Une petite brève estivale. Nous ne sommes pas dans une chaude journée de février comme dit dans la première phrase du poème "Ouvriers" des Illuminations, mais dans un temps fort d'une canicule de juillet.
Je tiens pourtant à dire un mot sur cette pièce en prose.
Comme pour la plupart des poèmes en prose de Rimbaud, nous avons droit pour titre à un mot nu, à un mot laissé tout seul : "Mouvement", "Enfance", "Génie", "Barbare", etc. D'après le manuscrit, le titre originel était renforcé de l'article défini : "Les Ouvriers", Rimbaud l'a ensuite biffé, mais il n'a pas biffé l'article du titre "Les Ponts". Il est vrai comme l'écrivait Fongaro que le titre assez sec "Ponts" passerait assez mal. Cependant, Rimbaud n'a pas eu à supprimer les titres des poèmes sur les autres manuscrits. Le titre flanqué d'un déterminant avait été assumé, un temps préféré,...
Qu'on se rassure ! je ne vais pas partir ici dans des considérations compliquées et aventureuses sur la portée éventuelle de la présence de cet article défini dans le titre du poème. Il a été biffé et la variation montre que cela ne porte pas tellement à conséquence. En revanche, le titre est quelque peu énigmatique. En général, on se contente d'identifier dans ce couple d'un homme et d'une femme deux ouvriers, et on parle des indices de littérature romanesque réaliste, si pas naturaliste, du texte avec la "jupe de carreau à coton blanc et brun", les "vilaines odeurs", le "tour dans la banlieue", la "ville", sa "fumée" et ses "bruits de métiers", le "bras durci", l'emploi de l'adjectif "misérables", etc. Cependant, l'action décrite par le poème n'est pas ouvrière en tant que telle. Et Fongaro a soutenu une lecture moins réaliste et plus en phase avec l'idée d'un poème d'illustration ésotérique du projet de "voyant" en identifiant le couple aux poètes Rimbaud et Verlaine. Fongaro présupposait alors une double signification particulière du mot "ouvriers" avec le sens de meneurs d'un travail poétique grave, que Fongaro soutient être aussitôt retourné malicieusement en son quelque peu contraire obscène. La lecture réaliste résiste mieux à l'analyse que l'hypothèse compliquée de Fongaro, même si les équivoques obscènes ne doivent pas être exclues sans procès. Néanmoins, pour le sens du mot "ouvriers", il y a une autre possibilité. De nombreux poèmes de Rimbaud retournent le langage de la religion contre elle, ou bien y font allusion pour indiquer un horizon repoussoir. Et, au plan religieux, le mot "ouvriers" a un sens. Les gens d'église sont des ouvriers de Dieu, des ouvriers de sa vigne ! Le poème parle d'un "autre monde". Il est question d'une merveille comique avec les poissons apparus dans une flache du mois précédent, sorte de témoignage d'un miracle qui ne retiendra pas l'attention du locuteur du poème. Il est ensuite question d'une dépense vaine et d'un manque de force et de science pour clore le poème sur l'illusion d'une "chère image" dont rien ne nous est dit de précis. C'est ce sens religieux détourné qui me paraît le mieux rendre compte du discours de désespoir du mari énonciateur fictif de cette prose.
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