Je l'ai annoncé. Avant de clore ma série de recensions au sujet du Dictionnaire Rimbaud de 2021, je veux me libérer un peu de la charge que représentent les cas de l'Album zutique et de la métrique. Je vais y travailler à partir d'aujourd'hui au sujet de l'Album zutique en profitant de la comparaison avec mon article en cours de publication dans le volume Les Saisons de Rimbaud.
Je vais éviter de parler du livre de Bernard Teyssèdre, je vais parler du reste aujourd'hui sur l'Album zutique. J'ai publié au départ trois articles fondamentaux et en prime il y a eu les révélations alors inédites faites dans l'édition de La Pléiade en 2009. C'est dans l'édition de La Pléiade en 2009 des Œuvres complètes d'Arthur Rimbaud qu'on apprenait que j'avais identifié les sources des poèmes zutiques "Vieux de la vieille" et "Hypotyposes saturniennes ex Belmontet". On apprenait aussi dans ces notes, et toujours par mon intermédiaire, que "L'Angelot maudit" s'inspirait et faisait même allusion au poème de Verlaine "L'Heure du berger" du recueil Poèmes saturniens ou que le monostiche attribué à Ricard avait une formulation proche d'au moins un passage des recueils de la cible concernée, dossier qui en réalité peut s'étoffer.
J'avais en réalité un dossier conséquent de découvertes. J'ai donc publié en 2009 et 2010 trois articles dans des revues différentes. Il y a eu un article dans la revue Europe, un autre dans la revue Rimbaud vivant et bien sûr l'article sur Belmontet dans le numéro même de la revue Histoires littéraires où fut dévoilée publiquement la prétendue photographie du Coin de table à Aden. C'est aussi à cette époque où pour d'autres raisons j'ai cessé de publier dans la revue Parade sauvage, mais il n'y avait pas encore de rupture, puisque des articles étaient prévus pour la publication avec même des versions remaniées, revues, c'est simplement que ce n'est pas allé à terme. En plus, j'ai publié à la même époque deux articles supplémentaires sur l'Album zutique dans le volume collectif La Poésie jubilatoire qui mobilisait pour l'essentiel l'équipe de la revue Parade sauvage. Mais un événement m'avait surpris, sans revenir sur l'étrange présence de Teyssèdre bien installé en face de moi dans le volume La Poésie jubilatoire. En plein conflit autour de la photographie du Coin de table à Aden, la revue Parade sauvage dont la fin de volume est souvent consacrée à des comptes rendus de publications rimbaldiennes diverses avait publié une recension par Bertrand Degott de tous les articles parus dans la revue Europe, en omettant un seul nom de contributeur, le mien. J'ai demandé des explications à l'intéressé et à la revue qui ne m'ont jamais été fournies. Puis, un article d'Alain Chevrier a été publié dans la revue Parade sauvage où il développait l'idée que j'avais avancée dans la revue Europe que l'article de Verlaine sur Barbey d'Aurevilly en 1865 avec des citations à la clef d'Amédée Pommier était sans doute (avec le sonnet "Le Martyre de saint Labre" avais-je ajouté) à l'origine des sonnets en vers d'une syllabe parus dans l'Album zutique. Le livre de Chevrier sur la "contrainte monosyllabique" avait bien évidemment recensé les poèmes en vers d'une syllabe antérieurs à ceux de l'Album zutique et une influence était automatiquement envisagée sur les poèmes de Rimbaud et Verlaine des sonnets en vers d'une syllabe de Rességuier et Daudet ou des folies de Pommier, mais c'était une idée minimaliste. Rimbaud et Verlaine avaient fait des poèmes en vers d'une syllabe parce que d'autres en avaient fait avant eux. Le rapprochement s'en tenait là, et surtout Chevrier n'avait pas du tout cité l'article de Verlaine de 1865. J'ai demandé des explications une nouvelle fois, que je n'ai toujours pas eues.
Puis, après le livre de Teyssèdre, après le livre collectif La Poésie jubilatoire, après ces événements du côté de la revue Parade sauvage, il me fallut encore constater que l'Album zutique étant bien remis à la mode, mais essentiellement par mon fait, un volume en Livre de poche réunissant l'Album zutique aux Dixains réalistes fut écrit par Denis de Saint-Amand et Daniel Grojnowski. Ce dernier avait écrit un volume La Muse parodique, donc il était tout désigné pour cet ouvrage, mais j'ignorais alors qui était Denis de Saint-Amand. Or, Saint-Amand a publié un livre aux Editions Classiques Garnier intitulé Sociologie du Zutisme qui applique des méthodes de Bourdieu à l'analyse d'un cercle littéraire et ce livre est précédé d'une préface nous expliquant que jamais une entreprise aussi ambitieuse n'avait été tentée au sujet de l'Album zutique. Je possède ce livre, même si je ne l'ai pas encore lu, mais Saint-Amand était présent au colloque "Les Saisons de Rimbaud". Si le volume des actes du colloque ne contient pas son article, c'est qu'il a voulu le garder pour une autre publication. Et dans le Dictionnaire Rimbaud de 2021, suite à certaines entrées traitées par Benoît de Cornulier, mon article (toujours à paraître à l'heure actuelle) a été référencé dans la bibliographie de fin d'ouvrage.
Je vais donc comparer mon travail et les différents articles sur l'Album zutique du Dictionnaire Rimbaud des éditions Classiques Garnier.
Je fais déjà remarquer une chose. Saint-Amand a publié un livre Sociologie du Zutisme, il a commenté et annoté l'Album zutique dans le Livre de poche et enfin il a publié plusieurs entrées du Dictionnaire Rimbaud de 2021 qui portent donc sur le même sujet du "Zutisme". Pourtant, qui peut me citer un commentaire neuf et inédit d'un poème zutique par Saint-Amand ? Qui peut me citer une source qu'il aurait mise à jour ? Il reste alors cette question de "sociologie" que je vais mettre à son tour à l'épreuve. J'ajoute à cela une autre remarque. Saint-Amand a publié un livre qui s'intitule Sociologie du Zutisme et il a publié un article intitulé "Zutisme" dans le Dictionnaire Rimbaud. En revanche, j'ai dû me battre pour imposer la mention "Cercle du Zutisme" dans mes articles du volume collectif La Poésie jubilatoire et dans le prochain volume Les Saisons de Rimbaud j'ai constaté que cette leçon avait été systématiquement ramenée à la forme "cercle zutique".
Il n'y a pas un petit problème quelque part ? La mention "Cercle du Zutisme" figure en toutes lettres au début manuscrit de l'Album zutique. Elle n'est pas de l'écriture de Rimbaud, mais il l'a lue et ne l'a pas contestée. En fait, Pascal Pia et les rimbaldiens nés dans les années quarante, cinquante, soixante peut-être, imposent la norme "cercle zutique", comme si "Cercle du Zutisme" n'était pas du français correct. Moi, je veux bien que les gens nés dans les années quarante et cinquante aient une meilleure maîtrise de la langue que les gens nés dans les années soixante-dix et quatre-vingt. C'est un fait, et un fait qui ne va d'ailleurs qu'en empirant. Et on sait très bien que les articles de moi, de Christophe Bataillé, de Philippe Rocher vont souffrir de la comparaison avec les articles de générations qui ont vécu dans un moule d'apprentissage scolaire plus rigoureux et plus porté sur la maîtrise de la langue. La génération des années soixante-dix brille par ses capacités d'analyse hors-normes, mais pas par le style. Quand il rend compte sur son site du Dictionnaire Rimbaud, malgré les éloges, Alain Bardel né dans les années quarante ne manque pas de tacler la manière d'écrire d'Adrien Cavallaro qui doit être né à peu près dans les années quatre-vingt, sinon au début des années quatre-vingt-dix. Mais "Cercle du Zutisme", c'est une expression des contemporains de Rimbaud ! Et quand j'écris "Les Contemplations d'Hugo", et qu'on me corrige avec la forme "Les Contemplations de Hugo", si je vais contre un usage qui ne concerne que le grand poète romantique, je rappelle quand même des faits élémentaires. Hugo n'est pas d'origine allemande. Quand un enfant français se prénomme Hugo, on fait la liaison : "les devoirs d'Hugo". Je sais de quoi je parle, j'ai fait assez d'années dans l'enseignement pour m'en apercevoir. Mais, surtout, prenez les volumes collectifs du Parnasse contemporain, vous avez parfois des hommages au grand romantique, et je peux en citer un au moins de Philoxène Boyer qui dans ses alexandrins effectue la liaison "d'Hugo". Les gens du dix-neuvième siècle écrivaient-ils moins bien que les gens nés dans les années quarante et cinquante du vingtième siècle ? Parmi les membres de l'autoproclamé "Cercle du Zutisme", il y a Rimbaud, il y a Verlaine. En clair, deux des quatre ou six plus grands poètes français du dix-neuvième siècle. Il y a aussi Charles Cros qui n'est pas n'importe qui. Il y a Albert Mérat, reconnu en son temps. Il y a même Germain Nouveau qui a eu les honneurs d'une publication dans les collections de La Pléiade, et on peut citer encore les mentions de Richepin et Bourget.
Sans même s'en tenir aux gens nés dans les années quarante et cinquante, qui sont les grands poètes contemporains de l'enfance des vieux critiques rimbaldiens actuels ? Il y en a, mais la raréfaction était déjà bien avancée. Quels poètes ayant composé dans les années cinquante et soixante vont traverser les siècles ? Quels poètes ayant composé dans les années soixante-dix ? Et ainsi de suite. Nous avons quarante à soixante-dix ans de recul, non ? Où sont les grands romanciers français depuis le milieu des années soixante ? Qui va laisser un nom ? On a quarante ans à cinquante ans de recul, là encore, non ? En tout cas, il y a un usage qui tend à s'imposer : ne dites pas "Cercle du Zutisme", mais dites "cercle zutique". Mais ça vient d'où, cet usage ? On a découvert un Album zutique, alors pour le cercle on va dire "cercle zutique", et comme personne n'a fait l'effort de se servir de l'expression "Cercle du Zutisme", l'affaire est entendue. En-dehors de "cercle zutique", point de salut ! En revanche, l'emploi solitaire de Zutisme, pas de problème, ou mettre "zutisme" dans un complément d'un autre nom "Sociologie du Zutisme", pas de problème non plus. Mais "Cercle du Zutisme" ! Fi ! quelle hérésie ! Mais, ce qui a été écrit par les poètes concernés, c'est bien "Cercle du Zutisme", tandis que l'expression "cercle zutique" n'est tout simplement pas attestée (à moins que dix ans après, du côté de Charles Cros en 1883, mais je n'ai pas étudié la question). Et vu que le délire de nos poètes farceurs est parti sur l'expression "cercle du doigt partout", on peut même se demander si Rimbaud n'a pas prononcé quasi exclusivement "Cercle du Zutisme" et quasi jamais ou peut-être même jamais "cercle zutique". Mais, non, c'est l'usage formé dans les années 1940 et 1950 qui fait loi. Et pourquoi une expression devrait-elle faire loi ? Qu'est-ce que c'est que ce cirque ? Pour moi, la résonance n'est pas la même quand on emploie "Cercle du Zutisme" et "cercle zutique", parce que "cercle zutique" c'est tout neutre, c'est du tout bon pour l'école structuraliste, c'est du sans-vie. Je trouve ça impressionnant. On va lire la transcription de l'Album zutique : alors, prière d'éteindre son cerveau et de refuser toute impression à la lecture face au syntagme "Cercle du Zutisme". Est-ce un barbarisme ? Et dans la littérature l'expression choisie ne fait-elle pas sens en tant que telle ?
Qu'est-ce que c'est que ces blocages complètement insensés ?
Si la Littérature ne vit plus aujourd'hui, ce n'est pas par les assauts combinés du relâchement ("au final", "étude randomisée", "ça m'insupporte !") et de la rigidité froide protocolaire (cercle zutique, jargon, langue neutre et "observationnelle", etc.) ? Et les générations des années 1940 et 1950 n'étaient-elles pas prises dans un déclin qu'elles n'ont pas arrangé avec le problème de médiocre formation des générations qui leur succèdent ?
La suite au prochain numéro...
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