dimanche 30 mars 2025

"Roman" de Rimbaud, et de Banville, et de Musset, et de Coppée et des autres...

Dans le Dictionnaire Rimbaud des Classiques Garnier paru vers 2021, la notice au sujet du poème "Roman" a été confiée à Christophe Bataillé qui est, selon moi, celui qui, justement, a publié l'étude de référence sur le poème en question. Elle avait été l'une des premières publications de Bataillé et peut toujours prétendre être demeurée sa meilleure prestation. De mémoire, son article avait deux qualités particulières. Premièrement, il identifiait le cadre de la ville de Douai au sein du poème en relevant l'allusion semi-implicite à l'activité brassicole :
Le vent chargé de bruits, - la ville n'est pas loin, -
A des parfums de vigne, et des parfums de bière...
Deuxièmement, il soulignait que le vers qui lance (vers 1) et presque clôt (vers 31) le poème : "On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans[,]" est sans doute interprété à contre-sens par le public puisqu'on attribue à ce vers en général un esprit d'autodérision, quand Bataillé reconnaît la formule toute faite de l'adulte qui juge la jeunesse.
Toutefois, avec Rimbaud, il est délicat d'identifier les registres, le point de vue défendu, etc. Des débats interminables jalonnent les études rimbaldiennes : "Il faut être absolument moderne", "le dormeur" qui est mort ou qui se régénère dans le soleil, le salut à la beauté, la chute au bas du bois avec l'aube, et même le don des étrennes. Ceci dit, ma lecture rejoignait spontanément celle défendue par Bataillé. Je n'identifiais pas dans le poème une autodérision complaisante. Je ne voyais pas le poète se reprocher à lui-même le comportement du poète décrit dont rappeler qu'on dit de lui qu'il a "mauvais goût" et dont les sonnets suscitent plutôt le rire que l'admiration chez celle qui les inspire.
La lecture traditionnelle n'arrivait pas à s'imposer à moi, et j'étais assez heureux de rencontrer donc le son de cloche particulier de l'article de Bataillé qui s'était emparé du cliché de sagesse des vieux identifiable dans le célèbre et apparent slogan : "On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans." Ce vers était censé illustrer le plaisir de l'insouciance, alors qu'il formulait un mépris bougon. Le "On" était transformé en "je" qui communie avec le monde, alors que c'était peut-être plutôt le "on" impersonnel de la sentence.
Ma lecture va dans le sens des deux éléments soulignés plus haut, puisque, à la lecture des biographies de Rimbaud, je me suis rendu compte que quand Rimbaud composait ce poème il était délaissé par le poète Paul Demeny qui courtisait une jeune fille qui elle avait précisément les dix-sept ans du poème. Et le sel de l'histoire, c'est qu'au moment où Rimbaud compose ce poème, Paul Demeny a mis enceinte cette jeune fille, ce qui va précipiter un mariage auquel se réfère d'ailleurs Rimbaud lui-même quand il parle du motif de la "sœur de charité" dans sa lettre du 17 avril 1871.
Demeny pourrait être la source d'inspiration du mauvais poète mis en scène dans "Roman", avec une réduction ironique au carré en le ramenant aux dix-sept ans de la jeune fille courtisée. Et Rimbaud a composé le poème "Les Sœurs de charité" en juin 1871, c'est-à-dire au moment de la naissance de l'enfant de Paul Demeny et au moment de sa dernière lettre connue à celui-ci, la lettre du 10 juin 1871 qui contient notamment "Les Poètes de sept ans".
Je vois des liens profonds et méconnus dans tout cela qui relient la composition de "Roman" à celle des "Sœurs de charité". Et je ne saurais m'arrêter en si bon chemin.
Le poème "Roman", daté sur le manuscrit du 29 septembre 1870 est d'un peu plus d'un mois postérieur au poème "Ce qui retient Nina" qui, remanié, devient "Les Reparties de Nina" dans le dossier remis à Demeny, et ce mode de quatrain donnera "Mes Petites amoureuses" dans la lettre à Demeny du 15 mai 1871. Et "Roman" est aussi de peu antérieur aux sept sonnets dits du "cycle belge" parmi lesquels figurent "Rêvé pour l'hiver", "Au Cabaret-vert", "La Maline" et "Ma Bohême".
Je vois des liens tout aussi profonds entre ces compositions.
Et j'allonge cette série par le rappel des trois poèmes envoyés à Banville dans une lettre du 24 mai 1870 : "Par les beaux soirs d'été...", "Credo in unam" et "Ophélie".
Et le lien entre "Roman" et la lettre à Banville du 24 mai pourrait contredire mes choix d'interprétation mentionnés plus haut, puisque dans la lettre à Banville Rimbaud prétend qu'il a "dix-sept ans", ce qui revient à dire que si Rimbaud avait envoyé à Banville le poème "Roman" nous aurions eu ce qu'on peut appeler une conformité d'âge littéraire entre la lettre du 24 mai et le nouveau poème "Roman". Le vers 1 de "Roman" : "On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans", entre clairement en résonance avec le début de la première lettre à Banville : "Nous sommes aux mois d'amour ; j'ai dix-sept ans. L'âge des espérances et des chimères, comme on dit [...]". Tout y est, l'influence sur les croyances des mois printaniers, le tour impersonnel du "on" dans une formule proverbiale : "comme on dit", les "dix-sept ans", le manque de sérieux des "chimères". Les comparaisons ne s'arrêtent pas là. Dans sa lettre, Rimbaud dit qu'il aime en Banville, "bien naïvement, un descendant de Ronsard", ce qui est à rapprocher de la jeune fille qui s'amuse du jeune qu'elle trouve "immensément naïf". Il faut y ajouter la série de mentions affectées à partir de l'adjectif "bon" : "bonnes croyances", "le bon éditeur", "tous les bons Parnassiens". Le jeu d'équivoque grammaticale du vers 5 de "Roman" s'avère la reprise de cette petite accentuation peu anodine :
 
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
 J'ai déjà signalé que le premier hémistiche de l'alexandrin que je viens de citer était repris à un second hémistiche d'un poème des Intimités de François Coppée, sachant que plusieurs autres réécritures des premiers recueils de François Coppée ont déjà été identifiées par divers rimbaldiens dans les poèmes de l'année 1870. Il convient de citer intégralement le poème IX des Intimités dans la mesure où il offre un contraste saisissant avec ce qu'on croit savoir de la fadeur de Coppée, de la légèreté du poème "Roman" de Rimbaud, tout en contenant des éléments de comparaison avec "Vénus anadyomène" :
 
A Paris, en été, les soirs sont étouffants.
Et moi, noir promeneur qu'évitent les enfants,
Qui fuis la joie et fais, en flânant, bien des lieues,
Je m'en vais, ces jours-là, vers les tristes banlieues.
Je prends quelque ruelle où pousse le gazon
Et dont un mur tournant est le seul horizon.
Je me plais dans ces lieux déserts où le pied sonne,
Où je suis presque sûr de ne croiser personne.
Au-dessus des enclos les tilleuls sentent bon ;
Et sur le plâtre frais sont écrits au charbon
Les noms entrelacés de Victoire et d'Eugène ;
Populaire et naïf monument, que ne gêne
Pas du tout le croquis odieux qu'à côté
A tracé gauchement, d'un fusain effronté,
En passant après eux, la débauche impubère.
 
Et quand s'allume au loin le premier réverbère,
Je gagne la grand'rue, où je puis encor voir,
 Des boutiquiers prenant le frais sur le trottoir,
Tandis que, pour montrer un peu ses formes grasses,
Avec leur prétendu leur fille joue aux grâces.
 
 Les points de comparaison sont nombreux avec "Roman" : "les soirs" contre "Un beau soir" et ""Ce soir-là", la périphrase "noir promeneur qu'évitent les enfants" est quelque peu inversée avec le jeune de dix-sept ans qui fuit les cafés tapageurs". Le jeune est le promeneur et il ne vise pas la tristesse méditative. L'écho rimique à l'hémistiche entre les deux poèmes "promeneur" et "tapageurs" est peut-être lié à la genèse de la création rimbaldienne, du coup ! Le motif du "réverbère" est commun aux deux poèmes. Nous avons dans les deux cas des idées de mariage de convenance : "prétendu de la "fille" des "boutiquiers" contre la fille du père au "faux-col effrayant" qui daigne écrire à son amant. Nous retrouvons dans les deux cas le basculement de l'amour naïf à des émotions plus triviales. Chez Coppée, nous avons une succession d'un dessin obscène et d'une pose vulgaire de séduction pour la fille de boutiquiers. Chez Rimbaud, nous avons le reproche des amis, celui de "mauvais goût", puis la fuite de celui qui ne veut rien assumer : "vous rentrez aux cafés éclatants", à moins que vous ne lisiez ce retour comme le contentement de l'amoureux.
L'hémistiche "Les tilleuls sentent bon" est la pièce maîtresse du rapprochement et accompagne une symétrie de déplacement du promeneur : banlieues de Paris contre le lieu de promenade à proximité d'une ville non nommée. Mais, si vous prenez la peine de lire le poème suivant X des Intimités vous découvrez une source à la suite du second quatrain de "Roman". Après les "tilleuls", l'idée du "vent chargé de bruits" vient aussi de ce mince recueil de Coppée :
 
Au loin, dans la lueur blême du crépuscule,
L'amphithéâtre noir des collines recule,
Et, tout au fond du val profond et solennel,
Paris pousse à mes pieds son soupir éternel.
Le sombre azur du ciel s'épaissit. Je commence
A distinguer des bruits dans ce murmure immense,
Et je puis, écoutant, rêveur et plein d'émoi,
Le vent du soir froissant les herbes près de moi,
Et, parmi les chaos des ombres débordantes,
Le sifflet douloureux des machines stridentes,
[...]
Voir la nuit qui s'étoile et Paris qui s'allume.
La parenthèse de Rimbaud : "- la ville n'est pas loin, -" est un raccourci d'inspiration tirée de ce passage que nous venons de citer de François Coppée.
Même si cela se dilue, d'autres éléments sont à rapprocher. Le poème X parle du "pays bleu" dont rêve l'âme. Nous savons que l'hémistiche "par les beaux soirs d'été" présent chez plusieurs poètes apparaît dans le premier recueil Le Reliquaire de Coppée et que l'amélioration "Par les soirs bleus d'été" s'inspire d'un vers d'Albert Mérat, mais cette mention de "pays bleu" pour l'âme donne du sens à la variante de Rimbaud. Le poème XI cite des lectures favorites pour les femmes : Sainte-Beuve, Musset et Baudelaire, et les poèmes XI et XII montrent le poète qui s'énerve du mépris du public en train d'être consolé par la femme, ce qui contraste avec l'expression de Rimbaud : "Vos sonnets La font rire". Et après un emploi au pluriel "adorés" pour parler des poètes au poème XII, nous avons l'emploi nominal "l'adorée" au poème XV :
 
J'imagine déjà la saveur indicible
Du livre qu'on ferait près du foyer paisible,
Tandis qu'une adorée, aux cheveux blonds ou noirs,
Promènerait les flots neigeux de ses peignoirs
Par la chambre à coucher étroite et familière,
Pour allumer la lampe et remplir la théière.
Ce poème XV offre la reprise en boucle de l'idée de naïveté de son premier vers : "Au fond, je suis resté naïf [...]" à sa phrase finale : "Les naïves blancheurs [...]". Et comme vous aurez remarqué que les poèmes que je cite ne sont pas sans ressemblances en idée avec les contributions zutiques de Rimbaud, signalons que le poème XV fournit une source à un dizain ultérieur de Rimbaud : "Timides sous les yeux ardents des connaisseurs," tandis que le vers 3 exhibe le mot "chimère" à la rime. Le poème XVI offre au troisième vers une mention frappante pour nous qui méditions "Roman" du mot "chiffon" :
 
L'autre soir, en parlant à cette jeune fille
D'un rien, du chiffon que brodait son aiguille,
Du ruban que parmi ses nattes elle avait,
Vain prétexte pour mieux admirer le duvet
Des petits cheveux blonds frisant près de l'oreille
[...]
 Le "chiffon" est un attribut de la séduction féminine dans les deux poèmes. Coppée exhibe un rejet à l'entrevers qui souligne avec dérision la valeur de ce chiffon, "D'un rien", et Rimbaud joue avec cette idée de rien en en faisant un point indistinct à l'horizon qui n'en est pas moins un infini :
- Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon
D'azur sombre, encadré d'une petite branche,
Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche...
Rimbaud a abusé des répétitions simples : "petit", "tout"."toute". L'adjectif "petits" au pluriel figure dans notre citation ci-dessus de Coppée, lequel affectionne aussi l'adjectif "doux" et l'adjectif "bon". Et le poème XVI est le dernier du recueil Intimités, et il faut ici insister sur le petit récit que constitue ce poème. Dans "Roman", le poète "un soir" se rend à la promenade et s'éprend d'une femme, mais celle-ci lui écrit et sans que rien ne soit expliqué clairement au lecteur nous apprenons moins la suite et éventuellement fin de l'idylle que le retour du jeune de dix-sept ans aux cafés dont il disait avoir assez. Nous sommes parmi les lecteurs qui considèrent qu'entre les lignes l'adorée a voulu bourgeoisement normaliser la relation avec épousailles et mariage à la clef, puisque père au "faux-col effrayant" il y a derrière.
Dans le poème XVI des Intimités, le poète décrit une soirée où il a eu un "rêve fou", il a vu la jeune fille comme une "blanche épouse" à son bras, imaginant déjà le "frais intérieur" et un "enfant rieur". C'est la suite qui est intéressante pour nous, l'illusion a duré peu de temps et le poète se reproche ensuite un "bon rêve" en s'appliquant à guérir de cette rechute dans la fièvre d'amour :
 
Et cette impression qu'elle m'avait donnée
Dura le lendemain toute la matinée,
Si bien que j'espérais presque un amour naissant.
 
Le bon rêve ! j'étais comme un convalescent
[...]
Il songe au tout prochain retour des hirondelles.
Revenons à présent au poème de Rimbaud. Le poète ne parle pas en son nom. Le vouvoiement fait tenir le rôle de l'amoureux de dix-sept ans au lecteur, Paul Demeny étant en principe le premier d'entre eux au plan du manuscrit unique qui nous est parvenu.
 
Vous êtes amoureux. [...]
 L'avant-dernier quatrain est un condensé d'ironie : "Vous êtes amoureux", répété d'un vers à l'autre, la formule : "Loué jusqu'au mois d'août", l'expression qui met de la distance : "l'adorée", et puis cette cascade de remarques un peu acides tout de même : "Vos sonnets La font rire", "vous êtes mauvais goût", "a daigné vous écrire".
La lecture du quatrain final est assez libre. Le jeune de dix-sept ans, une fois qu'il a une femme concrète à aimer, renonce à la promenade et retourne aux cafés... où sont les amis, mais alors il y a un changement d'humeur à tout le moins, ou bien le jeune a fui la demande écrite de l'adorée qui était trop sérieuse.
Le poème "Roman" est composé de quatre parties numérotées, quatre fois deux quatrains de rimes croisées. La partie III est le chef-d’œuvre de l'ensemble.
Le cœur fou Robinsonne à travers les romans,
- Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l'ombre du faux-col effrayant de son père...

Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte, et d'un mouvement vif...
- Sur vos lèvres alors meurent les cavatines...
Pour le chercheur rimbaldien, les mots "Robinsonne" et "cavatines" sont des marqueurs essentiels : où Rimbaud les a-t-il rencontrés pour songer ensuite à s'en servir ici ? Il y a deux modèles littéraires à dénicher. Mais ce n'est pas ce qui va nous retenir ici. Nous parlerons plus tard de l'occurrence du nom "romans" à la rime. Ce que nous voulons signaler à l'attention, c'est la performance esthétique de ces vers. Notez que "petits airs charmants" coïncide avec la structure du groupe nominal de Coppée relevé plus haut : "petits cheveux blonds". Cependant, les ressources d'écriture personnelles de Rimbaud prennent ici une dimension admirable que n'a pas manqué de souligner Jean-François Laurent dans sa "Note" au poème dans l'édition du centenaire "Oeuvre-Vie" dirigée par Alain Borer (Arléa, 1991). Le commentaire est succinct, mais voici ce qu'écrit Laurent au sujet des vers 22-23 du poème : "les allitérations et le rythme suggestif classent ces vers parmi les plus réussis du poème." Laurent souligne l'allitération en [t] : "Tout en faisant trotter ses petites bottines, / Elle se tourne, alerte," et il souligne aussi l'ampleur du rythme dans l'hémistiche en suspens : "et d'un mouvement vif..." Je trouve que Laurent est assez réducteur à s'en limiter aux vers 22-23 et aux effets prosodiques. C'est une scène sur un ensemble de sept vers qui est ici admirable. On a droit à une image de lumière faible qui fait contrepoint aux éléments de la partie II : "la clarté d'un pâle réverbère", puis un balancement contrasté divin entre la charmante demoiselle qui passe et le "faux-col effrayant" du père résumé à cet attribut vestimentaire que souligne déjà de superbes allitérations mêlées en "r", en "s" et en "f" : "Sous l'ombre du col effrayant de son père", les voyelles nasales et l'encadrement du "è" dans le second hémistiche renforçant tout leur impact. Quant au rythme, Laurent ne devrait pas dissocier le vers 21 du second hémistiche du vers 23 : "Et, comme elle vous trouve immensément naïf," / "et d'un mouvement vif," car le rythme des vers 22 et 23 est clairement solidaire du vers 21 comme le montre assez la rime en "-if" et l'écho de terminaisons de mots en "-ment" : "immensément" adverbe et "mouvement" nom, ainsi que la reprise du "et".
Et il est dommage de se priver du dernier vers du quatrain qui donne tout son prix à la suspensions du vers 23. La rime "bottines"/"cavatines" a son prix.
Ce sont les sept vers les plus prodigieux de l'ensemble du poème, même s'il y a d'autres temps forts et traits de génie.
Pour moi, la scène décrite n'est pas compatible avec l'idée d'un poème d'autodérision. Et c'est pourtant le centre même de la composition.
En 1991, Laurent soulignait déjà que tout cela n'était pas "dénué d'un regard critique". Le lecteur était "interpellé" par un "On" puis par les "Vous". Le critique relevait que l'amoureux s'essayait sans grand succès à jouer au poète. Et il remarquait qu'il y avait une idée de pression sociale du père, des amis, qui perturbait "l'entreprise amoureuse". Cependant, en confrontant les lectures habituelles qui étaient faites du poème, Laurent demeurait dans l'idée d'une pièce représentative idéalement de toute expression d'amour adolescent. Il y voyait une note juste :
 
A la fois récit et réflexion sur ce récit, Roman offre une image possible de tout amour adolescent.
    [...]
   Pour certains commentateurs, le poème manquerait de sincérité et de profondeur. Nous avouons à l'inverse trouver dans cette peinture des premiers émois, avec leurs joies et leurs difficultés, l'expression, brillamment versifiée, de la sensibilité et de la pudeur adolescentes.
Le problème, c'est que le poème contient des non-dits comme l'admet Laurent et du coup il devient un peu délicat de prétendre identifier les "joies" et les "difficultés", "la sensibilité" et "la pudeur" du personnage convoqué.
Dans l'optique de Laurent, il y a une description fine des sentiments adolescents même s'il y a une distance critique qui est prise et le critique pense s'opposer à des lecteurs qui trouvent l'exposé assez artificiel, assez bouffon pour le dire autrement. Or, avec son article paru en 2000 dans la revue Parade sauvage, Christophe Bataillé soulignait que la distance critique virait au satirique et que le côté bouffonnant était un persiflage d'une attitude dont le poète ne voulait probablement pas pour lui-même. Avec la diérèse qui fait lire de manière ardennaise l'adjectif "sérillieux", le vers : "On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans[,]" était l'expression d'une sagesse des nations répercutée par les adultes et que quelque part le jeune de dix-sept ans intériorisait en soumission à ce cadre moral. Les adultes consentent à ce que jeunesse de passe, le jeune de dix-sept ans est moins un rebelle que quelqu'un qui profite d'une étape de la vie où l'insouciance lui est autorisée.
Maintenant, tout l'enjeu est de lire le poème "Roman" en départageant les plans d'analyse. D'un côté, il est certain que Rimbaud se projette pour partie dans son personnage de dix-sept ans qui écrit des vers et qui est frivolement en émoi amoureux. De l'autre, il y a une charge satirique qui tord le cou à l'idée d'un autoportrait.
Rimbaud revendiquait la jeunesse comme printemps de la vie dans sa lettre à Banville quelques mois auparavant et il se donnait précisément "dix-sept ans" comme âge littéraire. Il est d'autres récits amoureux dans les poèmes de 1870, certains mettant en scène le "je" du poète : "Comédie en trois baisers", "A la Musique", "Rêvé pour l'hiver", "Au Cabaret-vert", "La Maline". Le poème "Credo in unam" peut d'évidence rejoindre cet ensemble et "Ophélie" dans sa transposition au féminin. Aucun de ces poèmes n'est satirique comme l'est le morceau intitulé "Roman". En revanche, le poème "Ce qui retient Nina" qui lui est nettement satirique met à distance le "Je" qui s'exprime par une didascalie initiale "Lui". Je n'est pas moi, nous dit l'autre. Et puis il ne faut pas oublier Un cœur sous une soutane et les poésies naïves et sensuelles du séminariste Léonard. On peut spéculer sur l'effet de la réponse de Banville à la lettre du 24 mai 1870. Notons que "Ce qui retient Nina", composition d'un mois antérieur à "Roman", s'inspire de la préface de Glatigny, disciple de Banville, à la réédition de trois de ses œuvres par l'éditeur Lemerre cette année 1870 même. Glatigny taxe ses premiers recueils de poésies de jeunesse qu'il ne saurait refaire ayant atteint la maturité d'un adulte. Et cela suppose d'opposer le Fortunio jeune de Musset au Fortunio bourgeois positif d'Offenbach.
Evidemment, Rimbaud ne prend pas la parole pour s'identifier à un bourgeois positif d'âge mûr. Et j'insiste sur ce point dans mon article. Je parlais de la difficulté d'identifier l'ironie, la distance critique du poète quand il s'énonce en vers. Parle-t-il en son nom ou non ? Que sous-entend-il ? Ces problèmes de compréhension se posent sans arrêt dans le cas de Rimbaud, dans la mesure où il n'expose pas de manière rhétorique univoque la thèse qu'il défend, dans la mesure aussi où ses poèmes ne sont pas des développements personnels sur des cadres obligés. Je soulignais tout à l'heure comment un poème de Coppée peut être une source pour "Roman" alors que les intentions sont divergentes, et je dis bien divergentes et non contraires.
Revenons donc aux éléments qui permettent de cerner les filiations.
Les recueils de Glatigny sont intéressants à interroger, il y figure un rondeau notamment avec la mention "bottine(s)" à la rime. Mais il est temps d'en venir à la mention "romans"à  la rime au vers 17, qui a un statut médian inévitable dans une composition en 32 alexandrins.
Rimbaud développe une idée qui traverse tout le siècle. Dans Madame Bovary, Flaubert reprenait un cliché qui figurait déjà dans Indiana de George Sand et dans bien d'autres romans encore, un thème donquichottesque de la femme qui rêve l'amour à partir de ses lectures de romans.
Je n'ai pas effectué de recherches sur la forme verbale "Robinsonne", je sais que des solutions ont été proposées, notamment des sources possibles qui ont été exhibées par Alain Chevrier. Je n'ai pas effectué de recherches non plus du côté des "cavatines". En revanche, j'ai du solide au sujet de la mention "Roman" en tant que titre du poème. Il va de soi que le titre du poème signifie que farci de lectures qui l'ont rendu niais le jeune homme vit ce qui lui arrive d'insignifiant comme un roman, et il va de soi que la brièveté du poème souligne avec ironie la minceur romanesque de l'aventure.
Mais, il y a deux sources évidentes au titre de Rimbaud.
Le 25 août 1870, Rimbaud a envoyé une lettre à son professeur Izambard qui, visiblement, était enrichie du manuscrit de "Ce qui retient Nina". Le poète y décrit comme un spectacle "effrayant" les "épiciers retraités qui revêtent l'uniforme", avant-goût du "faux-col effrayant" du père de la demoiselle, et on pourrait aller jusqu'à confronter les "bottes" aux "bottines". Le poète rêve alors de "promenades infinies" et de "bohémienneries". Rimbaud explique dans cette lettre avoir dévoré la bibliothèque de la chambre du professeur Izambard, lisant au passage le célèbre Don Quichotte de Cervantès qui a pour sujet les dangers de la lecture des romans. Rimbaud fait ensuite allusion aux vers qu'il envoie avec cette lettre au professeur, en principe "Ce qui retient Nina", puis il cite des vers de la poétesse Louisa Siefert qui intéressait Izambard. Notons toutefois que Rimbaud revendique en même temps avoir fait découvrir la poétesse à Izambard. Il y a une amorce réciproque ici. Rimbaud s'est intéressé à la poétesse au point d'en faire connaître le dernier recueil à Izambard ("quand je vous ai prêté ses derniers vers") et cette séduction a opéré sur le professeur ("[vous aviez] l'air de vouloir connaître Louisa Siefert"). En clair, Rimbaud possédait un recueil plus récent de 1870, soit L'Année républicaine, soit Les Stoïques, et cette lecture fut commune à Rimbaud et Izambard avant août 1870. Au moment où Izambard s'éloigne de Charleville, Rimbaud se procure "des parties" d'une réédition du premier recueil de Louisa Siefert, Les Rayons perdus, réédition qui contient une préface de Charles Asselineau à laquelle Rimbaud emprunte dans sa lettre. Le recueil datait de 1868 et Rimbaud parle de "parties", ce qui semble désigner un ouvrage en lambeau, bien que récent. Rimbaud y admire une pièce qu'il dit "fort belle" et "très émue" qui s'intitule "Marguerite", et il en cite plusieurs vers. La poétesse admire sa cousine nommée "Marguerite" et se prend à rêver qu'elle puisse être son propre enfant. Seulement, la poétesse est en deuil de son amant et considère avoir perdu tout avenir et donc tout espoir de devenir mère. Il y a un jeu de succession habile à la rime du mot "mère" au familier "maman" dans l'extrait cité par Rimbaud, une chute ramassée à la manière quelque peu de certains poèmes de Coppée : "Ma vie,  à dix-huit ans, compte tout un passé." Et puis, surtout, avec cette mention des "dix-huit ans" si proche des "dix-sept ans"du "Roman" de Rimbaud, on ne peut manquer de relever les vers suivants qui, d'évidence, participent de la genèse du poème du 29 septembre 1870 remis à Demeny :
 
C'en est fini pour moi du céleste roman
Que toute jeune fille à mon âge imagine...
 Soit consciemment, soit involontairement, Jean-François Laurent était sous l'influence de ces deux vers quand il disait voir dans "Roman" une description juste de la sensibilité de tout adolescent amoureux, d'autant que dans sa "Note" Laurent imite aussi l'emploi de "elle vous trouve immensément naïf" quand il écrit : "j'avoue trouver..."
Voilà pour ma première preuve qui vous invite au passage à ne pas vous contenter de la lecture du recueil au titre beuvien Les Rayons perdus, puisque Rimbaud revendique la lecture de "ses derniers vers", ce qui renvoie plutôt à un dernier recueil qu'à une publication en revue. Rimbaud avait lu soit Les Stoïques, soit L'Année républicaine, et il y a peut-être des choses à glaner dans ces recueils.
Passons maintenant à notre deuxième source capitale, mais après un détour du côté de la notice de Bataillé au poème "Roman" pour le Dictionnaire Rimbaud dirigé par Vaillant, Frémy et Cavallaro.
Prenant le parti de la lecture satirique signalé plus haut à l'attention, le mauvais poète de dix-sept ans refusant le mariage bourgeois et préférant renoncer à son amour en retournant à l'ivresse simple des cafés,  Bataillé écrit ceci :
 
   Ce texte n'est pas sans faire penser à une fable ou un conte, avec son ouverture si caractéristique, "- Un beau soir", et bien sûr son antimorale liminaire (v. 1) reprise en conclusion (v. 31), qui prend ainsi à contre-pied et de manière polémique la finalité même des genres moraux. [...]
Je me méfie de cette façon de thèse universitaire sur les genres. Le poème ne revendique pas être un conte ou une fable, mais un roman. Du coup, il est un peu délicat d'identifier la sentence reprise en boucle des vers 1 à 31 en dérobade à la visée moralisatrice des contes ou des fables. Mais on va le voir l'allusion au genre du conte à aussi du sens. Bataillé enchaîne ensuite sur l'idée déjà émise par Laurent que les quatre parties numérotées sont un peu les quatre chapitres qui structurent un roman dérisoirement bref. Rimbaud parodierait les romans d'éducation sentimentale, selon Bataillé. Là encore, je suis réservé puisque l'ironie sur les mauvaises lectures de romans datent du Don Quichotte de Cervantès et que Rimbaud ne parodie certainement pas Indiana, Madame Bovary et d'autres romans du dix-huitième ou du dix-neuvième siècle qui font état des dégâts des lectures de jeunesse sur la sensibilité amoureuse de femmes voulant échapper à leur vie médiocre.
Et puis, je ne peux manquer de citer cette fin de la notice :
 
[...] Enfin, intituler Roman un poème en vers, c'est peut-être aussi pour Rimbaud dénoncer la poésie de son temps - songeons à celle de Musset ou Coppée - qui n'est encore le plus souvent, comme il le déclarera dans sa lettre du 15 mai 1871, que de la "prose rimée".
Là encore, je suis réservé. L'idée de rapprocher l'expression "prose rimée" du titre "Roman" de cette pièce en vers de 1870 me paraît une liaison subtile qui ne correspond pas aux véritables visées de Rimbaud en choisissant ce titre. Et puis, je ne comprends pas cette obstination de présenter son poète préféré, Rimbaud, Baudelaire ou un autre, comme plus intelligent que tout le monde. Musset et Coppée n'ont pas attendu Rimbaud pour se faire une idée du jeune qui prend la réalité pour le rêve d'idéal qu'il entretient en lui-même. Coppée est divergent, mais il critique lui-même dans ses poésies les illusions de l'amour de jeunesse. Il suppose que plus vieux on est censé y résister mieux comme nous l'avons pu apprécier dans des citations faites plus haut. Et cela vaut pour Musset. Mais ça va plus loin.
Musset est l'auteur célèbre de contes en vers avec numérotation des strophes : "Mardoche", mais aussi "Namouna" et "Rolla". Il est dangereux d'affirmer qu'avant le 15 mai 1871 Rimbaud trouvait réellement exécrable les vers de Musset, non pas parce qu'il réécrit des vers de "Rolla" dans "Credo in unam" et parce qu'il reprend la strophe de la "Chanson de Fortunio" dans "Ce qui retient Nina" et "Mes petite amoureuses," mais parce que Rimbaud est un admirateur de Banville, lequel, vantant la poésie de Musset, témoigne en être un disciple.
Le troisième poème des Cariatides intitulé "Stephen" reprend le principe de "Mardoche" avec une numérotation de strophes qui sont des dizains de rimes plates. Puis, au milieu du deuxième des trois livres qui constitue Les Cariatides dans l'édition originale, Banville y revient avec la section "Ceux qui meurent et ceux qui combattent. Episodes". La pièce "Ceux qui meurent" est composée en sizains numérotés, rappel évident des contes en vers de Musset qui avait poursuivi dans cette veine après "Mardoche", et précisons cruellement que Banville n'a clairement pas le niveau de Musset à ce jeu-là, ce dont Rimbaud ne pouvait certainement pas manquer de se rendre compte.
Je cite le début de la pièce "Ceux qui meurent" :
 
Ce que je veux rimer, c'est un conte en sixains.
Surtout n'y cherchez pas la trace d'une intrigue.
L'air est sans fioriture et le fond sans dessins.
[...]
 Il n'y a pas le contrepoint ironique de la brièveté chez Banville et Musset, mais il y a l'idée d'un creux littéraire plus superficiel propice à tous les persiflages. Couplant les quatrains par deux, "Roman" a à voir avec "Mardoche", "Namouna", "Stephen" ou "Ceux qui meurent".
Dès le troisième sizain de "Ceux qui meurent", Banville lance l'idée du poète qui passe pour un bouffon quand son âme est profonde. Entre les chutes des sizains IV et VI, il y a une tension entre les "gens d'esprit" et le poète "homme de génie". Cette problématique ne transparaît pas dans le poème de Rimbaud, mais puisque "Roman" fait partie de poèmes de Rimbaud où se développe l'attention pour les rejets d'une syllabe, je me permet de mentionner ces vers du sizain IX :
 
Lorsqu'un livre sincère est presque à moitié fait,
On sent qu'on a besoin d'air et qu'on étouffait.
On va se promener en courant par la ville,
[...]
 Je relève le rejet après l'hémistiche du complément "d'air", ce qui nous fait un calembour métrique bien senti en contexte, puis l'emploi du pronom "on" à deux reprises, une première fois avec la formule "On sent" et une deuxième fois avec la structure verbale : "On va se promener". Tout cela se retrouve dans "Roman" de Rimbaud...
 
- On va sous les tilleuls verts de la promenade.
 
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
 
 Le rejet de l'adjectif "verts" comparable au complément "d'air" du vers de Banville se fond dans un vers où nous allons de l'expression "On va" au nom à la rime "promenade" de la famille du verbe "promener", et je me permets alors le rapprochement plus accessoire de "on sent" à "on se sent".
J'hésite à relever l'emploi du "Vous" qui assimile le lecteur au poète homme de génie au sizain XI. Mais je pense que la citation du sizain XII devrait achever de vous faire sentir la pertinence du rapprochement :
 
Henri s'entortillait dans cette étrange trame,
Sur le bitume gris près du Diorama,
Lorsque vint à passer une fort belle femme
Dont le regard voilé le prit et le charma.
Comme il était enfant, poëte et vierge d'âme,
Il regarde longtemps cette femme - et l'aima.
L'ombre du faux-col paternel se substitue au regard voilé mais pour l'effet choc de la passante nous y sommes : "passer" contre "passe" "fort belle femme" pour "demoiselle aux petits airs charmants". Je comparerais même le relief de "et l'aima" au vers : "- Sur vos lèvres alors meurent les cavatines." Il y a même en commun le recours au tiret.
Je vais m'arrêter là pour cette fois, mais vous commencez à vous faire une idée de la complexité qu'il y a à préciser les propos et intentions d'un poète quand il joue de la sorte avec plusieurs modèles, n'en suivant à la lettre aucun, ne s'opposant terme à aucun, et j'aimerais qu'au-delà de l'intérêt de cet article à révéler des sources de poèmes de Rimbaud cette idée reste : Rimbaud joue avec des modèles qu'il ne suit pas à la lettre et auquel il ne s'oppose pas non plus mot à mot, parce que c'est tout le problème de dépassement des lectures alternatives classiques qui opposent une thèse grossière à une antithèse à peine moins dégrossie.

samedi 29 mars 2025

Relevé de la rime "d'or"/"dort" dans l'édition originale des Cariatides de Banville

 
Je vous conseille la lecture du précédent article où j'explique que pour comprendre une partie du sel des DEUX lettres de Rimbaud à Banville il convient de se reporter à la préface originale du recueil des Cariatides, et j'ai donné une présentation générale des trois livres.
Dans le présent article, je m'attaque au relevé de la rime "d'or"/"[...]dort" qui fleurissait dans l'édition originale des Cariatides avant que Banville ne se censure.
Pour faire bonne mesure, je devrais offrir en même temps un relevé systématique de cette rime chez Hugo, Gautier, Musset et plusieurs autres, mais nous avons le relevé minimal qui intéresse les études rimbaldiennes.
Je fais une remarque préliminaire. Plusieurs poèmes des Cariatides s'inspirent des contes ou récits en vers de Musset du type de "Namouna" et "Mardoche". Dans la légende de Musset confortée par la biographie fournie par son frère, le poème "Mardoche" a été composé pour justifier en volume la publication d'un premier recueil de poésies Contes d'Espagne et d'Italie, et Musset avait découpé exprès son récit "Mardoche" en strophe de dix vers numérotées, ce que Banville reprend dans le cas du poème "Stephen". Il s'agit de l'un des deux grands poèmes du premier des trois livres qui forment l'édition originale des Cariatides. L'autre long poème n'est autre que "La Voie lactée". Dans "La Voie lactée" ou "Stephen", Banville ne pratique pas la rime "d'or"/"dort" en tant que telle, mais il y a un "et comme" à la rime dans "La Voie lactée" et dans "Stephen" je relève tout de même un équivalent de la rime "d'or"/"dort", un équivalent qui implique une mention de Victor Hugo lui-même. Donc, malgré leurs longueurs, ce n'est peut-être pas exprès que Banville a évité la rime "d'or"/"dort" dans ses poèmes plus ambitieux qui doivent aussi être des compositions plus tardives. Il y a pourtant une mention de "dort" à la rime et quelques mentions à la rime aussi de "d'or", mais jamais la rime "dort"/"d'or" en tant que telle dans le premier des trois livres des Cariatides de 1842. Voici en revanche une rime qui va dans le sens de notre relevé :
 
Et -près d'un vieux parent Laharpiste et cagot,
Faire des calembours contre Victor Hugo.
 
Cette figure dans la strophe XXXV du poème "Stephen" page 118. Précisons que plus loin dans le recueil Banville offre d'autres exemples de poèmes à la Musset, contes en sizains avec des héros nommés Henri ou Sténio. Mais, étant donné le succès des dizains à la manière de Coppée, rappelons que "Mardoche" et "Stephen" ont précisément des strophes qui sont des dizains de rimes plates, et vers le début de "Stephen" Banville mentionne l'écrivain populaire Paul de Kock à la rime, ce que fera Verlaine dans ses dizains à la Coppée.
Notons qu'en liaison avec "Ma Bohême", je peux difficilement m'empêcher de relever la fin de la strophe XXXVI du poème "Stephen", strophe qui contient un "moi" à la rime et aussi le mot "comme", ainsi qu'un hémistiche "je ne sais trop pourquoi" qu'on peut rapprocher du sonnet "La Maline" de Rimbaud :
 
Est celle d'un séjour d'eau quelconques - et moi
Je me suis fait mener - je ne sais trop pourquoi -
Dans mon manoir antique, où je m'amuse comme
On s'amuse à chasser quand on est gentilhomme.
[...]
Or - fussé-je au Moultan, ou bien chez les Tungouses,
Au Kiatchta, pays des amantes jalouses,
Ou chez les Beloutchis, ou chez les Hottentots,
Vierges de toute presse et de tous paletots,
 
[...]
 Je pense bien à "Mon paletot aussi devenait idéal". Mais revenons sur ce "comme" à la rime, il s'articule autour d'une reprise verbale : "m'amuse"/"s'amuse", ce qui coïncide avec le cas du "comme" à la rime du "Dormeur du Val" :
 
[...] Souriant comme
Sourirait un enfant malade, [...]
 "Sourire" et "s'amuser" sont même deux verbes aux significations voisines.
La dernière rime du poème "Stephen" est par ailleurs le couple "moi"/"roi" avec le pronom "moi" en italique, ce qui est à rapprocher des "je" à la césure dans "Au Cabaret-vert" et "Ma Bohême".
 
[...]
Et que pour mieux tuer l'existence et le moi,
Il se fait substitut du procureur du roi.
 Passons au deuxième livre qui commence par le poème numéroté IV "Madame Yseult" qui porte le sous-titre "Feuillets détachés" (mais pas d'un "carnet de damné"). Il a aussi une épigraphe tirée du roman Le Compagnon du Tour de France de George Sand (je le possède en édition Folio).
Il s'agit d'un poème qui est en réalité la collection de plusieurs poèmes de formes variées. Le premier est peut-être le plus beau à lire, même s'il n'a pas inspiré Rimbaud :
 
C'est là qu'elle priait. [...]
Il contient ce vers érotique un peu sacrilège : "Et de beaux corps de femme à genoux sur la pierre" et il a un certain mouvement d'ensemble.
Le deuxième poème est un sonnet où relever la comparaison à un plongeur sous l'eau qui serre des perles d'Ophir, rapprochement léger avec la fin de "Larme" de Rimbaud. Il se termine aussi par une rime "phénix"/"onyx" qui avait de quoi faire rêver un poète qui est né cette même année 1842.
Le troisième poème est en quatrains de vers courts avec alternance d'hexasyllabes et de quadrisyllabes, il est musicalement bien tourné et contient l'expression "Au profil dur". Performance chansonnière un ton au-dessous, la pièce IV a retenu l'auteur d'Un cœur sous une soutane comme suffit à l'attester la mention du dernier quatrain :
 
A nous le zéphyr dans la plaine,
A nous la brise sur les monts,
Et tout ce dont la vie est pleine !
 Nous sommes rois - nous nous aimons !
 Rimbaud a retenu aussi le vers : "A vous mes suaves murmures". Mais la source la plus directe aux vers du Léonard d'Un cœur sous une soutane n'est autre que la pièce V suivante :
 
 Le zéphyr à la douce haleine
[...]
 Notons que Rimbaud remontera l'origine musicale du poème de Banville avec la même rime "plaine"/"haleine" dans une ariette de Favart !
Verlaine était lui-même sensible au premier recueil de Banville, la rime "Clitandre"/"tendre" figure dans le poème VI suivant de la section "Madame Yseult" et plusieurs personnages des Fêtes galantes couraient déjà dans les vers du premier recueil de Banville.
J'aurais des idées pour souligner les liens entre "Madame Yseult" et les Romances sans paroles : "Ariettes oubliées" et même "Aquarelles".
Le livre deux des Cariatides de poursuit avec d'autres poèmes qui n'appartiennent plus à la série "Madame Yseult". Je souligne tout de même deux compositions à distance l'une de l'autre : "Phyllis" et "Le songe d'une nuit d'hiver". Ces deux poèmes sont à rapprocher du "Jugement de Chérubin" de Mendès et du coup indirectement des "Chercheuses de poux" de Rimbaud. J'en reparlerai ultérieurement.
"Phyllis" a l'intérêt d'offrir vers sa fin non seulement une mention "Anadyomène" à la rime, mais une première rime "s'endort"/"d'or", et à la suite d'une rime "étoiles"/"voiles" !
 
Fermez l'arène, enfants. Déjà sur ses longs voiles,
La nuit brode en courant sa ceinture d'étoiles,
Et dans l'herbe fleurie et sur l'arène d'or,
Sous le baiser du soir la Nature s'endort.
La Nature pâmée est plus jeune et plus belle
Que la Vénus de marbre et la nymphe d'Apelle :
[...]
Car si belle que soit une Anadyomène,
[...]
 A côté de la rime qui nous intéresse, les occurrences "brode", "fleurie" et "baiser du soir" confortent le rapprochement avec "Tête de faune".
Le poème qui suit est justement "Le songe d'une nuit d'hiver". Comme "Madame Yseult", il est sudivisé en poèmes de formes variées, mais cette fois il y a une continuité établie entre les parties. Dans la séquence VII, composée de distiques, j'ai toujours été frappé par la ressemblance avec le poème "Larme" pour la vision soudaine d'une ou plusieurs "colonnades", avec le même gallicisme "Ce fut" contre "ce furent" :
 
Et ce fut un palais, vaste, immense, confus,
Une ample colonnade aux innombrables fûts.
 Pourtant, les deux poèmes donnent vraiment l'impression de ne rien avoir à mettre en commun par ailleurs.
Je passe sur les rimes "ange(s)"/"étrange(s)", et je relève dans la partie VIII une rime "dort"/"d'or" qui étrangement échappe au relevé informatique sur le site où je consulte ce recueil en mode fac-similaire (à cause de l'encre pâlie du document ?) :
 
- Un homme d'ici-bas, c'est une âme qui dort
Au fond d'un corps d'argile, et qui, vierge effarée,
Replie en murmurant ses blondes ailes d'or ;
 
 Il s'agit de la rime telle qu'elle dont abusait Rimbaud, rime qui concerne bien sûr aussi Musset et d'autres. Banville la pratiquait dans son premier recueil, avant visiblement de s'en cacher.
Notons que la première rime du poème suivant IX qui fait partie du "Songe d'une nuit d'hiver" est la rime de distique "venus"/"Vénus", avec un peu plus loin la rime "reconnus"/"Vénus" suivie d'une mention "Anadyomène" à la rime elle aussi : "La Vénus Aphrodite ou l'Anadyomène"[.]
 
Je finis cet article d'ici lundi.
Je vous mets de la musique de folie pour patienter.
 

 
Article en cours... TRAVAUX !!!
 

 

 

vendredi 28 mars 2025

Les Cariatides de 1842 de Banville (partie 1 : la préface bien lue par Rimbaud !)

Le recueil Les Cariatides de Banville tel qu'il a été publié en 1842 se compose d'une dédicace, d'une préface et d'une subdivision en trois livres. Il s'agit des trois premiers des six livres de l'édition des Cariatides de 1864.
Le Livre premier offre le sous-titre "Poëmes". Il est composé de trois pièces : un poème court "Sur ce livre", la composition de longue haleine "La Voie lactée" (pages 25-72) et  le poème "Stephen".
Le deuxième Livre affiche le sous-titre "Poésies" avec une section "Madame Yseult", puis les poèmes "Phyllis", "Le Songe d'une nuit d'hiver", "Clymène", etc., jusqu'à la pièce "Les Imprécations d'une Cariatide". Le troisième Live a pour sous-titre la mention "Odes et épîtres", et tous les titres y ont la forme d'une adresse lancée par la prépostion "A" : "A la Muse grecque", "A M. V. H.", "A Victor Perrot et Armand du Ménil", "A Vénus de Milo", "A Auguste Supersac", "Aux amis de Paul", etc. Et nous observons un poème "A Clymène" qui fait pendant au morceau "Clymène" du deuxième Livre.
Le poème final "A une Muse" fait pour sa part pendant à la fois au premier poème du troisième livre : "A la Muse grecque" et aussi aux deux premiers poèmes de l'ensemble, les pièces "Sur ce livre" et "La Voie lactée" du premier livre.
Le poème conclusif du recueil "A une Muse" est composé en sizains, tout comme "Le Saut du tremplin" à la fin des Odes funambulesques. Il s'agit de la source d'inspiration du "Sonnet rêvé pour l'hiver". Ainsi, quand Rimbaud a composé ce qu'on appelle le cycle belge, sept sonnets composés en octobre 1870 plus probablement à Douai même après sa seconde fugue du côté de la Belgique, il a eu l'idée de souligner l'importance à ses yeux de la poésie de Banville, puisque le sonnet "Rêvé pour l'hiver" réécrit dans son ensemble le poème "A une Muse" et le sonnet "Ma Bohême" ne se contente pas de reprendre des rimes aux Odes funambulesques, mais les tercets sont une réécriture de tout le sizain auquel Rimbaud a repris la rime "fantastique(s)"/"élastique(s)".
Le poème "Rêvé pour l'hiver" contient une alternance d'alexandrins et de vers plus courts de huit ou six syllabes. Rimbaud ne s'est pas inspiré des poèmes de Baudelaire : "La Musique" ou "Le Chat", ni des poèmes équivalents à ceux des Fleurs du Mal d'Henri Cantel, mais il s'est inspiré du poème "Au Désir" des Epreuves de Sully Prudhomme qu'il cite précisément à l'époque comme lecture qu'il a faite plusieurs fois dans une lettre à Izambard.
La mention "A Elle" en épigraphe au sonnet "Rêvé pour l'hiver" désigne donc la Muse, maintenant que la filiation à Banville est fixée. Cela va plus loin. Banville célèbre Vénus et l'importance du motif de la Muse éclaire considérablement le sens de poèmes comme "Aube" et "Voyelles". Rappelons que le poème en prose "Aube" qui évoque le mythe d'Apollon et Daphné est à rapprocher de la composition scolaire en vers latins "Ver erat" où Rimbaud a mis en scène le poète latin Horace en racontant le moment de son élection divine avec un discours sur le manque de lumière ici-bas, l'intervention d'oiseaux qui apportent le laurier dans une scène d'ouverture lumineuse du ciel où les Muses font leur apparition.
Rimbaud est cohérent qui relie l'inspiration des Cariatides à l'imaginaire d'élection du poète de ses compositions latines. Banville met en avant les mêmes principes et notamment la figure de Vénus.
En 1842, Banville était tout jeune également. Il est né le 14 mars 1823 et la préface de son premier recueil est datée du "20 septembre 1842", il avait donc précisément dix-neuf ans et demi quand son premier recueil a été publié. Rimbaud joue à l'évidence sur ces informations quand il écrit sa lettre à Banville en mai 1870 :
 
    Cher Maître,
    Nous sommes aux mois d'amour ; j'ai dix-sept ans. L'âge des espérances et des chimères [...] et voici que je me suis mis [...] à dire mes bonnes croyances, mes espérances, mes sensations [...] moi j'appelle ça du printemps.
 Malgré l'humour d'autodérision, les propos n'en sont pas moins à prendre au premier degré au plan des intentions poétiques. Notez que le mot "sensations" finira par devenir le titre du poème en deux quatrains : "Par les beaux soirs d'été..." qui n'en offre pas la moindre mention interne. Ce discours que les "choses des poètes" sont du printemps est à relier à l'appel d'amour de la poésie de Banville, mais aussi à l'idéologie professée par Rimbaud en latin dans "Ver erat". Rimbaud se dit clairement "enfant touché par le doigt de la Muse", mention donc de l'impulsion vitale qui fait le poète qui donc permet d'identifier de qui parle "Voyelles" par exemple au dernier vers, confusion des personnages de la Muse et de Vénus en quelque sorte. La Muse est un personnage central dans la composition organisée du recueil de 1842 Les Cariatides. Nous pouvons aller plus loin. La mention "bonnes croyances" est remarquable, elle anticipe le titre "Bonne pensée du matin" de mai 1872, poème où il est question de Vénus, d'appel poétique à la lumière enivrante et où l'inspiration suppose aussi une référence à une poésie venue de plus loin.  Le poème "Bonne pensée du matin" offre des mètres différents et des irrégularités dans la composition des strophes. Il s'agit clairement d'une allusion à la poésie chansonnière, on peut penser à Desaugiers, mais les vers : "Où la richesse de la ville / Rira sous de faux cieux" deviennent dans la version régressive d'Une saison en enfer une claire allusion à un poncif classique qu'on rencontre sous la plume de poètes du XVIIe comme Pierre Corneille : "Où la ville / Peindra de faux cieux."
Je précise que je ne suis pas en train de passer du coq-à-l'âne, puisque justement j'essaie de montrer que les rimbaldiens opposent un peu vite dans le temps les compositions de Rimbaud. Je suis en train de pointer du doigt les continuités idéologiques de Rimbaud de ses débuts "Ver erat" et "Credo in unam" à ce qui paraît n'appartenir qu'à lui : "Voyelles", "Bonne pensée du matin" et "Aube". Je pointe du doigt les continuités dont les rimbaldiens n'ont jamais fait aucun cas.
Il y a enfin la question des "dix-sept ans". On le sait, Rimbaud appréhende le rejet et se vieillit quelque peu volontairement. Rimbaud est né le 20 octobre 1854, en mai 1870, il a quinze ans et demi seulement.
L'année suivante, Rimbaud va envoyer une nouvelle lettre à Banville où il respecte la progression de dix-huit à dix-sept ans en fonction du vieillissement qu'il s'est prêté. Rimbaud ne  se souvient plus de la date exacte de l'envoi de sa première lettre : "juin 1870" au lieu du "24 mai". Rimbaud écrit : "J'ai dix-huit ans" et  "L'an passé je n'avais que dix-sept ans !" Ces mentions de son âge sont liées à des attentes en fait de reconnaissance par un pair : "Ai-je progressé ?" "Vous fûtes assez bon pour répondre !" "C'est le même imbécile qui vous envoie les vers ci-dessus [...]". Il est clair, quoi que vous pensiez du contenu de la réponse de Banville, que Rimbaud a vécu cette réponse comme dédaigneuse. Mais notons que Rimbaud perçoit que le jugement de Banville est défaillant, vu l'insolence de ce qu'il lui envoie à la figure. La formule : "- J'aimerai toujours les vers de Banville[,]" n'est pas qu'un hommage au "Maître", elle suppose aussi qu'il y a quelque chose qui fait douter Rimbaud du jugement de Banville. Rimbaud n'aurait aucune raison d'écrire cette phrase s'il ne pensait pas avoir envoyé une charge violente. Et c'est là que c'est subtil à remarquer, mais Rimbaud quand il se vieillit travaille aussi dès le mois de mai 1870 à ne pas humilier Banville. Banville a publié à dix-neuf ans et demi, et Rimbaud en mai 1870 est quatre ans plus jeune ! Même dans sa lettre d'août 1871, Rimbaud n'a que seize ans et dix mois. Rimbaud peut se donner encore deux ans et demi devant lui pour supplanter définitivement Banville.
Je ne pense pas que c'est s'illusionner rétrospectivement que de considérer que Banville n'a pas été capable de sentir le génie des poèmes "Credo in unam" et "Ophélie", sans oublier la pièce pourtant moins marquée d'influences immédiates : "Par les beaux soirs d'été..."
La préface des Cariatides de 1842 a elle aussi de l'intérêt. Banville dans sa dédicace joue les modestes : "Je sais que les élus de notre petit cénacle daignent accorder à mes humbles poëmes plus d'importance qu'ils n'en méritent", si ce n'est que l'emploi du mot "élus" trahit la pose affectée et l'orgueil réel du parvenu. Dès son premier paragraphe, la préface se fait entendre comme une réponse au public et à la critique. La préface se veut une réponse à diverses objections. En août 1871, Rimbaud rappelle à Banville qu'il a été cette forme de censeur maladroit du côté du public et de la critique quand il a évalué les poèmes en vers que lui avait envoyés Rimbaud en mai 1870. Mais le poème de 1871 "Ce qu'on dit au Poète à propos de fleurs" contient un discours complexe sur ce que doit être la poésie. La préface des Cariatides en 1842 contient en plus explicite un discours du même ordre. Banville s'y prend à ceux dont il dit qu'ils "s'attaquent à l'art", "avec leurs feuilletons, leurs vaudevilles" et Scribe est le nom donné aux faux artistes de cette époque. Les Scribes, avec tout ce que ce nom permet de jeu de mots, désignent les hommes de métier qui ne sont pas des artistes. Pensons au "siècle à mains" de "Mauvais sang".
Banville passe ensuite à sa propre défense et s'il dit qu'on l'accuse d'être "trop original" il formule aussi des idées qui ont un écho dans la première lettre que lui a envoyée Rimbaud :
 
[...] D'autres prétendent que j'imite tout le monde. [...] j'ai formulé quelques naïvetés assez vieilles [...] l'or n'est pas une chimère [...] Pour les autres je ne suis qu'un faiseur de pastiches [...]
A quel point, Banville a-t-il réduit "Credo in unam" et "Ophélie" à des centons ? Comment n'a-t-il pas cerné l'originalité évidente de "Par les beaux soirs d'été..." et "Ophélie" ? Comment n'a-t-il pas cerné la passion et la vivacité prosodique dans "Credo in unam" à défaut de trouver cela original ?
Le mot "chimère" est repris par Rimbaud au pluriel dans sa lettre et le mot "naïvetés" a son pendant dans les formules : "pardon si c'est banal !" etc.
Il y a ensuite un paragraphe que je tiens absolument à citer :
   Pour les autres, je ne suis qu'un faiseur de pastiches. La Voie lactée, c'est Hésiode, Stéphen et la Lyre morte c'est Alfred de Musset, le Songe d'une nuit d'hiver c'est Shakspeare, Phyllis et Clymène c'est Virgile ; quant au reste, Victor Hugo, toujours Victor Hugo, Victor Hugo quand même.
Victor Hugo est valorisé en tant que modèle ultime, ce que conforte nettement la composition de longue haleine "La Voie lactée" qui lui rend un hommage appuyé. On remarque l'absence de mention étonnante de Lamartine qui a eu une influence si nette sur à la fois Musset et Hugo en réalité. Il est clair que, selon Banville, Victor Hugo a plus de choses à dire que Lamartine, avis qui est tout à fait pertinent par ailleurs. Notez que la mention de Shakespeare a son écho avec le choix d'envoyer "Ophélie" à Banville, que "Credo in unam" déplace la référence à Virgile dans le cadre plus large de la poésie latine. Les allusions à des vers du "Rolla" de Musset figurent dans "Credo in unam", mais je me permets aussi de faire remarquer un fait original. Le sonnet "Ma Bohême" est relié par les rimes et par ses tercets aux Odes funambulesques, mais il est question d'étoiles au ciel et de souliers blessés dont tirer les élastiques comme sur une lyre, Cornulier ayant expliqué que Rimbaud fait référence à des élastiques en forme de lyres pour enlever des chaussures d'époque. Or, le premier livre des Cariatides offre cas à part de la pièce "Sur ce livre", deux poèmes de longue haleine, dont un a pour titre "La Voie lactée", ce à quoi fait allusion les "étoiles au ciel", l'autre "Stephen ou la lyre morte", ce à quoi fait allusion les "souliers blessés" utilisés comme des lyres. Enfin, le poème "La Voie lactée" se réclame du patronage d'Hésiode qui écrivait des cosmogonies, ce qui va dans le sens d'un article que j'ai publié il y a quelque temps déjà sur ce blog où je comparais "Voyelles" et des passages d'Hésiode, et notamment en prenant en considération le second vers : "Je dirai quelque jour vos naissances latentes[.]"
Et Banville rebondit en se vantant qu'en imitant autant il apporte pourtant un cachet original. C'est impressionnant comme propos, parce que ça peut caractériser la démarche de Rimbaud lui-même passant de l'essai insuffisant aux yeux de Banville "Credo in unam" à "Voyelles" puis à "Aube".
Et "Le Bateau ivre" avec ses réécritures évidentes de vers hugoliens entre nettement lui aussi dans cette catégorie de considérations.
Banville répète à nouveau l'importance d'Hésiode sur la composition de "La Voie lactée". Notons en passant qu'il invitait aussi Rimbaud à lire le "grand Hégésippe Moreau". Et ce qui est amusant, c'est que quand Rimbaud écrit en 1871 : "J'ai dix-huit ans" en tête d'un paragraphe, c'est exactement symétrique de l'attaque de paragraphe suivante de Banville dans la suite immédiate de sa préface :
 
   J'ai dix-neuf ans. Puis-je juger cet amour dont je suis si près encore ? Je ne sais. Que pourrai-je en dire que vous ne sachiez mieux qu'en moi ? [...]
 
 Dans sa lettre du 24 mai 1870, Rimbaud écrivait "j'ai dix-sept ans", mais pas aussi nettement en tête de paragraphe. Rimbaud s'amusait déjà en mai à faire savoir à Banville qu'il avait bien lu la préface de 1842, et il accentue cela dans la stratégie d'écriture de la lettre d'août 1871. C'est particulièrement acide : "J'ai dix-huit ans" pour rappeler : "J'ai dix-neuf ans", avec cette insolence qui veut que même si Banville ne se rend pas compte de l'allusion directe il n'en sort pas indemne, puisqu'ignorer l'allusion aggrave sa position d'homme en pleine bêtise affichée.
Notez aussi que Banville parle comme Rimbaud le fera de l'état de jeunesse qui fait que le mois d'amour est vécu naïvement et l'enchaînement est lui-même intéressant, puisque peu de temps après la réponse de Banville Rimbaud a écrit le poème "Les Reparties de Nina" dont la forme sera reprise dans "Mes Petites amoureuses", et justement ces deux poèmes adoptent la forme de la "Chanson de Fortunio" de Musset après la lecture de la préface du disciple de Banville Glatigny où la même opposition est faite entre le poète jeune et le poète mûr devenu un peu plus positif, comme Fortunio revu par Offenbach. Il s'agit évidemment de second degré. Et la pièce "Mes petites amoureuses" confirme que l'idée de Rimbaud est de dépasser le stade de la naïveté, ce qui est aussi le sujet de la pièce "Roman" sur un niais de dix-sept ans, même s'il faut se garder de l'identification nette à Rimbaud dans le cas de cette performance.
Banville égrène des étapes de la vie : après les premières illusions, il y a une "seconde jeunesse" par le regret et la mélancolie, puis il est question de la "vie sérieuse" avec ses "soucis".
Yseult est dressée alors en "type suprême", j'ai envie de m'amuser à comparer cela à la fin du sonnet autographe de "Voyelles" : "Suprême Clairon" et mention finale : "Ses Yeux", avec Y voyelle majuscule sur le dernier mot qui sonne d'ensemble un peu comme "Yseult"; "Ses Yeux". Mais je ne vois cela que comme une digression par jeu ici.
Banville aligne les clichés : pâle jeune homme, fatalité byronienne, et il parle au passé de la mode du romantisme. Pour un historien de la littérature, il faut ici faire attention, puisqu'en 1842 nous sommes quelques mois encore avant l'échec des Burgraves qui est considéré comme la fin de la période romantique en France, ce que Baudelaire en personne nuancera en précisant que l'échec de Victor Hugo ne fut qu'un moment de lassitude qui ne changea rien au fait que la littérature était toujours romantique une décennie plus tard. Oui, Baudelaire en personne vous explique que lui, Banville et d'autres appartiennent au romantisme.
Notez que la Mort est assimilée à une courtisane dans le récit préfaciel de Banville. Et cela concorde avec la mise en avant qui est faite du personnage d'Yseult. Enfin, la préface se clôt abruptement par un discours ironique dont s'inspire Rimbaud quand il écrit à Banville tant en 1870 qu'en 1871 :
 
    Pourquoi ne pas admettre tout de suite que Publius Virgilius Maro soit un crétin triste, et Quintus Horatis Flaccus un déplorable goîtreux ?
     Nous ignorons de fond en comble l'opinion des Scribes et des journalistes à l'endroit de ces choses.
 Ces deux paragraphes concis sont la source directe de Rimbaud quand il écrit "toutes ces choses des poètes" en mai 1871 et surtout : "C'est le même imbécile qui vous envoie les vers ci-dessus, signés Alcide Bava." Notez que Bava est un faux nom propre qui rejoint du coup la mention de "Scribes" en guise de calembour. Jacques Bienvenu a souligné la présence du mot "imbécile" à plusieurs reprises dans le traité de Banville, mais il faut évidemment y superposer l'allusion à la fin de la préface de 1842. Rimbaud en se faisant passer pour un "imbécile" déverse de l'acide brûlant sur Banville, puisqu'il l'assimile à un Scribe qui appellerait le nouveau Virgile ou Horace un "imbécile".
Même si Rimbaud écrit : "J'aimerai toujours les vers de Banville", il faut bien comprendre que Rimbaud est dans l'emportement le plus violent contre son "Maître". Rimbaud peut mélanger un mot d'hommage avec sincérité aux reproches les plus brûlants qui soient.

samedi 22 mars 2025

L'influence du recueil Amours et Priapées d'Henri Cantel sur Rimbaud au-delà de la parodie de Mérat !

 Steve Murphy a commencé à souligner l'importance du recueil publié sous le manteau d'Henri Cantel Amours et Priapées en soulignant que dans le "Sonnet du Trou du Cul" la comparaison de l'anus à un oeillet s'inspirait du troisième poème "Ephèbe" de la série "L'Hermaphrodite" du recueil de Cantel : "comme un œillet qui s'ouvre...". Philippe Rocher qui a publié sur le "Sonnet du Trou du Cul" a ajouté lui aussi quelques éléments, puis j'ai moi-même publié sur le sujet avec une recherche nettement plus poussée où je montrais à quel point le "Sonnet du Trou du Cul" réécrivait autant des extraits des sonnets de Cantel que des sonnets de L'Idole de Mérat, en montrant la présence du prénom "Aline" dans les rimes des tercets du "Sonnet du Trou du Cul" (à moins que ce ne fût déjà remarqué par Rocher) et en poussant cela dans ses plus importantes conséquences. Il y a plein d'éléments des tercets, attribués à Rimbaud par Verlaine, qui s'inspirent des vers de Cantel. Et je soulignais que le recueil de Cantel et celui de Mérat avait en commun un prologue et un épilogue, et qu'il y avait des similitudes aussi entre les deux "prologues" de Mérat et Cantel. Autrement dit, le recueil L'Idole était un peu comme projet une version édulcorée du recueil Amours et Priapées, avec bien sûr ce prétexte de suivre la tradition des blasons.
Certains vers de Cantel, notamment ceux avec une forme telle que "brodé" me font penser à des sources possibles pour "Credo in unam" sinon "Ophélie", mais à la relecture je ne trouve pas la thèse bien probante, même s'il y a des points de comparaison qui sautent aux yeux : "Priape, dieu vivant, tombé d'un ciel impur", "Sa robe sur son corps flotte amoureusement ;" "L'onde amoureusement lui lèche la poitrine," "Et de son cou baigné de neigeuse pudeur," "Ton clitoris, blotti dans sa toison dorée," "lève son front pâli" et la rime "horizon"/"Endymion". Je ne renonce pas encore pour autant à l'idée, puisqu'il y a aussi des ressemblances étonnantes avec "Vénus Anadyomène" : "rondeur(s)" dans "Vénus Callipyge", "La Bacchante" et "Les Coteaux de l'amour", "mystique rose" à rapprocher de Un coeur sous une soutane, "Dessine de ses reins la cambrure" dans "La Bohémienne" et surtout deux sonnets retiennent mon attention : "A une danseuse" avec "semblent prendre leur vol," "tordant leurs reins cambrés," et "Le Dernier vêtement" : "La hanche s'épaissit, et la chair se devine", "Qui moule de ses reins la courbe florentine;" "les rondeurs", "son sein rond s'enfle, tremble et respire ;" et il ne faut pas oublier la rime "inconnus", "Vénus", "anus" des tercets du sonnet "La Sorcière" où "anus" est le mot de la fin comme dans "Vénus anadyomène" de Rimbaud.
A quel moment précis Rimbaud est-il entré en relation avec Bretagne, l'ami de Verlaine ? Pour "Vénus anadyomène", cela a l'air clairement jouable. Bretagne a pu beaucoup en apprendre sur la poésie licencieuse à Rimbaud dès 1870.
Je remarque qu'au-delà du "Sonnet du Trou du Cul", puisque "Les Chercheuses de poux" s'inspire du "Jugement de Chérubin" de Mendès où apapraît une Aline comme dans le recueil de Cantel, il y a justement des "chercheuses d'infini" mentionnées dans un sonnet du recueil de 1860. Le sonnet "Le Clitoris" parle de "Chercheuses d'infini" au vers 8 en désignant des amoureuses chrétiennes et aussi symboles d'innocence : "Béatrix, Héloïse, Eve, Clorinde, Elvire[.]" Je relève aussi "l'essaim des baisers brûlants" dans un autre sonnet, même si c'est plus accessoire. Cantel utilise plusieurs fois "purpurine" à la rime, ce qui nous rapproche de la série "écarlatine" de "Vu à Rome" qui remonte à Mendès, Glatigny et Banville notamment.
La série "La Louve" avec les sonnets "Léona", "Aline" et "Volupté" est à comaprer à la plaquette Les Amies de Verlaine qui visiblement s'en inspire, et justement la plaquette Les Amies est à peu près contemporaine de la publication de L'Idole de Mérat, Mérat et Verlaine échangeant alors sur leurs projets respectifs dans une bonne entente de collègues de l'Hôtel de Ville.
Le recueil de sonnets de Cantel a d'autres attraits. Avant Mendès et avant Mérat et Valade dans Avril, mai, juin, Cantel publie des sonnets où les rimes des tercets offrent un degré d'irrégularité élevé.
Après Nodier et avant Mendès, Cantel publie des tercets rimés à la manière de Pétrarque ABA BAB.
Après Musset et son sonnet à l'acteur Régnier, et avant Valade et Mérat, Cantel fournit le schéma des tercets sur deux rimes du sonnet "Poison perdu".
J'ai longtemps combattu l'attribution de "Poison perdu" à Rimbaud, mais moins obstiné que les autres rimbaldiens j'ai révisé les conditions de ce jugement.
Notons aussi que Jacques Bienvenu envisage une source du côté de La Bonne chanson de Verlaine pour ce qui est de la "pointe d'un fin poison trempée". Ici, je fais remarquer que le poème "Ecce homo" est au début du recueil Amours et Priapées, c'est le sixième sonnet du recueil et son dernier vers est une allusion évidente au dernier vers du "Satyre" de la première série de La Légende des siècles de Victor Hugo publiée un an plus tôt en 1859. Ce sonnet fournit l'organisation des rimes de tercets de "Poison perdu" et il me semble que la lecture comparée des deux sonnets a du sens, vu la ressemblance d'allure des tercets :
 
L'homme et la femme, las de leur accouplement,
Vont cueillir au hasard les voluptés de Rome
Et les lubricités où se berça Sodome.
 
Priape, demi-dieu de l'abrutissement,
Lève son fier phallus vers le bleu firmament ;
Et s'écrie : "- A genoux ! adorez ! voici l'homme!"
 
 
Au bord d'un rideau bleu piquée
Luit une épingle à tête d'or
Comme un gros insecte qui dort.
 
Pointe d'un fin poison trempée,
Je te prends. Sois-moi préparée
Aux heures des désirs de mort.
On peut comparer certaines positions : comparaison avec idée du sommeil en fin de chacun des premiers tercets, pointe qui semble priapique en attaque de second tercet dans "Poison perdu", et comparaison aux derniers vers entre "désirs de mort" et l'adoration à genoux.
Simples coïncidences ?
Le fait que Cantel ait pratiqué les tercets à la Pétrarque ABA BAB a aussi son intérêt quant à "Oraison du soir". Ce sonnet a été composé en principe après le "Sonnet du Trou du Cul" et à peu de temps d'écart. Et Rimbaud a ensuite composé deux "Stupra" ou le "ange ou pource" pourrait d'ailleurs s'inspirer de passages de Cantel : "courtisane ou vierge," et un deuxième que j'ai oublié de noter. o, "Oraison du soir" est obscène, et il contient une mention "hysope" qui a tout l'air d'indiquer que Rimbaud sait qui a des antériorités sur Mendès : en l'occurrence, Nodier et Cantel. On a une confirmation d'un Rimbaud qui se fait un malin plaisir de donner des signes de son érudition sur les formes poétiques.
...
Bon, pour des raisons que j'ignore, pour la cinquantième fois sans exagération en deux ans le voisin fait un trou dans le mur qu'on a en commun. Je vais devoir arrêter.
J'ajoute quand même ceci. Cantel pratique avant Baudelaire les sonnets où les quatrains et les tercets ne sont pas dans le bon ordre. Il pratique aussi plusieurs sonnets faisant alterner vers longs et vers courts comme l'a fait Baudelaire avec "Le Chat" ou "La Musique", et il y a même un recours au vers de cinq syllabes.
Pour les vers audacieux, il y en a moins que ce que croyait mon souvenir, il y a surtout des jeux d'écart d'une syllabe, j'en reparlerai, et sinon on a deux fois le pronom relatif "où" suspendu à la césure et surtout la forme "n'ai-je" qui chevauche la césure au "Prologue", ce qui en 1860 est une contribution originale évidente. Même au-delà de 1860, cette audace-là précise est originale, j'en reparlerai :
 
Chers poëtes, que n'ai-je la force et la grâce
[...]
 
Notons que Rimbaud sera le premier à pratiquer le "je" devant la césure dès 1870 avec "Ma Bohême" et "Au cabaret-vert" quand ici on a un rejet d'enclitique "je" après la césure !

Petite mise au point autour de "Voyelles" et du vers

En temps normal, je suis empêché de réussir, puis il y a des moments où la poisse est plus concentrée et il faut attendre que ça passe comme la pluie.
La suite sur Cromwell viendra, ainsi que l'article sur l'influence des versions de 1842 et 1864 des Cariatides sur Rimbaud et les poètes en général.
J'en profite pour annoncer, mais je l'avais déjà fait en passant, qu'il va y avoir aussi un article sur la métrique du recueil Amours et Priapées d'Henri Cantel.
Pourquoi Henri Cantel ?
Le recueil Amours et priapées est un recueil de sonnets paru sous le manteau en 1860 avec pour premier poème un "Prologue" et pour dernier un "Epilogue", procédé repris par Mendès dans Philoméla, puis par Mérat dans son recueil de sonnets L'Idole qui semble s'inspirer de Cantel avant que Rimbaud et Verlaine ne parodie Mérat en empruntant en même temps à Cantel dans le "Sonnet du Trou du Cul", indice que Verlaine n'ignorait pas que Mérat s'inspirait de Cantel.
Je sais que l'encadrement "prologue"/"épilogue" vient de l'Antiquité, mais je n'ai jamais vu des poètes français l'appliquer de la sorte. Je n'ai pas le souvenir d'avoir vu ça avec Ronsard, du Bellay, Chénier, Lamartine, Hugo, etc.Je sais aussi que dans ses préfaces Banville parle de modèle du côté de Hésiode pour "La Voie lactée" des Cariatides, ce qui renforce l'idée que le vers 2 de "Voyelles" est une manière de théogonie avec un "je dirai" qui vient de là et ressemble aux invocations à la Muse chez Homère.
Je reviens à Cantel. Le couple "prologue"/"épilogue" sert surtout à prouver qu'il était lu de près par Mendès et Mérat notamment dès sa sortie. Pour la frappe de certains vers, je dois faire des comparaisons plus poussées avec "Credo in unam" de Rimbaud pour vérifier si les coïncidences viennent d'une origine un peu scolaire des imitations grecques ou si c'est plus surprenant qu'il n'y paraît.
Et puis, il y a le fait que dès 1860 Cantel pratique des césures déviantes, avec le "n'ai-je" notamment dès le "prologue".
Dans Critique du vers, Gouvard ne cite pas Cantel, et il fait un historique où nous n'avons qu'une poignée de vers déviants avant 1861 et la seconde édition des Fleurs du Mal. Peu rigoureux au plan scientifique, Gouvard a compté des vers en trop, notamment de Blanchecotte, il a mal évalué les vers inédits de Villiers de l'isle-Adam en ignorant son premier recueil de 1858, il a mal évalué les recueils de Leconte de Lisle, etc. Il a spéculé de manière imprécise sur les vers non publiés de Baudelaire avant 1855 et 1857, etc.
Or, avant 1861, en tout cas, il n'y a pas plus de deux vers déviants à la césure par poète, Baudelaire inclus. Le recueil d'Henri Cantel dément ce fait.
Il faut un article de mise au point là-dessus.
 
Après, je prévois un article sur "Voyelles" qui serait avec un titre de cette sorte : "un poème impossible à lire ?"
En fait, il y a plein d'éléments dans le sonnet "Voyelles" qui prouve qu'il n'est pas si impossible de le lire que ça. Il y a des mots rares qui viennent forcément de lecture de Rimbaud, il y a des images rares qui ont des modèles, il y a des configurations à la rime, et il y en a aussi à la césure comme "velu" qui est typique de Leconte de Lisle. Même si on se dit que sur "velu" ça ne va pas aboutir, c'est peut-être intéressant de dresser une vue d'ensemble pour montrer en quoi c'est un truc qui vient de Leconte de Lisle en particulier. Hugo y recourt à peine.
Puis, il y a aussi un relevé de base à faire des poèmes qui, de près ou de loin, ressemblent à "Voyelles" chez les prédécesseurs.
Par exemple, chez Leconte de Lisle dont on vient de parler, il ne semble pas offrir comme Hugo un lot de poèmes sur un alphabet cosmique que le poète aperçoit dans le ciel, mais après la césure sur "velu", à défaut d'un poème sur le même thème, qu'est-ce qu'il écrit qui se rapproche le plus de "Voyelles" ?
Dans les années 80, les rimbaldiens ont daubé superbement l'essai "La Voyance avant Rimbaud" d'Eigeldinger, ce qui a d'ailleurs rejailli sur l'analyse des lettres par Schaeffer (je ne sais plus l'orthographe de son nom) qui allait de pair avec cette étude. Schaeffer n'est jamais cité et on répète sans arrêt que "voyant" ne veut pas dire "voyance", mot que Rimbaud n'a jamais employé. Personnellement, je ne vois pas trop l'intérêt d'opposer "voyant" à "voyance". C'est évident que "voyant" est de la famille de "voyance". En revanche, oui, Rimbaud dit qu'il sera voyant mais à la manière scientifique, par des déductions logiques. Et l'esbroufe est présente chez Rimbaud, mais j'ai affronté la mauvaise foi universitaire à propos du roman expérimental de Zola. Les professeurs d'université de lettres n'ont aucune conscience de ce qu'est scientifiquement la méthode expérimentale. C'est une imposture intellectuelle d'enseigner aux élèves que l'hypothèse est dans l'exposition du roman et le résultat à la fin. Evidemment que la théorie de Zola est une imposture intellectuelle. Or, à l'Agrégation, ou simplement dans des dissertations de licence, ils font barrage à la vérité sur la méthode expérimentale. Ils sanctionnent ceux qui comme moi disent des choses intelligentes et la vérité sur la méthode expérimentale. Il faut faire semblant de croire que Zola laisse vivre ses personnages sous sa plume, ce qui n'a aucun sens. La méthode expérimentale devrait consister à vérifier si après l'écriture du roman il existe un cas dans la réalité qui s'est déroulé de la sorte. Mais ça, les professeurs de lettres ne veulent pas en entendre parler, sauf qu'ils lancent des sujets de dissertations sur le réalisme et la naturalisme. En quoi un tel exercice apprend aux étudiants à réfléchir ? C'est le contraire, c'est une pratique retorse pour déformer les esprits.
En tout cas, je ferai ma petite revue sur "Voyelles" aussi. Encore une !
 
Mais, de toute façon, on vit dans un monde de cinglés.
On continue d'avoir une masse abrutie qui suit passivement Macron et qui soutient l'Ukraine.
Moi, je trouve ça dingue. Vous avez tous les éléments en main pour vous déniaiser. Puis, même si sur un sujet, vous ne lâcheriez pas l'affaire, il suffit de voir la vérité sur un sujet pour que tout se brise sur les choix que vous suivez.
Déjà, rien que sur les actions ! Vous auriez respecté les accords de Minsk, on n'aurait pas un million de pertes humaines, et de otre point de vue pro-ukrainien, votre protégé ne serait pas réduit d'autant de territoires. Et l'économie européenne ne serait pas par terre.
Vous voulez continuer la guerre, vous savez déjà pour quel résultat !
Donc vous voulez que cette guerre continue par haine viscérale des russes et des ukrainiens. Moins il y en a sur la planète, mieux vous vous portez. Vous êtes donc nazis.
Il y a plein d'inversions accusatoires de la part des occidentaux contres les russes et Poutine, mais vous avez des faits incontournables et relayés dans les organes de presse que vous suivez. Il y  bien eu un vétéran ukrainien nazi qui a été applaudi au parlement canadien, il y a bien des symboles nazis du régiment Azov, les snipers du Maidan qui venait du Pravy Sektor (Secteur droit) admis nazi, il y a bien eu des saluts nazis du parti Svoboda et d'acteurs du Maidan, c'est passé à BFMTV, il y a bien eu des reportages anglais sur des écoles hitlériennes pour former les adolescents en Ukraine avant 2022, il y a bien dans les rues de Paris des manifestants qui ont des drapeaux de Pravy Sektor et des symboles de la division nazie qui est passée à Oradour-sur-Glanes. Face à des choses aussi accablantes, il faut peut-être se mettre à réfléchir, non ? Vous minimisez le truc, mais vous avez les indices que ça déborde et qu'il serait temps d'aller soulever le couvercle de la marmite, non ? Surtout qu'il faut le faire afficher autant d'insignes alors que tous les pays du monde évitent d'exhiber cette infamie, que ce soit par hypocrisie ou non ! Là, vous avez carrément du décomplexé.
Vous avez un autre sujet, la corruption ! Zelensky est dans les Pandora papers. Il a été mis en place par un oligarque. Quand vous le voyez demander de l'argent avec une arrogance de gamin qui a tous les droits, quand vous constatez qu'il avoue qu'il ne sait pas où une partie de l'argent est passé, et quand vous le voyez demander de l'argent pour que le peuple dont il a la responsabilité et qui n'en voit pas la couleur soit tué jusqu'au dernier dans une guerre sans espoir, vous avez du mal à comprendre que le gars gagne sa vie en tuant des innocents ? Ce n'est pas la plus horrible des corruptions pour vous ?
Et vous vous dites des humanistes, des gens bien ? Vous êtes anti-Trump pour votre pureté de gauche !? Mais non, vous êtes nazis et inhumains. Vous êtes complices de génocides. Vous avez du sang humain en masse sur la conscience. Il y a Gaza aussi, il y a les alaouites et les druzes en Syrie. Vous trouvez normal de leur dire d'arrêter de se défendre à ces malheureux ?
Sur la guerre en Ukraine, vous ignorez comment on passe de l'état de fait à l'état de droit. Vous n'avez jamais réfléchi sur ce que ça peut être. Vous ne vous rendez même pas compte que les états existaient avant l'écrit. Vous sacralisez l'état écrit fixé du droit, mais l'écrit s'appuie sur des réalités coutumières. Un état de droit, ce n'est rien d'autre qu'un état de fait dont la stabilité devient une sorte d'acceptation globale de la société. Sous la Révolution, la France n'éclate pas en plusieurs pays selon les positions politiques de chacun. Dans le cas ukrainien, vous niez le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Les gens de Crimée et du Donbass étaient opprimés. Maidan était d'ailleurs un coup d'état, donc c'est aller un peu vite en besogne de faire passer pour de l'état de droit et non de l'état de fait ce qui en résulte. Mais tout ça ça vous échappe. Le droit positif, c'est du nazisme, ça vient d'ailleurs d'Allemagne et d'Autriche ces théories américaines où rien n'est au-dessus du droit et où les peuples n'ont pas le droit de se défendre. Maintenant, avec l'Union européenne, ce nazisme autoritaire de la loi il se met en place chez vous. Vous êtes en train d'accepter une victoire nazie. Macron a été élu, maintenant il fait ce qu'il veut. La commission européenne n'a pas été élue, mais maintenant il y a jurisprudence elle fait ce qu'elle veut. En Roumanie, il n'y a pas eu que Georgescu, il y a une deuxième candidate qui a été écartée au motif que si les peuples votent pour elle cela met en danger l'union européenne. Comment ça se fait qu'on retire aux peuples le droit de penser ce qui est bon ou pas pour lui ? Pourquoi on les prend pour plus cons que les dirigeants ? Vous pouvez m'expliquer ?
 Pour ce qui est de Trump, rassurez-vous, outre qu'il se ridiculise au Proche-Orient, il gère très mal les négociations de paix. Mais bon, si pour vous y opposer, vous soutenez les gouvernants européens, c'est que vous trouvez que la situation n'est pas encore assez nauséabonde.