Je vais bientôt publier un article sur quelques poèmes de Musset, mais je voulais depuis longtemps publier ce qui suit au sujet de Villon.
Cas à part de quelques poèmes de Charles d'Orléans, François Villon est le poète du Moyen Âge que tout le monde connaît encore de nos jours et qu'on lit dans le texte ou peu s'en faut.
Rimbaud cite dans un devoir scolaire des passages de Charles d'Orléans, d'autres de Villon et il nomme les deux. Villon est même un représentant des poètes pour lequel dresser un plaidoyer.
Les poèmes de Villons sont peu nombreux. Nous avons une dominante des octosyllabes et quelques poèmes seulement en décasyllabes. On parlait parfois de petit et de grand testament, mais plus rigoureusement nous avons d'un côté "Le Lais" (notre mot "legs" actuel, abusivement flanqué d'un "g") et de l'autre "Le Testament". "Le Lais" est un poème long tout en octosyllabes. Nous avons affaire à des strophes de huit vers de huit syllabes.
Il va de soi qu'en lisant les poésies de Villon les poètes du dix-neuvième se rendaient compte que la règle de l'alternance des cadences masculines et féminines n'existait pas. Par exemple, les deux premiers huitains du "Lais" sont tout en cadences masculines, et il y a à peine une cadence féminine à la fin du troisième huitain. Il n'y a pas de proscription du hiatus : "ou estroit", ""ou a l'Isle en Flandre". Ils sont rares, diffus, mais cela ne vient pas d'une proscription.
Le poème "Le Testament" a une base en strophes de huit vers de huit syllabes, mais plusieurs poèmes sont intercalés : "Bal[l]ade des dames du temps jadis" en octosyllabes, "Bal[l]ade des seigneurs du temps jadis" en octosyllabes, "Bal[l]ade en vieil langage françoys" en octosyllabes, "La Belle heaulmière aux filles de joie" en octosyllabes, "Double bal[l]ade" en octosyllabes, "Balade pour prier Nostre Dame" en décasyllabes, "Bal[l]ade à s'amye" en décasyllabes, "Lay ou rondeau" en octosyllabes avec vers d'une syllabe, "Bal[l]ade et oraison" en décasyllabes, "Bal[lade pour Robert d'Estouteville" en décasyllabes, "Ballade" en décasyllabes, "Les contrediz du franc gontier" en décasyllabes, "Bal[l]ades des femmes de Paris" en octosyllabes, "Ballade de la grosse Margot" en décasyllabes, "Belle leçons aux enfans perduz" en octosyllabes, "Ballade de bonne doctrine" en octosyllabes, "Chanson" en octosyllabes à vers de trois syllabes, "Balade de mercy" et "Autre balade" en octosyllabes.
Il y a enfin quelques poésies diverses parmi lesquelles la célèbre "Epitaphe Villon" connue aussi sous le titre "Ballade des pendus" pastiché en "Bal des pendus" par Rimbaud. "L'Epitaphe Villon en forme de bal[l]ade" est en décasyllabes.
Il est par ailleurs possible que Rességuier ait créé son sonnet monosyllabique après une lecture de Villon, puisque le vers d'une syllabe employé par Villon est le mot "Mort" à deux occurrences et qu'outre son "Epitaphe Villon" il y a une séquence "Epitaphe" en octosyllabes à la fin de son "Testament".
Pour l'étude des césures, il convient de se reporter aux poèmes en décasyllabes. Villon ne pratique jamais la césure à l'italienne, mais il pratique la césure lyrique.
Et ce fait est important, puisque pour l'évolution du XIXe siècle les césures lyriques sont plus tardives que les enjambements de mot et même que les césures à l'italienne (Villiers de l'Isle-Adam en 1859, Leconte de Lisle en 1869). Si on laisse de côté "quelque" dans "Philoméla" et "elle" chez Madame de Blanchecotte, la césure lyrique grammaticalement conforme aux exemples de Villon ne vient qu'avec le poème "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,..." et les poèmes en décasyllabes "Juillet", "Jeune ménage", si on admet la lecture à césure forcée.
Notons que si "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,..." offre un débat du coeur et de l'esprit du poète, il y a à proximité de l'Epitaphe Villon un poème intitulé "Le débat du coeur et du corps de Villon".
Poursuivons !
En-dehors des césures, il arrive que des enjambements marquants se rencontrent à l'entrevers. Il n'est donc pas inutile de lire les octosyllabes de François Villon.
Voici des vers du poème "Le Lais" où on peut apprécier un brusque rejet d'un adjectif monosyllabique, il s'agit du début du septième huitain du "Lais" :
Combien que le départ me soitDur, si faut il que je l'eslongne :[...]
Il me semble évident qu'après avoir appris avec Vigny à créer des rejets d'épithètes à la césure Hugo qui a vu les antériorités de Chénier, puis les antériorités de poètes du XVIe siècle, etc., Hugo a repéré d'autres audaces et il a pu lire ce vers de Villon pour méditer les charmes du rejet d'épithète d'une syllabe ! Procédé qu'il a pratiqué, et que Musset a pratiqué aussi dans quelques poèmes, bien avant Baudelaire à qui les universitaires n'ont de cesse de tout ramener obsessionnellement. Vous voyez bien que je ne ramène pas tout à Victor Hugo, que le débat n'est pas de favoriser un clan Hugo ou un clan Baudelaire. L'enjeu il est de dire la vérité sur l'histoire du vers. Avec leur baudelairophilie, les universitaires sont complètement tendancieux dans leurs discours. Et après ils ne sont pas contents qu'on fasse de meilleures analyses qu'eux dans la profondeur historique...
L'intelligence, ça ne se monnaie pas.
Pour indice qu'Hugo a lu attentivement Villon et notamment "Le Lais", je rappelle que le drame Cromwell s'ouvre au premier vers par une mention de date, et que dans Les Contemplations il est question de l'hypothèse du scandale que ce serait de dire la date triviale d'un siège dans Mithridate de Racine. Or, "Le Lais" débute par une mention de date : "L'an quatre cens cinquante-six," et "Le Testament" ne mentionne pas de date et est plus acceptable pour les censeurs mais reste une mention de valeur chiffrée : "En l'an de mon trentiesme aage[.]"
Le dernier huitain est lancé par un rappel de son premier vers : "Fait au temps de ladite date". Il va de soi que la mention de date ne pose pas le même problème de bienséance que dans une tragédie, mais Hugo a saisi l'intérêt d'exploiter la résonance comique qu'elle a dans le poème "Le Lais".
Si on écarte maintenant les vers de huit syllabes, il reste une petite proportion de vers à césure, tous vers de dix syllabes avec une césure après la quatrième syllabe. Je traiterai l'Epitaphe Villon à part à la fin de mon article car c'est un poème problématique pour la versification.
Malgré ces restrictions, cela ne fera pourtant même pas un petit nombre de vers à césure lyriues, ils sont fort nombreux et je mets des astérisques séparatoires entre poèmes pour que vous vous représentiez qu'ils sont parfois nombreux dans un seul poème :
Emperiere des infernaux palus,Que comprinse soye entre vos eslus,De luy soyent mes perchiez absolus :Vous portastes, Vierge, digne princesse,**Amour dure plus que fer à maschier,Je m'en risse, se tant peusse maschier**De voz filles si vous feist approuchierDe bien boire oncques ne fut fetart. (Notez le hiatus à la césure lyrique !)**Par Fortune qui souvent si se fume,Dieu m'ordonne que le fouysse et fume ;**En lavailles de jambes a meseaulx ;En racleure de piez et viels houseaulx ;Soient frites ces langues envieuses !En cervelle de chat qui hayt peschier,En l'escume d'une mule poussiveDetrenchiée menu à bons ciseaux ; (lecture en synérése de "ié" pour ma part, pas d'élision du "e" ici il est à la césure)Ou nourrisses essangent leurs drapeaulx ;(Qui ne m'entent n'a suivy les bordeaulx)S'estamine, sacs n'avez, ou bluteaulx,**Blanche, tendre, polie et attintee :Eussent ceste doulce vie hantée, (Notez qu'il s'agit ici d'une césure plus proche des exemples "quelque" de Mendès et "elle" de Blanchecotte ! Césure sur le déterminant à cadence féminine "cette")N'accontassent une bise tostee.S'ilz se vantent couchier soubz le rosier,Or s'esbate, de par Dieu, Franc Gontier,Mais adoncques il y a grand deshet,Si luy jure qu'il tendra pour l'escot.Crie, et jure par la mort. JhesuscritPlus enflee qu'ung vlimeux escarbot.Tous deux yvres, dormons comme ung sabot.Ventre, gresle, gelle, j'ay mon pain cuit.**Obscur, fors ce qui est tout evident ; (encore un cas particulier avec ce pronom "ce")**A coups orbes, par force de bature,Vous supplie, par ceste humble escripture,Se je peusse vendre de ma santé**Par Fortune, comme Dieu l'a permis.Nobles hommes, francs de quart et de dix,Bas en terre, table n'a ne tresteaulx.**- Pour quoy est ce ? - Pour ta folle plaisance.- Quand sera ce ? - Quand seray hors d'enfance.- Est-ce enfance ? - Nennil. - C'est donc foleurEncore eusses de t'excuser couleur ;Quand Saturne me feist mon fardelet,"Homme sage, ce dit il, a puissanceSur planetes et sur leur influence."- Veulx-tu vivre ? - Dieu m'en doint la puissance !**Qui n'es homme d'aucune renommee.En Cartaige par Mort le feis attaindre ;En Egipte Pompee je perdis ;Alixandre, qui tant feist de hemee,Sa personne par moy fut envlimee ;Autre cause ne raison n'en rendray.Holofernes l'ydolastre mauldis, (cas particulier orthographique)Se rien peusse sans Dieu de paradis,A toy n'autre ne demourroit haillon,**Tous mes membres ou il y a reprouche,Or la langue seule ne peut souffireA vous rendre souffisantes louenges ;Dont le peuple des Juifs fut adoulcy ;Fondez lermes et venez a mercy ;**
J'ai relevé quelques candidats pour la césure épique. A deux reprises, il est question du mot "eaue" féminin et une autre fois d'une terminaison verbale. Je mets ces césures sous réserve, car on n'a pas le cas d'un "e" après une consonne et parce qu'il reste à vérifier l'orthographe du poète sur les éditions originales de ses poésies. En tout, le procédé est à la marge si on compare avec la surabondance de césures lyriques.
Et boivent eaue tout au long de l'annee. (Les Contrediz de franc gontier)Je leur tens eaue, frommage, pain et fruit, (Balade de la grosse Margot)Que j'en prendroie, ce cuide, l'adventure.
J'ai relevé le vers suivant, à cause de l'isolement "Dea" monosyllabe à synérèse bien isolé devant la césure, bien qu'il soit étroitement solidaire du second hémistiche.
- Que dis-tu ? - Dea ! certes, c'est ma creance. (Le Débat du cuer et du corps de Villon)
J'ai aussi souligné ce vers répété cinq fois dans le poème, à cause du contre-rejet d'un adjectif monosyllabique "bon" :
L'ame du bon feu maistre Jehan Cotart, (Balade et Oraison)
J'ai relevé trois exemples d'adverbe en "-ment" formant un hémistiche :
Ioyeusement ce qu'aux amans bon semble. (Balade pour Robert d'Estouteville)Entierement, jusques mort me consume. (idem)Licitement en l'espistre rommaine ; (Balade de bon conseil)
J'ai aussi relevé un cas exceptionnel de césure sur déterminant monosyllabe, en principe proclitique (à moins d'une relecture avec une autre grammaire, à moins d'un défaut de virgule à la césure) : "ung", la configuration C dans les critères métricométriques établis par Cornulier :
Se feusses ung povre ydiot et folet, (Le débat du cuer et du corps de Villon)
J'arrive alors au cas exceptionnel qu'est la magnifique "Epitaphe Villon". Je commence par relever trois césures lyriques d'une même strophe :
Par justice. Toutesfois, vous scavezQue tous hommes n'ont pas bon sens rassis ;Que sa grace ne soit pour nous tarie,
Le vers :
Se vous clamons freres, pas n'en devez
Varie parfois :
Se frere vous clamons, pas n'en devez
J'ignore quelle est la bonne leçon, mais cette dernière pose un problème avec une césure qu'on ne voit jamais dans un autre poème de Villon, une césure sur le pronom "vous" placé devant le verbe "clamons", dont il n'est même pas le sujet qui pis est. La césure serait la plus acrobatique jamais produite par Villon.
Or, dans la même "Epitaphe Villon", il y a justement un autre vers qui pose problème à la césure :
La pluye nous a buez et lavez,
puisque l'enjeu est de savoir si la césure passe après "pluye" et est lyrique ou s'il s'agit d'une deuxième césure sur pronom complément d'objet placé devant le verbe : "nous".
Si nous plaçons une césure après "nous", l'effet est perturbant en regard du reste de la production de Villon, et il faut une diérèse à "buez". Si nous plaçons la césure après "pluye", nous avons une banale césure lyrique et une diérère à "pluye" qui se prononcera alors en trois syllabes : "La plu/y/e", mais une synérèse à "buez".
J'avoue que je ne maîtrise pas encore pleinement ce sujet, je vois comment il faut enquêter pour le résoudre. Je préfère le laisser ici en suspens. Je suis habitué à penser qu'il y a une césure lyrique un peu forte "plu/i/e", mais la variation "Se freres vous clamons, pas n'en devez" m'interpelle puissamment. Je dois reprendre l'enquête à zéro.
EDIté : Que dis-je ? Je suis en plein passage à vide. Non, j'avais l'habitude de lire le vers comme suit : "La pluy nous a + débués et lavés", avéc élision du "e" de "pluye". Je dis n'importe quoi. Ce qui est ci-dessus est faux sur la synérèse ou diérèse à "débués".
Si je lis "La pluye + nous a débués et lavés" avec synérèse, j'ai quatre et sept syllabes
Si je lis "La pluie nous + a débués et lavés" avec diérèse, j'ai quatre et sept syllabes aussi
L'alternative, c'est plutôt "La pluye nous a" et diérèse à "débués" ou "La pluye nous" et synérèse à "débués". Il est dans l'absolu impossible qu'il y ait une césure féminine sur "pluye", puisqu'àobligatoirement "nous a débués et lavés" est une séquence d'au moins sept voyelles, et avec diérèse on passe à huit. L'élision est inévitable sur le nom "pluye".
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