Je travaille et pour vous c'est l'été, donc le rythme de publications sur le blog ne devrait pas être très soutenu, mais je viens de recevoir le volume 2021 de la revue Parade sauvage. J'ai lu plusieurs articles dont celui de Jean-Pierre Bertrand qui cite par détournement de sens l'expression "influences froides" du poème "Fairy" des Illuminations. Il y traite de l'idée des influences et revient sur les lettres du "voyant". Plusieurs de ses conclusions ne me conviennent pas, mais j'ai aussi médité sur l'idée des influences. Bertrand parle de la critique littéraire de l'époque avec Sainte-Beuve et Taine, il parle de modèles théoriques du vingtième siècle, mais j'ai une approche complètement différente du sujet. Pour moi, une approche sur la question des influences doit être concrète et non pas de spéculation abstraite. Et cela va me permettre de publier un article dans le prolongement du précédent. Cavallaro insiste actuellement sur une prétendue faillite des lectures idéologiques, le mot "idéologique" construisant d'évidence une figure du critique en homme de paille, et il développe une idée qui passe pour brillante et qui a le problème de ne correspondra qu'à une vérité de La Palice. Quand Rimbaud imagine une allégorie, il lui donne forme avec des mots.
Dans mes réponses à Cavallaro, à Bertrand, à d'autres encore, j'insiste sur le fait qu'il y a une distorsion inquiétante. On parle de "Voyelles" comme d'un modèle de révélation absolu. A partir des lettres du voyant, on cherche chez Rimbaud à interpréter les poèmes comme un étalage de vérités, et parfois on va estimer que ce n'est pas encore ça dans les poèmes en vers "première manière", mais que ça l'est dans les poèmes en vers seconde manière et les proses, sauf que c'est devenu ésotérique.
Or, quand on lit "Génie", "A une Raison", "Vies", "Guerre", "Aube", on se rend bien compte que ce n'est pas différent de lire les inventions d'un Hugo, d'un Baudelaire ou d'un Verlaine, que ce n'est pas différent de lire "Stella" des Châtiments, "Angoisse" sonnet des Poèmes saturniens, "La Beauté" des Fleurs du Mal. En réalité, Rimbaud ne pense pas à formuler une révélation dans ses poèmes. Rimbaud cultive son âme comme il le dit, et c'est très différent. La vérité du poème est dans la capacité de Rimbaud à produire plus rapidement et plus efficacement que ses prédécesseurs une création artistique qui ne corresponde pas au consensus moral d'une époque. Il s'agit toujours de partir de la société telle qu'elle est, semble être, est comprise, et des manifestations artistiques contemporaines (et on retrouve ici la question des influences dont on s'empare), pour créer cette altérité qui révèle le devenir sur lequel guider l'humanité. C'est plutôt ainsi que Rimbaud pense la pratique poétique du voyant.
Ma comparaison avec Leconte de Lisle est fondamentale. Rimbaud dénonce le fait de renouveler les choses mortes. Hugo, très mal évalué dans l'article de Bertrand, représente un des premiers voyants avec Lamartine selon Rimbaud, mais son vrai poème est dans la prose avec Les Misérables. La poésie de Victor Hugo utilise un filet protecteur de renvois à une morale saine venue du fond des temps si on peut dire, venue d'une lointaine histoire, grecque ou biblique pour les modèles culturels exhibés. Quant à Leconte de Lisle, il combat le christianisme en orchestrant la revanche de mythes païens vaincus par le christianisme. Il met en scène la colère rentrée des païens.
Rimbaud compose des mythes contre-évangéliques de son époque avec "Génie", "Barbare", etc.
Cela a l'air d'une vérité de La Palice, mais non ! Cela n'est pas compris par les rimbaldiens qui n'en parlent pas et ne disent pas qu'être voyant c'est faire cela. Et il ne s'agit pas de dire que Leconte de Lisle combat le christianisme avec des mythes païens et Rimbaud avec des mythes de son invention plus nourris des écrits en lutte du dix-neuvième siècle. Il s'agit de constater que dans l'opération Rimbaud montre bien qu'il est dans l'en avant du voyant parce qu'il se place entièrement dans le débat des idées vivantes et ne tombe pas dans des systèmes rhétoriques qui préservent de l'ancien.
Mais bon on en reparlera.
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