Je n'ai pas envie d'écrire en ce moment, c'est comme ça.
Il n'en reste pas moins que, depuis longtemps, je laisse de côté le cas du monostiche attribué à Ricard et transcrit par Rimbaud dans L'Album zutique.
Il ne s'agit pas d'une citation prise dans l'oeuvre de Ricard, mais j'ai lu les recueils de ce poète et j'ai relevé un certain nombre de vers qui entraient en résonance avec celui de Rimbaud, surtout à cause des mots clefs "Humanité" et "Progrès" et à cause de la métaphore de la marche appliquée au progrès.
Le meilleur de mes rapprochements a été cité dans l'édition de la Pléiade en 2009.
Quelques articles ont suivi.
Bruno Claisse a publié un article où il rappelle bien scrupuleusement que la découverte intertextuelle vient de moi, scrupule qu'il n'a pas eu au sujet de l'intertexte de Leconte de Lisle dans "Soir historique" qui vient aussi de moi et qui n'est qu'une partie des intertextes qui relient Leconte de Lisle à "Soir historique", soit dit en passant pour ceux qui veulent me prendre de la réserve inédite.
En attendant, la lecture de Claisse consiste à penser que Rimbaud se moque de la candide idéologie du Progrès de Louis-Xavier de Ricard, ce qui n'a pas satisfait Bernard Teyssèdre qui consacre dans son livre Rimbaud et le foutoir zutique quelques pages à ce monostiche en revenant sur l'article tout récent de Claisse, ce qui prouve encore une fois que ce livre a été rédigé dans l'urgence pour me faire barrage publiquement.
Mais, voici le monostiche :
"L'Humanité chaussait le vaste enfant Progrès."
On a une construction : sujet verbe COD, le verbe est à l'imparfait. Les seuls indices d'ironie seraient dans l'emphase de l'adjectif "vaste" et de l'apposition "enfant Progrès".
Il y a longtemps déjà, Jean-Pierre Chambon a fait remarquer le cafouillage. Le verbe "chaussait" peut signifier "mettre des chaussures à quelqu'un" ou bien "se servir de quelque chose comme d'une chaussure". Il y aurait là une équivoque sexuelle. L'allure ampoulée du vers favorise d'ailleurs cette lecture d'une Humanité qui met son pied dans un enfant, plutôt que celle plus posée et cadrée d'une Humanité qui mettrait des chaussures aux pieds d'un géant. Un troisième sens moins défendable serait de lire que l'humanité est la chaussure de l'enfant Progrès, l'Humanité se faisant marcher dessus.
Le deuxième sens a l'air le plus logique, mais le premier sens obscène est favorisé par le contexte d'une transcription dans un Album zutique.
Si on laisse de côté la recherche parodique, le monostiche est à l'imparfait. L'Humanité chaussait le vaste enfant Progrès, donc maintenant elle ne le chausse plus. Et la question à se poser ensuite, c'est à quel moment "L'Humanité chaussait le vaste enfant Progrès", est-ce qu'elle le chaussait du temps de la Commune, pendant l'une ou l'autre Révolution, pendant un court laps de temps dans la vie politique ?
Il me semble que le couperet de la Semaine sanglante explique l'imparfait. Et si on continue de laisser de côté l'idée comique, nous aurions la formulation d'un regret, d'une souffrance causée par la ruine des espoirs du côté de l'insurrection communaliste.
Le monostiche ne va pas sans moquerie à l'égard de la pensée de Ricard, mais une moquerie non sans sympathie pour ce réfugié communard ami de Verlaine. Il a un aspect d'autodérision. Et, en effet, l'association "Humanité", "Progrès" et métaphore d'une marche du progrès, vrai en avant providentiel, est courante, excède l'oeuvre de Ricard, et surtout si nous oublions la question des vers et des alexandrins nous pourrions trouver bien d'autres sources aux vers de Rimbaud.
Par exemple, le principal modèle pour l'insurrection communaliste, ce n'est même pas Proudhon, ce serait non pas Proudhon, mais Blanqui.
Blanqui a passé une grande partie de sa vie en prison. Il s'est fait connaître dès la Révolution de Juillet 1830, il a fait parler de lui à plusieurs reprises ensuite, et pas seulement lors de la révolution de 1848. Pour la Commune, s'il était incarcéré au moment de l'événement, il a eu une participation clef en amont avec son action à la fin de l'année 1870 et la publication de son journal La Patrie en danger.
Dans les textes des années 1830 que nous avons pu consulter de Blanqui, l'association "Humanité", "marche", "progrès" revient dans un certain nombre de phrases. Il s'agit clairement d'un article de foi révolutionnaire repris par Ricard.
Je prépare une étude sur les textes de Blanqui. Je voulais citer à l'instant les phrases à rapprocher du monostiche de Ricard, mais voilà j'ai égaré ce livre, je dois remettre la main dessus. Les citations viendront plus tard.
Je prépare une étude sur les textes de Blanqui. Je voulais citer à l'instant les phrases à rapprocher du monostiche de Ricard, mais voilà j'ai égaré ce livre, je dois remettre la main dessus. Les citations viendront plus tard.
Selon moi, le monostiche attribué à Ricard est un peu ambivalent. Il exprime un regret et, en même temps, met à distance la flamme qui portait cette aspiration par de l'autodérision. De mémoire, la lecture de Claisse considère la parodie de Rimbaud comme opposant un Rimbaud lucide à la niaiserie de la foi communaliste de Ricard. Cela me paraît outré comme vision. C'est pour cela que je patiente et que j'essaie de trouver les éléments qui justifieront mon approche plus nuancée.
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