Le
poème « Les Assis » est un cas herméneutique un peu particulier dans
l’œuvre de Rimbaud. Il s’agit d’un portrait-charge d’un groupe de
personnes. Le fait curieux, c’est que, bien que nous lisions ce texte sans
éprouver d’importantes difficultés de compréhension, nous ne serions pas en
mesure d’identifier clairement les cibles de la satire. Quand nous parlons de
Rimbaud en général, nous allons identifier les « assis » à de riches
possédants bien réactionnaires, aux « ventres » dont il est question
dans « Le Forgeron » et « A la Musique » par exemple, mais,
dès qu’il s’agit de la lecture du poème « Les Assis » lui-même, cette
lecture cesse de s’imposer pour une écrasante majorité des lecteurs. Ceux-ci se
contentent d’une perception vague de ce que peuvent être ces hommes si
fortement charriés par le poète, ce qui est un comble pour une pièce qui se
veut satirique. Comme si cela ne suffisait pas, la première édition du poème a
été assurée par Verlaine dans « Les Poètes maudits » et celui-ci a
orienté l’interprétation dans une direction pour le moins assez déconcertante.
Ce poème aurait été tourné contre un bibliothécaire de Charleville
qui aurait refusé de prêter un livre sollicité par le très jeune Rimbaud en
1871, et Verlaine déclare même qu’il connaît le nom de ce bibliothécaire, il
retient simplement sa plume de le jeter en pâture au public parisien. Le
témoignage de Verlaine est étrange pour plusieurs raisons. La première,
c’est que Verlaine, qui, au passage admet que le poème a été composé à Charleville
et donc loin de sa compagnie, n’a aucune raison de bien connaître le
bibliothécaire de Charleville. La deuxième, c’est que le poème parle d’un
groupe de personnes, il vise quelque chose de collectif, et pas un individu
particulier. La troisième raison, c’est que le témoignage de Verlaine semble
inviter les lecteurs à considérer que le poème est une charge contre des
fonctionnaires, contre des bibliothécaires, alors que cela ne ressort pas du
tout dans les vers qui sont passés à la postérité.
Si
nous essayons de jouer le jeu de l’identification d’un bibliothécaire,
qu’est-ce qui va ressortir ? On peut essayer de cerner ce qui
correspondrait au domaine de la lecture avec « les yeux cerclés de bagues
/ Vertes » et « Noirs de loupes ». Les lecteurs dans les
bibliothèques portent des visières vertes ou utilisent des loupes, mais Rimbaud
se sert des équivoques du vocabulaire pour les affliger de pathologies
monstrueuses. Les lecteurs peuvent passer un temps important assis et Rimbaud
raillerait donc bien leur fusion avec leurs chaises en développant l’image de
squelettes étranges. Rimbaud jouerait à les assimiler eux-mêmes à des livres
avec l’expression « percaliser leur peau ». Les lectures
favoriseraient encore la rêverie, et cela nous vaudrait le développement sur
les « vers pianistes » et puis celui, final, où ils s’endorment et
rêvent couchés sur leur bras. Ils deviennent, mais seulement dans leurs rêves,
des écrivains grâce aux « fleurs d’encre crachant des pollens en
virgule ». Enfin, la bibliothèque est un endroit idéal pour rencontrer des
gens anonymes qui restent assis en continu en regardant parfois à travers les
vitres des fenêtres, des gens anonymes qui se font parfois déranger et râlent,
mais retournent s’asseoir, pressés de se replonger dans leurs solitaires occupations.
Toutefois,
il y a encore plein d’autres images du texte qui restent à expliquer et, en
même temps, on s’étonne que le poète n’ait pas pris la peine de caractériser
plus clairement l’univers de la bibliothèque. Il n’est pas directement question
de livres, de consultations, d’étagères, il n’est même pas question clairement
d’une salle de lecture. Il est plutôt question de « corridors » au
pluriel. Les difficultés ne s’arrêtent pas là. Nous venons de tenter une
approche où ces personnages sont identifiés à des lecteurs et pas du tout à des
bibliothécaires. La seule amorce pour prétendre qu’il est question de
bibliothécaires, c’est l’impératif négatif : « ne les faites pas
lever ». Le poème met en place une scène où on dérange ces assis qui sont
obligés de se lever, exécutent une tâche et retournent s’asseoir en râlant. On
peut facilement transposer cela à la situation d’un bibliothécaire qui profite
de son métier pour s’occuper à lire, qui est dérangé par une demande d’un
lecteur qui veut un ouvrage précis et qui fait bien entendre que cela ne lui plaît pas. Ceci dit,
c’est un peu étrange. Le poème permet de faire cette lecture, mais il ne
l’impose pas et ne la prend pas en charge. Il n’y a rien qui impose de
considérer qu’on a voulu faire lever ces Assis pour demander l’accès à un livre
et il n’y a aucun humour sur l’absurdité qui en découlerait quant aux râles du
fonctionnaire. On n’a pas l’impression que le poète se moque de quelqu’un qui
se plaint absurdement de faire ce qui est son travail. En plus, la formule
« ne les faites pas lever » a été clairement précédée par une
description des « Assis » comme un groupe : « Et les
Assis, genoux aux dents… / S’écoutent clapoter des barcarolles
tristes ».
On
peut dès lors légitimement se poser la question. S’agit-il forcément d’une
charge contre des bibliothécaires dans ces quatrains ? Après tout, on peut
même réenvisager le témoignage de la manière suivante. Verlaine rapporterait
fidèlement des explications de Rimbaud sur la genèse de ce poème, mais dans
cette identification le mot « bibliothécaire » prendrait une
importance qu’il n’aurait pas dû avoir. Le poème peut très bien cibler un
public réactionnaire dont ce bibliothécaire serait une manifestation. L’erreur
serait de croire que le poème fait la charge de la fonction de bibliothécaire,
alors que c’était le profil politique seul qui justifiait la charge de Rimbaud.
Verlaine aurait malignement joué sur l’ambiguïté pour détourner l’attention des
vrais enjeux communards du poème. Car, bien évidemment, il existe un noyau de
lecteurs qui pensent depuis longtemps que le terme « Assis » est à
prendre dans une acception politique et que les « sièges » dont il
est question dans ces vers sont de transparentes allusions à l’actualité des
sièges de Paris, celui franco-prussien dans un premier temps, celui de la Commune
dans un second.
En
2008, j’ai publié dans un numéro spécial « Hommage à Steve Murphy »
de la revue Parade sauvage un article
intitulé « Assiégeons ‘Les Assis’ ! » d’une vingtaine de pages
où j’ai résolument tourné le dos à l’interprétation selon laquelle il
s’agirait de bibliothécaires et j’ai appuyé l’idée que le poème était politique
et parlait de l’actualité des sièges de la guerre franco-prussienne et de la
guerre civile liée à la Commune. Je n’étais pas le premier à le faire,
j’appuyais l’idée d’un jeu de mots sur ces sièges d’actualité dans des
expressions telles que « les Sièges leur ont des bontés ». Je
trouvais évident que les mentions « culottée » et « épis où
fermentaient les grains » permettaient des jeux de mots sur la révolution du
peuple contre les ventres. La paille qui cédait était culottée, il fallait donc
qu’ils soient attaqués par des sans-culottes. Le vers : « Tout leur
pantalon bouffe à leurs reins boursouflés », véhicule le mot
« pantalon » qui renvoie encore une fois à l’idée de sans-culottes et
on voit que ces assis en danger se font manger. On s’attaque à leurs ventres.
Il faut bien mesurer que dans la paille de ces chaises les pianistes
reconnaissent « l’âme des vieux soleils » bien « emmaillottée »
et que cela les fait chanter des « barcarolles tristes », tristesse
qui pourrait bien être de la nostalgie d’un ancien régime avec des assises
solides et une société bien contrôlée.
Dans
mon article, je me suis attaché à montrer que le mot « assis »
était à rapprocher du mot « ventre » dans de précédents poèmes, du
mot « accroupissements », et pour les mots de la famille
« accroupi » j’ai souligné qu’ils étaient une métaphore clef
abondante des vers du recueil Les
Châtiments de Victor Hugo. J’ai bien sûr souligné l’arrière-plan
insurrectionnel de l’expression « ne les faites pas lever ».
Je
ne vais pas revenir ici sur tout ce que j’ai mis en avant dans cet article.
J’ai signalé à l’attention des convergences avec des poèmes de Victor Hugo et
Leconte de Lisle notamment, et j’ai aussi pas mal interrogé les faits de
versification. Je vais me contenter de rappeler des points dont l’importance ne
devra pas échapper à un quelconque de mes lecteurs.
Un
point important, c’est la considérable abondance du recours au déterminant
possessif « leur(s) » : « leurs doigts boulus »,
« Leur fantasque ossature », « leurs chaises »,
« leurs reins », « leurs caboches », « leurs
omoplates », « leur pantalon », « leurs têtes
chauves », « leurs pieds tors », « leurs boutons d’habit »,
« leur regard », « leurs mentons chétifs », « leurs
visières », « leurs bras », « leur membre ». La
dernière mention est au singulier par fine allusion obscène et il faut noter
que dans le cas des « omoplates » le déterminant « leurs »
précède la césure. Cet abus du possessif souligne forcément deux tares :
les réactions possessives de ces êtres qui peuvent donc être des possédants et
en tout cas leur orgueil. Ce que j’ai souligné également, c’est le
chevauchement de la césure par l’expression « genoux aux dents ». La
forme prépositionnelle « aux dents » est rejetée dans le second
hémistiche. Ce genre de césure est un poncif de l’époque de Rimbaud, notamment
sous les plumes de Victor Hugo et de Leconte de Lisle, mais ce qui est étonnant
c’est que les attestations chez Hugo et Leconte de Lisle sont tantôt
antérieures, tantôt postérieures au vers de Rimbaud lui-même. En clair, si on
se contente des mentions antérieures que j’ai pu relever chez Hugo et Leconte
de Lisle ou ailleurs c’est que le poncif n’est pas encore pleinement constitué.
Les mentions antérieures à Rimbaud ont l’air d’être peu nombreuses. En
revanche, si je plaide depuis longtemps l’authenticité des vers inédits
cités par Delahaye dans ses œuvres de souvenirs, il y a un fait majeur à
relever. En 1908, Delahaye a publié des alexandrins inédits. Il a publié trois
vers d’une « Plainte des Epiciers », où du coup la cible satirique
est identifiable en tant que telle. Et cette mince citation est suivie d’un
extrait bien conséquent d’un poème au titre cette fois resté inconnu. Et, dans
une nouvelle édition posthume de ses Souvenirs
familiers, Delahaye a allongé la citation du même extrait de vers
supplémentaires, signe qu’entre 1908 et sa mort il avait encore accès à ces
documents inédits. D’où venaient ces poèmes ? Delahaye en cite quelques
autres d’inédits. Rimbaud a très bien pu remettre certains de ses poèmes à
d’autres carolopolitains qu’Izambard. Nous aurions beaucoup aimé avoir accès à
la collection éventuelle de Léon Deverrière. Ou bien Delahaye a-t-il profité de
textes demeurés inédits du dossier récupéré par Maurevert ? Il ne faut pas
oublier que Maurevert possédait une version inédite du « Sonnet du Trou du
Cul » dont on ne sait pas grand-chose.
Intéressons-nous
à cet extrait inédit livré par Delahaye et au contexte de composition qu’il
leur prête. Après la Semaine sanglante, Rimbaud souhaitait être publié dans la
naissante revue le Nord-Est d’Henri
Perrin (le « M. N. » du témoignage de Delahaye) avec l’appui de Léon
Deverrière. La revue du Nord-Est
qu’il serait bon de dépouiller en regard des textes de Rimbaud devait selon
Delahaye lui-même être le journal marqué du parti républicain et
« combattre l’action du vieux Courrier
des Ardennes » et le professeur Perrin qui a remplacé Izambard « n’hésitait
pas à se camper en face de l’ogre monarchiste, revenu féroce et en disposition
de tout avaler ». Ce Perrin « s’était annoncé par une vigoureuse
brochure où les partisans de Bonaparte, ceux d’Henri V et du duc
d’Aumale recevaient très joliment leur paquet. » Rimbaud aurait donc
envoyé « La Plainte des Epiciers » dont Delahaye nous cite trois vers
au journal de Perrin, et l’idée générale du poème était de se moquer de ces
épiciers effrayés par le retour d’un discours de « rouges » après la
semaine sanglante. Dans « Les Assis », on a un portrait-charge de
gens effrayés de devoir se lever, de gens qui râlent parce qu’on les dérange,
de gens qui semblent avoir du ventre et qui ne voudraient pas que cela se
retourne contre eux. Le poème « Les Assis » n’est pas une plainte, le
poète ne prend pas la voix de ceux qu’ils charrient, mais il évoque bien leur
plainte d’avoir dû se lever. Passons à l’extrait de l’autre poème cité par
Delahaye. Comme dans « La Plainte des Epiciers », le poème prend la
voix des réactionnaires qui se dressent contre Henri Perrin. Et ce qui est
impressionnant, c’est les images qui semblent faire nettement écho au
poème « Les Assis ». L’homme plein de fureur parle à plusieurs
reprises de son fémur, et dans un sens équivoque obscène (« … Vous avez /
Menti, sur mon fémur, » « Mais moi, j’ai deux fémurs bistournés et
gravés », « J’ai mon fémur ! J’ai mon fémur ! J’ai mon
fémur ! / C’est cela que depuis quarante ans je bistourne / Sur le
bord de ma chaise aimée en noyer dur ; / L’impression du bois pour
toujours y séjourne ; / Et quand j’apercevrai, moi, ton organe impur,
/ A tous tes abonnés, pître, à tes abonnées, / Pertractant cet organe avachi
dans leurs mains, / Je ferai retoucher, pour tous les lendemains, / Ce fémur
travaillé depuis quarante années ! » Delahaye dit que c’est ainsi
que l’homme imaginé par Rimbaud « confond[rait] Le Nord-Est et le pulvérise[rait] à jamais ». On retrouve
donc le fémur, le siège, la position assise permanente, la fusion avec le
siège, la rage, l’obscénité et on ne peut manquer le rapprochement avec les
vers des « Assis » où ceux-ci « surgissent, grondant comme des
chats giflés, / Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage ! » Si ce
vieux croit pulvériser le Nord-Est,
dans « Les Assis », il est question de revendiquer la puissance d’une
« main invisible qui tue », « main invisible » qui ne
semble pas une allusion au concept en économie de Smith, mais « main
invisible » qui a l’air d’une puissance fantasmée comparable à celle de
l’exterminateur du Nord-Est par son
fémur bistourné…
Une
autre convergence mérite toute notre attention. Si, dans la pièce connue de
Rimbaud, les « Assis » sont montrés « genoux aux dents »
avec rejet du syntagme « aux dents » dans le second hémistiche, dans
l’extrait cité par Delahaye l’ennemi qui fustige Perrin l’accuse de porter un
« masque à dentiste » et l’expression « à dentiste » est
elle aussi en rejet par-delà la césure :
Parce que vous suintez
tous les jours au collège
Sur vos collets d’habit
de quoi faire un beignet,
Que vous êtes un masque
à dentiste, au manège
Un cheval épilé qui bave
en un cornet,
Vous croyez effacer mes
quarante ans de siège !
Et les Assis, genoux aux
dents, verts pianistes
Les dix doigts sous leur
siège aux rumeurs de tambour
S’écoutent clapoter des
barcarolles tristes
Et leurs caboches vont
dans des roulis d’amour.
Face
aux « quarante ans de siège », « leur siège aux rumeurs de
tambour » qui risquent de les « faire lever » ! Delahaye ne
souligne pas lui-même les liens possibles avec le poème « Les
Assis ». En revanche, dans une note de bas de page à la fin du chapitre
VII où il cite et commente ces extraits, voici une précision importante qu’il
apporte en se servant judicieusement du terme « assis » entre
guillemets :
On m’excusera d’expliquer
une chose que tout le monde comprend. Il s’agit d’un « assis »,
vieillard obstiné à ne pas changer d’opinion et qui symbolise Le Courrier des Ardennes ; il est resté si longtemps sur la
même chaise que les bords du meuble ont « travaillé » ses fémurs comme
le ciseau d’un sculpteur.
Je
me demande quel profit on ferait d’une lecture systématique des exemplaires
d’époque du Nord-Est, pas seulement pour
une meilleure compréhension des vers inédits livrés par Delahaye. Peut-être
qu’il y aurait des rapprochements à faire avec « Les Premières
communions », « L’Homme juste », etc. Ces rapprochements
invitent à penser que la cible des « Assis » cela pourrait bien être
les partisans du Courrier des Ardennes.
La difficulté, c’est qu’on ne sait pas exactement quand le poème « Les
Assis » a été composé. Il est fort probable que le poème ne peut pas être
antérieur à la menace du second siège sur Paris et donc le poème ne pourrait
pas être antérieur à la Commune. Est-ce qu’il était encore question d’une forme
d’état de siège après la semaine sanglante ? En tout cas, le jeu de mots
sur les sièges qui est pratiqué par Rimbaud venait clairement de ses lectures
dans la presse. Cela fâchera ceux qui veulent que le génie du poète n’ait rien
à devoir à personne ou si peu que ce soit, mais il semble bien que plusieurs
jeux de mots des poèmes de Rimbaud soient des reprises de ce qu’il a pu lire
dans les journaux. Le drame, c’est que nous avons peu conservé les exemplaires
des journaux de l’époque dans nos bibliothèques. Il nous en manque énormément
et la critique littéraire est plus volontiers portée à analyser les influences
entre pairs que les influences sur Rimbaud d’écrivains franchement mineurs ou
d’articles de journaux en soi oubliables. Ceci dit, Zola s’étant imposé comme un
grand nom de la Littérature française, ses premiers écrits de journaliste ont
pu faire l’objet d’éditions récentes. J’ai sous la main un ouvrage intitulé La Commune 1871 / Emile Zola avec une
« présentation de Patricia Carles et Béatrice Desgranges », dans la
collection Chronos, par Nouveau Monde éditions, en 2018. Il s’agit d’une
« large sélection » des « articles » parus à l’époque de la
Commune dans deux journaux La Cloche
et Le Sémaphore de Marseille. Zola va
afficher des positions hostiles à la Commune, il va même plutôt se réjouir de
son écrasement dans le sang. Le roman ultérieur La Débâcle montre d’ailleurs très bien que Zola ne s’est jamais
fortement pénétré intellectuellement de l’événement communard. Les premiers
articles dans La Cloche sont plus modérés
et plus favorables à la population parisienne. C’est après le départ des maires
que Zola devient franchement hostile à la mutation révolutionnaire de la
Commune. Qui plus est, en mars, il assiste aux assemblées quotidiennes à
Versailles dont il rend compte et même s’il écrit dans un journal orléaniste il
ne se prive pas pour juger négativement chaque camp et s’indigner des abus
versaillais.
Le
premier article cité a été publié le 22 mars dans la revue La Cloche. Rappelons que l’insurrection a eu lieu le 18 mars, mais
que la Commune elle-même n’a été instituée que le 28 mars. Dans cette période
de battement et donc autour du 22 mars, il est question d’état de siège. Voici
ce qu’écrit Zola au sujet de l’assemblée de la veille (celle du 20 apparemment,
vu que le journal semble publier les compte rendus le lendemain de leur
déroulement) à laquelle il a été empêché d’assister :
[…]
La grande
question, celle qui tient anxieux Paris entier, est de savoir l’attitude
que va prendre l’Assemblée : fera-t-elle le siège de la capitale ou
acceptera-t-elle un compromis ? Terrible alternative, d’où peut sortir le
salut ou la mort de la patrie.
Le projet de loi
présenté par M. Picard et voté par l’Assemblée, demandant la mise en état de
siège du département de Seine-et-Oise, est certainement une mesure qui indique
la volonté de réprimer énergiquement l’émeute. Mais, d’autre part, le vote
de l’urgence du projet de loi sur l’élection du conseil municipal de Paris,
présenté par M. Clemenceau et appuyé par M. Tirard, me paraît montrer le désir
que l’Assemblée aurait d’en finir sans lutte, sans effusion de sang.
Toute la séance d’hier,
pour moi, tient dans ces deux votes. […]
Zola
estime que Paris chassera l’émeute si on satisfait ses demandes légitimes. Puis
il passe au compte rendu de l’assemblée du jour dont il a été témoin (celle du
21 en principe). Et un court paragraphe mentionne à nouveau l’idée d’état de
siège :
Puis autre
proposition : M. Picard demande la mise en état de siège du département de
Seine-et-Oise.
L’Assemblée se retire
pendant deux heures dans ses bureaux, où elle délibère sur ces deux
propositions.
Dès la reprise de la
séance, M. Clemenceau lit le projet de loi sur l’élection du conseil municipal
de Paris. Il appuie ce projet de paroles fort sages et demande l’urgence. M.
Picard combat l’urgence ; il craint que les élections en ce moment, ne
puissent se faire avec toute la liberté désirable.
Les paroles de M. Picard
font monter M. Tirard à la tribune ; ce dernier reprend la thèse de M.
Clemenceau : Paris ne peut être sauvé que par une municipalité élue.
La droite ayant jeté le
nom du général Clément Thomas dans le débat, M. Tirard a énergiquement répudié
toute solidarité entre les hommes de l’Hôtel de Ville et les maires de Paris.
Il parle avec une telle ardeur de patriotisme que la droite elle-même
applaudit.
M. Tirard dit encore que
lui et ses collègues sont fermement résolus à s’opposer aux élections annoncées
pour le 22 mars par les hommes de l’Hôtel de Ville. Son discours, très
chaleureux et traversé par un grand souffle d’honnêteté, enlève le vote de
l’Assemblée qui accepte l’urgence.
La promesse faite à
Paris, par un groupe de ses représentants, était tenue à moitié. C’est M.
Lockroy qui a lu le projet de loi relatif aux élections des chefs de la garde
nationale, élections promises également et qui seront sans doute acceptées par
l’Assemblée.
M. Millière rend ensuite
un grand service au gouvernement en proposant de proroger de trois mois toutes
les échéances. M. Dufaure, regrettant l’empressement qu’il a mis à voter à
Bordeaux son cher projet de loi qu’il présentait comme si parfait et si
inoffensif se hâte d’accepter l’urgence demandée par M. Millière.
Puis vient la discussion
sur la mise en état de siège du département de Seine-et-Oise. M. Louis Blanc
parle contre le projet de loi et fait appel à la conciliation. Il est
violemment interrompu par la droite. Un représentant se fait rappeler à
l’ordre. M. Louis Blanc est obligé de quitter la tribune.
Il y est remplacé par le
général Trochu qui défend le projet de loi. D’ailleurs, il paraît avoir pris la
parole plutôt dans un intérêt personnel que pour apporter quelque lumière dans
le débat. Il obtient un grand succès d’émotion en donnant un adieu aux généraux
Lecomte et Clément Thomas. Il demande que les six enfants du général Lecomte
soient adoptés par la France.
Après de nouvelles
protestations de MM. Clemenceau et Langlois contre les assassinats infâmes de
Montmartre, l’Assemblée décide qu’elle se réunira le lendemain en séance
publique à midi.
L’article
du 23 mars pour le journal La Cloche
commente un fait étonnant. M. Grévy a levé prématurément la séance au bout de
deux heures et demie. Tout le monde est étonné, mais la séance va se prolonger
trois heures durant sans tenir compte de cette levée. Notez que l’assemblée
réunit des gens assis et qu’à la fin la séance est levée, on a déjà la structure
du jeu de mots appliqué dans « Les Assis ». Les passions sont
déchaînées. Je cite un extrait qui l’indique et qui fait lien avec ce que j’ai
cité précédemment :
[…]
M. Clemenceau pose
nettement qu’il n’y a que deux moyens de résoudre la question : la force
ou un expédient. Un expédient seul est possible, et cet expédient, c’est des
élections municipales immédiates. L’orateur dit que l’Assemblée ne veut sans
doute pas faire le siège de Paris, et il la supplie, il l’implore de ne pas
perdre une heure, si elle désire éviter l’effusion de sang.
M. Langlois ajoute avec
raison que les élections décrétées par le comité central doivent être hautement
désavouées par l’Assemblée, et que la meilleure façon de les désavouer est d’en
ordonner de régulières et de légales. Lui aussi il joint les mains, suppliant
ses collègues de ne pas jeter Paris plus avant dans la guerre civile.
Ces paroles amènent M.
Brisson à proposer à l’Assemblée de voter un ordre du jour motivé, dans lequel
il sera dit qu’une loi prochaine fera rentrer Paris dans le droit commun. Cela
effarouche la droite, et M. Martin des Paillères déclare que, Paris étant
l’anarchie, il n’y a pas lieu de le faire rentrer dans le droit commun, tandis
qu’un membre de la commission, se croyant beaucoup plus rusé, combat l’ordre du
jour en invoquant le règlement.
Voyant que la droite va
commettre des sottises, M. Thiers se décide à monter à la tribune. Ses paroles
sont d’une grande habileté. En somme, il ne veut pas que la loi sur les
élections municipales soit bâclée en une séance. […]
Thiers
considère que les événements montrent que l’assemblée a le droit de préférer la
France à Paris et il prétend ne pas vouloir attaquer Paris qu’il laisse à ses
réflexions. Il ne croit pas que si on votait une loi Clémenceau et les autres
pourraient la mettre à exécution. Jules Favre prend la parole à son tour contre
Paris. Zola insiste lourdement sur le fait que le personnage est gros d’orages
rancuniers qui seront interprétés comme tels par une population qui ne le porte
pas dans son cœur depuis la capitulation. Les représentants de Paris que sont
Tolain, Clémenceau et Langlois n’arrivent plus à parler à la tribune. Seul Tirard
y parvient enfin. Thiers finit par s’assurer l’ajournement sur cette question
en reprenant la parole.
L’article
du 25 mars témoigne d’une aggravation du désespoir de Zola :
Je sors navré de la
séance d’aujourd’hui, me demandant s’il est donc vrai que l’heure de notre
agonie ait sonné. Entre les factieux de l’Hôtel de Ville et les intolérants
aveugles de l’Assemblée, la France gît, saignante, frappée au cœur, se
débattant dans les dernières convulsions de la mort. Et, certes, si l’histoire
dit un jour que l’insurrection a poussé le pays dans l’abîme, elle ajoutera que
le pouvoir régulier et légal a tout fait pour rendre sa chute mortelle.
[…]
Avant d’arriver à la loi
sur les bataillons de volontaires, on vote rapidement une nouvelle loi qui
proroge d’un mois les échéances de commerce. M. Millière avait demandé trois
mois, mais la chambre a trouvé que cela était trop sage, et il a fallu qu’elle
glissât là, comme partout, sa pointe de maladresse. La loi sur les échéances a
été une des causes multiples de la facile victoire des hommes de l’Hôtel de
Ville. Il est par conséquent bien entendu que l’Assemblée la maintiendra ou ne
la modifiera que de façon à ne contenter personne. Nos législations font du
courage à coups de sottises.
[…]
Il
n’est plus question de loi sur les élections municipales, mais de la formation
de bataillons volontaires. M. de Kerdrel prend la parole à la tribune lors de
cette séance, comme en rend compte Zola :
Et alors M. de Kerdrel y
monte pour faire un acte d’accusation en règle. La Chambre mange avec délices
du Gambetta ; et, rencontre imprévue, elle mange aussi du Picard.
L’orateur refuse toute immixtion civile dans les affaires militaires. Puis,
brusquement, sortant de la question, il accuse le ministre de ne pas avoir mis
toute la diligence possible dans le changement des préfets. Ah ! quels
applaudissements ! Depuis Bordeaux, la droite n’avait plus goûté aux
préfets. Elle se remet à les mordre avec une furie de jouissance, quand M. de
Kerdrel déclare que les préfets républicains, depuis les élections, ne sont
plus possibles en France.
Ces pavés tombent on ne
sait d’où. On se regarde, désespérés, dans les tribunes. Plus de préfets
républicains, plus de république, plus rien du tout. C’est le « rien du
tout » qu’ils auront prochainement s’ils continuent.
M. Picard, très pâle,
sentant son portefeuille lui glisser des mains, vient faire son acte de
contrition. Il se hâte autant qu’il le peut. Mais pourtant il est difficile de
mettre, du jour au lendemain, de bons et braves administrateurs à la porte.
« Non, non, crie la droite, renvoyez-les tous ! » Et plus M.
Picard se met à la disposition de ces messieurs, plus ils font les enfants
gâtés. « Vous nous avez tous contrariés, vous n’écoutez pas nos avis. »
[…]
C’est
bien une colère comique d’assis qui est dépeinte là, et il me semble bien
difficile de ne pas faire le rapprochement entre ces gens de l’assemblée qui
sont réactionnaires et hostiles à l’idée de République et les personnages
brocardés par Rimbaud sous le vocable « Assis » précisément. Zola
écrivant dans un journal orléaniste et admirant M. Thiers, il faut comprendre
que le terme de droite désigne plutôt les légitimistes.
La
séance se poursuit avec un petit coup de théâtre préparé par le gouvernement en
coulisse selon les mots mêmes du rapporteur qu’est Zola. Il est question de
faire entendre les maires de Paris directement par l’assemblée.
Puis, le coup de scène
étant prêt, M. Arnaud (de l’Ariège), maire de Paris, monte à la tribune et
supplie l’Assemblée de vouloir bien laisser introduire et entendre les maires
de Paris, qui ont à lui faire une proposition tendant à ramener la paix et
l’union.
La droite se cabre comme
à la vue brusque d’un gouffre. Elle ne veut pas que les maires soient
introduits. Elle a le règlement pour elle. Et je voudrais que vous l’eussiez
vue blanche de colère, flairant quelque surprise.
[…]
L’effet a été
foudroyant. On eût dit une scène de la Convention. La gauche, inévitablement,
se lève et pousse le cri de : « Vive la République ! » Les
maires répètent ce cri ; les tribunes, prises de fièvre, agitent des
chapeaux, des mouchoirs et crient, elles aussi : « Vive la
République ! Vive la République ! » d’une voix assourdissante.
L’entraînement est tel que des femmes de députés font, me dit-on, plus de
tapage que les autres.
La droite éclate en
imprécations. Elle aussi est debout. Elle montre le poing aux maires et au
public. D’ailleurs, pas une parole ne sort de ce chaos. Le tapage est
effroyable. Ces messieurs, dominés, sans voix, prennent le parti de se
couvrir : « Chapeau bas ! crie la gauche, c’est une
insulte ! » Et le tumulte recommence de plus belle, les maires
toujours acclamés dans leur loge, la droite leur montrant toujours les poings
d’en bas. M. Grévy se décide à lever la séance, qui, d’ailleurs, doit être
reprise à huit heures.
A neuf heures et quart,
il n’y a pas encore vingt députés dans la salle. Je vous envoie cette lettre,
regrettant de ne pouvoir vous raconter la fin de l’incident. On dit – mais je
ne vous donne cela que sous toutes les réserves imaginables – que les maires,
d’accord avec M. Thiers, viennent demander à l’Assemblée des élections
municipales pour Paris, immédiates et dégagées de toutes entraves.
Il paraît que la nuit
dernière il y aurait eu une séance secrète, dans laquelle on aurait essayé de
prendre certaines mesures. Mais rien de décisif n’aurait pu être voté. […]
Je
me demande par quel prodige le poème « Les Assis » ne rendrait aucun
écho de ce que Zola vient de décrire. Rimbaud décrirait uniquement des bibliothécaires
nostalgiques de vieux soleils, qui vivent assis, ne veulent pas se lever aux
rumeurs émeutières de tambours, montrent le poing à ceux qui les contrarient et
les tuent par le truchement d’une main invisible. Rimbaud aurait manqué un tel
rapprochement, il aurait choisi une cible mesquinement sans portée
historique ? C’est dur à avaler.
L’article
suivant dans la revue La Cloche a été
publié le 26 avril, mais, pour plus de clarté, il est précédé en en-tête de la
mention « 24 avril ». Il est donc question de séances qui ont lieu le
jour, mais aussi la nuit, et on voit que le terrain devient de plus en plus
propice aux jeux de mots sur « levé », « assis »,
« couché ».
[…]
Chaque fois que je sors
d’une de ces séances lamentables, le grand air du dehors me fait du bien. Je
n’ai pu encore m’habituer à cette salle chaude, ardente des flammes crues du
gaz. Quand je rentre dans le soleil clair, je me dis : « J’ai rêvé,
la France ne peut être aussi malade. Voici le printemps qui naît et la patrie
va guérir. »
Hier, dans la nuit,
séance vide ; aujourd’hui, dans le jour, séance regrettable. Que sera la
séance qu’on annonce pour cette nuit ? […]
Donc, après
l’enthousiasme et le tapage de l’autre soir, soulevés par les écharpes
tricolores des maires, la séance a été reprise à dix heures. Elle devait
recommencer à huit heures ; mais il fallait bien deux bonnes heures de
plus à ces messieurs de la droite pour digérer les écharpes et les cris
de : « Vive la République ! »
Il paraît que, dans les
couloirs, on était arrivé à se calmer et à s’entendre.
[…]
Dans le calme plat qui
s’établit, M. Ventavon lit le rapport de la commission chargée d’examiner le
projet de loi sur l’inamovibilité de la magistrature. La droite est
heureuse ; elle dodeline de la tête, à demi assoupie, bercée par la
lecture de ce rapport qui va casser un décret de Gambetta.
[…]
J’interromps
la citation pour souligner évidemment cette nouvelle convergence avec le poème
« Les Assis ». Dans ce poème, après la tempête équivalente à celle
des cris de « Vive la République » à l’Assemblée, les
« Assis » s’endorment sur leur bras et se laissent bercer par les
fantaisies de leurs imaginations. C’est un énième parallèle troublant. Rimbaud
n’a pas forcément lu les textes de Zola, mais il a dû lire d’autres saillies
similaires. Il faudrait peut-être chercher si d’autres journaux à la place de
couloirs ne parleraient pas de corridors pour l’assemblée. Mais nous en
arrivons à l’idée de gens qui font corps avec leurs sièges et je vous convie à
lire quelques derniers extraits du reportage zolien.
Nous
avons en débat une proposition de M. Bérenger « d’envoyer quinze
représentants délégués à Paris » et pour la soutenir l’intéressé précise
que « le quartier de la Banque pourrait servir de citadelle à la
délégation de la chambre, et que tous les hommes d’ordre viendraient là comme à
un point de ralliement naturel. » « Mais la droite trouve qu’elle est
bien à Versailles. »
Zola
poursuit en rendant compte d’une demande d’explication à Jules Favre sur une
note prussienne. Puis il conclut :
Telle a été cette séance
de nuit. Les représentants auraient mieux fait de se coucher. Et il n’y aurait
même pas eu grand mal à ce que ces messieurs ne se fussent pas levés
aujourd’hui. Au moins la loi sur les échéances, cette loi si mal raccommodée,
ne serait pas votée encore, et on pourrait espérer mieux.
[…]
Zola
fait le compte rendu blasé de cette nouvelle séance où la question des
élections municipales à organiser essuie une nouvelle fin de non-recevoir et le
courrier zolien se termine par ces mots sur une prochaine séance :
[…] Il est à désirer que
la nouvelle du compromis passé à Paris entre l’Hôtel de Ville et les
municipalités soit arrivée à l’Assemblée avant la séance. Maintenant, si
l’Assemblée le veut, l’ordre est rétabli. Et que cette secousse lamentable lui
donne ce grand enseignement : le jour où elle toucherait à la République,
Paris entier se lèverait et protesterait les armes à la main.
L’article
publié le 27 mars dans La Cloche est
lui aussi précédé d’une mention de date en en-tête « 25 mars ».
L’actualité est chargée. Je commence par citer un extrait du milieu de ce
compte rendu zolien, car il fait état du reflux des émeutes communalistes dans
d’autres villes et puisqu’il précise l’événement des élections parisiennes
acceptées pour le 26 avril, c’est-à-dire le lendemain :
Au milieu de la séance,
M. Picard est venu lire une dépêche annonçant que le calme, après trois jours
de désordre, règne à Lyon et à Saint-Etienne. La droite et la gauche ont
applaudi. M. Thiers a également coupé la discussion en déclarant qu’il avait
reçu des nouvelles graves de Paris, et en demandant à la commission des quinze
de bien vouloir venir conférer avec le gouvernement.
Nous avons eu à la fin
de la séance, après le retrait de la proposition de M. Arnaud (de l’Ariège),
l’explication de cet incident. M. Louis Blanc, ayant raconté en quelques mots
les derniers événements et expliqué pourquoi les maires avaient accepté des
élections municipales immédiates, a demandé à l’Assemblée de vouloir bien
déclarer que ces maires avaient agi en bons citoyens.
Des exclamations partent
de la droite […]
Ces
réactions ont « exaspéré » le rapporteur Zola qui conclut sa lettre
ainsi :
[…] Comment ! voilà
de braves et honnêtes citoyens qui, abandonnés par le gouvernement, seuls au
milieu d’une insurrection formidable, tiennent tête depuis huit jours à
l’émeute, lui disputent le terrain pied à pied, font ce que les ministres n’ont
pas eu le courage de faire ; et lorsque ces citoyens, à bout de
résistance, las de demander à l’Assemblée une mesure de conciliation, jugeant
le péril de près et croyant que l’heure est venue d’agir, se décident à prendre
sous leur responsabilité un parti qui doit éviter la guerre civile et rendre
Paris à la France ; c’est alors que l’Assemblée refuse de les approuver,
c’est alors que des hommes qui se cachent à Versailles, sous le prétexte
de ne pas compromettre leur dignité, détournent la tête, font entendre par
leurs murmures que les maires ont démérité, et donnent ce spectacle à l’Europe
d’une Chambre assez peu politique pour ne pas saisir cette occasion suprême de
pacifier la patrie !
Je déclare une
chose ; je ne veux pas engager la responsabilité du journal où j’écris,
mais je dis hautement que je voterai demain.
Et
voici le discours par lequel débutait ce courrier :
Je serais bien heureux
si quelqu’un pouvait me dire ce que veut l’Assemblée. Les séances se succèdent,
et le vide se fait de plus en plus. On se réunit le jour, on se réunit la nuit,
sans que la majorité veuille seulement qu’on prononce le nom de Paris.
L’histoire ne voudra pas croire à un tel entêtement dans une telle intolérance.
L’Assemblée n’a que des
instincts. C’est une bête ombrageuse qui refuse d’avancer parce qu’un arbre
barre la route. Elle ne raisonne pas. Elle crie à la moindre piqûre, et ce ne
sera qu’à coups de fouet qu’on la domptera et qu’on la lancera en avant.
Il faut voir cette
majorité qui n’écoute pas, qui ne respecte pas le président, qui ne peut
supporter la moindre contradiction sans entrer dans des colères folles, qui se
meut avec une brutalité d’animal, sans raison, sans calcul, toute à sa haine,
criant parce que le cri monte à sa gorge, n’ayant même pas conscience de son
attitude impolitique et odieuse.
A coup sûr, dans la
crise que nous traversons, cette Assemblée est incapable de comprendre le péril
et de se ranger à une mesure de sagesse et de conciliation. Avec les
trépignements et la colère impuissante de l’enfant qui veut la lune,
l’Assemblée veut Paris, mais Paris garrotté, Paris aux pieds d’un roi, Paris
sans armes et sans libertés. Et elle entend rester sourde tant que la grande
ville criera : « Vive la République ! » On ne saurait
autrement expliquer son attitude. C’est un parti nettement pris : Paris
n’existe plus pour elle, et toute sa politique consiste à ne pas vouloir qu’on
lui en rappelle l’existence.
[…]
Zola
poursuit et ironise de temps en temps sur les séances qui s’enchaînent de nuit
et de jour : « La permanence de ces messieurs est une permanence
platonique », « l’Assemblée a décidé qu’il était sage d’aller se
coucher », etc. Zola note l’unanimité de l’Assemblée à tout le moins
contre le bonapartisme. Il est question de la magistrature de 1851 et on sent
le jeu de mots dans la phrase suivante du compte rendu zolien : « Le
projet de loi Dufaure réintègre ces magistrats sur leur siège. Mais je les
défie bien aujourd’hui d’y remonter, après la flétrissure ineffaçable que leur
a infligée l’Assemblée tout entière. » En tout cas, les jeux de mots qui
intéressent un rapprochement avec le poème « Les Assis » arrivent
enfin avec l’article du 28 mars qui porte l’en-tête « 26
mars » :
La permanence de
l’Assemblée devient de plus en plus platonique. Elle a tenu à avoir une séance
hier dimanche. Vous comprenez que, dans les terribles circonstances où nous
nous trouvons, l’Assemblée ne peut se donner de vacances, même d’un jour. Elle
a causé tout doucement sur ceci et sur cela, en évitant bien de dire un mot qui
puisse rappeler que les élections municipales de Paris avaient lieu à la même
heure.
Je propose à l’Assemblée
un loto gigantesque. M. de Lorgeril appellera les numéros. Chaque quine gagnera
un verre d’eau sucrée. De cette façon, nos représentants pourront agréablement
rester en séance de six heures du matin à six heures du soir sans avoir le
souci d’aborder des questions fâcheuses, et l’histoire sera bien forcée de
constater un jour que ces dignes et grands citoyens sont restés héroïquement
sur leur siège.
[…]
[…] Il n’y aura guère
que M. Jaubert qui aura pleuré en secret sur cette besogne immense faite le
jour du Seigneur, malgré les commandements de l’Eglise. C’est là un spectacle
consolant, de grands citoyens qui, par un temps superbe, refusent d’aller dîner
sur l’herbe dans les bois de Saint-Germain, uniquement pour travailler sans
perdre une minute au salut de la patrie !
[…]
Le
persiflage de Zola se poursuit. L’assemblée reproche à Thiers son absence aux
séances :
[…] Dire que cet homme
d’Etat a l’audace de s’inquiéter des événements de Paris ! Jamais la
majorité ne lui pardonnera cela, car la majorité, avec un mépris de duchesse,
parle des Parisiens comme d’une troupe de laquais qu’on bâtonnera quand on
voudra. En attendant, la majorité se tient prudemment à Versailles, et aime
mieux dormir sur des chaises dans les corridors d’hôtels de troisième ordre,
que de venir demander de bons lits à la capitale.
[…]
Ces
jeux de mots sont faits dans le courrier même qui évoque les élections se
déroulant à Paris. Zola qui n’est pas du côté des insurgés en rend compte
avec enthousiasme pourtant :
[…] On me dit que les
élections se sont faites dans le plus grand ordre. Jamais nation n’a donné un
pareil spectacle, et je crois que plus tard le jugement porté sur les événements
que nous traversons perdra de sa sévérité. N’avons-nous pas obéi à des
impulsions secrètes, et ne venons-nous pas d’inaugurer un système qui doit
tirer à jamais la France des empires et des monarchies ?
Nous sommes trop près
aujourd’hui. Nous ne pouvons juger. Mais certes, entre Versailles qui discute
misérablement et Paris qui se réconcilie devant les urnes, j’avoue
qu’instinctivement je suis pour cette grande et noble ville, encore toute
secouée de ses cinq mois de siège, et qui n’a peut-être eu, dans sa longue
souffrance, un dernier accès de fièvre que pour augmenter nos libertés.
«Ma patrie se lève !... Moi, j'aime mieux la voir assise ; ne remuez pas les bottes ! c'est mon principe.»
RépondreSupprimerGénéalogiquement et dans tous les sens je trouve que cette injonction sonne bien avec votre rapport.