Petit ecrit de circonstance.
Si la Revolution francaise et la Commune ont pu songer s'en prendre a Notre-Dame de Paris, nous ne sommes pas pour autant dans une configuration ou nous rejouir de ce qui arrive. Je trouve meme assez maladroit de dire que l'incendie blesse les gens au-dela des croyants ou blesse les Parisiens dans un symbole de leurs promenades privilegies. Pour moi, des forces artistiques de la nation ou d'une epoque etaient tournees de force vers l'edification religieuse et je prends en depot cette beaute parvenue jusqu'a nous. En plus, en-dehors de sa localisation parisienne et de sa facade avant avec les deux toursm Notre-Dame de Paris n'est pas la plus belle cathedrale du pays et elle est meme un echec partiel a l'interieur. Mais elle fait partie des etapes de l'histoire de l'elevation a l'art gothique. C'est une cathedrale qui a eu une valeur de rodage. La perte de sa fleche est le point le plus sensible des degats d'hier soir, car elle etait en pierresm sera dur a refaire et elle representait une espece de grace telle une elytre. L'eglise semble en avoir rechappe miraculeusement, mais elle a ete visiblement victime de nos comportements d'economies sur tout. N'importe quelle oeuvre peut facilement bruler dans les conditions de renovation des monuments actuels. Dans un monde ou le patrimoine est un enjeu, on devrait avoir un extincteur a proximite d'un soudeur ou de trois soudeurs a la fois. La, il faut revoir les procedures de securite. Cela coute plus cher, mais on voit le prix a payer en cas de catastrophe.
Ce qui m'interesse, c'est les rosaces et les vitraux dans le gothique. Il y a toute l'ideologie du Verbe divin qui passe par les vitraux et la distribution a l'interieur du chevet de la basilique a Saint-Denis orchestre ainsi une convergence reussie entre projet architectural et creation d'une puissance symbolique. Meme si cet aspect-la est rate dans Notre-Dame de Paris, eglise deseperement sombre a l'interieur a rebours des intentions originelles du gothique, c'est precisement notre sujet, celui du verbe divin qu'est la Lumiere, Verbe diffuse par les vitraux dans une eglise gothique ou dans la basilique de Saint-Denis, Verbe diffuse par des voyelles de couleur dans le cas de "Voyelles" de Rimbaud.
Du dix-neuvieme siecle et reproductible facilement par le code ecrit, et on pense au "Ceci tuera cela" du petit pere Hugo dans son roman Notre-Dame de Paris, le sonnet ne semble pas souffrir l'idee d'une conservation fragile et perilleuse a travers les siecles.
Et pourtant, les langues meurent et la fragilite du sens de "Voyelles" vient sans doute de ce que dans nos ames nous n'entretenons pas l'architecture litteraire greco-latine leguee par l'Antiquite et entretenue jusqu'aux dix-neuvieme siecle par l'etude des auteurs latins a tout le moins et par l'etude de la rhetorique qui nous manque cruellement aujourd'hui.
Rimbaud a concu son image de poete dans un contexte scolaire a partir de textes d'Ovide et tout particulierement en fonction d'un ennemi sensible du christianisme, Lucrece.
Rimbaud n'a remis que 22 poemes a Demeny pour l'annee 1870. Parmi ces poemes, deux sont tributaires des lectures en classe de Lucrece, les deux quatrains de "Sensation" et le long poeme 'Soleil et Chair" initialement intitule "Credo in unam".
Lucrece se retrouve dans le poeme "Les Etrennes des orphelins". Rimbaud a carrement plagie le debut de la traduction du premier livre du De Natura rerum par Sully Prudhomme. Cet emprunt ne concerne que moins de trente vers, mais dans "Credo in unam" Rimbaud s'inspire d'autres passages du premier livre de l'ouvrage de Lucrece.
Enfin, sur les 22 poemes remis a Demeny, on a une importante proportion de vers sur la guerre franco-prussienne, trois sonnets ciblent Napoleon III : "Le Chatiment de Tartufe", "Rages de Cesars" et "L'Eclatante victoire de Sarrebruck", mais trois sonnets traitent de la mort du soldat au combat : "Le Mal", "Morts de Quatre-vingt-douze..." et "Le Dormeur du Val". Or, un aspect est marquant et a rapprocher de Lucrece dans ces trois sonnets. Ces hommes ont ete faits par la Nature dans sa paix et quand ils meurent elle les regenere dans tous les vieux sillons, elle en fait des figures christiques, et le poete refuse de les dire morts. Ils dorment dans "Morts de Quatre-vingt-douze..." et dans "Le Dormeur du Val". Et le poete emploie la metaphore lucrecienne clef de la semence. La Nature a seme les Morts de Valmy et Fleurus, et d'ailleurs les cesures soulignent le jeu de mots de "a semes" a "de Fleurus".
Venons-en a "Voyelles". Ce poeme est ecrit un an et demi apres 'Soleil et Chair" ou 'Morts de 92" environ. On retrouve l'idee d'une Nature semee d'etres vivants : "paix des patis semes d'animaux", sachant que "semes" implique une cause volontaire divine a leur existence.
Pour s'opposer a ma lecture qui voit une allusion au martyre de la Commune, le principal reflexe consiste a m'opposer le tercet du "U vert". Mais le tercet du 'U vert" qui evoque le Poeme De la Mer de l'insurrection parisienne dans ses "vibrements divins des mers virides", c'est precisement le tercet lucrecien de la pacification du monde par l'action de la grande Venus. Rimbaud connait bien le premier livre du De natura rerum qu'il a pu lire en latin et dans la traduction de Sully Prudhomme a tout le moins. Or, dans ce premier livre, outre la celebration des semences, nous avons une invocation a Venus qui invite a pacifier un monde meurtri par la guerre.
Voila pour le premier coup de massue annonce qui conforte encore une fois ma lecture du sonnet 'Voyelles".
Il ne faut pas s'arreter la. Lucrece vante Epicure dont le regard a sonde tout l'univers et est revenu nous ramener la connaissance. Evidemment, les yeux de Voyelles ne sont pourtant pas ceux du poete. Rimbaud ne se pretend pas un substitut de Dieu, il pretend connaitre parce qu'il est un prophete, il pretend maitriser la parole oraculaire, distinction fondamentale. Mais il faut savoir qu'avec la confusion des sources qui nous sont parvenues un melange important existe entre les propos attribues a Democrite et ceux attribues a Epicure. Une parole est tantot attribuee a l'un, tantot a l'autre. Mais, en tout cas, Democrite semble etre passe avant Epicure pour la theorie des atomes, et c'est Democrite qu'on associe a cette theorie des atomes reprise par Lucrece et Epicure. Or, dans Lucrece, voici mon deuxieme coup de massue, les atomes sont presentes metaphoriquement comme les lettres de l'univers, comme j'ai dit que dans "Voyelles", les couleurs sont assimilees a un alphabet en tant que briques elementaires pour construire toutes les visions.
Dans "Voyelles", Rimbaud semble conscient de la dualite entre corps et ondes toutefois, car on a une vraie presence de l'idee d'ondulation : bombinent, frissons, rires, vibrements, strideurs. La lumiere et le son comme ondes, voila qui correspond plus a l'etat de la connaissance scientifique au dix-neuvieme siecle, et cela nous ramenerait a Helmholtz. Dans tous les cas, on a l'idee d'alphabet comme chez Lucrece d'elements primordiaux et le mot 'frissons' est un poncif romantique associe a l'eveil de la Nature chez Hugo, Lamartine, poncif reconduit par Verlaine et aussi plusieurs fois par Rimbaud en y incluant bien sur "Credo in unam".
J'ai quelques autres elements qui retiennent mon attention dans le premier livre du De Natura rerum comme le rapport entre l'ombre et la lumiere, j'y reviendrai dans une etude plus fouille. Je mettrai d'abord en ligne un article sur les poemes de 70 avec une etude originale sur le dernier vers du "Dormeur du Val" et avec un texte utile a comparer selon moi au sonnet "Le Mal', un extrait du Juif errant d'Eugene Sue, non pas une source mais un texte interessant a rapprocher.
A suivre donc...
Merci. Pour ma part je suis né à Paris, je passe devant Notre dAme plusieurs fois par semaine. Hier le quartier était plein...les gens ont le coeur bien accroché c'est bien
RépondreSupprimerLes gens ont le coeur bien accroche ? Vous trouvez ? Des 19h15, je regardais les premieres videos, je voyais des passants parisiens qui n'en avaient rien a foutre, preoccupes de marcher et passer a velo, indifferents a ceux qui filmaient. Ensuite, j'ai eu droit a deux reprises ; il n'y a pas de morts. J'ai eu droit au "c'est genial" quand j'ai dit que la fleche est tombee. J'ai eu droit d'un autre au "j'en ai rien a foutre" du discours qui s'identifie aux luttes sociales, sauf que c'est hypocrite et rejoue. La tele, la radio a aucun moment n'ont denonce le manque de procedures de securite pour une renovation si importante et deux fois moi en le soulevant j'ai essuye le c'est la faute au liberalisme et au capitalisme, ce qui n'est que partiellement vrai, car l'indifference et le je m'en foutisme sont generalises et c'est surtout par opposition a une pensee ou a la tete de l'Etat le souci des petites economies ne predominait pas de la meme sorte genre feodalite, ancien regime, vu que l'economie etait compensee par de la possession non chiffree on va dire. Les milliardaires font les mecenes indecnets, je comprends aussi que cela choque, mais le truc c'est que l'art indiffere et la vraie pensee c'est la Renaiisance italienne ou l'age gothique plus jamais cela. Les hommes ne veulent plus d'art a l'heure actuelle.
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