).
Vous pouvez lire aussi le "Prélude" des Chants du crépuscule et le poème "Les Préludes" des Nouvelles méditations poétiques de Lamartine car je prévois d'en toucher un mot à la marge.
Evidemment, je ne saurais trop vous conseiller de relire "Le Bateau ivre" lui-même, parce que le but de l'exercice à venir va être de démontrer que les poèmes automnaux sont des sources au "Bateau ivre" (Oui, je n'emploie plus le mot "intertextualité" ni celui d'intertexte, parce que je me suis rendu compte que ce mot inventé par Julia Kristeva renvoyait à une théorie très précise qui n'est jamais enseignée et je n'ai pas envie qu'en utilisant le mot "intertexte" on présuppose dans mon approche des conceptions contradictoires avec ce que je pense, le milieu universitaire privilégiant de subordonner tout emploi du mot à l'arrière-plan théorique mis en place depuis la fin des années soixante).
J'ai déjà rédigé une partie du prochain article, mais en reprenant cela à tête reposée je me rends compte de confusions que je peux faire entre les citations du poème XV et celles du poème XVII. Un petit délai est nécessaire, sauf évidemment pour Circeto qui a directement accès à mes brouillons, cela va de soi !
Pour se faire plaisir, j'introduis ici un autre sujet.
Avec mon intelligence hors-norme, je n'ai pas attendu quarante ans après la publication de Théorie du vers de Benoît de Cornulier pour comprendre la logique de provocation des vers "nouvelle manière" et le fait que Fongaro et d'autres n'avaient pas tort de relever des alexandrins approximatifs à des emplacements clefs de poèmes en prose illuminés.
J'ai compris que "Tête de faune", "Jeune ménage", "Juillet", "Conclusion" de "Comédie de la soif" devaient être lus en décasyllabes forcés, et qu'il fallait lire en alexandrins forcés "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,..." et "Mémoire". Et j'ai prouvé statistiquement et structurellement cela pour chaque poème, à l'exception de la "Conclusion" de "Comédie de la soif", même si dans ce cas une lecture en deux hémistiches de cinq syllabes semble préférable à la fin. Mais l'incertitude entre deux lectures métriques reste une autre hypothèse de travail possible dans son cas précis.
Aucun rimbaldien, à part moi, ne tient ce discours sur les vers nouvelle manière de dix ou douze syllabes. Seul Benoît de Cornulier lui-même commence à y venir, et seul Philippe Rocher a mentionné l'idée comme stimulante, mais sans trancher pour sa part si j'ai bien compris.
Or, il y a le problème des vers de onze syllabes. D'autant qu'après Baudelaire et quelques autres, Rimbaud, connu pour ses séjours douaisiens, a fait l'éloge auprès de Verlaine de l'intégralité des poésies de Marceline Desbordes-Valmore, on peut penser que Rimbaud a suivi le modèle de référence prôné par Banville lui-même en son petit traité : la césure après la cinquième syllabe. J'ai montré que Verlaine n'adoptait pas que cette césure, mais aussi celle après la quatrième syllabe, et cela tout particulièrement dans des poèmes concernant Rimbaud, au premier rang desquels "Crimen amoris". Et je précise encore une fois que l'idée de lire tous les vers "nouvelle manière verlainienne" de Verlaine cette fois en lecture à césures forcées est mienne, puisque Cornulier a écrit des articles de suspens du jugement en parlant de "n'importe quoi", tandis qu'il me semble bien que Jean-Pierre Bobillot ne constate la présence de la césure après la quatrième syllabe que comme une dominante statistique dans "Crimen amoris". Moi, non, la césure est systématique est ou n'est pas. "Tête de faune" est le cas exemplaire puisque je déments complètement l'idée que la césure varie quatrain après quatrain, et je commente chez Verlaine et chez Rimbaud les effets de sens de césures forcées que Cornulier et les métriciens n'identifient pas comme des césures en tant que telles.
Et puis il y a ce problème des vers de onze syllabes.
C'est clair qu'il est difficile de montrer la réalité de césures forcées dans les quatre poèmes en vers de onze syllabes connus de Rimbaud, alors que j'y suis arrivé pour tous les poèmes en vers de dix ou douze syllabes, cas à part de la fin de la "Comédie de la Soif".
Ce fait est interpellant, mais les rimbaldiens sont tellement à côté de la plaque qu'ils ne s'y intéressent pas. Puis, vous avez le quidam qui va aller claironnant que c'est débile, qu'on chante faux en 4-7v, etc.
Il faut vous calmer, les gens !
Il est évident que les vers de onze syllabes ont une métrique liée à des enjeux de provocation. Comme je suis intelligent et que j'ai une sensibilité de lecteur, je n'ai aucun mal à cerner le fait qu'un vers de onze syllabes dont la césure n'est pas nette peut se confondre soit avec un vers de douze syllabes soit un vers de dix syllabes. J'ignore totalement pourquoi ce fait distingue mon intelligence du niveau des autres, mais c'est un fait !
Et donc il y a le premier vers de "Larme" en trois temps avec un premier membre de quatre syllabes, et deux membres de trois et quatre syllabes qui suivent. Vous lisez de la poésie sans tricher, vous ne pouvez pas savoir à l'avance si vous lisez un vers de dix ou de douze syllabes. C'est quand même assez logique de se dire que la virgule après la quatrième syllabe du premier vers fait que le lecteur a en réserve deux lectures possibles, décasyllabe classique ou trimètre romantique, sinon alexandrin classique carrément. Placé en tas, c'est le cas de le dire ! le mot "troupeaux" fait obstruction à la reconnaissance d'un alexandrin, et en principe après avoir lu "Loin des oiseaux, des troupeaux," le lecteur attend le bain d'un décasyllabe classique, ce qui va lui échapper avec la pirouette d'un membre de quatre syllabes : "des villageoises", avec un effet comique qu'accentue l'absence de reprise du mot "loin" anaphorique. Au passage, je rappelle que le trimètre n'est pas non plus un vers volontiers utilisés en amorce de poème.
Je prétends que la compensation la plus naturelle est de lire ce vers en conservant la césure du décasyllabe classique, après la quatrième syllabe, et en prenant son parti de l'allongement d'une syllabe. Il va de soi que la suite du poème déconcerte et que même cette mesure devient quelque peu problématique. Si ce n'était pas le cas, la mesure 4-7v aurait été d'emblée identifiée.
Pour ce qui est de la création de vers nouveaux au plan métrique, il faut reprendre le traité de Banville sur précisément les vers de neuf syllabes. Banville échoue à reconnaître le modèle classique de chanson 3-6v utilisé par Scribe et nous pond un modèle erroné de trimètre 3-3-3v exacte réduction du 4-4-4v romantique, et la fausse analyse de Banville s'autorise les césures interdites devant un "e" de fin de mot, césures clairement exploitées dans "Mémoire" / "Famille maudite" et qui avaient quelques antécédent, avec le "Kaïn" (ou Qaïn) de Leconte de Lisle notamment en tête du second Parnasse contemporain.
Ensuite, à la fin de son traité, Banville propose une innovation, la césure après la cinquième syllabe du vers de neuf syllabes. Cros et Verlaine ont retourné cela avec deux titres ironiques qui font clairement allusion aux propos du traités de Banville : "Chant éthipien" pour l'un et "Art poétique" pour l'autre. Verlaine composera ensuite "Chevaux de bois", puis d'autres poèmes encore sur ce patron. Cros et Verlaine ont tout simplement inversé le principe du vers inventé par Banville, en plaçant la césure après la quatrième syllabe, ce qui nous fait un vers de neuf syllabes avec un premier hémistiche de quatre syllabes et un second de cinq syllabes, inversion de la formule banvillienne de cinq puis quatre syllabes. Le "Chant éthiopien" est un impair d'un monde un peu perçu comme moins civilisé, et le poème de Verlaine parle de l'impair.
Dans Théorie du vers, Cornulier a bien ironisé sur les gens qui ont pris les propos au premier degré en montrant que des poèmes considérés comme très musicaux de la part de Verlaine étaient en fait en vers pairs et qu'en réalité nous n'avions aucun sentiment du pair et de l'impair en lisant des vers. Et Cornulier a eu raison.
Même si on peut envisager que Verlaine a pu avoir des idées confuses sur le sujet, il va de soi que le poème est à lire au second degré, et non pas comme un plébiscite pour les mesures impaires, ce que Verlaine n'a d'ailleurs pas mis en oeuvre plus que ça finalement. Mais ce second degré est celui du double sens du mot "impair", car le poète fait des impairs par rapport aux normes admises, convenues, bienséantes. C'est là qu'est l'astuce, il faut lire les césures comme des impairs, et la mesure choisie, tant les neuf syllabes que les hémistiches de quatre puis cinq syllabes comme des impairs, et le fait d'inverser la formule de Banville est aussi un impair.
Vous commencez à cerner l'intérêt de citer systématiquement "L'Art poétique" de Verlaine à propos de "Larme" ? On ne le fait pas, parce que le poème "L'Art poétique" a été révélé ultérieurement à mai 1872, parce qu'il a une césure admise malgré des vers chahutés et parce qu'il a des longueurs métriques différentes, mais l'idée d'impair elle est là !
Et ce n'est pas tout ! Le décasyllabe classique a une césure après la quatrième syllabe et il est entré en concurrence avec le passage de la chanson à la poésie littéraire d'un vers aux deux hémistiches de cinq syllabes. Le vers de neuf syllabes de chanson, utilisé par des grands noms classiques comme Molière (vers de chanson présents dans ses comédies) ou Malherbe, puis par Eugène Scribe encore ! a une césure après la troisième syllabe, et si Banville lui en a fait une après la cinquième syllabe, sans compter son aberrant trimètre à double césure 3-3-3v, Cros et Verlaine ont produit un vers de neuf syllabes avec césure après la quatrième syllabe, ce qui veut dire qu'on a droit à deux vers avec une césure après la quatrième syllabe, l'un de neuf syllabes, l'autre de six syllabes, dont les seconds hémistiches ne créent de différence que pour une seule syllabe seulement, cinq contre six. Et voilà que nous avons un vers de onze syllabes dans "Crimen amoris" qui poursuit la série, 4+5, 4+6, 4+7. Ce 4+7, j'en pressens l'invention dans les poèmes de Rimbaud. Je pense à "Larme", je pense à "Michel et Christine" dont le titre fait allusion à Scribe, je pense à "La Rivière de Cassis" et à "Est-elle almée ?" Banville s'est trompé sur le vers de neuf syllabes de Scribe et dans "Michel et Christine" on aurait dans l'hypothèse d'une lecture 4-7v une césure à la Banville sur un adverbe en "-ment".
Le vers qui commence ainsi "Ormeaux sans voix" conforte l'hypothèse de lecture 4-7v issue de l'analyse du premier vers de "Larme".
C'est sûr que c'est difficile à prouver vers par vers, mais bon, réfléchissez déjà qu'il y a de la provocation dans les vers de "Larme". Cherchez l'impair ! comme dirait Verlaine.
Vu que "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur..." est lancé par une réécriture d'un début de poème IV des Feuilles d'automne, et vu que "Le Bateau ivre" s'inspire déjà nettement de poèmes des Feuilles d'automne, j'essaie d'éprouver aussi ce qu'on gagne à rapprocher les vers de "Mémoire" / "Famille maudite" de poèmes hugoliens de la période lyrique affectionnée par Verlaine 1830-1840. Même si ça peut paraître ténu, j'essaie de méditer sur le poème "Bièvre" des Feuilles d'automne, mais il va de soi que je vais un peu laisser mûrir tout ça tranquillement.
Il y a "Larme" également avec les pleurs à nouveau.
Puis donc l'idée de méditer le vers de onze syllabes comme une production d'effets impairs sans rien en lui qui pèse ou qui pose, véritable machine à polémiquer avec Hugo, Banville, etc.
Mais, bon, il y en a encore pour vingt ans avant que les rimbaldiens ne réalisent l'importance de ce que je dis. Ah non, ils ne le feront même pas, dans vingt ans ils seront morts et la génération nouvelle n'aura aucune autorité reconnue. Putain, on est dans la merde ! Rimbaud, le poète célèbre, incompris de ses lecteurs jusqu'au bout ! Rien à faire ! Les gens l'ont massivement acheté pour rien, l'ont massivement commenté pour rien. Y aura-t-il une génération à l'avenir qui le lire correctement ? Même pas. Ou alors, ce sera quelques "happy few" qui parleront d'un auteur aussi peu lu que Bonaventure Despériers ou Etienne Durand aujourd'hui. Et encore, j'ai de gros doutes sur l'apparition de ces "happy few" puisque tout ce que j'écris sur ce blog va disparaître ou être dilué en broutilles par les rimbaldiens.
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