Pendant que Circeto s'impose en membre de la revue Parade sauvage en ayant pris son bien dans un article non publié sur ce blog par une personne qu'il déteste, ce qui à mon avis ne doit pas le rendre spécialement heureux mais bon... (pour briller en ayant de l'estime de soi-même, ce n'est pas le plus judicieux), je continue sur ma lancée avec la recension du livre Théorie du vers de Cornulier. Je suis en train de patiemment étudier à quel moment on a vraiment l'affirmation (illusoire selon moi) d'une réalité du semi-ternaire qui se met en place. Au-delà de Théorie du vers, il me faudra accéder à la thèse de Gouvard, et je rendrai compte aussi de l'étude sur le sonnet "Ma Bohême" de Cornulier paru dans la revue Littératures en 2006 et de son article plus récent sur les trimètres d'Agrippa d'Aubigné et Pierre Corneille. C'est un sujet important. Il faut bien comprendre que Cornulier constatait bien évidemment les audaces à la césure et comme ces audaces étaient surabondantes dans le cas des poèmes "nouvelle manière" de 1872 et donc pour les vers de douze syllabes dans le cas des deux pièces "Qu'est-ce pour nous, mon Cœur,..." et "Mémoire" (avec la variante "Famille maudite"), Cornulier pouvait envisager de considérer qu'il n'y avait donc pas de césure et qu'il avait affaire à des poèmes non pas en alexandrins, mais en vers de douze syllabes purs. Cornulier ne s'est pas foncièrement arrêté, même s'il y a pensé, à l'idée d'une lecture métrique forcée tout du long et a autant de provocations à une reconnaissance métrique normale. Or, en 1982, il s'appuie nettement sur l'idée de sa loi de perception des huit syllabes qu'il applique à tous les poètes, y compris Rimbaud, alors même qu'il prétend que la majorité des gens n'ont pas une reconnaissance de la limite des huit syllabes. Mais le problème ne s'arrête pas là. La thèse de Cornulier, et qui est juste, c'est qu'on peut avoir le sentiment d'égalité de successions identiques. On peut avoir la perception d'un même nombre de syllabes qui revient vers après vers, vers de une à huit syllabes, on peut avoir une perception d'égalité pour des combinaisons, soit des combinaisons d'hémistiches quatre plus six pour le décasyllabe littéraire, cinq plus cinq pour le décasyllabe de chanson, six plus six pour l'alexandrin, soit des combinaisons de vers : 3+5 ou 8+6+6, etc. Or, avec la thèse du vers d'accompagnement, on a des anomalies. En Italie, apparemment, je ne suis pas spécialiste de leur versification, on peut intervertir les hémistiches du décasyllabe de temps en temps. L'essentiel du poème a un décasyllabe de quatre et six syllabes, mais de temps en temps on peut opter pour l'ordre inverse six puis quatre syllabes. Cette inversion existe-t-elle en français ? C'est un premier problème. Elle n'apparaît nulle part dans la poésie française du XVIe au XIXe siècle. Verlaine ne la pratique pas. Voltaire, et encore pour une petite partie de son oeuvre en vers, serait le seul candidat à un recours partiel à cette spécificité italienne.
Dans le cas des alexandrins, c'est le trimètre qui est vers d'accompagnement. Le poème tout en trimètres n'existe pas avant l'époque parnassienne, et rareté absolue j'ai trouvé un poème tout en trimètres sous la plume de Charles Coran. En 1982, Cornulier envisageait déjà que le trimètre n'empêchait pas de considérer la pertinence de la césure normale, mais ce n'était pas si clair, et la thèse de Cornulier que cette fois-ci je ne soutiens pas c'est que les la familiarisation des oreilles avec le trimètre a favorisé l'émergence d'alexandrins sans césure normale. Et Cornulier constatant que dans ce dérèglement progressif les vers ayant des allures ternaires se disloquaient en types 5-3-4 ou 3-5-4 ou 4-5-3 ou 4-3-5 au-delà donc du parfait 4-4-4 a théorisé un semi-ternaire, hérité de Martinon mais adapté à sa sauce, qui supposait un point d'appui sur l'une ou l'autre des deux bornes externes du trimètre, et qui se légitimait sur l'idée de la limite des huit syllabes, sauf que la limite des huit syllabes n'existe qu'en fonction d'une reconnaissance de récurrence à l'identique. Un 4-8 ou un 8-4 au milieu de 6-6, cela n'a objectivement rien à voir avec la limite de reconnaissance d'une égalité entre segments de huit syllabes. C'est pour ça que je parle de contradiction interne majeure dans Théorie du vers. La thèse de la stabilité du semi-ternaire ne rendait pas indispensable de s'acharner à montrer les effets de sens et la permanence de la césure normale entre deux hémistiches de six syllabes, premier effet dommageable, mais en plus elle n'est pas cohérente avec les lignes directrices qui fondent la réflexion métrique de Cornulier.
Cette question du semi-ternaire revient dans la thèse de Gouvard soutenue au début des années 1990 environ et publiée un peu avant le nouveau millénaire.
En plus, toute l'analyse des vers classés dans le semi-ternaire devient historiquement différente et par moments problématique quand on repose les choses à plat.
Cornulier sait cela, puisque je lui en ai directement parlé, mais après personne n'a conscience du problème. Et c'est l'histoire générale de l'alexandrin français qui est en cause, ce n'est pas qu'une histoire de spécialistes de Rimbaud. Tout professeur d'université qui parle des alexandrins de Racine et Corneille, tout autre qui parle de Ronsard, Régnier et Aubigné, tout autre qui parle d'Hugo, Vigny et Lamartine, tout autre qui parle de Baudelaire et Mallarmé, tout autre qui parle de Banville et Leconte de Lisle, tout autre qui parle de la versification au vingtième siècle, tous doivent savoir de quoi ils parlent.
Le semi-ternaire, c'est la thèse qui doit encore voler en éclats pour que le public reconsidère enfin le problème des effets de sens à la césure dans la poésie de Rimbaud et de Verlaine, mais aussi d'Hugo, Baudelaire, Banville, Leconte de Lisle, Mallarmé et compagnie. C'est aussi indispensable pour qu'on comprenne pourquoi au début du vingtième siècle ils ont dit n'importe quoi sur la libération des césures.
Puisque notre cerveau n'identifie pas le nombre syllabique lui-même, et qu'il n'y a pas d'égalité dans le semi-ternaire, il n'y a aucune raison de donner un primat aux mesures 4-8 et 84, avec sous-découpage 5-3 ou 3-5 de la mesure, par rapport à des découpages 2-5-5, 3-6-3, 5-2-5, etc.
Toute l'analyse du semi-ternaire est à refaire, et il n'y a pas un spécialiste de versification qui a envisagé le problème, pas un !
Dans Théorie du vers, les chapitres sur la mesure complexe avec le vers d'accompagnement trimètre n'entre pas eux-mêmes dans la définition du semi-ternaire, cela vient empiriquement sur le tard lors de l'étude statistique des poèmes de Rimbaud, Verlaine et Mallarmé. J'ai besoin de temps pour démêler tout ça.
Mais, pour patienter, une idée qui m'est venue. Rimbaud a écrit une première version de "Mémoire" intitulée "Famille maudite" avec le sous-titre "d'Edgar Poe". Or, vu que la théorie des correspondances vient selon les dires de Baudelaire de E. T. A. Hoffmann, et vu que Poe a été pour Baudelaire une sorte de Hoffmann américain à traduire, je signale à l'attention qu'il existe une courte nouvelle de George Sand en deux pages je crois avec deux parties numérotées en chiffres romains, qui a pour sous-titre "Nouvelle d'Hoffmann". Mais la nouvelle ne m'a pas semblé offrir de rapprochements intéressants, ce qui m'a frappé c'est la similitude d'implication des sous-titres "Nouvelle d'Hoffmann" et "d'Edgar Poe" pour des récits courts, du coup "apocryphes".
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