lundi 10 février 2025

Les articles d'Yves Reboul, Christophe Bataillé et Alain Bardel dans Parade sauvage n°35 (février 2025)

Ce qui fera que je ne regretterai pas mon achat, plus de 35euros, c'est les contributions d'Yves Reboul. Ici, il fournit des articles courts, mais de la meilleure qualité possible.
L'étude sur "Chant de guerre Parisien" est brève, mais aussi dense et surprenante qu'elle est courte. L'article ne fait que sept pages et demie. Reboul démontre que le poème est un "psaume d'actualité" au sens étroit du terme, puisque nous pouvions croire que Rimbaud embrassait l'actualité générale des combats entre Fédérés et Versaillais depuis le 2 avril. Il n'en est rien. Utilisant à bon escient des ouvrages d'historiens, de Lissagaray à Tombs, Reboul démontre que le poème n'a pu être écrit que du 10 au 15 mai 1871 même. Il ne peut pas être antérieur, puisque c'est autour du 8 et 9 mai que la capitale a commencé à être directement bombardée comme il est raconté dans le poème. Et c'est à ce moment-là précis que les trois mentions de villes "Sèvres, Meudon, Bagneux" (Asnières étant un peu à part) ont un sens militaire précis qui peut convenir au sens du poème. Et Reboul commente aussi avec raison qu'on s'est inventé la difficulté de comprendre le dernier quatrain et ses "accroupissements". Evidemment, cela fait un sort un peu cruel aux prétentions de Rimbaud à se dire "voyant", puisqu'il partageait l'optimisme triomphaliste des communards si près de la fin. Rimbaud a dû apprendre les données militaires qu'il évoque dans la presse, et le poème ne peut pas être antérieur au 10 mai. C'est une contribution décisive pour dater plus précisément un poème de Rimbaud, cela doit remettre en cause un de mes anciens articles sur la chronologie des compositions de Rimbaud où je datais je pense le poème plutôt d'avril 1871. On verra plus loin un autre fait intéressant relevé par Reboul, mais étonnamment dans un autre article ! La présente étude a un deuxième niveau très intéressant. L'étude du poème posait problème pour le "lac aux eaux rougies". Reboul précise qu'il s'agit inévitablement du lac du bois de Boulogne qui coïncide avec les événements du 8 et du 9 mai, Rimbaud parlant donc non pas d'actualité au sens large, mais de l'actualité la plus brûlante, et l'intérêt est de montrer que la guerre se déroule sur les lieux de plaisir des Versaillais en temps de pais avec les yoles, les canotiers, etc. Les eaux sont bien "rougies" de sang par contradiction avec l'époque des loisirs qu'on aime vivre en ces lieux.
Il y a ensuite un autre article d'Yves Reboul dans la section des "Singularités" intitulé "Trois mini-exégèses rimbaldiennes". Le premier point développé est un complément à son court article sur "Chant de guerre Parisien", à tel point qu'on s'étonne qu'il ne l'ait pas rejoint. On dirait du coup un ajout tardif. Reboul y précise que "Chant de guerre Parisien" contient l'exclamation "Ô Mai" qui est un témoignage important sur la datation du poème. Cela rejoint ce que je dis sur "l'hiver" dans "Les Corbeaux" comme poème antérieur au 21 mars 1872, n'en déplaise à ceux qui le datent absurdement de septembre 1872, et cela rejoint le commentaire de Jacques Bienvenu sur la mention "l'autre hiver" du "Bateau ivre", poème composé d'évidence entre le 21 décembre 1871 et le 21 mars 1872 à distance du 18 mars en toute fin de "l'autre hiver" précisément. Reboul y fournit une explication très convaincante, très profitable à la lecture du poème selon laquelle "Mai" étant le mois de Marie à l'époque la "vieille boîte à bougies" est à prendre au sens littéral, puisque les cléricaux versaillais ont lieu de prier Marie font la guerre comme ses sales gosses de La Comédie enfantine pourrait le faire avec "sabre, schako et tam-tam". Je suis convaincu par cette lecture. Geneviève Hodin fournit elle-même une lecture dans un article qui suit celui-ci de Reboul, mais alors qu'elle se moque des élucubrations qui forment un "inventaire à la Prévert", je trouve qu'elle ne fait qu'y rajouter une pièce supplémentaire. Il serait question de l'usage des bougies pour les maladies de l'urètre, avec la chute du sonnet "Vénus Anadyomène" en pièce à conviction. Je ne suis pas partant pour une telle hypothèse qui ne se préoccupe d'ailleurs pas d'éclairer le sens global du poème. Je préférais quand Hodin faisait remonter des emprunts de Rimbaud à Barbier, poète romantique majeur très oublié aujourd'hui.
La deuxième mini-exégèse de Reboul porte sur les "genoux charmants" des "Mains de Jeanne-Marie", je n'ai pas compris pourquoi Reboul attribuait à Dominicy d'avoir compris le sens métaphorique du participe passé "bu", puisque c'est une lecture qui va de soi : "bu des cieux barbares". Mais l'explication est à prendre en compte pour les "genoux charmants", même s'il faut du recul pour apprécier cette thèse. Mais en gros, ces femmes auraient lu des livres posés sur leurs genoux qui leur parlaient d'autres cieux. Il y a enfin une troisième mini-exégèse sur "on joue aux cartes au fond de l'étang", mais je ne peux pas en rendre compte en deux secondes.
Passons à l'article de Christophe Bataillé sur "Les Chercheuses de poux". J'avoue que je ne m'attendais pas à ce contenu avec le titre "Pratiques de l'hygiénisme" et j'ai trouvé que l'article en restait finalement aux grandes lignes de l'article déjà ancien de Steve Murphy, mais en y ajoutant un lot de détails croustillants. Bataillé fait plusieurs lectures du type "voilà que monte en lui" en "vois la queue monte en lui". Je suis un peu sceptique et je ne trouve pas génial. Pareil pour les découvertes qu'il reprend d'Ascione et Chambon. Je suis méfiant sur ces déformations à tous les sens du terme. Je ne vais pas les exclure d'un revers de la main, Rimbaud va en ce sens, mais c'est mal étayé ces trucs-là. L'article est tout de même très intéressant. Bataillé emploie le concept un peu ancien d'harmonie imitative, concept qui pose problème dans la mesure où l'opposition entre harmonie suggestive et harmonie imitative n'est pas très rigoureuse, mais c'est vrai qu'on peut comprendre l'harmonie imitative comme une harmonie suggestive qui est plus de l'ordre de suggérer une équivalence avec un bruit. Peu importe qu'il appelle ça "harmonie imitative", ce qui est dit vise juste de toute façon.
L'article est pas trop mal, mais je vais cibler ce qui nécessite des approfondissements à l'avenir.
Premièrement, comme Murphy, Bataillé lie une interprétation grivoise du poème à une interprétation communarde, mais les deux lectures sont aujourd'hui encore simplement superposées. Je constate ni chez Murphy, ni chez Bataillé une coordination des deux lectures entre elles.
L'interprétation grivoise va de soi, mais l'interprétation politique ressemble pour l'instant plus à une interprétation virtuose hypothétique. On sent que cette lecture n'aboutit pas vraiment. Il manque quelque chose pour qu'elle ne soit pas qu'artificielle.
Deuxièmement, Bataillé relève deux mots de la même famille à la rime : "charmantes" et "charmeurs", mais on voudrait plus de travail (moi aussi je dois le faire sur ce blog) sur les deux couples à la rime : "charmantes" et "charmeurs" d'un côté, "rosés" et "rosées" de l'autre.
Troisièmement, Bataillé ne fait rien de la source du côté de Catulle Mendès, et les références à Baudelaire nourrissent moins un propos que de servir de cartes qu'on abat pour dire que Rimbaud se repaît de détails des Fleurs du Mal. Rimbaud aime le "vrai dieu", il réécrit tel vers, il développe telle idée similaire, quelle complicité ! Je trouve ça un peu léger. Je rappelle que Rimbaud dit clairement dans cette même lettre que les gens lui ont massivement vanté la forme de ce poète et que lui a trouvé qu'elle était essentiellement mesquine. Vous refusez d'admettre que l'admiration de Rimbaud pour Baudelaire est celle d'un néophyte qui quelque part est réticent, mais qui a été étourdi de discours élogieux dont il n'arrive pas à faire fi. Evidemment, je partage l'idée que Baudelaire compte pour la lecture des "Chercheuses de poux" et Bataillé rapproche avec raison des vers synesthésiques de "Tout entière" avec même occurrence du nom "haleine(s)" : "Son haleine fait la musique, / Comme sa voix fait le parfum !"
Quatrièmement, je soulignerais les liens avec "Oraison du soir". Le fait d'être assis, le fait à comparer de ravaler la salive ou des rêves, l'idée des pleurs voluptueux, l'exposition à la croisée Grande ouverte face aux cieux gros d'impalpables voilures. Une idée ne me revient pas en tête à l'instant.
Je reviens maintenant à l'article d'Alain Bardel "Les marchés grotesques". Les pages d'introduction correspondent à un discours cent fois entendu et cinq à six fois déjà écrit par Bardel lui-même : la lettre à "Laitou" et ce que seraient les trois petites histoires déjà écrites. Par exception, Bardel me cite, et cela en début d'article. Il m'assimile à une alternative, soit Rimbaud a fait trois histoires qui correspondent à "Mauvais sang", soit il a composé "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer". J'insiste tout de même que mes éléments de démonstration vont plutôt dans le sens de la première thèse, et Bardel n'explicite pas assez mon raisonnement : motif du païen dans les sections 1 à 3, motif du nègre dans les sections 5 à 7 et motif de l'innocence pour les sections 4 et 8 initialement fondues en une seule. C'est ce que m'attribue Bardel. Pour le motif de l'innocence, il chevauche le récit du nègre et concerne aussi la section 7, dans mon souvenir, mais bon... Mon étude se fondait sur les occurrences des mots "païen", "nègre" et ce qui me distinguait des prédécesseurs "innocence", démarche qu'étouffe quelque peu Bardel dans son relevé où il met tout le monde dos à dos. Comme j'ai aussi inclus "Nuit de l'enfer" dans une hypothèse seconde, il suffit de m'englober dans les hypothèses fragiles non étayées. Le plus drôle, c'est que Bardel fait un article à partir des brouillons et en s'attaquant à la scission des sections 4 et 8 initialement soudés sur le manuscrit. Car Bardel ne rappelle pas que mon raisonnement suppose aussi que les sections 4 et 8 étant soudées à l'origine, ça pourrait être une histoire et les deux autres auraient été le récit gaulois des trois premières sections et le récit nègre des sections 5 à 7, une des trois histoires étant divisée en deux à la fin du processus créatif, et cette insertion forcée du récit du nègre a une implication pour la compréhension du contenu des sections 4 et 8. Bardel répète des idées mille fois entendues enterrant ce que j'arrivais à apporter. Et après il va mener une étude où il suppose deux récits, l'un gaulois des trois premières sections et l'autre des cinq sections suivantes, mais sans revenir sur le fait qu'un récit a été inséré au milieu d'un autre. Bardel escamote des points importants de la réflexion et il ramène des études à un état ancien de la réflexion. Puis, je ne partage pas sa conviction qu'il y a une rupture particulière qui scinderait "Mauvais sang" en deux, soit trois sections contre cinq, soit quatre contre quatre. Au contraire, c'est nettement articulé, le récit gaulois sert de tremplin au récit du réfugié chez les nègres, et tout cela ne forme qu'une seule et même réflexion.
Bardel insiste ensuite sur l'idée que comme "Mauvais sang" ne parle pas d'enfer et que le titre originel était "Livre païen ou Livre nègre", il y a une solution de continuité. Rimbaud avait un premier projet qui nous a voulu "Mauvais sang", puis comme il est passé à un motif infernal il  a fait un récit tout autre et il a été intégré tant bien que mal "Mauvais sang". Je ne suis pas d'accord. Le motif du nègre est problématique pour la religion, le motif du païen l'est explicitement, et "Mauvais sang" est un titre qui suppose une damnation, et le mot "vice" est un terme clef de la damnation en cours. Bardel est convaincu qu'on peut isoler "Mauvais sang" du dilemme posé dans la prose liminaire d'Une saison en enfer. Non, mille fois non ! Il n'y a rien qui permette de dire que le séjour en enfer n'était pas prévu dès le début du récit sous le titre "Livre nègre ou Livre païen". Il y a une illusion à se dire que les titres n'ont pas le même sujet. Vous n'avez jamais vu des livres sur lesquels l'auteur hésite entre plusieurs titres ?
Et j'insiste sur ce problème. A partir d'affirmations très vagues, Bardel développe une analyse de longue haleine où les affirmations sont conditionnés par un avis parfaitement subjectif.
Le motif du sang païen revient dans "L'Impossible" dont il est sensible qu'il reprend la réflexion là où "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer" l'avait laissée. La section 4 de "Mauvais sang" suppose un "De profundis clamaui".
Evidemment, Bardel ne reprend pas mon concept dont Scepi s'était emparé dès 2009 pour m'avoir lu en avance sur internet, il reprenait aussi mes analyses métriques sur "Larme", etc. Enfin, bref, dans mes articles "L'ébauche du livre Une saison en enfer" et "Trouver son sens au livre Une saison en enfer", j'ai de grandes thèses. D'abord, dans la prose liminaire, c'est moi qui ai fixé que Rimbaud se révoltait contre la mort imposée par les duperies de Satan et qu'il rejetait la charité vertu théologale comme solution malgré tout. Ce n'était le discours d'aucun rimbaldien en 20096, ni de Bardel, ni de Nakaji, ni de Molino, ni de Brunel. Moralement, les rimbaldiens sont obligés d'en parler de ma lecture des alinéas du prologue. Ne pas en parler, ça pose un problème d'éthique. Pour "Mauvais sang", mais ça rejoint l'alinéa qui lance la prose liminaire, j'ai expliqué que quand Rimbaud disait se souvenir de sa vie de gaulois dans les siècles passés, c'était que tout simplement les livres d'éducation et d'histoire lui imposaient un souvenir sur ses origines, au plan religieux comme au plan de la communauté d'individus. Cela donne un sens simple et lumineux à "Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme", alors même que le poète se prétend gaulois étranger au christianisme. Ce n'est pas acceptable de continuer à parler de "Mauvais sang" sans prendre compte cette idée. Autant ne rien lire. Dépensons-nous et ne pensons pas.
Surtout, au lieu de parler à toute force d'un concept d'énergie comme Frémy, au lieu de mettre en avant phrase par phrase des impressions personnelles qu'à force de me répéter je crois évidentes, mes concepts sont liés à de la confrontation de passages d'Une saison en enfer.
Quand je lis l'article de Bardel, je suis en colère, parce que ça part dans tous les sens et que ça fait fi des éléments étayés, comme s'ils étaient aussi subjectifs que le reste. Moi, je veux que ça cesse.
Les brouillons, je suis désolé, mais c'est moi qui identifie la coquille "outils" pour "autels" prouvé par le brouillon, c'est moi qui identifie qu'à la fin du brouillon d'Alchimie du verbe il y a bien un mépris de la beauté, mais un mépris qui a appris à accepter la situation impossible telle qu'elle est. J'ai montré que la fin du brouillon comportait des variantes d'une même idée de clausule présentant clairement une idée négative de l'art en tant qu'institution des grands poètes, etc.
Bardel préfère évoquer une ribambelle de gens qui n'ont rien fait dire aux brouillons. Ils ont quoi d'équivalent à la coquille "outils" pour "autels", à la critique finale maintenue de la beauté ? Ils ont quoi ? Quoi ? A quoi ça sert de continuer cette discussion inutile d'entre-soi ?

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