Récemment, Jacques Bienvenu a publié un article sur le poème "Est-elle almée?" où un de mes derniers articles était cité, et ce vendredi, il a mis en ligne un nouvel article où il fait un nouveau renvoi à la lecture du poème "Est-elle almée ?" pour lequel aucun rimbaldien n'envisagerait la lecture selon le prisme d'une influence verlainienne. Il ne s'agit pas ici d'une réaction polémique, mais si on lit mon article sur "Est-elle almée ?" puis ceux de Bienvenu on peut avoir l'impression qu'il y a un choix à faire entre une lecture tenant compte d'un pour moi probable intertexte du côté de Lord Byron et une lecture avec influence de Verlaine, et il n'est pas question pour moi d'entrer dans cette alternative.
Donc je vais un peu clarifier les lignes du débat ici.
Voici d'abord les liens des articles en question.
Pour commencer, il y a eu le 27/01/2022 un avertissement de mise en ligne d'Alain Bardel qui traite de ce poème dans son "Anthologie commentée". Je précise que quand j'ai publié mon article sur "Est-elle almée ?" je n'avais pas fait attention qu'il y avait un article récent sur ce poème de la part de Bardel. C'est une pure coïncidence. Il se trouve que j'ai découvert dans une librairie l'édition bilingue en Poésie / Gallimard de poèmes de Byron, dont Le Corsaire, et inévitablement je l'ai acheté et suis allé le lire dans un café d'Avignon. Non vacciné, j'étais content de retrouver ce genre de moments. Je souhaite depuis des décennies lire un maximum d'ouvrages traduits de Lord Byron. J'arrive à lire en anglais, mais je suis désolé, pour moi rien ne vaut le confort de la lecture en français. Même pour les films, je préfère qu'ils soient doublés plutôt qu'en version originale. J'aime bien de ne pas avoir les sous-titres et de me concentrer sur les images. Je sais bien que le doublage parisien français ça n'assure pas trop pour les westerns américains, mais à un moment donné je m'en moque de ce purisme des voix originales. J'aime bien de voir des films en italien, parce que c'est la plus belle langue du monde. Oui, l'anglais, à force, je peux à peu près suivre sans sous-titres. Mais j'en ai marre des puristes, j'ai horreur de ça. Bref, fin de la digression. Et donc, dans le cas du "Corsaire", je soupçonnais depuis longtemps que le poème de Rimbaud y faisait référence. Je sais bien que ça a déjà été dit, mais moi je considérais que c'était une piste sérieuse. En plus, je pourrais avoir pour deux euros Le Corsaire rouge. Je verrai pour cette piste-là plus tard. Revenons dans notre café où nous lisions le tome de Byron en Poésie / Gallimard. J'ai alors trouvé énorme qu'il y ait une mention des almées dans le poème "Le Corsaire", car malgré ma quantité de lectures énormes d'ouvrages du dix-neuvième siècle ce n'est pas un nom qui court la littérature tant que ça.
Voici maintenant les liens pour lire les deux articles de Bienvenu.
Je vais donc réagir surtout au dernier article et développer mes positions dans le débat.
Je suis plutôt d'accord avec l'essentiel de l'article et je me suis déjà moi-même exprimé sur plusieurs points.
Il y a d'abord des évidences. En 1870, Rimbaud n'est rien sur la scène publique, et quel que soit le mérite des poèmes qu'il a déjà composés, il ne peut pas préjuger de l'écriture du "Bateau ivre" ou des Illuminations pour se sentir supérieur à un quelconque poète en vue contemporain. Du moins, ça ne peut pas être aussi simple pour Rimbaud de se considérer meilleur que les autres, surtout que sa poésie se nourrit énormément de modèles parmi lesquels Hugo et Banville.
Rimbaud a le choix d'un certain nombre de poètes et il est sensible qu'il préfère Verlaine à d'autres. Le problème éternel, c'est qu'en même temps que Rimbaud a la pertinence de préférer Verlaine il se trouve qu'il est en contact avec un ami de Verlaine, Bretagne. Une rencontre a comme favorisé cette préférence. Mais peu importe que le réel ait favorisé cette préférence, on peut faire confiance à Rimbaud : son intérêt pour la poésie de Verlaine était parfaitement sincère. Il cite alors le recueil des Fêtes galantes. Pour le recueil La Bonne chanson, il invite Izambard à l'acheter, mais l'ouvrage n'aurait été diffusé dans les librairies qu'après la guerre. Ceci dit, l'ouvrage a été mis sous presse au cours de l'été 1870 ou non ? Car il n'est pas exclu que Bretagne ait eu un exemplaire dédicacé. Notons que à la fin du mois d'août 1870 Rimbaud fugue à Paris. Il devait avoir une idée de gens avec lesquels entrer en contact, et forcément Banville et Verlaine devaient être les deux premiers poètes qu'il espérait rencontrer. On a l'impression que Bretagne a dû chauffer Rimbaud pour monter rapidement à Paris. Mais, sans spéculer, il demeure intéressant de méditer sur la possibilité pour Rimbaud ou non d'avoir lu La Bonne chanson.
Je cite tout de même des coïncidences que, personnellement, je trouve extrêmement troublantes.
Rimbaud a composé en octobre 1870 un sonnet intitulé "Rêvé pour l'hiver" qui s'inspire du poème de clôture des Cariatides de Banville "A une Muse folle", mais dont le premier vers a une césure sur la préposition "dans" alors qu'il est question d'un voyage en train. J'ai du mal à croire que les loups noirs vus par la glace, etc., et ce premier vers du sonnet rimbaldien ne s'inspirent pas du septième poème de La Bonne chanson qui, du coup, serait la seconde ou troisième source à "Rêvé pour l'hiver" après "A une Muse folle" de Banville" et "Au désir" de Sully Prudhomme.
J'ai souligné à quelques reprises l'influence sur "Rêve pour l'hiver" de "A une Muse folle" de Banville et "Au désir" de Sully Prudhomme. La plus récente mise au point se trouve dans un article paru dans le numéro 60 de la revue Rimbaud vivant en 2021 : "La versification tactique [...]", p. 99-127. J'ai déjà indiqué à quelques reprises mais sans m'y appesantir cette coïncidence d'un couple césure sur "dans" au premier vers et thème du train dans le cas du poème "Rêvé pour l'hiver" et du poème VII de La Bonne chanson. Je cite le poème de Verlaine :
Le paysage dans le cadre des portièresCourt furieusement, et des plaines entièresAvec de l'eau, des blés, des arbres et du cielVont s'engouffrant parmi le tourbillon cruelOù tombent les poteaux minces du télégrapheDont les fils ont l'allure étrange d'un paraphe.Une odeur de charbon qui brûle et d'eau qui bout,Tout le bruit que feraient mille chaînes au boutDesquelles hurleraient mille géants qu'on fouette ;Et tout à coup des cris prolongés de chouette.- Que me fait tout cela, puisque j'ai dans les yeuxLa blanche vision qui fait mon cœur joyeux,Puisque la douce voix murmure encore,Puisque le Nom si beau, si noble, et si sonore,Se mêle, pur pivot de tout ce tournoiement,Au rhythme du wagon, brutal, suavement.
On voit qu'une source n'exclut pas l'autre, je vous invite à lire en regard de "Rêvé pour l'hiver" les deux poèmes de Banville et Sully Prudhomme. Ce n'est pas parce que j'ai déjà deux sources que je vais m'interdire l'identification d'une troisième. Or, le premier vers de "Rêvé pour l'hiver" nous offre le mot "wagon" et la césure sur la préposition "dans". Le mot "wagon" est au dernier vers du poème de Verlaine et on peut considérer que la césure sur "dans" dans le poème de Verlaine signifie le sursaut, tout un cahot qui surprend le voyageur en train, et ce cahot est initial pour le lecteur des alexandrins de Verlaine et c'est un élément important de la lecture du poème puisque le dernier vers explicite quelque peu le caractère paradoxalement agréable des soubresauts : "Au rhythme du wagon, brutal, suavement." Je n'ai pas modernisé l'orthographe de "rythme" dans la citation, peu importe. En revanche, il est clair que si on prête un tant soit peu attention aux césures le premier vers heurte la sensibilité. C'est une sorte de faux départ en alexandrins : "Le paysage dans..." Permettez qu'on appelle la césure un repos et qu'on s'en serve de manière métaphorique comme les poètes du dix-neuvième. Là, il y a un à-coup, un suspens violent, c'est la brutalité du rythme du wagon qui est ainsi introduite dans la lecture même des vers, et cela finira par passer "suavement". On sent bien que Verlaine a médité la relation du premier et du dernier vers de son poème. C'est la césure la plus osée de tout le poème, qui plus est. Après, Verlaine use d'autres ressources, jeu sur les [r], jeu sur les virgules, étirement d'adverbes en "-ment", etc.
Rimbaud qui est un poète n'est pas idiot, il a vu ce qu'a fait Verlaine et il l'a reconduit dans "Rêvé pour l'hiver", il lui fait du moins un clin d'œil, c'est très net dans le premier vers :
L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose[...]
Evidemment, on va me répliquer que je m'avance beaucoup, puisque Rimbaud n'a pas pu lire La Bonne chanson en librairie.
Certes ! Mais il a pu lire ce recueil chez Bretagne ou non ? Car je vais quand même souligner d'autres points. Je n'ai pas passé en revue toutes les allusions qu'il y aurait dans des poèmes de Rimbaud aux vers du recueil La Bonne chanson, mais il va de soi que la quasi-totalité sont considérées comme conjecturales dans le milieu rimbaldien. C'est pour cela que je regrette énormément le manque de réactivité des rimbaldiens à faire un traitement des sources proposées. Plusieurs rimbaldiens proposent des sources, mais si l'auteur de l'article est convaincu par ce qu'il avance qu'est-ce qu'il reste une fois l'arbitrage exercé par l'ensemble des rimbaldiens ? Cette source que j'identifie n'est pas plus faible que les autres, son seul tort c'est que nous ne sommes pas sûrs que Rimbaud ait lu La Bonne chanson en 1870. C'est quand même un peu court. La mise au point sur la mise sous presse et la diffusion d'exemplaires de La Bonne chanson reste assez floue dans les milieux de rimbaldiens et verlainiens. Et puis il y a le reste. Après cette magnifique coïncidence d'un couple thème du wagon et préposition "dans" à la césure, nous relevons dans le poème de Verlaine une description d'un spectacle extérieur fantasmé avec des hurlements de géants. Le second quatrain de Rimbaud est là encore pleinement en phase avec la description de Verlaine. Les hurlements de géants cèdent la place à "démons noirs" et "loups noirs", loups noirs qui entrent en résonance avec le verbe "hurler" du poème de Verlaine. Dans "Rêvé pour l'hiver", la femme ferme l'œil pour ne pas voir les laideurs "par la glace". Dans le poème de Verlaine, c'est la vision et l'écho du nom de la femme aimée qui chasse la vision de l'extérieur : "Que me fait tout cela, puisque j'ai dans les yeux..." Les symétries entre les deux poèmes sont décidément remarquables.
Il faut ajouter que ce poème de La Bonne chanson peut avoir une importance rimbaldienne plus ample. Dans "Nocturne vulgaire" où, à cause de la mention "maison de berger" il n'est pas absurde de penser au trajet en train, même s'il est question de carrosse, de corbillard, on a quelque chose de l'avant-dernier vers verlainien : "Se mêle, pur pivot de tout ce tournoiement", sachant que le titre "Nocturne vulgaire" a l'air de retourner le titre "Nocturne parisien" des Poèmes saturniens. Et le motif du train est très présent dans plusieurs poèmes des Romances sans paroles, tout particulièrement dans la section "Paysages belges". Or, si on sait que le poème "Michel et Christine" entre en résonance avec le poème "Malines", il est question d'engouffrement dans "Michel et Christine" tout comme dans ce poème VII de La Bonne chanson. Un aspect de "Michel et Christine", c'est de présupposer une description à partir d'un voyage en train. Et je rappelle que en juillet 1872 Verlaine et Rimbaud ont fugué pour la Belgique, que Mathilde est allée à la rencontre de son mari pour le faire revenir et que celui-ci l'a plaquée sur un quai de gare.
En clair, on voit se dessiner des échos à long terme entre les deux œuvres de Verlaine et Rimbaud.
J'ai une autre coïncidence troublante à mobiliser.
Dans "Le Rêve de Bismarck", tel qu'il a été publié, puisque au vu du récit dont a témoigné Delahaye, on peut soupçonner que le texte a été remanié par Jacoby, nous avons un mouvement de la main de Bismarck qui se veut gracieux, mais le récit ironique fait entendre qu'il n'en est rien, et Rimbaud emploie alors l'adverbe "imperceptiblement". Et cet adverbe est associé précisément au mouvement d'un doigt présenté comme délicat, l'index de Bismarck. Je cite l'extrait qui m'intéresse :
Bismarck médite. Son petit doigt crochu chemine, sur le vélin, du Rhin à la Moselle, de la Moselle à la Seine ; de l'ongle, il a rayé imperceptiblement le papier autour de Strasbourg : il passe outre.
Nous nous étions arrêtés à des remarques à propos du septième poème de La Bonne chanson. Après le huitième poème qui se finit par l'évocation du nom "carlovingien" de Mathilde, le poème IX m'a tout l'air d'être une source au passage que je viens de citer du "Rêve de Bismarck", et je pense au dernier vers qui associe le "pied" forcément considéré comme petit à l'adjectif final "imperceptiblement".
J'ai énormément de mal à croire à une pure coïncidence. Le "imperceptiblement" du "Rêve de Bismarck" a une résonance verlainienne que je trouve bien sensible.
Mais, pour renforcer ce sentiment, j'ajoute que le même poème IX de La Bonne chanson a de fortes chances également d'avoir inspiré le poème "Roman". Et dans les deux cas, "Roman" ou "Le Rêve de Bismarck", ce sont les deux derniers vers du poème verlainien qui entrent en résonance. On peut hésiter à citer le poème "Première soirée" également. Il y a du moins des parallèles sensibles sur un thème érotique. L'idée du petit chiffon blanc, du trottinement des pieds dans "Roman", et dans "Première soirée", la belle agit "Malinement" et cache ses "petits pieds". Il y a un air de mutinerie féminine commun aux trois poèmes. Le déliement adverbial "imperceptiblement" résonne quelque peu dans "Roman" : "Comme elle vous trouve immensément naïf". Il y a un jeu stylistique quelque peu parent qui ressort.
En clair, la critique rimbaldienne ne peut pas balayer d'un revers de main la possibilité pour Rimbaud d'avoir lu le recueil La Bonne chanson un an avant tout le monde et de s'en être inspiré.
On sait par ailleurs que Rimbaud fait allusion nettement à une rime en "-ote" des Fêtes galantes dans le poème "Les Effarés", composition douaisienne datée et ainsi admise comme contemporaine de "Roman".
Pour l'année 1870, si Rimbaud s'inspire de vers de Verlaine, c'est en tant qu'admirateur, nécessairement.
En 1871, il existe une grosse énigme. Rimbaud est allé à Paris du 25 février au 10 mars et il y a rencontré des personnalités littéraires connaissant Verlaine, André Gill dans tous les cas et peut-être bien aussi Vermersch dont Rimbaud dit avoir recherché l'adresse dans une lettre à Demeny. Ce séjour a probablement été l'occasion de contacts littéraires plus étendus que ce que nous pouvons fixer avec certitude, et la possibilité d'une rencontre de Valade et Verlaine n'est pas négligeable. Cette hypothèse peut difficilement être méprisée, car elle peut impliquer une meilleure compréhension de poèmes présents dans les lettres dites "du voyant" : "Mes petites amoureuses" et "Le Cœur supplicié", et expliquer aussi l'espèce de profession contrariée au sujet de Baudelaire "vrai dieu", mais mesquin dans la forme, et le couplage de Mérat à Verlaine en tant que vrais poètes de la nouvelle école.
Toutefois, même en laissant cela de côté, Rimbaud ne va monter à Paris qu'autour du 15 septembre 1871, donc dans tout ce qu'il a composé avant le 15 septembre 1871 Rimbaud ne peut pas avoir glissé des parodies désobligeantes à l'égard de Verlaine.
Une fois à Paris, Rimbaud va avoir une relation privilégiée avec Verlaine, une relation qui va avoir aussi une autre nature que celle d'un échange entre deux poètes. Et aussi, vu les sautes d'humeur de Rimbaud, Verlaine va devenir le seul appui de Rimbaud. Il est par conséquent toujours aussi difficilement envisageable que Rimbaud se soit moqué de Verlaine dans ses derniers poèmes en vers première manière : "Les Chercheuses de poux", etc. Je rappelle que selon Fongaro les "mouches" de "Voyelles" pourraient persifler des mouches dans les prés de poèmes de Verlaine. Quant à l'Album zutique, Jean-Jacques Lefrère et Bernard Teyssèdre n'hésitent pas à décrire dans Rimbaud et le foutoir zutique un Verlaine mis en colère par le poème "Jeune goinfre". On ne rappellera pas toutes les pages du livre de Bernard Teyssèdre où des scènes biographiques inventées, non documentées, font dire à Rimbaud un constant mépris pour les sujets des poésies de Verlaine.
Tout cela ne tient pas.
Pour identifier des moqueries de Rimbaud à l'égard de Verlaine, il ne reste dès lors que trois massifs : Une saison en enfer, Illuminations et les poèmes en vers nouvelle manière de 1872.
Je n'entrerai pas dans le débat ici si les poèmes en vers de 1872 doivent ou non faire partie du recueil Illuminations. Ma pensée est que dans tous les cas le recueil publié par Verlaine mélangeait bien les deux et était bien compris de la sorte par Verlaine et les éditeurs de La Vogue, ce que la critique rimbaldienne, en-dehors de Bienvenu, tend à minimiser. Si ce mélange a eu lieu, c'est qu'il n'y avait pas de consigne claire de Rimbaud pour séparer les deux, puisque parallèlement les poèmes en vers première manière furent eux aussi publiés. Mais passons !
Pour moi, le massif où nous avons le plus de chances de trouver des réactions d'agacement à l'égard de Verlaine, c'est Une saison en enfer. Ceci dit, je trouve très problématique de réduire la lecture de "Vierge folle" à un récit biographique transposé, travesti.
Pour les poèmes en prose, la difficulté est liée à l'énigme de la datation des compositions. Je maintiens qu'il n'est pas normal que nous n'ayons pratiquement aucune composition rimbaldienne entre septembre 1872 et mars 1873, période où Verlaine et Rimbaud sont seuls, isolés du reste du monde des poètes et artistes pour dire vite. On constate aujourd'hui que le poème "Les Corbeaux" est plutôt admis comme ayant été composé dans les premiers mois de l'année 1872. Il y a quand même un abus à envisager que le poème aurait été envoyé en urgence d'Angleterre à des fins de publication dans La Renaissance littéraire et artistique. Nous savons aussi que le dizain "L'Enfant qui ramassa les balles..." est signé "PV" et est donc plutôt un poème de Verlaine recopié par Rimbaud qu'un poème de Rimbaud. Qui plus est, selon le témoignage de Régamey, les deux dizains recopiés par Verlaine et Rimbaud sont plus anciens et donc ne datent pas du mois de septembre 1872. Nous savons que les poèmes en vers "nouvelle manière" de Rimbaud sont peu nombreux à pouvoir se situer dans cet espace de sept mois. "Juillet" et "Michel et Christine" donnent des indices pour penser qu'ils furent composés en juillet-août 1871 en Belgique. Non daté, le poème "Entends comme brame..." ne contient qu'une poignée de syllabes si on peut dire. Et cela vaut aussi pour "Le loup...", "Honte" et "Ô saisons ! ô châteaux !" Le poème "Famille maudite" / "Mémoire" est de plus en plus admis comme ayant été composé avant la fugue belge, et on pense de même pour "Qu'est-ce pour nous, mon Cœur,..."
On n'a rien d'autre à placer pour la période de sept mois de septembre à mars 1873, à part les proses dites "contre-évangéliques" dont certains n'excluent même pas qu'elles aient été composées après Une saison en enfer.
Verlaine n'a jamais parlé d'une œuvre manquante. A cette aune, il est naturel de penser que les Illuminations, en tant que réunion des poèmes en prose et en vers libres, est l'élite des compositions de Rimbaud du séjour belge de juillet-août 1872 à février 1875, à s'en fier au témoignage de la préface de Verlaine qui parle de compositions faites en Belgique, Angleterre et Allemagne. L'idée de compositions allemandes est une exagération probable de Verlaine, mais un indice fort que Bienvenu a raison de considérer que le recopiage final avec Nouveau a dû avoir lieu à Stuttgart. Quant à l'idée de compositions en Belgique en 1873, elle n'est pas crédible au vu d'informations biographiques contraignantes en notre possession.
Fongaro a tendance à considérer que si Rimbaud s'inspire d'une source c'est parce qu'il entretient sa nature railleuse. Rimbaud se moquerait de Verlaine à la fois dans ses poèmes en vers et dans ses poèmes en prose. Je considère que ce propos de Fongaro est une pétition de principe. Il ne faut pas exclure les railleries à l'égard de Verlaine, celui-ci a réagi à la lecture de "Vagabonds" où il s'est reconnu et a dénoncé un persiflage injuste. Toutefois, ma conviction est que les railleries sont plutôt à la marge. Je pense que des poèmes comme "Veillées" témoignent d'un relatif unisson.
Quant aux poèmes en vers du printemps et de l'été 1872, je considère qu'il n'y a aucun plan de moquerie à l'égard de Verlaine. Rimbaud revient à Paris auprès de Verlaine, face à un rejet de tous les autres parisiens pratiquement, en mai 1872. Il fugue avec Verlaine le 7 juillet 1872 et voyage avec lui en Belgique, dans un périple où une épreuve va concerner Mathilde, avec rupture définitive du couple Verlaine, dans un périple où Verlaine laisse bien entendre qu'il fut particulièrement joyeux.
Je ne vois pas dans ces conditions comment Rimbaud pourrait passer son temps à charrier Verlaine par poèmes interposés. La poésie est ce qui rapproche le plus Verlaine et Rimbaud à cette époque.
Passons maintenant à la question des influences réciproques.
Avant la montée de Rimbaud à Paris, à la mi-septembre 1871, il n'est pas raisonnable d'envisager une influence prédominante de Rimbaud sur Verlaine. L'inverse est plutôt vrai.
Ce n'est qu'une fois à Paris que Rimbaud va devenir avant-gardiste, pardon à Baudelaire pour mon emploi du mot, dans le travail de la forme. Les visions deviennent franchement ésotériques, et la métrique des vers subit tous les outrages.
Je ne parlerai pas ici de la nouveauté des visions du "Bateau ivre", sujet trop compliqué qui ne doit pas être traité ici en passant. En revanche, pour le travail sur le vers, Rimbaud suit des devanciers : Hugo, Baudelaire et Banville, et il suit aussi Verlaine. Dès 1870, Rimbaud même s'il cite un entrefilet dans la presse reconnaît à Verlaine un remarquable enjambement de mot à la césure. On peut penser que le poème "Le Mal" y fait un léger écho, mais sans chahut à la césure, avec reprise de l'adjectif "épouvantable" devant le verbe "broie".
Rimbaud est également redevable à Verlaine du travail sur les césures. Or, quand Rimbaud arrive à Paris, il loge chez les Mauté. Il se trouve que Verlaine a daté de septembre 1871 et de ce lieu précisément la copie d'une comédie alors inédite Les Uns et les autres qui se retrouvera dans le recueil Jadis et naguère.
Cette comédie contient un enjambement à la césure qui détache une terminaison verbale tout en décalant une structure grammaticale qui avait été découpée autrement à la césure dans le dernier poème "Colloque sentimental" des Fêtes galantes.
Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne ?
Le poème "Colloque sentimental" est en décasyllabes avec une césure après chaque quatrième syllabe de vers. Cela implique que la césure passe ici sur le trait d'union. Je rappelle que précocement Victor Hugo a pratiqué des césures sur trait d'union dans son théâtre en vers, Cromwell. Il s'agit d'une césure qui reste audacieuse. Ici, l'intérêt, c'est qu'elle détache le pronom "vous" de la base verbale. D'ordinaire, quand il y a une césure audacieuse sur un pronom, le pronom est placé avant le verbe, ce qui est logique dans une phrase déclarative où nous suivons l'ordre sujet et verbe : "Nous vous en prions", "nous", "vous" et "en" sont trois pronoms placés devant le verbe. Ici, Verlaine s'est dit que dans le cas d'une phrase interrogative il y avait moyen de renouveler l'impression choquante de la césure, puisque cette fois le pronom serait rejeté dans le second hémistiche et non suspendu à la fin du premier. En plus, Verlaine a joué sur un écho entre la première syllabe du verbe et le pronom : "vous". Que voilà un rythme brutal, suavement ! pour parodier le vers cité plus haut de La Bonne chanson.
Dans un vers de la comédie Les Uns et les autres, Verlaine décide de décaler encore d'une syllabe la tension entre la même structure grammaticale et la césure. Il faut bien comprendre que normalement la césure naturelle aurait dû être après le pronom "vous". On pourrait imaginer le vers régulier : "Quoi ? Voulez-vous + vraiment qu'il m'en souvienne ?" Nous avons un décalage d'une syllabe dans le cas du vers de "Colloque sentimental". Et finalement une fois qu'on décale d'une syllabe, pourquoi ne pas décaler de deux syllabes ou même décaler fort librement la structure à un autre endroit pour un tout autre effet à la césure ? C'est donc ce que fait Verlaine dans le vers suivant. Le vers est réparti entre deux intervenants que je nomme entre parenthèse dans la citation suivante (scène 3) :
(Rosalinde) Parlez-moi. (Myrtil) De quoi voulez-vous donc que je cause ?
La pièce est en alexandrins et la césure normale de l'alexandrin est après la sixième syllabe du vers. Le découpage de la parole entre deux intervenants permet d'exclure rapidement la recherche d'un trimètre compensatoire.
Verlaine a créé un enjambement de la césure par un verbe dissyllabique. L'engrappement rythmique inviterait à parler d'une structure en minimalement trois syllabes "voulez-vous", mais peu importe, dissyllabe ou trisyllabe, c'est la base du verbe qui est en suspens à la césure "voul" et le rejet s'applique de façon tout à fait spectaculaire sur la simple terminaison verbale "-ez". Pour l'apport de sens, la terminaison "-ez" et le pronom "vous" sont plutôt des éléments redondants. Ils ont la même signification. Par conséquent, je considère qu'il y a soulignement du sens du verbe "vouloir". Je rappelle que dans un verbe il y a la base qui donne le sens du verbe ("voul-" dans le cas présent) et la terminaison ("-oir" ou "-ez") qui permet de cerner la conjugaison en jeu. Ce qui me fait dire que l'effet implique de ressentir un jeu émotif sur la signification du verbe "vouloir", c'est qu'en prime nous avons l'écho syllabique "vou-" de "voulez" à "vous donc".
Mais, même si l'effet de sens est sur la base verbale "voul-", le rejet de la terminaison verbale "-ez" est vraiment ce qui fait de cette césure un acte d'une audace stupéfiante.
Le premier poème en vers nouvelle manière connu de Rimbaud est "Tête de faune". Il est en décasyllabes avec une césure après la quatrième syllabe. Les deux premiers vers donnent clairement cette mesure par l'anaphore : "Dans la feuillée..." Je ne crois pas du tout que le poème "Tête de faune" change de mesure quatrain après quatrain, comme cela semble faire consensus (Cornulier, Rocher, Dominicy, Murphy, etc.), puisque cette hypothèse aboutit à un résultat qui n'est pas plus régulier que celui auquel on prétend remédier. La solution est même moins régulière que celle qui pour moi va de soi, le poème est tout entier avec une césure après la quatrième syllabe.
Or, dans un tel cadre de lecture, comme par hasard, nous identifions un rejet de la terminaison adjectivale "-é" au vers 5 : "Un faune apeur-é" ou "Un faune affol-é..." selon les versions. Et au vers 11, nous avons à l'inverse un contre-rejet du préfixe, mais un préfixe qui se résume lui aussi au phonème "é" : "Et l'on voit é-peuré par un bouvreuil", et comme par hasard "épeuré" est un mot qui entre en résonnance avec "apeuré" (mot de la même famille, même base nominale "peur") et "affolé" (mot de sens proche).
Et le trouble à la césure peut exprimer le sentiment de peur et d'affolement.
La seule autre césure particulière du poème est sur "sanglante" où le mot "sang" est souligné en liaison avec une idée de morsure.
Quoi ? Vous voulez contester la césure au nom d'une incertitude pour "sanglante" ? Ne serait-ce pas jeter avec l'eau du bain ce que nous avons fait remarquer pour "é-peuré" et "apeur-é" ? Vous êtes sûrs d'être des cadors de la poésie en faisant ainsi ?
Bref, moi, je ne perds pas mon temps à douter sur le sujet et je vois que "Tête de faune" premier poème en vers nouvelle manière est influencé à la césure par des antériorités précises de Verlaine. Il va de soi que "Tête de faune" a une source importante du côté de Banville, une autre du côté de Glatigny, deux poètes qui comptaient pour Verlaine, et entre autres détails (titre d'un poème de Mérat et Valade notamment), le poème "Tête de faune" fait inévitablement songer aux Fêtes galantes où figure un poème du "Faune" en non pas trois mais deux quatrains !
La messe est dite, non ?
Passons aux autres poèmes.
Je ne vais pas entrer dans les détails. En gros, en-dehors du poème non daté "Tête de faune", probablement composé au tournant des mois de février et mars avant l'éloignement de deux mois (à moins que ces "vers mauvais" n'aient été envoyés par lettre en avril et recopiés par Verlaine dans la suite paginée connue), les premiers poèmes "nouvelle manière" de Rimbaud sont datés de mai 1872 et ils sont ainsi contemporains de la section "Ariettes oubliées" de Verlaine que celui-ci a daté de mai-juin 1872 dans son recueil Romances sans paroles. Verlaine a publié deux ariettes dans La Renaissance littéraire et artistique. Sans vérifier à l'instant, une a été publiée en mai, et l'autre en juin.
Celle publiée en mai porte en épigraphe les vers d'une ariette de Favart et on peut penser que c'est précisément celle que Rimbaud lui a envoyée fin mars sinon le premier avril 1872.
Il est clair que "Tête de faune" et la lettre du 2 avril de Verlaine à Rimbaud témoigne que Rimbaud est déjà en train de travailler sur sa nouvelle manière avant que Verlaine ne compose sa première des "Ariettes oubliées", mais ce qu'il faut voir aussi c'est la relative convergence des deux projets. Verlaine faisait déjà des poèmes courts à l'apparence de chansons auparavant. Rimbaud s'inspire de Verlaine comme "Tête de faune" l'atteste. En mai-juin 1872, Verlaine essaie de nouvelles mesures, des vers de neuf et onze syllabes. Nous avons deux vers distincts de neuf syllabes, celui avec une césure après la troisième syllabe, celui avec une césure après la quatrième syllabe. Dans la continuité d'une thèse décisive de Bienvenu sur l'importance du traité écrit par Banville, je prétends que ce jeu sur les vers de neuf syllabes vient de la lecture du traité de Banville où celui-ci a mal interprété des vers de neuf syllabes d'un écrivain pris pourtant comme tête de turc, Scribe, et Banville a ensuite proposé un poème en vers de neuf syllabes avec une césure inédite après la cinquième syllabe.
Il faut introduire dans le débat Charles Cros qui a composé un "Chant éthiopien" qui adopte la même césure que Verlaine dans "Chevaux de bois" et "L'Art poétique".
Selon toute vraisemblance, les poèmes "Chant éthiopien" et "L'Art poétique" ont été composés à Paris avant le 7 juillet 1872, et même avant la brouille entre les frères Cros et Verlaine, sans qu'il ne soit facile de dire qui de Cros ou de Verlaine a inventé le premier le nouveau mètre. "Chant éthiopien" ou "L'Art poétique" ? Telle est la question.
Verlaine a également composé des vers de onze syllabes selon le patron expressément autorisé par Banville dans son traité.
Là encore, Verlaine dit que Rimbaud l'a poussé à lire tout Desbordes-Valmore, laquelle avait composé deux poèmes en vers de onze syllabes avec la césure après la cinquième syllabe.
Je ne parlerai pas ici du problème de césure de "Larme", "Michel et Christine", "La Rivière de Cassis" et "Est-elle almée ?" En tout cas, le recours aux vers de onze syllabes (problème de césure mis à part) est contemporain chez Rimbaud et Verlaine : "Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses..." et "Larme" (mai 1872). A noter l'écho entre le titre "Larme" et le couple de deux pleureuses dans l'ariette oubliée de Verlaine.
Enfin, au plan des rimes, sans parler d'expériences antérieures de Banville, et des ruptures de rimes singulier-pluriel, certains poèmes des Romances sans paroles témoignent discrètement d'une tentation de ne plus respecter les règles comme ce fut le cas de Rimbaud. Il faut citer tout particulièrement la sixième des "ariettes oubliées" qui ne se contente pas de mélanger le féminin et le masculin, puisqu'il y aussi des vers faux, assonancés ou même pas. Il faut aussi citer "Il pleure dans mon cœur". On observe enfin la présence d'un refrain non aligné sur la mesure des vers "Dansons la gigue" dans un autre poème, ce qui est à rapprocher de "Ô saisons ! ô châteaux".
Le fait que Rimbaud aille plus loin dans le renoncement aux règles ne signifie pas en soi que Rimbaud est plus génial que Verlaine. Cela n'a aucun sens critique recevable.
Par ailleurs, le non respect des règles n'est pas la seule raison pour laquelle nous apprécions les vers de Rimbaud. Loin s'en faut, et heureusement. Le génie de Rimbaud use d'autres ressources et là encore on ne cesserait de constater les convergences d'époque entre les poésies de Verlaine et de Rimbaud.
Et pour ces ressources non versifiées, il faut considérer que cela concerne aussi plusieurs poèmes en prose de Rimbaud. On peut penser aussi à un poème à alinéas courts comme "Veillées I" qui a une manière verlainienne. Il y aurait encore pas mal à creuser.
Mais toutes ces influences sont d'allure globale.
Dans l'état actuel du raisonnement, le poème "Est-elle almée ?" est en phase avec la pratique de Verlaine à la même époque. Le poème "Est-elle almée ?" est-il plus particulièrement verlainien ? L'influence de Verlaine serait-elle plus nette ? Ma réponse est que je n'en sais rien, je n'ai pas fait de recherches en ce sens et je ne connais pas de document fixant plus fermement la relation de ces huit vers de Rimbaud à certains autres de Verlaine. Le débat est ouvert.
Toutefois, je rappelle que "Michel et Christine" est proche du poème "Malines" des Romances sans paroles. J'insiste aussi sur le fait que je suis pleinement d'accord avec le développement d'Yves Reboul que le recueil Romances sans paroles transpose largement en poésie le récit d'une relation triangulaire entre Paul, Arthur et Mathilde. Je ne rejette que l'identification de l'allégorie de "Beams" à Rimbaud lui-même. Je trouve plus logique que l'allégorie soit la "Raison" ou "Being Beautous" des poèmes portant ces titres.
A l'évidence, la biographie importe à la compréhension des poèmes de Rimbaud et de Verlaine en 1872. Le poème "Juillet" offre un cas remarquable. Il évoque la place royale de Bruxelles en juillet 1872. S'inscrivant à tort et persévérant diaboliquement dans l'hypothèse erronée de Fongaro d'une composition de 1873-1874 postérieure à l'incarcération de Verlaine, Benoît de Cornulier ne rend pas service à la critique rimbaldienne sous ce jour-là, mais il fait pourtant en sens inverse une découverte remarquable. Le vers : "La Juliette, ça rappelle l'Henriette" posait problème. Tout le monde était acquis avec raison à l'identification de l'héroïne de la pièce Roméo et Juliette, mais Henriette demeurait une énigme. Dans un article de la revue Parade sauvage, Jacques Gengoux avait cru pouvoir l'identifier à un personnage de Molière, histoire de reconduire une confrontation entre Shakespeare et Molière, façon Banville ou Hugo.
Cornulier a identifié la structure profonde des allusions en identifiant que Verlaine avait parlé successivement de Roméo et Juliette, puis de Damon et Henriette dans le poème "Images d'un sou". Dans "Images d'un sou", Verlaine évoque la légende de Pyrame et Thisbé, le modèle de l'histoire de Roméo et Juliette, il mentionne aussi Damon mais en en faisant le soupirant de Geneviève de Brabant. Or, Damon soupirait pour une Henriette et Geneviève pour un Siffroi. Il y a donc une volontaire confusion des couples d'amoureux, ce qui coïncide avec l'acte de Rimbaud de superposer Juliette et Henriette, la rime interne en "-(i)ette" introduisant l'idée d'une équivalence.
D'autres éléments du poème "Images d'un sou" font nettement écho au poème "Juillet" de Rimbaud : "La Folle-par-amour chante / Une ariette touchante." Nous avons un écho au "Kiosque de la Folle par affection" du poème de Rimbaud et la mention "ariette" nous rappelle le lien établi entre la première des "ariettes oubliées" de Verlaine et l'envoi paroles et musique d'une ariette de Favart par Rimbaud.
Oui, le poème "Est-elle almée ?" directement daté de juillet 1872, et donc contemporain du poème "Juillet", a probablement des implications biographiques discrètes. Maintenant, dans l'état actuel de nos connaissances, il faut travailler à rendre les liens objectifs en prenant en considération les mots décisifs qui ont été choisis par le poète, et je considère que "almée", "Pêcheuse" et "Corsaire" sont trois mots rares qui devraient depuis longtemps avoir facilité la délimitation du corpus sur lequel enquêter (corpus certes délicat à identifier quant aux articles de périodiques d'époque), et comme les identifications de couples légendaires dans "Juillet" sont un premier stade d'élucidation avant de pressentir la signification privée pour Rimbaud et Verlaine il y a nécessairement une démarche de cet ordre à avoir dans le cas de "Est-elle almée ?", "Larme", "Jeune ménage" et quelques autres poèmes.
Voilà pour le gros de mes réflexions.
Le poème proche de "Michel et Christine" il me semble que c'est "Malines" et non "Walcourt"
RépondreSupprimerJacques Bienvenu
Oui, j'ai 'relu pourtant mon article, mais je ne me suis pas rendu compte de cette erreur. Je la corrigerai d'ici peu. Malines, ville flamande (Mechelen en flamand) est à côté de Bruxelles et le train était une nouveauté du dix-neuvième siècle, la ligne de 20 km Bruxelles-Malines avait un statut historique.
SupprimerPaysages belges ; le couple de poèmes Walcourt-Charleroi, c'est le couple de poèmes du monde ouvrier belge. Aujourd'hui, Walcourt est une ville isolée et donc sans dynamisme, mais à l'époque le train reliait Walcourt et Charleroi. Et dans Walcourt, on a l'appel "en voiture" pour repartir en train. Je suppose que venus de Charleville les poètes se sont arrêtés genre le matin à Walcourt, ville de petites gens très fêtarde jusque dans les années 60, et puis ils ont dû reprendre le train le soir pour Charleroi pour trouver un hôtel. Il est question de trains dans Walcourt, Charleroi, Malines, Simples fresques, et on a le tour en rond des "chevaux de bois" dans le poème de ce titre. Rimbaud parle de station dans "Juillet", du railway dans "Michel et Christine", tandis que "Fêtes de la faim" a un refrain à la "Chevaux de bois" : "Tournez les faims". Dans Nocturne vulgaire, ça tourne en rond : "le véhicule vire", avec la mention "maison de berger" qui renvoie à un poème de Vigny connu comme l'un des premiers à avoir le train parmi les thèmes qu'il développe en 1843. Avec "corbillard de mon sommeil", il y a aussi des réécritures de Baudelaire (Horreur sympathique, Rêve parisien), mais bref le motif du train est développé discrètement dans quelques poèmes en prose (Mouvement, Les Ponts), mais le motif se met en place chez Rimbaud au même moment où Verlaine écrit ses "Paysages belges". Le poème "Michel et Christine" est en vers de onze syllabes, et le dernier vers découpe le nom "Christine" : "Michel et Christine, - et Christ !- fin de l'Idylle." Or, comme par hasard, Verlaine a écrit à la fin de sa vie un poème "Hou ! Hou!" avec une feinte "Malins de Malines..." en vers de onze syllabes, et si la césure est après la quatrième syllabe, chez Rimbaud on a Christ calé à la césure avant d'être cité tel quel, et dans le poème de Verlaine on a Mal, le contraire du Christ. Je suis convaincu que Verlaine fait écho au poème "Michel et Christine".
Et donc merci.
SupprimerMerci pour ce commentaire utile.
RépondreSupprimerJ'ai corrigé un grand nombre de coquilles parmi lesquelles "André Ghil" pour "Gill" (il y a René Ghil, mais c'est autre chose) et "rime internet" pour "rime interne".
SupprimerPour la datation respective de "Malines" et "Michel et Christine", je botte en touche, je ne me prononce pas encore. Je pars du principe que les deux poèmes peuvent aussi avoir eu une gestation contemporaine en août 1872. Je ne sais pas si les poètes se répondent l'un à l'autre en affrontant leurs désaccords. Le poème "Malines" se moque de la Belgique paisible et cossue lors d'un voyage en train qui fait bourgeois alors qu'un train ça secoue. Le poème "Michel et Christine" s'oppose à la paix, il parle d'un paysage d'orage. Verlaine nous place dans le train, Rimbaud évoque le défilement du train sans nous situer dans le train explicitement. Rappelons que dans "Larme" l'orage fait défiler "des gares", indice d'un rapprochement pertinent avec "Michel et Christine". "Larme" parle d'un orage, quand "Il faut voyez-vous..." de Verlaine parle de pardon, de paradis des exclus et de deux personnes versant des larmes.
Bonjour, c’était dans quel café à Avignon?
RépondreSupprimerAccessoirement (et dans tous les sens) vous avez trouvé le Byron dans quelle librairie à Avignon ?
La libraire a le nom balzacien plein de vies de Comédie humaine, et le café je n'en ai pas le nom mais c'était le long de la place des corps saints.
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